Manquer la cible… -

Le Combat de carnaval et carême (1559),
Pieter Brueghel ou Bruegel dit l'Ancien (Bruegel, vers 1525 - Bruxelles, 1569)
Huile sur bois de chêne, 118 x 164,5 cm, Kunsthistorishes Museum (Vienne, Autriche)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 21,25-28.34-36
Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. Quand ces événements commenceront, redressez-vous et relevez la tête, car votre rédemption approche. Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet ; il s’abattra, en effet, sur tous les habitants de la terre entière. Restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous aurez la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme.
Le tableau
Un combat… celui du carnaval et du carême. Un carnaval bien gras, juché sur son tonneau, embrochant les victuailles, devant un carême à la face bien maigre, monté sur char, ne se nourrissant que de poisson et de pain. Un combat entre le plaisir et l’ascèse. Un combat entre protestants et catholiques !
Avec des tons ocres, jaunes et marrons, un fourmillement de scènes et de personnages. Une perspective plongeante, et un fond obstrué par des maisons. Notre œil ne sait où se poser, même si nous sommes attirés par la tache de lumière au centre du tableau, lumière donnée par la torche que tient un bouffon pour guider un couple de dos.
Un combat entre la partie gauche du tableau symbolisant les attitudes licencieuses et la partie droite représentant l’austérité des jours maigres. Un combat, comme une ellipse qui se dessine autour de la torche centrale, entre le carême et le carnaval.
Un combat qui est aussi celui de l’Église. Cette église que l’on aperçoit à la droite de l’œuvre, de laquelle sort un flux de personnages habillés de noir. Certains font la charité, tandis que d’autres sortent par l’autre porte de l’édifice.
Au centre, un étrange couple est guidé par un bouffon qui tient une chandelle allumée, malgré la lumière du jour : c'est le symbole d'un monde renversé. L'homme est vêtu d'un habit brun et porte un grand chapeau de même couleur. Une épée et une dague pendent sur ses flancs. La femme porte un manteau de poils gris et une lanterne est accrochée à sa ceinture, dans son dos. Les vêtements du bouffon ont quant à eux des couleurs très vives, des rayures jaunes et bleues pour une moitié et du rouge pour l'autre moitié.
Le monde renversé, c’est celui du péché qui nous met tête dessous, qui renverse nos valeurs, qui nous déstabilise.
C’est ce que l’on connaît le mieux dont on parle le moins bien… C’est ce que l’on connaît le moins bien dont on parle le mieux ! À vous de me dire, à la fin, si je suis un grand pécheur ou non !
La première étape est donc bien de discerner notre péché. Pour discerner, repérer, chercher, il s’agit d’abord de savoir ce que nous chassons. Quel sens aurait un chasseur qui ne connaît pas son gibier ? Comment pourrait-il le débusquer ?
Qu’est-ce que le péché ?
Le mieux serait peut-être de lire ce que nous en dit l’Église dans son Compendium du Catéchisme :
392. Qu’est-ce le péché ?
Le péché est « une parole, un acte ou un désir contraires à la Loi éternelle » (saint Augustin). Il est une offense à Dieu, par désobéissance à son amour. Il blesse la nature de l’homme et porte atteinte à la solidarité humaine. Le Christ, dans sa Passion, éclaire pleinement la gravité du péché et il le vainc par sa miséricorde.
393. Y a-t-il plusieurs sortes de péchés ?
La variété des péchés est grande. On peut les distinguer selon leur objet, ou selon les vertus ou les commandements auxquels ils s’opposent. On peut les ranger aussi selon qu’ils concernent directement Dieu, le prochain ou nous-mêmes. En outre, on peut distinguer les péchés en pensée, en paroles, par action ou par omission.
De cela, je retiendrai trois choses :
Le péché concerne Dieu, les autres et moi-même.
Il est une offense, une blessure.
Le péché n’est pas seulement un acte commis, il peut aussi être un non-acte.
Cependant, je ne vais pas ici vous faire un cours de théologie sur le péché. En ce cas, reportez-vous au Catéchisme de l’Église Catholique. Je vais plutôt vous parler… d’expérience !
La définition étymologique du mot « péché » est aussi très intéressante et éclairante. Pécher veut simplement dire "manquer la cible". C’est effectivement le sens du mot « péché » en hébreu : manquer son but, manquer sa cible. Quelle cible ? Le bonheur, tout simplement. Pécher, c’est se tromper de bonheur. Non pas donc seulement le constat objectif et froid (tel un constat d’huissier) d’une infraction à une loi d’airain qui s’imposerait de l’extérieur, et à laquelle nous serions sommés d’obéir sous peine d’être sévèrement châtiés, mais bien plutôt une erreur d’aiguillage qui nous fait faire fausse route, et nous éloigne de ce à quoi notre cœur aspire le plus profondément : la plénitude du bonheur.
