Le Seigneur est mon berger -


Le bon berger,
Anonyme,
Fresque, cubiculum de la Velatio, seconde moitié du IIIe siècle,
Catacombe Sainte Priscille, Rome (Italie)

Le bon Pasteur,
Anonyme,
Porte de tabernacle, bois sculpté et peint,
39, 5 x 20, 5 cm, XVIIIe siècle,
Collection privée
Lecture du livre des Actes des Apôtres (Ac 2, 14a.36-41)
Le jour de la Pentecôte, Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et fit cette déclaration : « Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous aviez crucifié. » Les auditeurs furent touchés au cœur ; ils dirent à Pierre et aux autres Apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » Pierre leur répondit : « Convertissez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus Christ pour le pardon de ses péchés ; vous recevrez alors le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont loin, aussi nombreux que le Seigneur notre Dieu les appellera. » Par bien d’autres paroles encore, Pierre les adjurait et les exhortait en disant : « Détournez-vous de cette génération tortueuse, et vous serez sauvés. » Alors, ceux qui avaient accueilli la parole de Pierre furent baptisés. Ce jour-là, environ trois mille personnes se joignirent à eux.
Psaume 22 (23), 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6)
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom.
Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.
Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.
Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.
Lecture de la première lettre de saint Pierre apôtre (1 P 2, 20b-25)
Bien-aimés, si vous supportez la souffrance pour avoir fait le bien, c’est une grâce aux yeux de Dieu. C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. Car vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 10, 1-10)
En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. » Jésus employa cette image pour s’adresser à eux, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »
Les catacombes de sainte Priscille
40 000 sépultures situées dans des tunnels labyrinthiques serpentant sur 13 kilomètres, qui vont de simples niches funéraires communes à des cubicules décorés de fresques, avec un nombre particulièrement élevé de papes et de martyrs enterrés qui lui ont valu le surnom de Regina Catacumbarum, la reine des catacombes. C'est là, dit le Depositio Martyrum, un texte chrétien du IVe siècle, que reposent le pape Marcellin et le pape Marcellus, tués pendant les persécutions de Dioclétien, les martyrs Felix et Philip, Pudenziana et Praxedes, Maurus et Simetrius, ainsi que 360 autres martyrs anonymes et le pape Sylvestre, à qui fut dédiée la basilique au-dessus de la catacombe, construite par le pontife au IVe siècle.
Situé dans le tronçon de la Via Salaria qui longe le parc de la Villa Ada Savoia et dans les entrailles duquel il se faufile partiellement, c'est l'un des plus grands mais aussi l'un des plus importants et des plus anciens cimetières de la ville. Il a été creusé dans le tuf entre le IIe et le Ve siècle, en réutilisant en partie des espaces souterrains préexistants, notamment une carrière de pouzzolane (Arenarium) et l'hypogée avec les tombes des Acili Glabrioni, une famille aristocratique romaine sénatoriale à laquelle appartenait Priscilla, la noble à laquelle la catacombe doit son nom et qui a peut-être fait don du terrain.
Au XVIe siècle, lorsqu'elle a été redécouverte après avoir été oubliée pendant des siècles, la catacombe a été dépouillée de ses pierres tombales, sarcophages et reliques, mais elle contient encore des peintures particulièrement belles et significatives. Dans la voûte d'une galerie de l'Arenarium, par exemple, apparaît, à côté d'un Bon Pasteur en stuc, la plus ancienne représentation de la Vierge à l'Enfant (fin du IIe - début du IIIe siècle), flanquée du prophète Balaam désignant l'étoile. Dans l'Arenarium central se trouve aussi la cabine de la Voilée. La pièce tire son nom de la peinture de la lunette arrière, qui représente une jeune femme portant une riche robe liturgique et un voile sur la tête. Sur les côtés, deux scènes uniques dans la peinture de cimetière, probablement des épisodes de sa vie, mariage, maternité et foi.
Des peintures et des stucs exquis de style pompéien décorent également la chapelle dite grecque, dont le nom provient de deux inscriptions grecques peintes à l'intérieur, la première chose que les découvreurs ont vue. Datant de la fin du IIIe siècle, la pièce a une forme particulière avec trois niches pour les sarcophages et un comptoir pour les banquets rituels qui étaient organisés dans les tombes en mémoire des morts. L'un des tableaux représente précisément un banquet, qui fait toutefois clairement référence au banquet eucharistique : à un triclinium semi-circulaire, où sont servis du pain et du poisson, sept personnages sont assis, dont un jeune homme qui rompt le pain et une femme voilée. De nombreux épisodes de l'Ancien et du Nouveau Testament sont représentés, par exemple Moïse faisant jaillir l'eau du rocher, le sacrifice d'Isaac, la résurrection de Lazare et l'adoration des Mages.
À l'intérieur de la Villa Ada se trouve la basilique que le pape Saint-Sylvestre avait fait construire. Tombée en ruine, elle a été reconstruite à la fin du XIXe siècle en utilisant les vestiges et les structures d'origine. Une salle adjacente à la basilique abrite un musée avec des centaines de fragments de sarcophages découverts lors des fouilles dans la zone des catacombes.
Le cubiculum de la velatio
Cette chambre est aujourd’hui désignée par le nom de « cubiculum de la Velatio ». Elle doit cette appellation à la peinture qui orne le mur du fond et qui offre un résumé de la vie de la défunte : l’un des épisodes évoqués représente la prise du voile (velatio) des matrones. La jeune femme enterrée dans le cubiculum était assurément chrétienne. Un programme iconographique inspiré des Écritures accompagne, en effet, les scènes où intervient la défunte. Au centre de la voûte, le Christ a été figuré sous les traits du Bon Pasteur. Sur les autres espaces des parois, divers épisodes bibliques l’encadrent : Jonas recraché par le monstre marin, Abraham s’apprêtant à sacrifier son fils Isaac et les Trois Hébreux dans la fournaise.
Ces figures appartiennent à cette catégorie des premières images chrétiennes que l’on appelle des « paradigmes de salut », c’est-à-dire des exemples, issus de l’Ancien ou du Nouveau Testament, évoquant la protection de Dieu envers ses fidèles. La première iconographie chrétienne, que l’on connaît essentiellement par le biais des décors funéraires, multiplie ces scènes qui évoquent l’espérance en la résurrection promise par l’Évangile. On trouve donc aussi fréquemment Daniel entre les lions (sarcophage de Junius Bassus, Grottes Vaticanes), Suzanne et les vieillards (Chapelle grecque de la catacombe de Priscille) ou les miracles du Christ (Lazare, l’Hémorroïsse, le Paralytique, à Doura Europos ou dans la catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin).
Les peintures, dans les catacombes, sont extrêmement dépendantes de l’art romain contemporain. Elles sont réalisées sur un enduit blanc, par touches de couleur nerveuses et juxtaposées. Les détails importent peu et sont traités avec une certaine économie de moyens. L’identification de la scène doit être immédiate et l’efficacité du discours prime sur la qualité de l’exécution. C’est aussi à l’art romain que l’on emprunte la figure de l’oriental (comme Pâris sur le sarcophage d’Endymion et Séléné au musée du Louvre) ou celle de l’orant.
Cette peinture, qui orne un espace funéraire, appartient à la catégorie des « images-signes », développées à un moment de l’histoire de l’Église où le christianisme n’était pas encore une religion tolérée et où les chrétiens subissaient parfois des persécutions violentes (sous Decius ou Valérien, par exemple). Le Christ, par exemple, est figuré de manière symbolique, sous les traits d’un berger emprunté à l’art romain, pour évoquer le pasteur divin mentionné dans l’Ancien Testament (Psaumes) ou dans le chapitre 10 de l’Évangile selon saint Jean. C’est une manière pour le premier art chrétien, inexistant jusque dans les années 230-250, de se doter d’images sans transgresser l’interdit qui pèse traditionnellement sur elles, hérité du judaïsme.
Ce que je vois
Lorsque nous regardons l’ensemble du plafond, nous voyons d’abord sur les lunettes :
La femme voilée entourée de sa famille,
À gauche, Moïse tapant avec son bâton sur le rocher,
Et à droite, les trois enfants dans la fournaise.
Au plafond, le bon Pasteur. Autour de lui, quatre paons. Chacun est placé devant deux arbres, un mort et un en fleurs. Le paon représente Dieu, car lorsqu’il étend les plumes de sa queue, les yeux divins s’y déploient. Il est aussi le symbole de la vie éternelle lorsqu’il est associé à ces deux arbres : il leur redonne la vie. Au Moyen-âge, sa signification se modifiera puisqu’il deviendra le symbole de la vanité : « Lorsque ce magnifique oiseau faisait la roue, il dévoilait son croupion couvert d’un duvet grisâtre et beaucoup moins avenant que la parure de ses plumes caudales. Il devint alors tout naturellement un symbole de vanité. » (Christian Heck, Le bestiaire médiéval, Citadelles et Mazenod, 2011, page 478).
