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IIe Dimanche de Pâques - Dimanche de la Miséricorde, ou Dimanche de Quasimodo, ou Domenica in albis

Comme des nouveau-nés -



Saint Pierre, gardien de la Jérusalem céleste,

Guillaume de Digullevile (Digulleville, 1295 - Chaalis, 1360),

Décoration attribuée au Maître du Livre d’heures de Johannette Ravenelle,

« Pèlerinage de la vie humaine », Ms 1130, folio 003v,

Codex, parchemin, 41 x 29,7 cm, vers 1390,

Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris (France)

Antienne d’ouverture

« Comme des enfants nouveau-nés, soyez avides du lait pur de la Parole qui vous fera grandir pour arriver au salut, alléluia. » 1 P 2, 2


Lecture du livre des Actes des Apôtres (Ac 5, 12-16)

À Jérusalem, par les mains des Apôtres, beaucoup de signes et de prodiges s’accomplissaient dans le peuple. Tous les croyants, d’un même cœur, se tenaient sous le portique de Salomon. Personne d’autre n’osait se joindre à eux ; cependant tout le peuple faisait leur éloge ; de plus en plus, des foules d’hommes et de femmes, en devenant croyants, s’attachaient au Seigneur. On allait jusqu’à sortir les malades sur les places, en les mettant sur des civières et des brancards : ainsi, au passage de Pierre, son ombre couvrirait l’un ou l’autre. La foule accourait aussi des villes voisines de Jérusalem, en amenant des gens malades ou tourmentés par des esprits impurs. Et tous étaient guéris.


Psaume 117

Alléluia !

Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour ! Oui, que le dise la maison d’Aaron : Éternel est son amour ! Qu’ils le disent, ceux qui craignent le Seigneur : Éternel est son amour !

La pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux. Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie !

Donne, Seigneur, donne le salut ! Donne, Seigneur, donne la victoire ! Béni soit au nom du Seigneur celui qui vient ! De la maison du Seigneur, nous vous bénissons ! Dieu, le Seigneur, nous illumine.

Lecture de l’Apocalypse de saint Jean (Ap 1, 9-11a.12-13.17-19)

Moi, Jean, votre frère, partageant avec vous la détresse, la royauté et la persévérance en Jésus, je me trouvai dans l’île de Patmos à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus. Je fus saisi en esprit, le jour du Seigneur, et j’entendis derrière moi une voix forte, pareille au son d’une trompette. Elle disait : « Ce que tu vois, écris-le dans un livre et envoie-le aux sept Églises : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. » Je me retournai pour regarder quelle était cette voix qui me parlait. M’étant retourné, j’ai vu sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme, revêtu d’une longue tunique, une ceinture d’or à hauteur de poitrine. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort, mais il posa sur moi sa main droite, en disant : « Ne crains pas. Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant : j’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles ; je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, ce qui va ensuite advenir. »


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 20, 19-31)

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » Or, l’un des Douze, Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Alors Thomas lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre. Mais ceux-là ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom.


L’auteur

Né à la pointe de la Hague, Guillaume de Digulleville se dit « de noble et franc lignage ». Devenu moine cistercien, il entre vers 1316 à l'abbaye de Chaalis dont il semble être devenu le prieur et où il semble avoir passé le reste de sa vie.


Guillaume de Digulleville s'est rendu célèbre par Les Pèlerinages (Le Pèlerinage de la vie humaine, Le Pèlerinage de l'Âme, Le Pèlerinage de Jésus Christ), trois longs poèmes sur le thème de l'Homo viator, homme voyageur, qui eurent un grand succès jusqu'à la fin du XVIe siècle.


Dans le premier, Le Pèlerinage de la vie humaine, commencé vers 1330, de 13 000 vers, il décrit comment, après la lecture du Roman de la Rose, il eut une vision, l'emmenant dans un pèlerinage spirituel vers la Jérusalem céleste. Le poète anglais John Skelton a traduit Le Pèlerinage de la vie humaine, mais sa version est perdue : elle avait le titre Of Mannes Lyfe the Peregrynacioun.


Le Pèlerinage de l'Âme, composé entre 1355 et 1358, de 11 000 vers, et une suite du premier ouvrage décrivant le voyage de l'âme après la mort. C’est sans doute l'œuvre maîtresse de Guillaume de Digulleville, mais aussi l'ouvrage qui présente le plus d'analogies avec la Divine Comédie. Il décrit un voyage au cours duquel le pèlerin est amené à descendre aux Enfers, avant d’aller au Purgatoire et de parvenir enfin au Paradis.


Le Pèlerinage de Jésus Christ, de 13 540 vers, le moins connu, fait le récit de la vie du Christ venu sur terre pour racheter la faute d'Adam. Il décrit comment, après la lecture du Roman de la Rose, Guillaume, dans une vision, fait un pèlerinage spirituel vers Jérusalem. C'est d'ailleurs un anti–Roman de la Rose, qu'il appelait le roman de la Luxure. L’histoire de l'œuvre est curieuse : il dut l'écrire deux fois, l'original ayant été volé. Mais c’est la première rédaction, de 1330-31, reniée pour son imperfection, et non la seconde, de 1335, qui s’est largement diffusée.