Enfin, il me semble que nous pourrions aussi nous appuyer sur ce que Jésus nous dit, non du péché, mais de la triple Loi à laquelle il nous appelle (Mt 22, 34-40) :
Les pharisiens, apprenant qu’il avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »
Trois amours : aimer Dieu, aimer son prochain et s’aimer soi-même. Toute rupture d’un de ces amours est péché. Toute rupture d’un de ces amours entraîne la rupture de deux autres liens. Voyons donc le péché comme une ombre portée sur la lumière de notre bonheur, comme un acte manqué, comme une rupture de trois amours.
L’homme à la recherche du bonheur
En effet, avant de repérer notre dévoiement (ce qui nous sort de la voie), ne serait-il pas bon de regarder de plus prêt la voie essentielle de notre vie ? De fait, il me semble que depuis notre naissance, voire avant, nous sommes à la recherche d’un bonheur. Mais comme nous avons du mal à déterminer ce qu’il peut être et ce qu’il doit être ! Trop souvent, nous le situons dans des plaisirs fugaces et bien terrestres (une belle maison, un portefeuille bien rempli, un travail épanouissant, etc.) Je ne dis pas que tout cela n’est pas important, mais n’est-ce pas second ? Je n’ai pas dit secondaire. Ce qui est secondaire est superfétatoire. Ce qui est second est important mais lié au premier. Et le premier, c’est le vrai bonheur, le bonheur profond et total.
À mon avis, le bonheur profond, total et plénier de l’homme ne tient qu’en un mot : l’amour. L’amour en deux double sens et en un triple lien. En double sens : aimer et se sentir aimé. Un triple lien : un amour lié à Dieu, aux autres et à moi-même. Comprenons bien une chose, nous ne pourrons trouver le vrai bonheur qu’avec cette grille-là. Et le péché, si c’est ce qui nous fait manquer notre cible, c’est ce qui nous fait manquer cette cible-là !
J’ajouterai enfin que le bonheur se rejoint aussi par des autoroutes rapides : la recherche du beau, la recherche du bien, la recherche du vrai, la recherche de l’unicité. Le beau me rapproche du bonheur, il me rend heureux. Comme de faire le bien. Comme de vivre en vérité. Comme de tenter d’être uni en soi-même plutôt que de s’éclater comme une baudruche ! « Unifie mon cœur, Seigneur, pour qu’il craigne ton Nom », dit le Psaume (Ps 85, 11)
Alors, pourquoi manquons-nous notre cible ?
Il y a, à mon sens, plusieurs raisons. La première est certainement que nous avons mal repéré la cible ! Et il est vrai que notre société indique tellement de fausses cibles. Les trois plus grandes sont souvent pointées du doigt par l’Église : le pouvoir tyrannique, la dépendance sexuelle et l’avidité des richesses. Saint-Augustin appelait cela les appétits de l’homme (appétits jamais rassasiés et qui ne sont pas dilections). Contre cela, elle nous invite à l’obéissance (oboediere en latin veut dire écouter : écouter Dieu, son cœur et les autres), à la chasteté (qui n’est pas automatiquement la continence mais le respect de l’autre, c’est-à-dire la pudeur) et à la pauvreté (qui n’est pas misère… La pauvreté c’est n’être dépendant d’aucune richesse).
Et puis il y a toutes les fausses cibles que nous nous inventons, croyant qu’elles nous donneront le bonheur. Je serai heureux quand j’aurai ce travail, cette femme ou cette maison. Remarquons bien. Ces « bonheurs » ne sont ni des choses partagées (ma maison, mon travail), ni des choses méritées (on les estime souvent dues plus que vraiment méritées : j’y ai droit ! L’éternel combat entre les devoirs et les droits, le premier passant en second !)