Au centre, dans un grand cercle, la figure du bon Pasteur. Jeune homme imberbe, il porte l’exomide. C’est une tunique courte réalisée sur le même modèle que le peplos mais qui ne couvre qu’une seule épaule. Ce vêtement est porté par les hommes dont l’activité nécessite une grande liberté de mouvements, comme les artisans ou les agriculteurs. Les jambes semblent porter des chausses bleues, mais ce n’est peut-être qu’une illusion photographique. À son côté, une bourse contenant certainement la nourriture qu’il distribue de sa main droite aux animaux. Sa main gauche, doigts serrés, soutient un pan de son exomide. Sur ses épaules repose un bouc (et non pas une brebis), à moins que le fresquiste ait voulu représenter un bélier. C’est le même animal que l’on voit à droite, pourvu aussi de cornes. Alors que l’autre paraît plus être une brebis. Faut-il y voir le signe que le bon Pasteur prend soin de tout son troupeau, brebis dociles, mais aussi boucs enragés ? Derrière lui, deux arbres sur lesquels sont perchés deux colombes tenant en leur bec, non pas un fromage, mais un rameau d’Olivier. Le symbole est clair et rappelle l’épisode de Noé : le nouveau royaume de paix, sauvé des eaux de la mort, est à portée de main. Le sol est couvert d’herbe, comme le rappelle le psaume : « Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. »
Un berger
Arrêtons-nous quelques instants sur cette image du berger. Car l’image n’est peut-être pas aussi simple qu’on pourrait le croire. Régulièrement, dans cette superbe émission qu’est « Des racines et des ailes », des reportages nous présentent ce métier. Que ce soient des bergers sur les landes du Mont-Saint-Michel, ou dans les Causses, ou encore dans les montagnes du Vercors. Un métier bien difficile en l’occurrence : une vie de solitude, affrontée aux éléments climatiques parfois déchainés, un berger aidé simplement de chiens (comme le patou des Pyrénées) tant pour guider le troupeau que pour se protéger des prédateurs. Une vie au service des bêtes qui lui sont confiées, où le bien-être du berger doit presque s’effacer au profit de ses brebis. Il doit les guider, les nourrir, les abreuver, les emmener là où l’herbe est la plus grasse, les soigner lorsque l’une d’elle est malade ou blessée, et les protéger. Et au moment voulu, il les ramènera au bercail sans qu’aucune d’elles ne lui témoigne le moindre remerciement, ni même une quelconque affection. Car même si ce sont des animaux domestiques, ce ne sont pas des animaux de compagnie ! Un métier bien ingrat en somme…
Le troupeau
Le troupeau, qu’il soit caprin, ovin, équin ou bovin, ne demande que peu de choses : être libre, manger de la bonne herbe grasse, avoir de l’eau à disposition, être protégé des loups, et soigné si besoin. Tant qu’ils sont satisfaits, tout va bien, et le berger n’est vu que comme un « empêcheur de tourner en rond » ! Mais quand une bête est dans la panade, perdue, blessée ou attaquée, alors là, elle gueule pour se faire entendre du berger qui se transforme en sauveur. L’ingratitude est une des caractéristiques de la bête domestique ! Cela demande une sacrée abnégation de la part du berger. Le Dictionnaire de l’Académie française précise le sens de ce mot :
Renoncement, sacrifice volontaire, consenti dans un intérêt supérieur et portant sur (une partie de) soi-même ou sur une valeur qui représente généralement un intérêt, une ambition, une satisfaction légitimes, etc. (Correspondance, à l'époque moderne, en l'absence d'un verbe abnier au verbe renoncer).
En fait, le berger se renie lui-même au profit de son troupeau.
Un troupeau de chrétiens
Comme nous l’avons entendu dans l’évangile, Jésus compare souvent les fidèles à un troupeau de brebis. Notons que le texte fait abstraction de toute présence de béliers ! L’Église serait-elle plus féminine qu’on ne le croit ? Relevons aussi que le Christ ne nous parle pas aujourd’hui du danger des loups mais des mercenaires, des voleurs, de ceux qui voudraient dérober le troupeau à leur unique profit. La seule façon de les protéger serait donc de les emmener à la bergerie, de les faire passer par la bonne porte pour qu’elles se sentent protégées dans l’enclos. Mais il nous parle ici de brebis bien dociles, de brebis qui écoutent la voix du berger parce qu’elles le connaissent, et qu’elles ont confiance en lui, qu’elles savent que le danger rode (1 P 5, 8) :
Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer.
Mais, question impertinente, sommes-nous ce troupeau ? Et nos pasteurs sont-ils les bons pasteurs ?
Sommes-nous ce troupeau ?
J’aurais tendance à croire que nous aimerions l’être mais que nous avons bien du mal à ne pas nous en échapper. Un peu comme le chantait (sainte) Annie Cordy : « J'voudrais bien, Mais j'peux point » ! Ce que nous réclamons : être libres, sans entraves. Et puis avoir de l’herbe fraîche sous les pieds sans faire trop d’efforts. Et à boire plus qu’il n’en faut. Mais aussi être protégés quand il y a urgence, et soignés quand on est malade. Mais avoir un berger continuellement derrière notre dos, ça non ! Et un chien qui n’arrête pas de vouloir nous regrouper, pas question ! En fait, le troupeau, ou plus exactement chaque brebis, voudrait le beurre, l’argent du beurre, et la crémière. Et si, en cadeau, je peux avoir gratuitement la crémerie, je suis d’accord. Car nos demandes sont personnelles, individualistes. Tant mieux si les autres en profitent, à condition que ça ne me délaisse en rien. Quant à faire un troupeau uni, la question reste entière. Peut-être un agrégat… En 1789, Mirabeau déclarait que la France n’était qu’un « agrégat inconstitué de peuples désunis ». N’en est-il pas de même de notre troupeau ?
Et les pasteurs ?
Notre clergé est-il constitué de pasteurs ? C’est une vraie question… Ne sommes-nous pas, en fait, des aide-bergers ? Car le berger dont parle l’évangile est propriétaire de son troupeau : c’est le sien. « Ses brebis à lui » précise même le texte. Suis-je propriétaire du peuple qui m’a été confié par mon évêque ? Et l’évêque est-il propriétaire des fidèles du diocèse que lui a confié le Pape ? Déjà, le mot fidèle est mal compris. Un fidèle est-il celui qui suit fidèlement son maître, comme un chien, ou celui qui a confiance en son maître (comme les brebis de l’évangile), ou encore celui qui a foi en son maître (c’est-à-dire qui écoute sa voix, nous précise Jésus). Le fidèle doit-il écouter la voix de l’évêque ou celle du Christ ? Ou mieux, la voix de l’évêque ne devrait-elle pas être celle du Christ ? Comme celle du prêtre ? En fait, pour que la brebis soit fidèle dans sa foi, pour qu’elle ait confiance, et qu’elle suive le berger, il faut que ce dernier soit la voix du Christ, et uniquement la voix du Christ. Il doit s’effacer pour son troupeau, comme le berger des landes. Il n’est pas propriétaire de son troupeau. Il n’est là que pour aider le vrai berger. Il n’est là que pour protéger, soigner (c’est bien le sens du mot « curé » : celui qui prend soin), guider par la parole de Dieu, nourrir des sacrements, et abreuver de son enseignement. Sa parole à lui, personnelle, n’a que peu d’importance. Le pasteur terrestre n’est que le porte-voix du Pasteur éternel : son prophète, celui qui porte sa voix devant.
Mais si le pasteur, l’aide-berger, n’écoute plus la voix du maître qui lui a confié le troupeau, s’il ne pense qu’à son intérêt (fut-il noble), alors il devient un mercenaire, celui qui n'agit, ne travaille que pour en tirer un avantage. Il se prend pour le berger suprême… Cette déviation guette chacun des pasteurs. Le seul remède est d’écouter, de prendre le temps d’écouter l’unique vrai et bon Pasteur…
S’il ne l’écoute pas ou plus, il finit par construire son propre enclos, là où il veut « stocker » ses brebis qui, de dociles, deviennent serviles. Et il se prend pour la porte. Certains parlent de cléricalisme. Peut-être. Mais le cléricalisme n’est pas une question d’autorité, car celle-ci a été confiée aux pasteurs terrestres par le Christ (Mt 16, 19 : « Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. »), mais plutôt une question de pouvoir. Et comme le disait Emmerich Acton (1834-1902) : « Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. » L’autorité, elle, ne corrompt pas, elle fait grandir. Car elle a du crédit aux yeux de ceux qui l’écoutent (Mac 1, 22 : « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. »)
Et les brebis ?