Ce que je vois

L’image sert de frontispice, en haut à gauche de la page, aux premiers vers que l’on voit se dérouler à droite. Le fond de l’image est couverte d’un quadrillage brun dans lequel sont insérés des cabochons dorés. À droite, une église (ou plutôt une sorte de chapelle) en gros appareillage de pierres grises. La porte est ouverte sur trois marches, donnant accès à un sol herbeux. Le toit semble couvert d’ardoises et surmonté d’un clocheton carré, avec des ouvertures et une flèche. Au fronton de l’édifice est placée une croix dorée.


À droite, saint Pierre est habillé d’une aube beige, couverte d’un surplis blanc et d’une chasuble gothique bleue, au revers rouges, et un col d’orfroi. Il est glabre, le visage jeune, et couronné d’une tiare papale à trois étages en forme d’obus. Derrière sa tête se dessine discrètement son auréole rouge. De la main droite, il tient son attribut, les clés du Royaume.


En face de l’Apôtre, trois jeunes hommes se dévêtissent. Au sol se trouvent les vêtements qu’ils ont déjà retirés : deux manteaux, l’un bleu, l’autre verdâtre. Ils sont nus et enlèvent par-dessus leur tête la tunique blanche. C’est bien aussi le sens du dimanche in albis.


Dimanche de Quasimodo, Domenica in Albis

1 Pierre 2, 1-3 :

01 Rejetez donc toute méchanceté, toute ruse, les hypocrisies, les jalousies et toutes les médisances ;
02 comme des enfants nouveau-nés, soyez avides du lait non dénaturé de la Parole qui vous fera grandir pour arriver au salut,
03 puisque vous avez goûté combien le Seigneur est bon.

Le mot quasimodo est formé à partir des premiers mots latins (incipit) de l'introït de ce jour, « Quasi modo geniti infantes, alleluia: rationabile, sine dolo lac concupiscite, ... » (« Comme des enfants nouveau-nés, alleluia : désirez ardemment le pur lait spirituel,... »), tirés de la Première épître de Pierre (2,2).



Ce jour est encore appelé dimanche in albis (sous entendu : depositis, « dimanche aux aubes déposées »), car, ce jour-là, les néophytes (adultes baptisés durant la vigile pascale), entrent à la messe vêtus de leurs habits ordinaires, ayant quitté, la veille (samedi in albis deponendis : « samedi aux aubes à déposer »), le vêtement blanc qu'ils portaient depuis leur baptême.


L’antienne d’ouverture

Lors de deux autres homélies, j’ai commenté la dimension de la miséricorde de ce dimanche avec l’Évangile, puis la lecture des Actes des Apôtres lorsque l’ombre de Pierre guérit l’homme paralysé. Aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter sur l’antienne d’ouverture. Il est vrai que nous n’y sommes plus attentifs, vu qu’elles ne sont plus dites mais remplacées par un chant, que ce soit celle de l’ouverture ou celle de la communion. Seule demeure l’antienne de l’alléluia. Le mot « antienne » vient du latin antĭphŏna qui évoque un chant à deux chœurs qui se répondent. Le livre où est consigné l’ensemble des antiennes s’appelle donc un antiphonaire. Notons que si la liturgie catholique n’en fait plus grand usage (bien qu’elles soient toujours inscrites dans le Missel), les orthodoxes les ont particulièrement développées. Elles ont une haute valeur pédagogique, introduisant en un simple verset le sens profond de la liturgie célébrée, souvent dans une dimension typologique, à l’instar de ce que l’on voit avec les figures des prophètes dans la Biblia pauperum ou les Concordantiae caritatis.


L’antienne de ce dimanche met en lumière le sens de la fête de la domenica in albis, en reprenant le verset du Quasimodo de saint Pierre.


Les nouveaux baptisés

La nuit de Pâques, 5 463 catéchumènes ont été baptisés cette année en France. Ils ont ainsi reçu les trois sacrements de l’initiation chrétienne : baptême, confirmation et eucharistie. Le chiffre est en augmentation de 28% par rapport à l’année précédente. Il faut aussi relever qu’ils sont de plus en plus jeunes puisque les trois-quarts ont moins de 40 ans (et 34 % du total sont entre 18 et 25 ans). Est-ce le signe que, malgré les tribulations de l’Église de France, le peuple de Dieu ne se décourage pas et qu’il prend enfin conscience qu’il incarne l’Église, plus que l’institution ? La demande des adolescents est aussi en forte hausse. Mais, étant donné la chute du baptême des petits, il est normal que la venue à la foi se fasse plus tard. Dans un monde totalement déchristianisé, ne nous leurrons pas, comparable à celui que connu l’Église des premiers siècles, il est bon d’en revenir aux « fondamentaux », de bien comprendre qui nous voulons « cibler »…


