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18 octobre — Saint Luc, évangéliste

Solitude habitée -



Les évangélistes saint Marc et saint Luc,

Matthias Stom ou Stomer (Amersfoort, vers 1590 - Sicile, après 1650),

Huile sur toile, 113 x 154 cm, 1635,

Collection privée


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée (2 Tim 4, 10-17b)

Bien-aimé, Démas m’a abandonné par amour de ce monde, et il est parti pour Thessalonique. Crescent est parti pour la Galatie, et Tite pour la Dalmatie. Luc est seul avec moi. Amène Marc avec toi, il m’est très utile pour le ministère. J’ai envoyé Tychique à Éphèse. En venant, rapporte-moi le manteau que j’ai laissé à Troas chez Carpos. Apporte-moi aussi mes livres, surtout les parchemins. Alexandre, le forgeron, m’a fait beaucoup de mal. Le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Toi aussi, prends garde à cet individu, car il s’est violemment opposé à nos paroles. La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent.


Méditation

En ce moment, je relis une nouvelle fois les œuvres de Georges Bernanos. Et dans son célèbre roman, Journal d’un curé de campagne, j’y lis : « Il est dur d’être seul, plus dur encore de partager sa solitude avec des indifférents ou des ingrats. » N’est-ce pas ce que Paul a vécu : il se retrouve seul avec Luc. Certains, indifférents tel Démas, partent. D’autres, comme Alexandre, font preuve d’ingratitude. Et Paul de se plaindre de ce que l’on pourrait appeler la morsure de la solitude… Une solitude qui peut parfois prendre un amer goût d’isolement. « Tous m’ont abandonné » reconnaît l’apôtre. Peu de ses amis restent à ses côtés. Seuls peut-être Luc et Marc (accompagnés de leur emblème : le lion pour Marc et le bœuf pour Luc) que l’on voit sur cette peinture de Matthias Stom.


En y réfléchissant bien, il me semble qu’une peur primitive, pour ne pas dire ontologique, habite le coeur de l’homme : celle de l’abandon. Que ce soit de l’abandon des amis ou de la famille, voire, et peut-être surtout de la solitude dans la mort. « On naît seul, on vit seul, on meurt seul. C'est seulement à travers l'amour et l'amitié que l'on peut créer l'illusion momentanée que nous ne sommes pas seuls. » disait Orson Welles. Alors que Jean Anouilh écrira dans Eurydice : « Tu ne seras pas seul, on n'est jamais seul. On est avec soi, c'est autre chose, tu le sais bien... » En effet, sommes-nous vraiment seuls ? Bien sûr, on est avec soi-même, on peut vivre dans notre citadelle intérieure, comme Marc-Aurèle dans ses Pensées pour moi-même.,Mais cette citadelle dont parle l’empereur-philosophe n’est-elle pas celle que décrivent les psaumes ? Par exemple le psaume 143 (versets 1 et 2) : « Béni soit le Seigneur, mon rocher ! Il exerce mes mains pour le combat, il m'entraîne à la bataille. Il est mon allié, ma forteresse, ma citadelle, celui qui me libère ; il est le bouclier qui m'abrite, il me donne pouvoir sur mon peuple. » Saint Paul l’atteste à la fin de son message à Timothée : « Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. » Le Seigneur m’a assisté, il ne me laisse pas seul. Tant de pages de la Bible nous le redisent (encore faut-il aller les lire et les méditer…) Nous ne sommes jamais seuls, jamais abandonnés, parce que le Seigneur, comme il l’a promis, « ‘est’ avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20)


Mais pour en prendre conscience, il est peut-être urgent que nous cessions de nous laisser aveugler par les fausses lumière de notre monde. Notre pire ennemi n’est-il pas l’ennui ? Un ennui qui fait que nous ne savons plus habiter avec nous-mêmes, que nous cherchons continuellement à nous griser, à nous saouler pour oublier. Comme au chapitre XII du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry :

La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite fut très courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie:
- Que fais-tu là ? dit-il au buveur, qu'il trouva installé en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.
- Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre.
- Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince.
- Pour oublier, répondit le buveur.
- Pour oublier quoi ? s'enquit le petit prince qui déjà le plaignait.
- Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.
- Honte de quoi ? s'informa le petit prince qui désirait le secourir.
- Honte de boire ! acheva le buveur qui s'enferma définitivement dans le silence.
Et le petit prince s'en fut, perplexe.
Les grandes personnes sont décidément très très bizarres, se disait-il en lui-même durant le voyage.

En voulant s’oublier, que fait-on d’autre que de s’enfermer dans la pire des solitudes, celle où l’on ne peut même plus être avec soi-même ? Car être avec soi-même peut être ou une activité d’introspective maladive, voire narcissique, ou une découverte du Tout-Autre qui nous habite : « Mais Toi, tu étais plus profond que le tréfonds de moi-même et plus haut que le très-haut de moi-même » écrira Saint-Augustin dans les Confessions. N’est-ce pas ce que découvrit le fils prodigue (Lc 15, 17) ? Il se retrouve seul, affamé et abandonné. « Alors il rentra en lui-même » Et c’est là qu’il découvre et comprend la miséricorde de Dieu. D’un Dieu qui est un Père et qui, en tant que tel (mais aussi une Mère dira Isaïe), ne peut oublier ses enfants. Un Dieu qui ne nous oublie pas. « Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous ? Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu. À plus forte raison les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez sans crainte : vous valez plus qu’une multitude de moineaux. » (Lc 12, 6-7) « Je n’oublie pas ta Loi » dira à de nombreuses reprises le psaume 118. Oublier notre Dieu, oublier sa loi, oublier son amour, oublier les grâces qu’il nous a faites, c’est oublier la cité sainte où il nous a préparé une demeure. Et la première cité sainte est en nous, là où il nous faut entrer en nous-mêmes. Une cité plus haute que le très-haut de moi-même. Une cité plus profonde que le tréfonds de moi-même. Les deux cités, dirait Saint-Augustin qu’il ne faut jamais oublier : « Si je t'oublie, Jérusalem, que ma main droite m'oublie ! » (Ps 136, 5)


Ne pas oublier de rentrer en soi-même pour y rencontrer l’Unique et pouvoir dire, sans peur ni de l’abandon, ni de l’isolement : aujourd’hui, je vis seul avec le Seul. Jusqu’au jour où nous pourrons dire avec Paul : « Par la Loi, je suis mort à la Loi afin de vivre pour Dieu ; avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. » (Ga 2, 19-20)

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