Faut-il reprocher aux brebis de vouloir quitter l’enclos, d’aller gambader là où les mènent leurs pattes ? N’est-ce pas dans leur nature, jusqu’à « traverser les ravins de la mort », sans prudence, comme le précise le psaume ? Faut-il pour autant les tenir en laisse ? De surcroît, est-ce véritablement possible ? Voire bénéfique ? Une seule chose peut les « tenir » : une voix rassurante, aimante et enthousiasmante. Quand elles l’écoutent, car cette voix a du crédit à leurs yeux, alors elles chantent leur remerciement, leur action de grâce avec les mêmes mots que le psaume : « Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. (…) Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. » Sinon, comment leur reprocher de s’égayer comme une volée de moineaux ?
La seule chose qui compte
La seule chose qui compte pour les brebis est d’avoir un bon, un vrai berger. La seule chose qui doit compter pour le berger est d’être à l’écouter du bon Pasteur, d’en être imprégné, transparent, de devenir une « humanité de surcroît » (Élisabeth de la Trinité) pour que ce bon Pasteur puisse faire entendre sa voix par ma bouche, pour qu’en son Nom, le berger puisse faire paître et nourrir ses brebis d’une herbe grasse, celle des sacrements, les abreuver de la Parole du Seigneur, les protéger de tous les loups (de plus en plus nombreux et masqués) en les emmenant par la bonne porte jusqu’à l’enclos qu’est l’Église.
Le vrai combat
Comment reprocher aux brebis d’être dissipées ? C’est dans leur nature. Mais, pour faire une analogie qui vaut ce qu’elle vaut, si les élèves en classe sont distraits, c’est peut-être que le programme est ennuyeux, ou l’enseignant incompétent ? Peut-être qu’on en a fait un simple répétiteur et non pas quelqu’un habité par ce qu’il doit transmettre. N’en est-il pas de même pour les bergers ecclésiaux… Je ne remettrai pas en cause le programme : c’est l’évangile. Par contre, questionnons-nous sur la méthode… Et sommes-nous habités par Celui dont nous délivrons la Parole, avant de nous gausser de nouvelles méthodes d’évangélisation… Mais pour cela, il faut que tous en soient convaincus, du simple fidèle au plus haut des évêques. Et pour terminer par une parole dure, qui me concerne en premier lieu : avant de reprocher aux chrétiens de ne pas l’être suffisamment, suis-je moi-même suffisamment empli de Dieu, et convaincu de la mission qu’il m’a confiée. N’oublions, amis pasteurs, que nous n’avons aucune obligation de résultat. Mais une réelle obligation de moyens ! Dieu n’a pas dit autre chose à son prophète (2 Ch 20, 15) : « Soyez attentifs, vous tous de Juda et habitants de Jérusalem, et toi, roi Josaphat ! Ainsi vous parle le Seigneur : Ne craignez pas, ne vous effrayez pas devant cette foule immense ; car ce combat n’est pas le vôtre, mais celui de Dieu. » Non, ce combat n’est pas le nôtre, mais celui de Dieu.
Beaucoup d’entre-vous n’auront pas le courage de lire le très long sermon de saint Augustin qui suit. Je vous comprends ! Mais il vaut vraiment le coup, surtout pour les membres du clergé (nous n’en avons que de pauvres extraits au bréviaire, et j’ai voulu le mettre en entier. Courage !)
Prière à Jésus, le bon Pasteur
Seigneur Jésus, tu es le Bon Pasteur.
Porte-moi sur tes épaules quand je connais la faiblesse.
Nourris-moi de ta Parole quand je sens la faim de Dieu.
Pose sur moi ton regard quand j’ai besoin d’être aimé.
Dirige-moi par ton bâton de berger quand je suis perdu sur la route.
Donne-moi paix et confiance quand j’éprouve la solitude.
Remplis-moi de ta douce joie quand le doute m’assaille.
Accorde-moi l’audace de ton Esprit quand j’ai peur de parler de toi.
Fais de moi ton disciple et ami quand je veux témoigner de toi.
Sois le Pasteur des miens et de tous, conduis-les à la source d’eau vive dans ton Royaume de lumière et d’amour.
+Pierre d’Ornellas Archevêque de Rennes
« Ô bon Pasteur qui as voulu mourir pour Ton troupeau »
« Seigneur Jésus-Christ, ô bon Pasteur qui as voulu mourir pour Ton troupeau, compte-moi parmi Tes brebis et conduis-moi dans Tes pâturages ; reconnais en moi Ta petite brebis préférée, pour que je mérite d'être placé à Ta droite et que Tu me fasses participer à ta Gloire, Toi qui as bu pour moi le calice amer. Que Tes douleurs s'imposent à ma conscience, que Tes tourments la crucifient, car c'est moi qui ai préparé le calice que Tu as bu, moi qui ai commis les péchés que Tu as portés, moi qui ai été complice du bourreau qui T'a frappé, moi l'auteur de ce que Tu es venu absoudre. Ô bon Jésus, Tu t'es donné à moi totalement et Tu as tout fait pour moi. Pour moi, Tes yeux se sont fermés dans la mort : que les miens ne s'égarent plus sur des vanités. Tes oreilles ont entendu les cris et les blasphèmes : que les miennes ne soient plus sourdes au cri du pauvre. Ta bouche a été abreuvée de fiel et de vinaigre : que la mienne cesse de mentir, mais dise la vérité et la justice. Tes mains ont été distendues sur la Croix : que les miennes s'ouvrent au malheureux. Ô bon Seigneur, vais-je me réjouir ou me lamenter de Ta mort ? Me réjouir pour ne pas être ingrat, et me lamenter pour ne pas être cruel ; mais parce que le temps de pleurer est venu avant celui de se réjouir, j'avancerai la tête basse, et j'entrerai dans ta Passion. Amen. »
Saint Anselme de Canterbury (1033-1109)
Sermon 46 de saint Augustin : le Pasteur unique (et après on dira que je suis long quand je prêche !)
1. Toute notre espérance repose dans le Christ ; il est lui-même notre véritable et salutaire gloire et ce n'est pas aujourd'hui que votre charité l'a entendu dire pour la première fois ; vous faites en effet partie du troupeau de Celui qui veille sur Israël et le conduit (Ps 79,2). Mais comme il est des pasteurs qui cherchent à se glorifier de ce titre sans vouloir accomplir les devoirs qu'il impose, revenons sur ce que nous venons d'entendre lire, méditons ce que Dieu leur dit par la bouche du Prophète. Ecoutez avec attention, écoutons nous-mêmes avec tremblement.
2. « Et la parole du Seigneur s'adressa à moi disant : Fils de l'homme, prophétise sur les pasteurs d'Israël (Ez 34,2). » Telle est la lecture que nous avons entendue tout à l'heure, et nous avons résolu d'en entretenir quelque temps votre sainteté. Dieu nous aidera à dire la vérité, en ne parlant pas de nous-mêmes ; car si nous parlions de la sorte, ce serait nous paître nous-mêmes et non pas nos ouailles, au lieu que si nous disons ce qui vient de lui, il vous nourrira lui-même par le ministère de n'importe qui.
« Voici ce que dit le Seigneur Dieu : O pasteurs d'Israël qui ne paissent qu'eux-mêmes ! Est-ce que les pasteurs ne paissent pas leurs ouailles ? » C'est-à-dire les pasteurs ne se doivent pas paître eux-mêmes, mais ils doivent paître leurs ouailles. Telle est la première cause des reproches faits à ces pasteurs ; ils se paissent eux-mêmes, au lieu de paître leurs troupeaux. Et quels sont ceux qui se paissent eux-mêmes ?
Ceux dont l'Apôtre dit : « Tous recherchent leurs intérêts et non les intérêts de Jésus-Christ (Ph 2,21). » Nous en effet que vous voyez dans cette dignité dont il nous faudra rendre un compte si formidable et où le Seigneur nous a élevés par bonté et non à cause de nos mérites, nous avons deux titres, celui de chrétiens et celui de supérieurs. Le titre de chrétiens est pour nous, celui de supérieurs pour vous. Celui de chrétiens a en vue notre avantage, celui de supérieurs n'a en vue que le vôtre. Or il est beaucoup de chrétiens qui arrivent à Dieu par un chemin d'autant plus facile sans doute et d'un pas, d'autant plus alerte qu'ils sont chargés d'un moindre fardeau. Mais nous, indépendamment du titre de chrétiens qui nous oblige à rendre à Dieu compte de notre vie, nous sommes aussi supérieurs et astreints par conséquent à répondre devant Dieu de notre administration.
