Mariage mystique… -

Les Noces de Cana (copie après 1550),
Attribué à Jérôme BOSCH, Jheronimus van Aken (Bois-le-Duc, 1450-1516),
Huile sur panneau, 93 x 72 cm,
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam (Pays-Bas).
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 2, 1-11)
Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples. Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. » Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent. Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. » Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
L’auteur
Ce peintre néerlandais, né en France, était un membre de l’illustre Confrérie de Notre-Dame. Jamais il ne bougera de sa ville natale, Bois-le-Duc, et pourtant sa renommée s’étendra jusqu’aux confins de l’Europe. Ceci explique les innombrables copies de ses œuvres. Depuis le début du XXe siècle, un important travail scientifique a débuté pour séparer « le bon grain de l’ivraie ».
Le succès de son œuvre est certainement dû au caractère mystérieux, pour ne pas dire ésotérique, de ses peintures. Elles sont un vrai rébus à déchiffrer, truffées de petits signes, de détails qui frisent l’hérésie. Des heures sont souvent nécessaires pour discerner le sens des détails, scènes comiques, caricatures et diableries, allusions alchimiques, visions oniriques. Cette illustration du « combat » entre l’hérésie et le mysticisme, entre le péché et la damnation face au monde religieux, fera de son œuvre l’emblème d’une peinture sacrilège, mais aussi tellement complexe qu’on ne peut qu’être fasciné à son approche.
Les surréalistes du XXe siècle virent en lui un de leurs maîtres. Encore aujourd’hui, son succès ne se tarit pas et nous donne des commentaires innombrables, parfois précis, parfois loufoques !
Le tableau
Très longtemps ce tableau exposé à Rotterdam fut considéré comme l’œuvre originale, face aux copies visibles dans d’autres collections. Cependant, une récente étude dendrochronologique (analyse du panneau en bois pour déterminer la date) a démontré que la peinture avait été réalisé près de 30 ans après la mort du peintre.
Nous sommes donc ici face à une copie mais qui doit être très proche de l’original. En effet, le Musée du Louvre possède un dessin préparatoire de Jérôme Bosch, représentant le même sujet. On y voit la grande similitude des deux œuvres. La différence la plus notable est le remplacement des deux premiers personnages (Saint Remi et le donateur) par deux petits chiens sur la peinture. L’analyse aux infrarouges montre que ces deux animaux sont des repeints tardifs. Il est fort possible que le copiste de l’œuvre originale n’ait pas voulu représenter ces deux personnages qui ne correspondaient plus au nouveau commanditaire. Plus tard, le vide créé par cette absence fut comblé par ces deux petits chiens.
Il faut aussi noter que l’œuvre fut retaillée par un de ses propriétaires qui a fait couper le bas de l’œuvre et les deux coins supérieurs, en forme d’escalier, certainement pour l’insérer dans un cadre ou un emplacement existant chez lui. Le dessin permet de reconstituer les parties manquantes, entre autre le second musicien sur l’estrade de gauche.

Les Noces de Cana,
D’après BOSCH Jérôme (dit), VAN AEKEN (vers 1450-1516),
Dessin à l’encre brune et à la plume, 28,1 x 20,9 cm,
Paris, musée du Louvre, collection Rothschild
Ce que je vois
Les lieux
Dans une grande salle, un banquet. Des personnages assis autour d’une table en L, couverte d’une grande nappe blanche, avec quelques nourritures et boissons déjà servies. Les convives sont assis sur des bancs de bois. Une seule chaise, inoccupée, est sculptée et décorée d’or et de personnages.
Sur la droite un dais domine. Il se ferme par un lourd rideau rouge cramoisi sur un fond en brocard d’or, décoré de fleurs et de fruits.
La salle donne sur une pièce ouverte, voutée et portée par deux colonnes, dont l’une est surmontée d’un angelot. Celle de droite cache une chouette montée sur une autre colonne. Dans le fond de cette pièce, un dressoir avec diverses pièces de vaisselle, surmonté d’un curieux chapeau noir.
À droite, au fond, on distingue ce qui doit être l’entrée de la salle, donnant sur un jardin intérieur. De la grille, deux petites têtes regardent à travers une grille le banquet.
À gauche, sur une sorte d’estrade surélevée, un musicien (deux à l’origine) joue un air certainement enjoué pour animer le mariage.
Les personnages
Les serviteurs
Ils sont au nombre de cinq. Leurs cheveux courts permettent de connaître leur condition. En effet, pour les hommes de cette époque, les cheveux longs sont le signe de la puissance, et les cheveux courts, signe de soumission.