En fait, nous manquons souvent notre cible, non parce que nous ne la voyons pas : au fond de nous-même, nous savons où est notre vrai bonheur. Mais plutôt parce que nous manquons de courage, de ténacité, de pugnacité et de volonté. Cela semble tellement trop abstrait. Cela paraît nous demander tant d’efforts… Je ne m’en sens pas le courage. Alors, je préfère me contenter de choses plus accessibles. C’est une expérience que j’ai souvent faite avec mes scouts. Je me rappelle cette ascension du Puy-Marie en Auvergne. J’avais dit à mes Routiers qu’en haut, la vue était imprenable, inoubliable. Mais l’ascension s’avéra ardue, difficile, pénible. À plusieurs reprises, ils furent prêts à se contenter de la vue à mi-chemin et de contourner la hauteur. Mais en excitant leur volonté, en les appelant à grandir, à devenir des hommes debout, nous avons continué et nous sommes enfin arrivés au sommet. Le bonheur n’a pas été dans la vue (pas si fabuleuse que cela, surtout avec tous les touristes montés par le téléphérique) mais dans le fait de nous être dépassés, d’avoir fait cet effort. La plus grande ascension, ce fut celle de nous-mêmes ! Cette volonté avait été la vraie cible ! le bonheur ne s’atteint qu’avec un peu, voire beaucoup de courage. Et c’est un combat quotidien. Le repos sera au ciel ! D’ici là, courage et patience.
Nous manquons aussi notre cible par manque de patience… Patient est un mot intéressant. Il vient du latin « pati » qui veut dire souffrir. Etre patient, c’est accepter de souffrir. Comme être sympathique, c’est de souffrir avec l’autre ! Avoir la patience (et donc en souffrir) de laisser Dieu nous faire grandir. Avoir la patience d’être là, chaque jour, comme dans la prière. Avoir la patience de prier pour discerner, pour me laisser unifier. Avoir la patience de nous laisser descendre au plus profond de nous-même pour y trouver Dieu, la réponse à mes questions, le vrai bonheur. Saint-Augustin priait déjà en ce sens (Confessions, Livre X, 27(38)) :
« J’ai tardé à t'aimer, Beauté si ancienne et si nouvelle, j'ai tardé à t'aimer ! Alors que tu étais au dedans de moi, et moi au dehors, je te cherchais au dehors où je me ruais sur les belles choses d'ici-bas, tes ouvrages. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi ; Elles me retenaient loin de toi ces choses qui pourtant si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas. Tu as appelé, crié, et tu as rompu ma surdité. Tu as brillé par éclairs et par vives lueurs et tu as balayé ma cécité. Tu as exhalé ta bonne odeur, je l'ai respirée, et j’aspire à toi. Je t'ai goûté et j'ai faim et j’ai soif. Tu m'as touché, j'ai pris feu pour la paix que tu donnes. Une fois soudé à toi de tout mon être, il n'y aura plus pour moi douleur et labeur et ma vie sera, toute pleine de toi, la vie. »
Ayons la patience de chercher, dans la prière et la méditation, le bonheur au plus profond de nous-même. Dieu prend du temps pour agir en nous, il attend notre présence quotidienne… Se contenter de peu serait tomber dans un péché plus grave : l’acédie (Bof…)
Tisser nos liens en rompant nos chaînes
Nous avons parlé de ces trois liens essentiels qui procurent le bonheur : avec Dieu, avec les autres et avec moi-même. C’est le double commandement de Jésus et le triple amour auquel nous sommes invités. Le péché n’est que la rupture de ces liens. Rompre l’un c’est rompre les deux autres. Permettez-moi un exemple : renier Dieu, n’est-ce pas se renier soi-même en tant que créature de Dieu. Et comment, si je me renie, et donc ne m’aime plus, pourrais-je aimer les autres ? En aimant Dieu, j’apprends à aimer mes frères en qui j’aperçois son reflet, et je comprends que je dois m’aimer en tant que fils de Dieu. En m’aimant, sans narcissisme, mais en m’aimant comme je suis, alors j’aime mes frères avec leurs grâces et leurs péchés, alors j’aime Dieu qui nous a fait ainsi.
Pour vivre ces trois amours, pour tisser ces liens de bonheur, je dois aussi accepter de rompre des chaines… Les chaines de mes appétits dont nous avons parlées. À chacun d’essayer de les repérer, et l’examen de conscience est là pour ça. Il en est un qui me sert beaucoup… la Loi Scoute :
Le Scout met son honneur à mériter confiance. Le Scout est loyal à son pays, ses parents, ses chefs et ses subordonnés. Le Scout est fait pour servir et sauver son prochain. Le Scout est l'ami de tous et le frère de tout autre Scout. Le Scout est courtois et chevaleresque. Le Scout voit dans la nature l'œuvre de Dieu, il aime les plantes et les animaux. Le Scout obéit sans réplique et ne fait rien à moitié. Le Scout est maître de soi, il sourit et chante dans les difficultés. Le Scout est économe et prend soin du bien d'autrui. Le Scout est pur dans ses pensées, ses paroles et ses actes.