La cible

La « cible », autrement appelé le fidèle chrétien, a, depuis une centaine d’années, déserté nos églises (nous ne parlons ici que de la France). Les raisons en sont nombreuses et ce n’est pas ici le lieu d’en débattre. Cependant, qu’en est-il aujourd’hui de l’accès aux sacrements, et surtout de la compréhension minimum de ce qui est célébré ? La liturgie ne prend-elle pas parfois un aspect magique ? Reconnaissons que ce fut de tout temps le cas, mais de la dévotion populaire ne sommes-nous pas passés à une dimension magique du sacrement, voire apotropaïque (qui détourne le danger, qui protège) ? Qui dit sacrement dit initiation, ce que l’on appelait autrefois la catéchèse mystagogique. Le mot revient à la mode, mais dans un sens vidé de sa substance. Et cette liturgie ne devient-elle pas l’occasion à la communauté de se célébrer elle-même plutôt que Celui à qui elle est destinée ? Enfin, cette liturgie est-elle encore le moment de la prière ? On peut parfois, à la vue de certaines célébrations « festives », se poser la question. Comment pourrions-nous vivre la prière seul quand la communauté réunie ne nous l’a pas apprise ? Au point qu’on risque plus de « faire des prières » plutôt que de prier… De même, on a baptisé les nouveau-nés à partir du Ve (*) siècle, estimant que l’enseignement chrétien aurait lieu les premières années dans la famille et lors de la participation aux liturgies. Mais dans un monde déchristianisé, cela a-t-il encore du sens ? 90 % des enfants que nous baptisons bébés ont-ils encore accès à une culture chrétienne dans leur famille ou dans la société ? Et combien iront au catéchisme ? Et pour quel catéchisme ? Pour reprendre ce que disait saint Augustin, sont-ils encore « justifiés par la fois des autres » ? Le pédobaptisme a-t-il encore du sens aujourd’hui ?


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* En soutenant que les enfants morts sans être baptisés n'iraient pas au paradis, le théologien Augustin d'Hippone fait beaucoup pour la diffusion du baptême des enfants. Les fidèles catholiques et orthodoxes demandent que ce sacrement soit conféré le plus tôt possible, l'enfant étant justifié par la « foi des autres ». Cette doctrine a été proclamée lors du concile de Carthage en 418, et déclare que le Baptême peut servir de remède contre le péché originel. Le baptême des enfants se généralise alors dans la chrétienté.

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Les premiers siècles

Très curieusement, lorsqu’on se reporte à l’Église des premiers siècles, on découvre que l’on demandait au fidèle, en guise de catéchèse, de connaître par coeur (et le mot a du sens : avec coeur) deux prières : le Notre Père et le Credo. Pour les catéchumènes, lors du carême, chacun est invité à « rendre » ces prières devant la communauté (la reddition). La prière n’était pas séparée de la liturgie. Et cela s’exprimait dans un cadre : l’église-bâtiment, une église peinte de fresques ; une église où les cinq sens se vivaient ; une église et son décor, et non une église décorée ; une église où la Parole de Dieu résonnait dans les âmes. Bref, une Église, et une église (le bâtiment en lequel tout cela se vivait) où l’on enseignait, où l’on célébrait, où l’on priait en communauté, une Église, pour reprendre les mots de saint Pierre « où l’on buvait le lait non dénaturé de la Parole qui fait grandir pour arriver au salut. »


Des nouveau-nés

La nuit de Pâques, ce sont donc près de 5 500 nouveau-nés que l’Église a mis au monde. Et ce sont maintenant des néophytes, des nouvelles plantes (voir l’article en annexe). Mais tout parent le sait, il ne suffit pas d’avoir donné naissance à un enfant, il faut aussi le nourrir, le laver, l’éduquer, bref, le faire grandir jusqu’à ce qu’il soit autonome. Alors, comment l’Église va-t-elle nourrir, laver, éduquer et faire grandir tous ces enfants ? C’est là qu’intervient le lait maternel dont il est question ici. Ce lait « non dénaturé » de la Parole qui a le goût des « choses de Dieu ». Un lait qui nourrit et fait aussi résonner cette Parole en nous, lui donne du sens, et surtout donne le sens, la direction que notre vie de chrétien doit prendre. Mais l’enfant ne grandit pas seul. Il a besoin d’un guide, d’un catéchète.


Catéchèse

Lorsque l’on regarde les programmes de catéchèse de nos diocèses, on peut être quelque peu surpris de ce qui est dispensé tant aux enfants qu’aux adultes. L’accent y est plus souvent mis sur l’aspect moral qu’allégorique, et encore moins spirituel. Pourtant, les Pères de l’Église, et à leur suite l’école monastique, ont toujours insisté sur la progression à suivre dans la démarche d’initiation : goûter les textes, en découvrir les allégories, en assimiler la morale, et en vivre spirituellement.


Le mot catéchèse en lui-même indique le chemin à suivre. Catéchèse vient de la racine grecque κατήχησις, katêkhêsis, qui, elle-même signifie : « faire écho ». La catéchèse est donc une question d’écho. Mais d’écho de quoi ? Un écho vient après un cri. Le cri, c’est celui dont on qualifie Jean le Baptiste (Mc 1, 2-3) : « Il est écrit dans Isaïe, le prophète : Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour ouvrir ton chemin. Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » Et donc cette voix doit résonner dans nos vies afin de les rendre plus droites, plus orthodoxes (c’est bien le sens de ce mot). La catéchèse, c’est ce qui fait écho en nos vies du message de Dieu, et de sa présence en nos âmes.