Au premier plan, un serviteur emplit une des six jarres. Un autre s’adresse au marié. Deux autres apportent les mets sur des plateaux. Un cinquième, alcoolique, récupère la dernière goutte qui coule d’une bouteille renversée sur l’estrade des musiciens.
Les musiciens
Grâce au dessin, nous savons qu’il en existait un autre qui devait jouer du cromorne (dont on distingue le bout courbé). Celui que nous distinguons joue de la cornemuse. Il a le visage enjoué regardant son coreligionnaire. Faut-il voir à la droite du jeune marié, encapuchonné de rouge, un autre musicien venant chercher des consignes auprès de parents ?
Le maître du repas
On l’aperçoit dans le fond de la scène, près du dressoir. Habillé de blanc et couvert d’un turban, il tient en main la baguette, signe de sa fonction et de son autorité.
Les convives
Au premier plan, de dos, deux hommes se parlent. En bout de table, à côté, certainement les parents des mariés.
Puis le jeune marié, jeune homme aux cheveux longs, habillé d’un manteau rose, signe de l’amour. Il a le visage donné traditionnellement à Jean l’Évangéliste. Ensuite, la jeune mariée, habillée d’une robe blanche parcourue de rubans d’or, avec un manteau blanc (signe de sa pureté) fermé par une fibule décorée (cette pureté est encore fermée, intacte). Elle a les cheveux dénoués, signe de disponibilité et de don.
Puis, la Mère de Jésus jette un regard sur le verre vide devant la jeune mariée. Sa main gauche désigne le Christ qui va résoudre le problème ! À ses côtés, un homme au regard sévère s’adresse à Jésus. Le Christ a pris la place traditionnellement réservée à la jeune mariée : sous le dais. Il est vêtu d’une simple tunique bleue (signe de son humanité et de sa filiation). Sa main droite bénit les jarres qu’un serviteur emplit.
À sa gauche, un homme au visage inexpressif, porte un manteau noir, bordé de fourrure et couvert d’un chapeau de même genre. Un juriste ? En bout de table deux personnages de dos. Pour l’un, on ne voit qu’un turban rouge. Pour l’autre, on remarque ce curieux chapeau en pointe d’où tombe une grande bande dorée. On dirait presque un évêque ! Est-ce le grand-prêtre qui a célébré l’union ? son habit rappelle celui des dominicains : blanc et noir.
Enfin, les deux derniers personnages ne peuvent que nous interroger. D’abord cette femme qui porte une robe verte. Elle est coiffée d’un surprenant casque bordé de perles. Elle porte à ses lèvres une coupe. Vient-elle de goûter le vin nouveau ? Le vert a souvent été la couleur de l’instabilité et de la jalousie. Cette femme est-elle jalouse de la mariée ?
Pour finir, nous avons ce petit personnage que nous voyons de dos et qui est au centre de la scène. Tous nos regards se tournent d’abord vers lui lorsque nous contemplons cette œuvre. Il est le point de fuite de la peinture. Sa taille pourrait nous faire penser à un enfant. Il a les cheveux longs, roux, et ceints d’une sorte de couronne de fleurs ou de feuilles. Il est habillé d’un lourd manteau de brocard vert, parsemé de fleurs symboliques. De son épaule au côté tombe une grande écharpe blanche nouée, à l’image de l’étole que portent les diacres. De sa main droite, il tient une coupe dorée, un calice (ou un ciboire dont le couvercle serait sur la table ?) Sa main gauche se tend vers les jeunes mariés. Est-ce un toast ? Mais qui est-il pour faire un tel geste ?
Les objets
Nous n’allons pas tous les détailler. Notons simplement,
Les deux plateaux des serviteurs : Sur le premier, une hure (tête de sanglier), sur le second, un cygne. Apparemment, des deux sortent comme des flammes. Le sanglier, comme le porc, a souvent été le signe de la luxure et de la débauche. Ici, la luxure a été tranchée, elle n’a plus court. Le cygne, lui, indique l’amour, la pureté et la vertu. Il paraît ici pleinement vivant dans cette noce !
Sur la table : couteaux, verres, pain, plats, fleurs. Tout le champ lexical de l’eucharistie, comme le calice (ou ciboire) que tient le personnage de dos. Notons que seul le Christ a un verre d’eau.