Peut-être est-il, au début, une idée à garder en tête : celle du regard de Jésus. Car ce regard n’est-il pas le meilleur indice de l’état de notre cœur ? Lorsque je laisse le Christ poser son regard sur moi, alors, même pécheur, je suis en voie de conversion. Lorsque je ne supporte pas ce regard, c’est que mon cœur est enténébré de péché. Mais dites-vous bien une chose : jamais le regard du Christ ne condamne. Parfois, il souffre, parfois il sourit de nos erreurs (comme des parents devant leurs enfants), parfois il est attristé (quand je sombre sans avoir demandé son aide), mais jamais il ne condamne. Le seul châtiment promis dans l’évangile est le péché contre l’Esprit-Saint, c’est-à-dire, le péché de ne pas croire que je puisse être pardonné. Ne pas croire en la miséricorde, au pardon et en la Rédemption est le vrai péché fondamental. C’est l’orgueil de l’homme condamné en Adam. N’oublions jamais, comme l’a dit saint Jean de la Croix que « au soir de notre vie, c’est sur l’amour que nous serons jugés ».
Les sept péchés capitaux et les sept œuvres de miséricorde
Un petit mot, enfin, sur les sept péchés capitaux :
L’orgueil (superbia en latin) : attribution à ses propres mérites de qualités ou de comportements qui sont des dons de Dieu (intelligence, vertus, etc.).
L’avarice (avaritia en latin) : accumulation des richesses recherchées pour elles-mêmes.
L’envie (invidia en latin) : la tristesse ressentie face à la possession par autrui d'un bien, et la volonté de se l'approprier par tout moyen et à tout prix (à ne pas confondre avec la Jalousie).
La colère (ira en latin) : produit des excès en paroles ou en actes : insultes, violences, meurtre.
La luxure (luxuria en latin) : plaisir sexuel recherché pour lui-même.
La gourmandise (gula en latin) : ce n'est pas tant la gourmandise au sens moderne qui est blâmable que la gloutonnerie, cette dernière impliquant davantage l'idée de démesure et d'aveuglement que le mot gourmandise. Par ailleurs, on constate que dans d'autres langues ce péché n'est pas désigné par un mot signifiant « gourmandise » (gluttony en anglais, par exemple).
La paresse, anciennement l'acédie (acedia en latin). Le Catéchisme de l'Église catholique définit l'acédie, terme disparu du langage courant, comme « une forme de dépression due au relâchement de l'ascèse ». Il s'agit en effet de paresse morale. L'acédie, c'est un mal de l'âme qui s'exprime par l'ennui, l'éloignement de la prière, de la pénitence et de la lecture spirituelle.
À ces sept péchés capitaux, s’opposent sept vertus :
La chasteté,
La tempérance,
La prodigalité,
La charité,
La modestie,
Le courage,
L’humilité.
Les vertus théologales (d'origine divine), que sont la foi, l'espérance et la charité, sont complétées par...
les vertus cardinales (d'origine humaine), que sont la justice, la prudence, la tempérance et la force d'âme (morale, c'est-à-dire le courage), et qui étaient déjà reconnues par les philosophes.
Et enfin, sept œuvres de miséricorde :
Ces sept œuvres de miséricorde, d’ordre corporel, sont énumérées par saint Matthieu (Mt 25, 34-40) :
Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : “Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !” Alors les justes lui répondront : “Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu… ? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?” Et le Roi leur répondra : “Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Nourrir l'affamé,
Abreuver l'assoiffé,
Accueillir l'étranger,
Vêtir les malheureux,
Soigner les malades,
Visiter les prisonniers,
Ensevelir les morts, a été ajouté par l'Église vers le XIIIe siècle.
Voilà déjà une belle grille pour débusquer notre péché !
Mais ne pas se tromper dans le discernement, ni sur le péché !
Il me faut terminer ! Je voudrais pointer quelques écueils.
Le péché n’est pas qu’en acte. Il peut être en omission. Ainsi, les œuvres de miséricorde que nous avons refusé de faire. Nous ne serons pas jugés en premier sur le mal que nous avons fait mais sur le bien que nous avons refusé de faire !
Le péché est ténèbres, la grâce est lumière ! Repérer ses péchés ne veut pas dire nier ou masquer nos grâces et qualité. Apprenons à les voir, à en rendre grâce à Dieu. Elles peuvent même mieux éclairer notre péché.