Dans la patristique

Quand on se plonge dans les écrits (homélies, traités, discours, etc.) des Pères de l’Église, on est d’abord surpris de la place que prend cette dimension de la catéchèse comme initiation au mystère divin. Une initiation qui s’appuie sur les textes bibliques en vue de préparer le futur baptisé à vivre en communauté et à rencontrer le Seigneur dans la prière et les sacrements. En fait, la catéchèse s’appuie sur un trépied solide : la Parole lue, méditée et commentée / le sacrement célébré dans la liturgie / la prière en communauté ou seul. Nous appuyons-nous encore aujourd’hui sur ce même trépied ? Ou aurions-nous subrepticement séparé chacun des pieds, et ainsi, perdu le plateau de notre tabouret, plateau qui nous permettait de nous hisser vers les cieux ? Sans vouloir répondre à cette question trop incorrecte politiquement, il me semble plus intéressant de nous replonger dans la méthode des Pères et de chercher comment l’adapter pour nos contemporains.


Qui dit méthode, dit connaître sa cible ! Mais aussi user de moyens adéquats. Actuellement, la lecture n’est pas des plus faciles à mettre en oeuvre : on préfère le chapeau résumant l’article sur Wikipédia plutôt que de lire les dix pages qui suivent. Bref, l’information la plus directe possible, sans circonlocution. Donc une information précise, claire et pratique. Pourtant, même si l’on n’aime plus trop lire, on pense un temps important à écouter. Mais encore faudrait-il que ce que nous écoutons soit nourrissant. L’homélie, l’enseignement doivent être au coeur de nos préoccupations catéchétiques.


Par contre, l’image a pris une telle place que nous n’oserions plus imaginer une société sans écran. Mais l’Église, depuis quasiment ses origines, ne s’est-elle pas servie allègrement de ce médium ? Si nous allons au Louvre et que nous évitons toute oeuvre d’art à caractère religieux, notre visite risque de se faire en moins d’une heure ! Mais plus grave encore, si nous demandons au visiteur de déchiffrer les sujets représentés sur les œuvres religieuses, nous nous exposons à bien des déconvenues, et même pour des prêtres ou de catholiques pratiquants…


Plaidoyer pour une vraie nourriture

En effet, combien de personnes se déclarent catholiques mais ajoutent immédiatement qu’elles ne sont pas pratiquantes. Pour reprendre la réponse que fit un confrère à un jeune couple qu’il préparait au mariage et qui se déclarait non-pratiquant, il rétorqua : « Je vous comprends. Moi aussi, je suis croyant non-pratiquant. Je crois en l’amour mais je ne pratique pas ! » Là est le ridicule de la situation. Je crois que mon corps a besoin de nourriture, et je ne mangerais pas ? Je crois que mon intelligence a besoin de culture et… je ne lirais jamais un seul livre ? Je crois que mon âme a soif de Dieu, mais je ne l’abreuverais pas ? Surprenant, et c’est pourtant ce qui arrive. On en vient ainsi à un arrêt de la croissance. Le seul point où l’on continue de croître, c’est pour la nourriture, mais là, sans limite, d’où une telle obésité, rappelant ce que disait Coluche avec un certain humour grinçant : « Une moitié du monde fait tout pour maigrir alors que l’autre fait tout pour grossir ! » De même, on ne lit plus de livres (alors qu’on n’a jamais tant publié) et surtout, on ne nourrit plus son âme. Peut-être, dans ce monde du XXIe siècle (qui aurait dû être religieux ou n’être pas, pour reprendre une citation que Malraux ne se souvient pas avoir prononcée) préfère-t-on le « lait frelaté », c’est-à-dire « altéré, qui n’est pas pur, pas naturel » ? N’est-ce pas le lait qui coule sur nos écrans, qu’ils soient de télévision ou d’ordinateur ? N’est-ce pas le lait d’une sorte de syncrétisme religieux qui choisirait ce qui plaît dans chaque religion, ou refuserait ce qui déplaît dans la religion que je pratique ? Ainsi, peut-on parfois entendre : « Je ne crois pas en Dieu, mais au Diable, si ! » N’est-ce pas le lait synthétique de la Cancel culture et du wokisme ? Mais, je vais devoir être plus tranchant, incisif…