Si je vous expose cet embarras, c'est pour exciter votre compassion et vous engager à prier pour nous. Viendra en effet le jour où tout sera mis en jugement (Qo 12,14). Et si pour le monde en général, ce jour est encore éloigné, chacun de nous est proche du terme de sa vie. Dieu néanmoins a voulu nous laisser ignorer et la fin du siècle et la fin de la vie de chacun. Veux-tu ne pas redouter ce jour inconnu ? Fais en sorte qu'à son arrivée il te trouve préparé.
Les supérieurs étant donc chargés de pourvoir aux intérêts de leurs subordonnés, ne doivent pas chercher dans leur dignité leurs propres avantages, mais les avantages des inférieurs dont ils sont les ministres ; et quiconque parmi eux met sa joie à être supérieur, cherche son honneur personnel et n'a pour but que son utilité particulière, celui-là se paît lui-même au lieu de paître ses ouailles. C'est à cette sorte de supérieurs que s'adresse le Prophète. Vous, mes frères, écoutez-le comme étant les ouailles de Dieu et voyez quelles sûres garanties vous a données le Seigneur. Quels que soient ceux qui vous commandent, en d'autres termes quels que nous soyons, le Pasteur d'Israël vous met en complète assurance. Il n'abandonne point ses brebis ; les mauvais pasteurs subiront les châtiments, qu'ils méritent et le troupeau recevra la récompense promise.
3. Examinons maintenant ce que dit aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis, cette parole divine qui ne flatte personne. « Je vous vois : vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine, et vous tuez ce qui est gras, sans paître mes brebis ; vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées ; vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues, mais vous avez fait périr celles qui étaient saines et mon troupeau s'est dispersé parce qu'il est sans pasteur (Ez 34,3-5). » Ici donc on montre aux pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis, ce qu'ils convoitent et ce qu'ils négligent. Que convoitent-ils ? « Vous mangez le lait et vous vous couvrez de la laine. » - Mais pourquoi l'Apôtre dit-il : « Qui plante une vigne sans en recueillir du fruit ? Qui paît un troupeau sans profiter de son lait ? » Le lait du troupeau est ainsi tout ce que donne le peuple de Dieu à ses chefs pour soutenir leur vie temporelle : c'est de cela en effet que parlait l'Apôtre quand il a écrit ce que je viens de rapporter.
4. Ce même Apôtre, il est vrai, a préféré vivre du travail de ses mains, sans demander même du lait à son troupeau (2Th 3,8) ; il enseigne toutefois qu'il en avait le pouvoir et que d'après l'institution du Seigneur ceux qui annoncent l'Évangile doivent vivre de l'Évangile. Il ajoute que les autres Apôtres profitaient de ce pouvoir vraiment légitime et non usurpé. Pour lui il faisait davantage et ne recevait même pas ce qui lui était dû, accordant ainsi ce à quoi il n'était pas obligé. Si les autres exigeaient davantage, ils y avaient droit, Paul seulement était plus généreux. Peut-être était-il désigné par ce Samaritain qui disait à l'hôtelier en lui confiant un malade : « Si tu dépenses davantage, je te le rendrai à mon retour (Lc 10,35). » Que dire encore de ces hommes qui n'ont aucun besoin du lait de leurs ouailles ? Ils sont plus miséricordieux, ou plutôt ils pratiquent plus largement le devoir de la miséricorde, car ils le peuvent et ils font ce qu'ils peuvent. Qu'on les loue donc sans condamner les autres.
Ce même Apôtre qui ne cherchait pas à recevoir, voulait cependant que ses brebis fussent généreuses et non stériles pour donner du lait. Aussi lorsqu'à une époque de sa vie où il était prisonnier pour avoir prêché la vérité, il souffrait d'un extrême besoin, ses frères lui envoyèrent de quoi subvenir à son indigence et à sa détresse, Or il leur répondit et les remercia en ces termes « Vous avez bien fait de prendre part à mes tribulations. J'ai appris à me contenter de ce que j'ai : je sais vivre dans l'abondance et souffrir la disette ; je puis tout en Celui qui me fortifie. Cependant vous avez bien fait de m'adresser des secours. » Et pour montrer ce qui lui plaisait dans leur libéralité, pour n'être pas confondu avec ceux qui se paissent eux-mêmes et non leur troupeau, il se réjouit moins d'être soulagé dans sa misère qu'il ne se félicite de la munificence d'autrui. Que voulait-il donc ? « Je ne recherche pas vos dons, dit-il, mais je désiré le fruit » que vous en recueillerez. Je ne cherche pas à m'enrichir, mais je veux que vous ne restiez pas stériles.
5. Ceux donc qui ne sauraient imiter l'Apôtre Paul en vivant comme lui du travail de leurs mains, peuvent accepter du lait de leurs brebis pour subvenir à leurs besoins, mais qu'ils n'abandonnent pas ces brebis à leur faiblesse ; qu'ils ne recherchent pas non plus ce soulagement comme leur propre avantage, car ils paraîtraient poussés par l'indigence à prêcher l'Évangile, il faut au contraire que ce soit pour éclairer les hommes qu'ils fassent luire à leurs yeux le flambeau de la parole de vérité. Ils sont en effet comme des flambeaux, d'après ces paroles de l'Écriture : « Ceignez vos reins et tenez vos lampes allumées » ; et ces autres : « On n'allume point une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Qu'ainsi donc luise votre lumière devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,16) . » Et maintenant, si tu avais une lampe allumée dans ta demeure, n'y mettrais-tu pas de l'huile pour l'empêcher de s'éteindre ? Et si après cela ta lampe ne luisait pas, c'est qu'elle méritait, non d'être placée sur le chandelier, mais d'être brisée à l'instant même.
Ainsi donc la nécessité commande de recevoir ce qui soutient la vie, et la charité, de le donner ; non que l'Évangile soit une chose vénale ni qu'on en voie le prix dans ce qu'acceptent pour vivre ceux qui l'annoncent ; car le vendre à ce prix serait donner pour rien un bien singulièrement important. Aussi doivent-ils recevoir du peuple la subsistance nécessaire, et du Seigneur la récompense de leur ministère ; le peuple en effet est incapable de récompenser ceux qui le servent avec la charité que prescrit l'Évangile. Que ceux-ci donc n'attendent de récompense que de Celui qui peut seul assurer à ceux-là le salut.
Comment alors les mauvais pasteurs sont-ils accusés ? Que leur reproche-t-on ? De négliger le soin de leurs brebis quand ils en mangeaient le lait et qu'ils se couvraient de leur laine, cherchant ainsi leurs intérêts seulement et non ceux de Jésus-Christ (Ph 2,21).
6. Après avoir expliqué ce qu'on entend par manger le lait, examinons ce que c'est que de se couvrir de laine. Donner le lait c'est donner des aliments, et donner la laine c'est rendre honneur. Ce sont les deux choses que demandent au peuple ceux qui se paissent eux-mêmes et non leurs brebis : ils veulent la facilité de fournir à leurs besoins et les faveurs de la renommée et de la gloire. Le vêtement en effet, parce qu'il est destiné à couvrir là nudité, désigne assez bien l'honneur. Chaque homme est infirme, et votre supérieur est-il autre chose que ce que vous êtes ? Il est chargé de chair, il est mortel, il mangé, il dort, il se lève, il est né et il mourra comme vous. Si donc tu le regardes en lui-même, il est homme ; mais en l'honorant comme un ange, tu oeuvres en quelque sorte sa faiblesse.
7. Saint Paul encore avait reçu du fidèle peuple de Dieu cette espèce de vêtement, puisqu'il disait : « Vous m'avez reçu comme un ange de Dieu, et je vous rends témoignage que si la chose eût été possible vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner. » Après néanmoins avoir été accueilli avec de si grands honneurs, épargnât- il ces chrétiens, quand ils s'égarèrent, dans la crainte qu'en les reprenant il n'en reçut moins de gloire et de louange ? Cette conduite l'aurait luis au nombre de ceux qui se paissent au lieu de paître leurs troupeaux et il se serait dit : Que m'importe ? Que chacun fasse ce qu'il veut ; j'ai de quoi vivre et l'on me respecte ; j'ai suffisamment de lait et de laine, que chacun s'en aille où il pourra. - Quoi ! n'as-tu rien à perdre si chacun va où il pourra ? Mais lors même que tu ne serais point pasteur, quand tu serais confondu avec le peuple, n'est-il pas vrai que « si un membre est souffrant tous les membres souffrent avec lui ? » Aussi en rappelant aux Galates ce qu'ils étaient par rapport à lui, et pour ne paraître point oublier les honneurs qu'ils lui avaient rendus, l'Apôtre atteste qu'ils l'ont reçu comme un Ange de Dieu et que si la chose eût été possible, ils auraient voulu s'arracher les yeux pour les lui donner. Omet-il pour cela d'aborder la brebis languissante, la brebis déjà gangrenée et de tailler au vif, de rejeter la gangrène ? « Suis-je donc devenu votre ennemi, s'écrie-t-il, en vous disant la vérité ? » Lui aussi, comme nous l'avons rapporté précédemment, a mangé du lait des brebis est s'est couvert de leur laine ; mais il n'a pas laissé de s'occuper d'elles ; car il cherchait les intérêts de Jésus-Christ et non les siens.