Nous ne sommes pas que péché… Arrêtons de faire des listes interminables ! Choisissons un ou deux points à combattre. Car c’est un combat. Et nous ne pouvons pas combattre sur tous les fronts. De même, impossible de combattre sans le matériel (Éphésiens 6, 10-18) :
Enfin, puisez votre énergie dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’équipement de combat donné par Dieu, afin de pouvoir tenir contre les manœuvres du diable. Car nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes. Pour cela, prenez l’équipement de combat donné par Dieu ; ainsi, vous pourrez résister quand viendra le jour du malheur, et tout mettre en œuvre pour tenir bon. Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. En toute circonstance, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier : restez éveillés, soyez assidus à la supplication pour tous les fidèles.
L’Église nous offre des « balances » pour mesurer notre péché : des exemples, des enseignements, etc. Mais la première balance, c’est notre cœur. Notre cœur vrai. Pas un cœur qui se condamne, pas un cœur qui s’auto-justifie. La vérité sur nous-même, mais une vérité qui me respecte et qui m’apprend à m’aimer comme Dieu m’a fait, cela est essentiel ! Et soyez sûr que le péché n’est pas comparaison ! Ne nous comparons pas aux autres. Seulement à l’appel de l’Évangile !
Enfin, n’oublions pas que l’excès nuit en tout. Le cœur s’alourdit, comme l’a dit l’évangile de ce jour, la garde se baisse. Redressons-nous, notre Rédemption approche. L’excès de discours sur le péché est aussi nuisible que son contraire. Le risque est de devenir aussi scrupuleux que Durtal dans le roman de Huysmans.
Un poète écrivait : « le péché revêt d’un masque de laideur notre visage fait à l’image de Dieu ». La citation est tellement belle et vraie. Dimanche prochain, nous verrons comment nous convertir pour enlever ce masque et laisser apparaître la beauté de Dieu. Bonne route. En avent ! Joyeuse miséricorde ! Heureuse conversion !
Sermon de saint Bernard (+ 1153), Sermons sur l'avent du Seigneur, 4, 1, 3-4, Opera omnia, éd leclercq, 4, 1966, 182-185
Il va de soi, mes frères, que vous devez célébrer de toute votre dévotion l'avènement du Seigneur, étant charmés par une telle consolation, stupéfaits par une telle commisération, enflammés par une telle dilection ! Mais ne pensez pas seulement à l'avènement où le Seigneur est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10) ; pensez à celui où il viendra pour nous prendre avec lui. Puissiez-vous consacrer à ces deux avènements une méditation prolongée, en ruminant dans vos coeurs ce qu'il a donné dans le premier, ce qu'il a promis dans le second ! <>
Car voici le temps du jugement : il va commencer par la famille de Dieu. Mais comment finiront-ils, ceux qui refusent d'obéir à l'Évangile de Dieu (1P 4,17) ? Que sera le jugement final pour ceux qui ne se relèvent pas de ce jugement-ci ? Tous ceux qui se dérobent au jugement qui a lieu maintenant, où le prince de ce monde est jeté dehors, qu'ils attendent, ou plutôt qu'ils redoutent ce juge par lequel eux-mêmes seront jetés dehors avec leur prince. Mais nous, si nous sommes pleinement jugés maintenant, attendons en sécurité comme Sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux (Ph 3,20-21). Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père (Mt 13,43).
Lorsque le Seigneur reviendra, il transfigurera notre corps de misère à la ressemblance de son corps de gloire, mais seulement si notre coeur a été auparavant transfiguré en devenant conforme à l'humilité de son coeur. C'est pourquoi il disait: Devenez mes disciples, car je suis doux et humble de coeur (Mt 11,29).
Découvrez dans ce texte qu'il y a deux sortes d'humilité : l'une de connaissance, l'autre d'amour, appelée ici l'humilité du coeur. La première nous enseigne que nous ne sommes rien, et nous en sommes instruits par nous-mêmes, par notre propre faiblesse. Avec la seconde, nous piétinons la gloire du monde, et nous en sommes instruits par celui qui s'est anéanti, en prenant la condition de serviteur ; appelé au trône, il s'est enfui; mais appelé à tous les outrages et à l'ignominieux supplice de la croix, il s'y est offert lui-même de son plein gré.
Prière
Donne à tes fidèles, Dieu tout-puissant, d'aller avec courage sur les chemins de la justice à la rencontre du Seigneur, pour qu'ils soient appelés, lors du jugement, à entrer en possession du royaume des cieux. Par Jésus Christ.