Enseigner…

L’enseignement est en crise, j’ai déjà écrit sur le sujet. Et peut-on encore parler d’enseignement lorsqu’en 1932 on a troqué le nom du « ministère de l’instruction publique » en « éducation nationale » ? Je pensais que c’était aux parents d’éduquer et à l’école d’instruire… Malheureusement, n’en est-il pas de même dans l’Église, lorsqu’on est passé de l’instruction religieuse aux nouvelles méthodes catéchétiques des années 60 ? C’est tout juste si les enfants savent le Notre Père et le Credo. Quant à le comprendre, c’est encore une autre question… Et donc, si l’on ne la nourrit plus, comment notre âme pourrait-elle croître ? La crise de croissance de la foi atteint des sommets. Et ce n’est pas qu’une question de sacrements : les enfants sont baptisés, font leur première communion, voire reçoivent la confirmation, certains vont même jusqu’à se marier religieusement… Mais peu vont à la messe. Il est vrai que les homélies ne sont pas toujours nourrissantes… (même à la télévision). Si je reprends le concept de la jeune plante (néophyte), les sacrements seraient comparables à des doses d’engrais. Mais si je n’arrose pas régulièrement ma plante, l’engrais risque plus de la brûler que de la faire grandir ! Le père Michel Guitton écrivait dernièrement (France catholique du 14 avril 2023) : « Comment continuer à jouer sa vie sur Jésus ressuscité, si l’on ne donne pas un contenu vivant aux affirmations du Credo ? À longueur de journée, d’autres visions du monde et de la vie nous sont proposées, et parfois avec beaucoup de vigueur et d’intelligence, et nous resterions attachés à la lumière que le Christ a portée au monde, sans rien pour l’actualiser ? Ce serait plus qu’un miracle ! »


Soyez avides du lait non dénaturé

Soyons donc avides de ce lait qui nous fera grandir. Demandons avec insistance à l’Église de nous le rendre, de nous en abreuver. Demandons aux prêtres de passer plus de temps à préparer leurs homélies qu’à assister à des réunions souvent inutiles. Demandons à nos évêques de nous instruire de la foi véritable, non dénaturée. Nous avons tous besoin de ce lait de la Parole, un lait non frelaté qui nous fera grandir. En ce dimanche de la Miséricorde, la plus grande miséricorde que pourrait nous faire notre Église serait de nous nourrir, et de nous nourrir avec des paroles substantielles, instructives et surtout enthousiasmantes ! Quant à nous, à chacun d’entre-nous, comme un bon élève (celui qui est élevé) après les cours, reprenons dans la prière, la méditation et la lecture de ce que nos oreilles ont entendu, de ce que nos yeux ont vu, de ce que nos mains ont touché, de ce que notre bouche a goûté, de ce que notre nez a senti, pour le faire descendre en notre cœur et fructifier dans notre vie chrétienne. Alors, comme sur l’enluminure, nous pourrons nous dépouiller de tout ce qui nous encombre pour entrer dans le Royaume des cieux, comme l’avait annoncé l’Épître aux Hébreux (He 12, 1-2) :

Ainsi donc, nous aussi, entourés de cette immense nuée de témoins, et débarrassés de tout ce qui nous alourdit – en particulier du péché qui nous entrave si bien –, courons avec endurance l’épreuve qui nous est proposée, les yeux fixés sur Jésus, qui est à l’origine et au terme de la foi.


CATÉCHÈSE DE JÉRUSALEM AUX NOUVEAUX BAPTISÉS


Baptisés dans la mort et la résurrection du Christ.


Vous avez été conduits par la main à la piscine du baptême, comme le Christ est allé de la croix au tombeau qui est devant vous.


On a demandé à chacun s'il croyait au nom du Père et du Fils, et du Saint-Esprit. Vous avez proclamé la confession de foi qui donne le salut et vous avez été plongés trois fois dans l'eau, et ensuite vous en êtes sortis. C'est ainsi que vous avez rappelé symboliquement la sépulture du Christ pendant trois jours.


De même, en effet, que notre Sauveur a passé trois jours et trois nuits au cœur de la terre, c'est ainsi que vous, en sortant de l'eau pour la première fois, vous avez représenté la première journée du Christ dans la terre ; et la nuit, en étant plongés. Celui qui est dans la nuit ne voit plus rien, tandis que celui qui est dans le jour vit dans la lumière. C'est ainsi qu'en étant plongés comme dans la nuit vous ne voyiez rien ; mais en sortant de l'eau vous vous retrouviez comme dans le jour. Dans un même moment vous mouriez et vous naissiez. Cette eau de salut est devenue à la fois votre sépulture et votre mère.


Ce que Salomon dit à un autre sujet pourrait s'appliquer à vous : Il y a un temps pour enfanter, et un temps pour mourir. Mais pour vous c'était l'inverse : un temps pour mourir et un temps pour naître. Un seul temps a produit les deux effets, et votre naissance a coïncidé avec votre mort.


Chose étrange et incroyable ! Nous n'avons pas été véritablement morts ni véritablement ensevelis, et nous avons ressuscité sans être véritablement crucifiés. Mais si la représentation ne réalise qu'une image, le salut, lui, est véritable.


Le Christ a été réellement crucifié, réellement enseveli, et il a ressuscité véritablement. Et tout ceci nous est accordé par grâce. Unis par la représentation de ses souffrances, c'est en toute vérité que nous gagnons le salut.


Bonté excessive pour les hommes ! Le Christ a reçu les clous dans ses mains toutes pures, et il a souffert ; et moi, qui n'ai connu ni la souffrance ni la peine, il me fait, par pure grâce, participer au salut !