8. Ah ! gardons-nous donc de vous dire Vivez comme vous l'entendez, soyez sans inquiétude, Dieu ne perdra personne, conservez seulement la foi chrétienne ; non, il ne perdra point ceux qu'il a rachetés, ceux pour qui il a versé son sang ; si vous voulez vous livrer même au plaisir des spectacles, allez : quel mal y a-t-il ? Allez, célébrez ces fêtes que l'on fait par toutes les villes, dans de joyeux festins, dans ces banquets publics où l'on croit puiser l'allégresse tandis que réellement on s'y perd : la miséricorde divine est grande, elle pardonne tout. Couronnez-vous de roses, avant qu'elles se flétrissent. Faites même des festins dans la maison de votre Dieu quand il vous plaira ; gorgez-vous avec vos amis de viandes et de vin, ces aliments vous sont donnés pour en jouir, car Dieu ne les a pas octroyés aux impies et aux païens sans vous les accorder à vous-mêmes. - Si nous parlions de la sorte, peut-être attirerions-nous de plus grandes foules et s'il était des esprits pour comprendre que ce langage s'écarte de la vraie sagesse, ces esprits blessés seraient en petit nombre et nous nous concilierons les faveurs de la multitude. Mais en agissant ainsi, en prêchant notre parole et non, la parole de Dieu ni la parole du Christ, nous serions des pasteurs qui se paissent eux-mêmes au lieu de paître leurs brebis.
9. Après avoir, dit ce que convoitent ces pasteurs, le Prophète parle de ce qu'ils négligent. Les défauts des brebis ne sont, hélas ! que trop connus ; il, n'y en a qu'un fort petit nombre de saines et de grasses, c'est-à-dire qui soient constantes à se nourrir de la vérité, à faire un bon usage des pâturages célestes où les appelle la grâce de Dieu. Et pourtant ce petit nombre même n'est pas épargné pour ces mauvais pasteurs. C'est peu pour eux, de ne prendre aucun souci de celles qui sont languissantes ou infirmes, égarées ou perdues ; ils tuent autant qu'il est en eux, celles-mêmes qui sont grasses et valides. Elles vivaient par la miséricorde de Dieu, et ces misérables leur donnent la mort de tout leur pouvoir.
Comment, diras-tu, leur donnent-ils la mort ? En vivant, mal, en leur montrant le mauvais exemple. Est-ce en vain qu'il a été dit à ce serviteur de Dieu, qui se distinguait parmi les membres du Pasteur suprême : « Rends-toi pour tous un modèle de bonnes oeuvres » et encore : « sois l'exemple des fidèles ? » La brebis même vigoureuse considère souvent la vie coupable de son pasteur, et en détournant les regards des règles divines pour les arrêter sur l'humanité, elle commence à dire en elle-même : Si mon pasteur vit de la sorte, est-ce à moi de ne pas faire ne qu'il fait ? Ainsi périt la brebis saine. Or si le mauvais pasteur lui donne ainsi la mort, si ses exemples coupables tuent ainsi celles qu'il n'avait pas fortifiées, et qu'il avait trouvées robustes et vigoureuses, que deviendront les autres entre ses mains ? Je le dis et je le répète à votre charité Oui, quand même les brebis puiseraient la vie ou la vigueur, dans la parole de Dieu, quand même elles seraient fidèles à cette recommandation de leur Seigneur : « Faites ce qu'ils disent, gardez-vous de faire ce qu'ils font » ; quiconque se conduit mal en public donne autant qu'il peut la mort à celui qui le considère.
Qu'on ne se flatte pas d'ailleurs si celui-ci échappe à la mort ; il conserve la vie, mais celui-là n'en est pas moins homicide. Lorsqu'un homme impur arrête sur une femme des regards de convoitise, cette femme demeure chaste ; mais lui n'est-il pas adultère ? Car le Seigneur a enseigné cette maxime aussi claire qu'indubitable : « Arrêter sur une femme des regards de convoitise, c'est être déjà adultère dans le coeur. » On ne la souille point, mais on se souille soi-même. Ainsi en est-il de quiconque donne mauvais exemple à ses subordonnés ; autant qu'il le peut, il met à mort à ceux mêmes d'entre eux qui sont forts : En imitant un supérieur coupable on meurt ; on vit en ne l'imitant pas ; mais il tue, autant qu'il dépend de lui, dans l'un et dans l'autre cas. « Vous tuez ce qui est gras, dit le texte sacré, et vous ne paissez point mes brebis. »
10. Ecoutez encore ce que négligent ces pasteurs : « Vous ne fortifiiez point les faibles, vous ne guérissiez pas les malades, vous ne pansiez pas les blessées ; vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues et vous ayez tué celles qui étaient fortes (Ez 34,4). »
Une brebis est faible quand elle ne s'attend pas à éprouver des tentations, et le pasteur négligeant ne lui dit point alors : « En te donnant, mon fils, au service de Dieu, demeure dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme à l'épreuve. » Ce langage fortifie la faiblesse, il affermit les infirmes et les empêche d'attendre les prospérités du siècle comme récompense de leur foi. Si en effet on leur apprenait à compter sur ces prospérités, ils y trouveraient leur perte, car au choc de l'adversité ils seraient blessés, peut-être même à mort. Bâtir ainsi n'est donc pas construire sur la pierre mais sur le sable. Or Jésus-Christ était la pierre, dit l'Apôtre. Un chrétien doit donc partager les souffrances de Jésus-Christ et ne pas rechercher les délices. Et le moyen de fortifier le faible est de lui dire : Attends-toi aux tentations de cette vie, mais le Seigneur saura te délivrer de toutes, pourvu que ton coeur ne se détache point de lui. C'est afin de fortifier ce coeur qu'il est venu souffrir et mourir, qu'il est venu pour être couvert de crachats et couronné d'épines, pour recevoir des outrages et être cloué à la croix. Ainsi donc c'est pour toi, qu'il a tout enduré et ce n'est pas pour lui, mais pour toi que tu souffres.
11. Que penser maintenant de ceux qui dans la crainte de déplaire à leurs auditeurs, non-seulement ne les disposent pas aux épreuves qui les attendent, mais encore leur promettent pour ce monde une prospérité que Dieu ne promet pas Comment ! Dieu prédit que jusqu'à la fin des siècles les calamités succèderont aux calamités, et tu en veux exempter le Chrétien ! Comme chrétien cependant il souffrira davantage en cette vie ; l'Apôtre l'enseigne. « Tous ceux, dit-il, qui veulent vivre pieusement dans le Christ, souffriront persécution. » Ainsi donc, ô pasteur dévoué à tes intérêts et non à ceux de Jésus-Christ, tu laisses dire à cet Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ souffriront persécution » et tu dis : Veux-tu vivre pieusement dans le Christ ? Tu auras de tous les biens en abondance ; si tu n'as pas encore d'enfants, tu en auras et tu les élèveras tous sans en perdre aucun. Est-ce ainsi que tu construis ? Attention à ce que tu fais, à la place où tu bâtis : tu bâtis sur le sable, la pluie va tomber, le fleuve s'enflera, le vent soufflera, tout se précipitera sur cette construction, elle s'écroulera et grande sera sa ruine. Ôte ta bâtisse de dessus le sable et place-là sur la pierre, unis au Christ celui dont tu veux faire un chrétien. Considère les souffrances du Christ, considère cet Innocent qui paie ce qu'il ne doit pas ; considère ce texte sacré : « Le Seigneur frappe de verges tout fils qu'il reçoit. » Ainsi prépare-toi à être frappé ou ne demande pas à être reçu. « Il frappe de verges, est-il dit, tout fils qu'il reçoit » crois-tu devoir être excepté ? Si tu ne souffres pas la verge, tu ne compteras pas au nombre des fils ; Est-il bien vrai, diras-tu, qu'il frappe ainsi tous ses fils ? Il les frappe si bien tous qu'il a frappé jusqu'à son Fils unique. Sans doute ce Fils unique engendré de la substance du Père, égal à son Père dans la nature divine, ce Verbe par qui tout a été fait, ne méritait pas d'être frappé de verges mais il s'est incarné pour n'être pas exempt de cette épreuve. Et Celui qui n'épargne pas son Fils unique innocent, épargnera-t-il son fils adoptif coupable ? Nous avons été appelés, dit l'Apôtre, à devenir des enfants adoptifs ; nous avons reçu ce titre, afin que co-héritiers du Fils unique nous fussions aussi son héritage. « Demande-moi, et je te donnerai les peuples pour domaine. » Or il nous a par son exemple appris à souffrir.