Sur le dressoir : Contrairement à ce que nous conte l’Évangile, on distingue plusieurs belles carafes de vin, un hanap peut-être. Il est plus difficile de comprendre ce qui se trouve au sommet du présentoir, comme un bouquet de branches, surmonté par cette curieuse coupole noire, reliée aux parois par une série de fils. Une sorte de cheminée ? Un baldaquin avec un voile pour protéger les objets du dressoir ? Ce meuble paraît fait de douze pierres (comme les douze apôtres ?) surmontées de trois gradins (comme pour un maître-autel ?)
Sur les colonnes : à gauche cet « amour » bandant son arc, à droite la chouette, signe de l’intelligence. Le cœur aurait-il des raisons que la raison ignore (Blaise Pascal) ?
La grille : est-elle le signe de l’hortus conclusus, le jardin clos ? Figure allégorique de Marie, mais aussi du Paradis qui doit s’ouvrir ? Est-ce Adam et Ève qui attendent derrière leur libération ?
Les cruches : au pied de la table. Elles ne paraissent pas de pierre, et encore moins contenir chacune 110 litres ! Chose amusante, les trésors des églises dans le monde prétendent en détenir en tout treize (dont cinq en France)… Un nouveau miracle, toujours d’actualité… la multiplication des cruches !
Comment comprendre ?
C’est ici le premier signe (car rappelons que Jean ne parle jamais de miracle mais de signe) que Jésus accomplit au début de son ministère.
Le huitième signe
L’évangile de Saint Jean peut se découper en deux grandes parties : les douze premiers chapitres sont ceux des « Signes » de Jésus, et les chapitres 13 à 21 sont ceux de « l’Heure ». Sept signes (Jean ne parle jamais de miracle) parsèment la première partie : l’eau changée en vin à Cana (2, 1-12), la guérison du fils d’un fonctionnaire à Cana (4, 43-54), la guérison du paralytique à la piscine de Bethzata 5, 1-16), la multiplication des pains (6, 15), Jésus marche sur les eaux (6, 16-21), la guérison de l’aveugle-né (9, 1-41) et la résurrection de Lazare (11, 1-46).
Sept signes, comme les sept jours de la création, dont le dernier n’est jamais clos (Gn 2, 2-3). Jésus va venir clôturer ce cycle de la création, il va clore ce septième jour pour nous ouvrir au huitième jour, parachèvement de la création, entrée dans le temps de la grâce et de la résurrection. Et ce huitième signe, c’est Lui, Lui sur la Croix, signe dressée dans le ciel. C’est Lui le premier jour de la semaine (Jn 20, 1). C’est « l’Heure ».
Trois symboles
Car ce signe du Christ en saint Jean peut être lu comme une triple symbolique.
Le symbole eucharistique
Le changement de l’eau en vin a souvent été interprétée comme une figure de l’eucharistie. En ce sens, le signe de Cana s’associe étroitement à celui de la multiplication des pains : on y reconnaît les deux formes de la communion « sub utraque specie » (sous les deux espèces). Ce symbole prend encore plus de force ici, avec ce personnage de dos qui, habillé comme un diacre de la dalmatique et de l’étole, tend aux jeunes mariés le ciboire de la communion.
Le symbole du mariage du Christ et de son Église
D’après Hildebert du Mans, les noces de Cana signifient en outre l’union ou, pour employer sa propre expression d’un réalisme un peu trop physiologique, la « copulation » du Christ et de l’Église : « Nuptiae significant copulationem Christi et Ecclesiae in quibus aqua mutatur in vinum quia Vetus Lex conversa est in Evangelium. » Ainsi quand le Seigneur change l’eau en vin, il faut entendre qu’il substitue le vin de l’Évangile à l’eau de l’Ancienne Loi, l’Église à la Synagogue : sicut aqua vinum, lex fit gratia. Nous pourrions ajouter que lorsque le prêtre, à l’eucharistie, ajoute l’eau au vin, il dit : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. »
Le symbole des six âges du monde
D’après une exégèse encore plus subtile, les six jarres des noces de Cana symbolisent les six époques de l’histoire du monde qui ont précédé l’avènement du Christ. Pendant ces six époques représentées par Adam, Noé, Abraham, David, Jéchonias et Jean-Baptiste, le Christ reste caché jusqu’au jour où il transmua en vin de l’Évangile l’eau de l’Ancien Testament. On retrouve ce symbolisme dans un vitrail de la cathédrale de Cantorbéry, qui groupe autour des six cruches de Cana les six époques de l’histoire du monde et les six âges de la vie : Infantia, Pueritia, Adolescentia, Juventus, Virilitas, Senectus.