Personne donc ne doit penser que le baptême consiste simplement dans le pardon des péchés et la grâce de la filiation adoptive ; il en était ainsi pour le baptême de Jean, qui ne procurait que le pardon des péchés. Mais nous savons très précisément que notre baptême, s'il est purification des péchés et nous attire le don de l'Esprit Saint, est aussi l'empreinte et l'image de la passion du Christ. C'est pourquoi saint Paul proclamait : Ne le savez-vous pas ? Nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés. Nous avons donc été mis au tombeau avec lui par le baptême.

Par la chrismation, le baptisé devient « Christ »


Vous avez été baptisés dans le Christ, et vous avez revêtu le Christ ; vous avez donc été configurés au Fils de Dieu. En effet, Dieu qui nous a prédestinés à la filiation adoptive nous a configurés au corps de gloire du Christ. Puisque vous êtes maintenant participants du Christ, vous êtes à juste titre appelés vous-mêmes « christs », et c'est de vous que Dieu disait : Ne touchez pas à mes christs.


Or, vous êtes devenus des christs en recevant l'empreinte de l'Esprit Saint ; et tout s'est accompli pour vous en image, parce que vous êtes les images du Christ. Pour lui, quand il se fut baigné dans le fleuve du Jourdain et qu'il eut communiqué aux eaux le contact de sa divinité, il en remonta ; et la venue substantielle du Saint-Esprit sur lui se produisit, le semblable se reposant sur le semblable.


Il en est pareillement pour vous : une fois que vous êtes remontés de la piscine sainte, eut lieu la chrismation, image exacte de celle dont fut marqué le Christ. Il s'agit de l'Esprit Saint. Le prophète Isaïe, faisant parler le Seigneur, disait de lui : L'Esprit du Seigneur est sur moi ; car il m'a consacré par la chrismation ; il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres.


En effet, le Christ n'a pas été chrismé par les hommes d'une huile ou d'un parfum matériels. Mais c'est le Père qui, l'ayant consacré d'avance comme le Sauveur du monde, l'a marqué de l'Esprit Saint, comme le dit saint Pierre : Jésus de Nazareth, que Dieu a chrismé d'Esprit Saint. Et le prophète David proclamait : Ô Dieu, ton trône est pour les siècles des siècles : c'est un sceptre de droiture, le sceptre de ta royauté. Tu aimes la justice et tu hais l'impiété ; c'est pourquoi Dieu, ton Dieu, t'a consacré d'une huile d'allégresse, de préférence à tes rivaux. ~


Le Christ a été marqué par l'huile spirituelle d'allégresse, c'est-à-dire par l'Esprit Saint, qui est appelé huile d'allégresse parce qu'il est l'auteur de l'allégresse spirituelle ; et vous, vous avez été oints de parfum, vous êtes devenus participants et compagnons du Christ.


Mais ne va pas t'imaginer que ce parfum est quelque chose d'ordinaire. ~ Ce saint parfum, après l'invocation pour obtenir le Saint-Esprit, n'est plus un parfum ordinaire et, pourrait-on dire, commun. Il est don spirituel du Christ, devenu, par la présence de l'Esprit Saint, agent efficace de sa divinité. C'est de ce parfum qu'on te chrisme symboliquement sur le front et les autres organes des sens. Tandis que ton corps est oint de parfum visible, l'âme est sanctifiée par le saint et vivifiant Esprit.



HOMÉLIE DE SAINT AUGUSTIN AUX NOUVEAUX BAPTISÉS, LE DEUXIÈME DIMANCHE DE PÂQUES


Ceux qui sont renés dans le Christ


C'est à vous que je m'adresse, enfants nouveau-nés, vous qui êtes des tout-petits dans le Christ, la nouvelle génération mise au monde par l'Église, le don du Père, la fécondité de la Mère, de tendres bourgeons, l'essaim tout nouveau, la fleur de notre fierté et le fruit de notre labeur, ma joie et ma couronne, vous qui tenez bon dans le Seigneur.


Je vous adresse les paroles de l'Apôtre : Revêtez Jésus Christ et ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour satisfaire vos convoitises, afin de revêtir par votre vie ce que vous avez revêtu par le sacrement. Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n'y a plus ni Juif ni païen, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme : tous, vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus.


Telle est la force du sacrement : il est le sacrement de la vie nouvelle, qui commence maintenant par le pardon de tous les péchés passés, et qui trouvera son accomplissement dans la résurrection des morts. Car vous avez été mis au tombeau avec le Christ par le baptême dans sa mort ; de même que le Christ est ressuscité des morts, ainsi devez-vous mener une vie nouvelle.