12. Pour empêcher la faiblesse de succomber dans ses futures épreuves, on ne doit ni la tromper de fausses espérances, ni l'abattre par la crainte. Dis-lui : « Prépare ton âme à la tentation. » Peut-être alors commence-t-elle à pâlir, trembler, à refuser d'avancer ? Voici autre chose : « Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces. » Donner cette assurance, en annonçant les futures épreuves, c'est affermir la faiblesse ; et quand la crainte est extrême, quand l'avenir épouvante, promettre la miséricorde de Dieu, donner la certitude, non pas qu'on sera exempt de souffrances, mais que Dieu ne permettra point qu'on soit tenté au dessus de ses forces, c'est aussi panser les blessés.
Il est des hommes qui à l'annonce des futures afflictions s'arment d'un courage nouveau ; ils ont soif en quelque sorte : c'est peu pour leur ardeur des souffrances ordinaires destinées à purifier les fidèles, ils ambitionnent aussi la gloire des martyrs. Mais il en est d'autres qui à la nouvelle des contradictions particulières et indispensables que doit endurer tout chrétien et qui sont réservées exclusivement au chrétien, se laissent accabler et chancèlent. Apporte, apporte ici des consolations, bande cette âme qui se disloque, dis-lui : Ne crains rien, tu ne seras point délaissée dans tes angoisses par Celui à qui tu as voué ta foi ; Dieu est fidèle, il ne permettra point que tu sois tentée au dessus de tes forces. Ce n'est pas moi, c'est, l'Apôtre qui le dit ; il dit encore : « Voulez-vous éprouver Celui qui parle en moi ? » Ce langage est donc celui du Christ, c'est celui du pasteur d'Israël. A ce pasteur il a été dit : « Vous les abreuverez de larmes dans une mesure déterminée. » Dans une mesure déterminée, ces mots du prophète n'ont-ils pas le même sens que ceux-ci de l'Apôtre : Il ne permet point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ? Prends garde seulement de l'abandonner, soit qu'il te reprenne ou t'encourage, soit qu'il t'effraie ou te console, soit qu'il te frappe ou te guérisse.
13. « Vous n'avez pas affermi les infirmes (Ez 34,4). » Ceci s'adresse aux pasteurs mauvais, aux faux pasteurs, aux pasteurs qui cherchent leurs intérêts au lieu des intérêts de Jésus-Christ, qui se plaisent à recevoir le lait et la laine et ne travaillent pas à guérir les malades. Infirme vient de non ferme, et quoiqu'on appelle infirmes les malades, voici, je crois, la différence qui distingue les uns des autres ; je l'établirai comme je pourrai dans ce moment, mes frères. Peut-être me serait-il possible, en y réfléchissant davantage et serait-il possible à un homme plus instruit ou plus capable que moi, de signaler plus exactement cette différence. En attendant et pour ne pas vous priver de l'explication, que je vous dois, de l'Ecriture, voici mon sentiment.
L'infirme doit craindre d'être attaqué et renversé par la tentation : le malade est déjà travaillé par quelque passion et empêché par elle d'entrer dans la voie de Dieu, de se soumettre au joug du Christ. Rappelez-vous ces hommes qui ont la volonté de se bien conduire, qui en ont la résolution et qui sont moins bien disposés à souffrir que préparés à faire le bien. Le caractère de la fermeté chrétienne cependant est d'endurer le mal comme de faire le bien, De là il suit que paraître ardent aux bonnes oeuvres sans vouloir ou sans pouvoir endurer les souffrances qui surviennent, c'est être infirme ; tandis qu'aimer le monde et être éloigné des bonnes oeuvres par une passion quelconque, c'est languir et être malade, c'est un épuisement qui semble ôter entièrement la force de faire le bien. Tel était, dans le sens spirituel, ce paralytique qu'on voulait porter près du Seigneur et qu'on ne put mettre à ses pieds qu'après avoir ouvert une toiture (Mc 2,4-8) ; c'est-à-dire, en prenant ce trait au figuré, qu'il faut aussi découvrir la toiture pour présenter devant le Seigneur une âme paralysée, une âme quine peut plus rien sur ses membres, étrangère à toute bonne action, accablée sous le poids de ses péchés et sous la langueur de ses passions. As-tu donc affaire à des membres sans vie, attaqués de paralysie intérieure ? Veux-tu les approcher du médecin ? Car il peut arriver que tu ne le voies pas, et qu'il soit cachés ; or le médecin ou le remède est le sens véritable et voilé dans les Ecritures ; découvre la toiture en expliquant ce sens caché et descends-y le paralytique. A quoi doivent s'attendre ceux qui n'agissent pas ainsi et négligent de le faire ? Vous l'avez déjà entendu. « Vous n'avez point guéri les malades ni pansé les blessés. » Mais nous avons parlé de cela. Le paralytique était donc consterné à l'idée des tentations. Or voici le remède, voici la ligature qu'il faut à cette âme défaillante, ce sont ces paroles de consolation : « Dieu est fidèle, il ne permettra point que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera sortir de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. »
14. « Vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées (Ez 34,4). » Voilà nos dangers au milieu des hérétiques. « Vous n'avez point rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues. » Ainsi nous vivons entre les mains des voleurs et sous la dent de loups furieux ; aussi vous prions-nous de prier pour nous au milieu de tant de périls. Il y a même des brebis qui s'opiniâtrent parce qu'on cherche à les rappeler de leur égarement ; elles prétendent que leur égarement même et leur perte nous les rendent étrangères. Pourquoi nous désirez-vous ? Pourquoi nous cherchez-vous ? disent-elles. Comme si leur égarement et leur perte n'étaient pas pour nous un motif de les rappeler et de les chercher ! – Si je suis égaré, si je suis perdu, dit-on, pourquoi me désires-tu ? pourquoi me cherches-tu ? - Je veux te rappeler précisément parce que tu es égaré, et te retrouver parce que tu es perdu. - Mais je veux rester ainsi dans mon égarement et ma ruine. - Tu veux rester ainsi dans ton égarement et ta ruine ! Et moi je ne veux pas : n'ai-je pas raison davantage ? Je dis même plus, je ne craindrai pas de me rendre importun. J'entends en effet l'Apôtre me crier : « Prêche la parole, insiste à temps et à contre-temps. » Près de qui à temps et près de qui à contre-temps ? A temps près de ceux qui veulent, à contre-temps près de ceux qui refusent. Je me rendrai donc importun et je ne crains pas de te dire : Tu veux t'égarer, tu veux périr, et moi je ne veux pas ; il ne le veut pas non plus, Celui dont l'autorité m'épouvante. Et si j'y consentais, vois ce qu'il me dirait, vois quel reproche il m'adresserait :« Vous n'avez pas rappelé celles qui étaient égarées, ni recherché celles qui étaient perdues. » Te redouterai-je plus que lui ? Ne faut-il pas que nous paraissions tous devant le tribunal du Christ ? Je ne te crains pas, car tu ne saurais renverser ce tribunal et y substituer celui de Donat. Je rappellerai donc la brebis égarée, je rechercherai la brebis perdue ; que tu le veuilles ou ne le veuille pas, voilà ce que je ferai. Et si dans ma coeur, je suis déchiré par les épines des forêts, je saurai me rapetisser pour pénétrer partout ; je battrai tous les buissons, et si le Seigneur qui m'effraie me donne assez de forces, j'irai de tous côtés, je rappellerai la brebis égarée, je chercherai la brebis perdue. Pour n'avoir pas à être importun par moi, ne t'égare pas, ne te perds pas.