Et pour nous aujourd’hui ?
Reprenons le texte… Cette histoire se passe le troisième jour. Nous le savons, ces petits mots évoquent immédiatement la Résurrection. Ces noces seraient-elles une résurrection ? Et pour qui ? Et comment ?
Et ce mariage se passe en Galilée, le lieu des Nations. Toutes les Nations seraient-elles concernées ? Viennent-elles épouser en ce jour leur Dieu Sauveur ? Est-ce donc une renaissance ?
C’est fort possible puisque la Mère par excellence est là : Marie ! Elle aussi vient de l’humus, de l’humanité. Mais d’un humus pur. Si elle est l’eau, elle est l’eau purifiée. Cette eau qui va mystiquement se mêler au vin de la divinité au cours des Noces.
Car en nos Noces, celles que nous célébrons souvent sur terre, le vin manque, ce vin de la divinité qui réjouit le cœur de l’homme. L’eau nous avait déjà associé quelque peu à la divinité en nous purifiant de notre péché. Mais cette purification méritait plus, méritait d’être menée à son achèvement, pour ne pas dire à son parachèvement.
Mais l’heure n’est pas encore venue. Il nous faut être patient… Avant que l’homme ne devienne pleinement uni à Dieu, il lui faut être patient. Avant de participer au banquet des noces célestes, il faut d’abord commencer par un banquet terrestre qui nous mènera aux noces divines, à la pleine communion avec Dieu. Ce banquet s’appelle l’eucharistie. Cette eucharistie, ce repas de Noces auquel nous invite ce petit personnage, nous tendant la coupe de l’amour ou le pain de la vie.
La distance entre les noces auxquelles nous aspirons et celles que nous vivons est réelle : Qu’y a-t-il entre toi et moi ? Qu’y a-t-il entre notre humanité et sa divinité ? À la fois un abime et une telle proximité que nous pouvons appeler Dieu « Notre Père ». Une telle distance entre l’eau et le vin, et pourtant, unis dans le calice, on ne peut plus les séparer. Marie est celle qui nous permet ce grand écart : elle est le pont entre le ciel et la terre, elle est la porte du ciel, elle est celle qui nous a donné son Fils, chemin vers Dieu. Marie est l’Église qui est reçue chez Jean : « Voici ta mère, voici ton fils ». Cette Église, c’est nous. Ce mariage mystique est le nôtre : nous venons, en chaque eucharistie, épouser notre Dieu. En chaque eucharistie, nous retirons ce masque de laideur qu’est le péché pour revêtir le nouvel homme, pour redevenir pleinement Fils de Dieu, faits à son image.
Pour cela, un seul commandement : « Faites tout ce qu’il vous dira ! »
Ce sont ces serviteurs qui vont venir transformer la pauvre eau de notre humanité en vin de la divinité. Qui sont-ils d’autres que les prêtres qui viennent transformer le vin des noces terrestres en sang christique des noces célestes ?
Alors, il y a là six jarres de pierre… de pierre, comme les tables de la Loi. Des jarres pour nous purifier… Cette pierre ancienne de la Loi d’où coulera l’eau lorsque le bâton de Moïse la frappera. Cette nouvelle pierre, ce nouveau rocher, d’où coulera l’eau et le sang lorsque la lance viendra percer son côté, jour sublime de l’Alliance, des Noces entre Dieu et les Hommes. C’est le Vendredi Saint que l’heure vient, qu’elle s’accomplit. C’est le Vendredi Saint que cette nouvelle jarre de pierre délivrera cette source qui jamais ne se tarit, ce côté d’où coule un fleuve d’eau vive. Cette offrande qui se renouvelle à chaque eucharistie…
Ce fut le signe premier, ou plutôt primordial pour reprendre le sens exact du terme grec. Les Noces de Cana sont primordiales, car elles sont les épousailles de Dieu avec son Église, épousailles avec chacun d’entre nous, alliance renouvelée à chaque eucharistie. Car à chaque fois que nous communions, notre humanité s’unit à sa divinité, nous communions à Lui comme il communie avec nous. À chaque fois, il vient en nous manifester sa gloire et nous aider à croire. À chaque fois, il fait de nous des signes pour les hommes. C’est une Épiphanie… notre épiphanie !
« Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité… »
Homélie attribuée à saint Maxime de Turin (+ vers 415), Homélie 23: PL 57. 274-276
Le Fils de Dieu est donc allé aux noces pour sanctifier par sa présence bénie le mariage qu'il avait institué par une décision souveraine. Il est allé à des noces célébrées selon l'ancienne coutume, en vue de se choisir dans la société des païens une épouse qui resterait toujours vierge. Lui qui n'est pas né d'un mariage humain est allé aux noces. Il y est allé non point pour prendre part à un joyeux banquet, mais pour se révéler par un exploit vraiment admirable. Il est allé aux noces non pour boire des coupes de vin, mais pour en donner. Car, dès que les invités manquèrent de vin, la bienheureuse Marie lui dit : Ils n'ont pas de vin. Jésus apparemment contrarié lui répondit : Femme, que me veux-tu (Jn 2,3-4) ?
De telles paroles sont, sans aucun doute, le signe d'un mécontentement. Elles s'expliquent pourtant, à mon avis, par le fait que la mère lui avait signalé d'une manière inattendue qu'on manquait d'une boisson matérielle, alors qu'il était venu offrir aux peuples de la terre entière le calice nouveau de l'éternel salut. En répondant : Mon heure n'est pas encore venue (Jn 2,4), il prophétisait certainement l'heure très glorieuse de sa passion, ou bien le vin de notre rédemption qui procurerait la vie à tous. Car Marie demandait une faveur temporelle, tandis que le Christ préparait une joie éternelle.
Le Seigneur très bon n'a toutefois pas hésité à accorder cette grâce moindre, alors que de grandes grâces étaient attendues. La bienheureuse Marie, parce qu'elle était véritablement la mère du Seigneur, voyait par la pensée ce qui allait arriver et connaissait d'avance la volonté du Seigneur. Aussi prit-elle bien soin d'avertir les serviteurs par ces mots : Faites tout ce qu'il vous dira (Jn 2,5). Sa sainte mère savait assurément que la parole de reproche tombée de la bouche de son fils, le Seigneur, ne cachait pas le ressentiment d'un homme en colère, mais contenait une mystérieuse compassion.
Alors, pour rassurer sa mère déconcertée par cette réprimande, le Seigneur révéla aussitôt son pouvoir souverain. Il dit aux serviteurs qui attendaient : Remplissez d'eau les cuves (Jn 2,7). Les serviteurs, dociles, s'empressèrent d'obéir. Et voici que d'une manière soudaine et merveilleuse, ces eaux commencèrent à recevoir de la force, à prendre de la couleur, à répandre une bonne odeur, à acquérir du goût, et en même temps à changer entièrement de nature. Et cette transformation des eaux en une autre substance a manifesté la présence de la puissance créatrice. Personne, en vérité, hormis celui qui a créé l'eau de rien, ne peut la transformer en une substance destinée à d'autres usages. <>
Il n'y a aucun doute, mes bien-aimés, que celui-là même qui a changé l'eau en vin, lui a donné aussi, à l'origine, la consistance de la neige et la dureté de la glace. Il l'a changée en sang pour les Égyptiens. Pour étancher la soif des Hébreux, il lui a ordonné de couler d'un dur rocher, dont il a fait jaillir, comme du sein d'une mère, une source nouvelle qui a fait vivre une multitude innombrable de peuples. <>
Tel fut, dit l'Écriture, le commencement des signes que Jésus accomplit. C'était à Cana en Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui (Jn 2,11). La foi des disciples ne s'appliquait pas du tout à ce qui s'accomplissait sous leurs yeux, mais à ce que les yeux du corps ne peuvent voir. Ils ont cru, non que Jésus Christ était le fils d'une vierge, car ils le savaient, mais qu'il était aussi le Fils unique du Très-Haut, ce dont le miracle leur fournissait la preuve.
Voilà pourquoi, mes frères, nous devons croire, nous aussi, de tout notre coeur, que celui-là même que nous appelons le fils de l'homme, est également le Fils de Dieu. Puisqu'il était présent aux noces en tant qu'homme, et qu'il a changé l'eau en vin en tant que Dieu, croyons que non seulement il partage notre nature, mais aussi qu'il est par nature égal au Père, afin que notre Seigneur, dans sa bonté, veuille nous donner à boire, en raison de cette foi, le vin très pur de sa grâce.
Prière
Seigneur notre Dieu, ton Fils a fait couler le vin pour la fête car, comme toi, il aime les hommes et ce qui les réjouit. Aide-nous à vivre les réalités quotidiennes en rendant grâce pour la joie que tu nous donnes et en cherchant toujours ta gloire. Par Jésus Christ.