Vous vous conduisez maintenant par la foi, aussi longtemps que, dans ce corps mortel, vous êtes en exil loin du Seigneur. Mais vers celui vers qui vous tendez, vous avez un chemin sûr : le Christ lui-même est ce chemin, il a voulu le devenir en se faisant homme pour nous. Car il a réservé une grande douceur pour ceux qui le craignent ; il a voulu la commencer et la parfaire pour ceux qui espèrent en lui, du fait que nous recevrons en réalité ce que nous avons reçu maintenant en espérance. ~


C'est aujourd'hui l'octave de votre naissance ; aujourd'hui s'accomplit en vous le sceau de la foi qui était conféré chez les anciens Pères avec la circoncision de la chair qu'on faisait huit jours après la naissance charnelle. ~ C'est pourquoi le Seigneur en ressuscitant a dépouillé la chair mortelle ; non pas qu'il ait surgi avec un autre corps, mais avec un corps qui ne doit plus mourir ; il a ainsi marqué de sa résurrection le « jour du Seigneur ». C'est le troisième jour après sa passion, mais dans le compte des jours qui suivent le sabbat, c'est le huitième, en même temps que le premier.


C'est pourquoi vous-mêmes avez reçu le gage de l'Esprit, non pas encore dans sa réalité, mais dans une espérance déjà certaine, parce que vous possédez le sacrement de cette réalité. Ainsi donc, si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les réalités d'en haut : c'est là qu'est le Christ, assis à la droite de Dieu. Le but de votre vie est en haut, et non pas sur la terre. En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui dans la gloire.



Qu'est-ce qu'un néophyte ? Christine Gilbert Animatrice en pastorale.

L'Église emprunte ce terme à la botanique : une « nouvelle plante », c'est ainsi qu'elle appelle les adultes qui viennent d'être baptisés pendant la nuit de Pâques. Le néophyte est donc un baptisé débutant qui fait ses premiers pas dans la vie chrétienne ordinaire après un parcours intense et structuré de catéchuménat durant deux ou trois ans. La comparaison botanique évoque la nouveauté, la fragilité et les soins indispensables à la jeune pousse, mais aussi la vigueur et la joie de la jeunesse. Saint Cyrille de Jérusalem disait qu'arrosage et binage, nécessaires avant le baptême, c'est-à-dire la greffe sur l'Église, l'étaient plus encore après. Le néophyte vient de vivre un cheminement riche et chaleureux, il a accueilli Dieu dans sa vie, découvert et approfondi la Bible, démarré ou poursuivi une vie de prière et de réflexion. Il s'est employé à mettre sa vie en conformité avec sa foi, et son baptême a été un point culminant. Maintenant il apprend l'existence chrétienne « normale », la vie ordinaire de tous les jours avec l'extraordinaire de Dieu. Il est baptisé, mais a souvent encore besoin de temps pour mieux connaître la « famille » où il vient d'entrer, son histoire, sa vie, ses groupes, etc. Il a besoin de frères et de sœurs pour échanger, partager, prier.


Dans les premiers siècles, les néophytes suivaient après leur baptême un enseignement particulier de l'évêque, appelé « mystagogie ». Cette catéchèse leur permettait d'approfondir ce qu'ils avaient vécu lors des étapes rituelles du baptême. Les mots leur étaient ainsi donnés, après coup, pour comprendre leur expérience. Ils découvraient le « mystère » chrétien, l'accomplissement du salut en Jésus-Christ et tout son déploiement dans les grandes figures de la Bible et de l'histoire, à partir des rites qu'ils venaient de vivre.


Aujourd'hui, néophytes et catéchumènes sont une grande joie pour l'Église, mise au défi que chacun trouve sa place en son sein. Marqués par leur choix de baptême, posé en adulte libre et responsable, ils peuvent être désarçonnés par une Église qui paraît routinière ou pleine de contradictions. Les équipes de catéchuménat leur ont prodigué chaleur, soutien, encouragements et amitié : cet accompagnement doit les avoir non seulement préparés au baptême mais introduits à la vie baptismale ordinaire. Les baptisés plus anciens, eux, ont l'expérience d'une fidélité à travers joies, épreuves et pardon ; ils peuvent être déroutés par de nouvelles manières d'aborder la foi. Tous ont besoin les uns des autres. Tout le monde doit s'apprivoiser, se découvrir, se parler. L'Église est un corps vivant.



Prière d’un catéchumène

Seigneur,

Merci pour tous tes bienfaits. Merci de m’avoir amené sur la voie de Jésus, je te supplie de continuer à me guider sur ce chemin de sainteté.

Je t’implore humblement de me venir en aide tous les jours pour que j’adopte un comportement exemplaire et je t’implore de me pardonner mes péchés.

Je prie pour recevoir le baptême et faire partie de cette merveilleuse et grande famille qu’est l’Église. Je prie pour recevoir la vie éternelle à travers Jésus.

Je prie pour la Sainte Église catholique et tous ses membres, pour la gloire de Dieu et le salut éternel.