15. Il ne suffit même pas que je sois attristé de ton égarement et de ta perte ; je crains que prenant peu soin de toi je ne donne la mort aux brebis même vigoureuses. Ecoute en effet ce qui suit : « Et vous avez fait mourir ce qui était robuste (Ez 34,4). » Si je laisse à elle-même celle qui s'égare et se perd, il plaira bientôt à celle qui est robuste de s'égarer et de se perdre aussi. Je désire sans doute des conquêtes à l'extérieur, mais je crains plus encore des pertes intérieures. Si je me montre indifférent à ton égarement, ce qui est fort me regarde et s'imagine qu'il importe peu de tomber dans l'hérésie. Voit-on dans le siècle quelque avantage à changer, de religion ? En considérant que je ne cours pas après toi, le chrétien même robuste me dit aussitôt pour son malheur : Mais Dieu est là comme ici. Ces différences ne viennent que d'esprits querelleurs ; il faut adorer Dieu partout. Qu'un Donatiste vienne à lui dire : Je ne te donnerai pas ma fille si tu n'entres dans mon parti, il est nécessaire qu'il puisse répondre : Ah ! s'il n'y avait point de mal à en être, nos pasteurs ne parleraient pas tant contre lui, ils ne feraient pas tant pour préserver de ces erreurs. Et si nous cessions, si nous nous taisions, on dirait au contraire : Si c'était mal d'être du parti de Donat, nos pasteurs parleraient contre ce parti, ils en montreraient le danger, ils travailleraient à en retirer ; ils rappelleraient ces brebis égarées, ils rechercheraient ces brebis perdues. C'est ainsi qu'après avoir dit précédemment : « Vous avez tué les brebis grasses » il n'est pas inutile que le Prophète répète ici en, concluant : « Et vous avez tué les fortes. » Ce ne serait qu'une simple répétition si le sens n'était fixé par ce qui précède : « Vous n'avez pas rappelé celles qui étaient égarées, ni cherché celles qui étaient perdues » et en agissant ainsi « vous avez tué les fortes. »
16. Aussi écoute ce que produit la négligence de ces mauvais, ou plutôt de ces faux pasteurs. « Et mes brebis ont été dispersées parce qu'elles sont sans pasteur, et elle sont devenues la proie de tous les animaux des champs (Ez 34,5). » Quand les brebis ne demeurent pas autour du berger, elles sont enlevées bientôt par le loup qui guette, ravies par le lion qui rugit. Il y a bien là un pasteur, mais ce n'en est pas un pour ces êtres malfaisants ; c'est un pasteur qui n'est pas pasteur, un pasteur qui se paît lui même sans paître ses brebis ; aussi s'égarent-elles pour leur malheur, elles se jettent au milieu d'animaux qui les dévorent et qui cherchent à se rassasier de leur sang. Tels sont les hommes qui se félicitent des égarements d'autrui, ce sont des animaux qui vivent du sang des brebis dispersées
17. « Et mes brebis ont été dispersées, et elles se sont égarées sur toutes les montagnes et sur toutes les hautes collines (Ez 34,6). » Les bêtes des montagnes et des collines désignent l'arrogance de la terre et l'orgueil du siècle. L'orgueil de Donat s'est enflé et il s'est fait un parti. Parménien l'a suivi, il a confirmé le mal. L'un est la montagne, l'autre est la colline. Ainsi en est-il de tout hérésiarque vainement enflé : il promet aux brebis le repos et de bons pâturages. Quelquefois, il est vrai, elles y trouvent des aliments produits par la pluie du ciel et non par la sécheresse de la montagne ; car ces sectes égarées possèdent aussi les Ecritures et les sacrements mêmes, ce qui n'appartient pas aux montagnes et s'y rencontre néanmoins. On fait mal toutefois en y demeurant ; car en errant sur les montagnes et dans les collines, on s'éloigne du troupeau, on s'éloigne de l'unité, on s'éloigne des troupes armées contre les loups et les lions. Que Dieu donc les en retire, qu'il les en retire lui-même. Bientôt vous l'entendrez les rappeler.
« Mes brebis, dit-il, se sont égarées sur toutes les montagnes et sur toutes les collines (Ez 34,6), » c'est-à-dire sur toutes les folles élévations de l'orgueil du siècle. Car il y a aussi de saintes montagnes. « J'ai élevé mes regards vers les montagnes d'où me viendra le secours. » Apprends toutefois que tu ne dois pas mettre ton espoir en ces montagnes : « Mon secours, est-il écrit, viendra du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre. » Ne crois pas outrager ces saintes montagnes lorsque tu dis : « Mon secours viendra » non des montagnes, mais « du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » C'est en effet ce que te crient ces montagnes, car c'était une montagne qui disait « J'apprends qu'il se forme des divisions parmi vous et que chacun dit : Je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas, et moi au Christ. » Elève tes regards vers cette montagne, écoute ce qu'elle dit et ne reste pas sur elle. Voici en effet ce qui suit : « Est-ce que Paul a été crucifié pour vous ? » Oui donc, après avoir levé les yeux vers les montagnes d'où te viendra le secours, c'est-à-dire vers les auteurs des divines Ecritures, écoute cet autre qui te crie de toute sa, voix et de toute ses forces : « Qui est semblable à vous, Seigneur ? » et sans crainte aucune d'injurier ces montagnes tu diras : « Le secours me vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. » Non-seulement tu ne seras point blâmé par ces montagnes ; elles t'en aimeront et te favoriseront davantage, au lieu qu'elles s'attristeront si tu places en elles ton espoir. Un ange montrait à un homme un grand nombre de divines merveilles, et levant en quelque sorte ses regards vers la montagne, cet homme l'adorait. Mais détachant de sa personne et conduisant au Seigneur, l'ange répondit : « Garde-toi de le faire ; adore Dieu, car je suis serviteur comme toi et comme tes frères (Ap 22,9). »
18. « Elles se sont dispersées sur toutes les montagnes, sur toutes les collines et sur toute la surface de la terre (Ez 34,6). » Que signifie : Elles se sont dispersées sur toute la face de la terre ? Elles s'attachent à tout ce qui est terrestre, à tout ce qui brille sur la face de la terre, elles convoitent et aiment tout cela. Elles ne veulent pas de cette mort qui rendrait leur vie cachée en Jésus-Christ. Sur toute la race de la terre ; parce qu'elles aiment les choses terrestres et parce que dans tout l'univers il y a des brebis égarées ; non que chaque secte hérétique soit répandue partout, mais il y a partout des sectes hérétiques. Les unes occupent un pays, les autres un pays différent, il n'est point de contrée où il n'y en ait ; elles-mêmes ne se connaissent pas toujours. Cette secte, par exemple, est en Afrique, cette autre en Orient, celle-ci en Egypte et celle-là en Mésopotamie. Différentes dans les différents pays, elles ont toutes une même mère, l'orgueil : comme tous les chrétiens fidèles répandus dans l'univers ont pour unique mère l'Église catholique. Rien d'étonnant sans doute que l'orgueil produise la division et que la charité produise l'unité. L'Église mère cependant, c'est-à-dire ses pasteurs, cherche partout les brebis égarées, elle fortifie les faibles, soigne les malades, panse les blessées. Ces brebis sont séparées les unes des autres et ne se connaissent pas, mais l'Église les connaît toutes parce qu'elle est partout où elles sont. Ainsi, par exemple encore, en Afrique est le parti de Donat et il n'y a point ici d'Eunomiens ; mais l'Église catholique est ici avec les Donatistes. Il y a en Orient, des Eunomiens et point de Donatistes ; là encore est l'Eglise catholique avec les Eunomiens. Elle est donc comme une vigne qui étend partout ses rameaux, et les sectaires sont comme ces sarments inutiles que la serpe du vigneron a retranchés à cause de leur stérilité, pour tailler la vigne et non pour la détruire. Aussi ces sarments sont-ils restés au lieu même où ils ont été coupés, tandis que la vigne s'étend partout, sentant en elle les branches qui lui demeurent et voyant près d'elles les branches coupées. Elle ne laisse pas néanmoins de rappeler les égarées, car des branches même retranchées l'Apôtre a dit : « Dieu peut les faire entrer de nouveau (Rm 11,23). » Soit donc que tu compares les sectaires à des brebis écartées du troupeau ou à des rameaux séparés du cep, Dieu n'est pas moins capable de rappeler ces brebis que d'entrer de nouveau ces rameaux, car il est le pasteur suprême et le vrai vigneron.
« Elles ont été dispersées sur toute la face de la terre, et il n'y avait personne pour les rechercher, personne pour les rappeler. (Ez 34,6) » Personne parmi ces mauvais pasteurs ; personne, aucun homme, pour les rechercher.
19. « Écoutez donc la parole de Dieu, ô pasteurs. Je vis, dit le Seigneur Dieu (Ez 34,7-8). » Remarquez ce commencement. Cette affirmation de sa vie est comme le serment de Dieu. « Je vis, dit le Seigneur (Ez 34,8). » Les pasteurs sont morts, mais les brebis peuvent être tranquilles : le Seigneur est vivant. « Je vis, dit le Seigneur Dieu. » Et quels pasteurs sont morts ? Ceux qui cherchent leurs intérêts et pas ceux de Jésus-Christ (Ph 3,24). Il y aura donc et l'on verra des pasteurs qui chercheront les intérêts de Jésus-Christ, et non les leurs ? Oui, il y en aura et on les connaîtra ; il n'en manque pas aujourd'hui et il n'en manquera pas.