Amen



MOINES EN PRIÈRE - Un dessin de Gustave Doré au Musée de Grenoble



GUSTAVE DORÉ

XIXe siècle

59,8 x 73,5 cm

MUSÉE DE GRENOBLE-J.L. LACROIX


« Faire dans un format uniforme et devant faire collection, tous les chefs-d’œuvre de la littérature, soit épique, soit comique, soit tragique… »[1], telle est l’ambition que se donne Gustave Doré, illustrateur, dès 1855, énonçant une liste impressionnante de textes, allant d’Homère à Shakespeare, dont il souhaite entreprendre la mise en image. Ce programme sera non seulement rempli mais dépassé, ajoutant La Bible et La Légende du Juif errant au corpus initial. Romantiques, réalistes, symbolistes, les planches de Doré ont nourri l’imagination de générations de lecteurs et modelé profondément notre vision des textes fondamentaux de la littérature – Dante, Rabelais ou Victor Hugo – au point de faire parfois oublier l’auteur derrière l’illustrateur. Cette connivence entre l’univers imaginaire de Doré et des écrivains dont il s’empare connaît pourtant quelques rendez-vous manqués : l’artiste échouera dans son désir d’illustrer les œuvres de George Sand. « J’attends […] le double bonheur d’interpréter par le crayon les idées qui me sont le plus sympathiques et de voir mon nom apparaître à une place aussi édifiante[2]. » C’est ainsi que l’artiste offre ses services à la romancière en 1852 lorsque son illustrateur attitré, Tony Johannot, meurt. L’affaire ne se fait pas, George Sand préférant donner sa chance à son propre fils, Maurice Sand. Mais Gustave Doré s’inspire quand même d’un texte de l’écrivain, Spiridion, à l’occasion de la réédition de celui-ci en 1855, dans une lithographie montrant le jeune frère Angel, un peu timide, égaré entre trois moines séniles et effrayants[3]. Cette planche est la première pensée du Néophyte, un thème que l’artiste va explorer pendant plus de dix ans, à travers toute une série de toiles (dont une conservée au Chrysler Museum of Art), dessins, eaux-fortes et lithographies. La grande feuille du musée de Grenoble appartient à ce corpus et montre le jeune et naïf frère Angel, le héros de Spiridion, égaré dans un couvent dont les moines rivalisent de laideur, de décrépitude, voire de méchanceté. Angel, novice, est dans le roman, méprisé de tous ses condisciples plus âgés, sans raison apparente. « Ils agissent ainsi avec tous ceux dont ils craignent l’esprit de justice et la droiture naturelle. […] Ils veulent t’abrutir, effacer en toi par la persécution toute notion du juste et de l’injuste »[4], lui dit son ami Alexis pour expliquer l’animosité dont il est l’objet. Gustave Doré traite d’abord le thème dans deux toiles monumentales, conservées respectivement à Norfolk, avec un seul rang de moines et dans la nouvelle cathédrale de Los Angeles, avec deux rangées de frères. C’est cette dernière composition que l’artiste envoie au Salon de 1868 et qui lui vaut de la part des critiques quelques commentaires acerbes[5]. Nullement découragé, l’artiste entreprend ensuite une série de neuf eaux-fortes, de 1874 à 1877, reprenant la composition de ce dernier tableau, variant quelques détails dans le nombre et la physionomie des moines. Le dessin de Grenoble, comme celui de Nemours , très proche, sont préparatoires à ces planches dont seule la dernière sera éditée en 1877. Le premier dessin porte la mention « à mon ami le docteur Fuzier/affectueux souvenir »[6], le second est dédicacé « à Monsieur Ardail ». Tous deux sont de très grand format, de taille sensiblement égale aux dernières planches de la série. Ils adoptent la manière de traiter les ombres, en hachures croisées, propre au langage de la gravure. La planche du Néophyte, présentée dans la section Gravure du Salon de 1877 puis à l’Exposition universelle de 1878, vaudra à son auteur un sonnet de François Fertiault : « Lis sans tâche, il se dresse au milieu des frères,/Vieux chênes dépouillés, cœurs froids, volcans éteints [7]. »



[1] Journal de Gustave Doré, dicté à sa mère en 1865, cit. dans cat. exp. Strasbourg, 1983, p. 223.

[2] Lettre de Gustave Doré à George Sand, 8 septembre 1852. Citée dans Abadie, 1986, p. 48.

[3] Gustave Doré, Frère Angel, lithographie parue à l’occasion de la sortie de la deuxième édition de Spiridion de George Sand, publiée dans Souvenirs d’artistes en 1873.

[4] George Sand, Spiridion, in Œuvres de George Sand, vol. VII, Paris, 1842-1843, p. 196.

[5] « Voyez le Néophyte de Gustave Doré ! On dirait une page illustrée de Gargantua ou des Contes drôlatiques », écrit Firmin Boissin dans Études artistiques, Salon de 1868, p. 52.

[6] Le docteur Jean-Baptiste Fuzier, originaire de Grenoble, était médecin chef de l’École polytechnique, puis médecin-chef de l’hôpital de Vera Cruz lors de l’expédition des Français au Mexique en 1862. Ethnologue et collectionneur d’objets précolombiens et chinois, cet ami de Gustave Doré a souhaité léguer à sa ville natale trois œuvres de l’artiste.

[7] François Fertiault, « Le Néophyte/à Gustave Doré », in Les Sonnets du Salon (1878), Clermont, 1878, p. 60.


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