Examinons donc ce que prétend le Seigneur en disant qu'il est vivant. Dit-il qu'il ôtera les brebis aux mauvais pasteurs, qui se paissent au lieu de les paître, et qu'il les confiera à de bons pasteurs, à des pasteurs qui les paîtront au lieu de se paître ? « Je vis, dit le Seigneur Dieu, parce que, mes brebis sont devenues la proie de tous les animaux des champs, vu qu'elles étaient sans pasteur (Ez 34,8). » Il a déjà fait entendre ce mot de pasteur, au singulier, il le répète ici. C'est que pour ces brebis égarées misérablement et misérablement perdues, il n'y a point de pasteur, fût-il près d'elles ; comme la lumière, si présente qu'elle soit, n'est pas lumière pour les aveugles. - « Et ces pasteurs n'ont pas recherché mes brebis ; ils se paissaient eux-mêmes et ne paissaient pas mes brebis. »
20. « C'est pourquoi, écoutez, pasteurs, la parole de Dieu. » A quels pasteurs s'adresse-t-il ? « Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi-même vers ces pasteurs, et je redemanderai mes brebis à leurs mains. » Troupeaux de Dieu, écoutez et retenez. Le Seigneur redemande ses brebis aux mauvais pasteurs, et de leurs mains il redemandera leur sang ; car il dit ailleurs par la bouche du même prophète : « Fils de l'homme, je t'ai établi sentinelle pour la maison d'Israël ; je te parlerai et tu leur annonceras mes paroles. Quand je dirai au pécheur : tu mourras de mort, si tu ne l'engages pas à se retirer de sa voie, le coupable mourra dans son crime, mais je redemanderai son sang à ta main. Si au contraire tu engages ce coupable à s'écarter de sa voie et qu'il ne s'en écarte pas, il mourra dans son crime et tu auras délivré ton âme. » Voyez vous, mes frères, voyez-vous combien il est dangereux de se taire ? Ce coupable meurt et il meurt justement ; il meurt dans son impiété et dans son péché ; mais c'est la négligence de son pasteur qui l'a tué. Il trouverait bien le Pasteur vivant, Celui qui s'écrie : « Je vis, dit le Seigneur » mais comme ce coupable est négligent et qu'il n'est pas averti par celui qui doit lui servir de chef et de sentinelle, il est avec justice livré à la mort, et le pasteur condamné avec justice. « Mais quand je menacerai l'impie du glaive, si tu lui dis : Tu mourras de mort, et qu'il néglige d'écarter cette épée suspendue, et qu'elle tombe sur lui et lui donne la mort, il mourra dans son péché, tandis que tu auras délivré ton âme. (Ez 30,2-9) » Notre devoir est donc de ne pas nous taire, et le vôtre, si nous nous taisions, de chercher dans les saintes Ecritures les paroles du divin Pasteur.
21. Examinons donc, comme je l'ai proposé, s'il ôte ses ouailles aux mauvais pasteurs et les donne aux bons. Je remarque d'abord qu'il les ôte aux mauvais pasteurs, car il dit : « Voici que je viens moi-même vers ces pasteurs et je redemanderai mes brebis à leurs mains et je les éloignerai d'eux en sorte qu'ils ne paissent plus ni mes brebis ni eux-mêmes. » En effet, lorsque je leur dis de paître mes brebis, ils se paissent eux-mêmes et non pas elles. « Je les éloignerai » donc « afin qu'ils ne les paissent plus. » Et comment les éloigne-t-il pour qu'ils ne paissent plus ses brebis ? « Faites ce qu'ils disent et gardez-vous de faire ce qu'ils font (Mt 23,3). » Comme si nous lisions : Ils disent ce qui vient de moi, ils font ce qui vient d'eux. Faites tranquillement ce qu'ils font, je les condamnerai pour leur mauvaise vie, mais je vous épargnerai parce que vous n'avez fait que suivre vos guides ; si Dieu parlait ainsi, il intimiderait seulement ces pasteurs mauvais qui ne paissent qu'eux-mêmes. Mais il menace également le guide aveugle et l'aveugle qui le suit ; il ne dit pas : Le guide aveugle tombe dans la fosse sans que s'y précipite celui qui le suit ; il dit : « Quand un aveugle conduit un aveugle, ils tombent l'un et l'autre dans l'abîme (Mt 15,14) » c'est pourquoi il donne à son troupeau ces avertissements « Faites ce qu'ils disent, gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Quand vous ne faites pas ce que font ces mauvais pasteurs, ce n'est pas eux qui vous paissent ; mais c'est moi qui vous pais lorsque vous faites ce qu'ils disent, car ce qu'ils disent vient de moi, bien qu'ils ne le fassent pas.
Nous sommes sans inquiétude, dit-on, parce que nous suivons nos évêques. C'est ce que répètent souvent les hérétiques, lorsqu'ils sont manifestement convaincus par la vérité. Nous ne sommes que des brebis, ils rendront compte de nous. Oui, ils rendront malheureusement compte de votre mort ; le mauvais pasteur rend malheureusement compte de la mort d'une brebis mauvaise ; il montre en quelque sorte sa dépouille cette brebis en est-elle plus vivante ? On reproche au pasteur de n'avoir pris aucun souci de la brebis égarée, laquelle, pour ce motif, s'est jetée à la gueule du loup pour en être dévorée. Que lui sert d'en apporter la peau avec les signes qui la distinguent ? C'est de la vie de sa brebis que s'inquiète le Père de famille. Au lieu de cela, le mauvais pasteur lui en rapporte la peau : qu'il rende compte de cette peau. Osera-t-il mentir ? Mais le Juge a tout vu du haut du ciel ; en vain on essaiera près de lui un langage trompeur, il connaît les pensées. C'est de la peau de cette brebis qu'il a laissé mourir, que ce mauvais pasteur est obligé de rendre compte. Je lui ai fait entendre vos paroles, elle a refusé de s'y montrer docile ; j'ai pris soin de l'empêcher de s'écarter du troupeau, elle ne m'a pas obéi. Parler de la sorte, si ce langage était vrai, et Dieu sait s'il est vrai, ce serait assurément se bien défendre de la perte d'une brebis mauvaise. Mais si Dieu a vu que ce pasteur a négligé la brebis égarée et n'a point recherché la brebis perdue, que lui sert de pouvoir en rapporter la dépouille ? C'est la brebis même qu'il faudrait montrer vivante et non la peau d'un cadavre. Voilà ce qui fait son malheur au moment où il rend ses comptes. Mais s'il est coupable de ne l'avoir pas cherchée quand elle s'égarait, que penser de celui qui a causé cet égarement ? En d'autres termes, si pour n'avoir pas recherché la brebis qui s'éloignait du divin troupeau, l'évêque qui demeure catholique doit être condamné, que deviendra l'hérétique puisque loin d'avoir rappelé cette brebis errante il l'a jetée dans l'erreur ?
22. Examinons enfin, comme je l'ai dit, de quelle manière Dieu ôte les brebis aux mauvais pasteurs. J'ai déjà rappelé ces mots : « Faites ce qu'ils disent ; gardez-vous de faire ce qu'ils font. » Ce n'est pas eux qui vous paissent alors, c'est Dieu ; car bon gré mal gré, pour obtenir le lait et la laine ils annonceront la parole de Dieu. « Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes » dit l'Apôtre à ceux qui enseignent le bien et commettent le mal. Toi, mon frère, écoute le prédicateur, ne dérobe pas, ne l'imite point dans ses larcins. Si tu l'imites dans les actes coupables, ils te servent en quelque sorte de nourriture, mais cette nourriture est un poison. Écoute plutôt ce qu'il te recommande non pas de lui-même mais de la part de Dieu. On ne peut, il est vrai, cueillir le raisin sur les épines, car le Seigneur a dit expressément : « Nul ne récolte le raisin sur des épines, ni la figue sur les ronces (Mt 7,16). » N'en conclus pas toutefois que tu peux accuser le Seigneur et lui dire : Seigneur, vous ne voulez pas de moi, car il est impossible de cueillir le raisin sur les épines, et d'un autre côté vous m'avez dit de quelques-uns : « Faites ce qu'ils enseignent, gardez-vous de faire ce qu'ils disent » ce qui prouve qu'ils sont des épines. Comment voulez-vous que sur ces épines je cueille le raisin de votre parole ? Le Seigneur en effet te répondrait : Ce raisin ne vient pas des épines. Ne voit-on pas quelquefois une branche de vigne croître, s'entrelacer dans une haie et le raisin suspendu au milieu d'un buisson d'épines, quoiqu'il ne soit pas produit par ces épines ? Si tu es pressé par la faim et que tu n'aies pas d'autres ressources, avance la main avec précaution, prends garde de te déchirer, c'est-à-dire d'imiter les actions des méchants, cueille ce raisin porté par la vigne et suspendu au milieu de ces épines. Profite de cette grappe, les épines sont destinées au feu.
23. « Et j'arracherai mon troupeau de leur bouche et de leurs mains, et désormais il ne leur servira plus d'aliments (Ez 34,10). » On lit de même dans un psaume : « N'auront-ils jamais d'intelligence, ces ouvriers d'iniquité qui dévorent mon peuple comme on dévore du pain (Ps 53,5) ? - « Il ne leur servira donc plus d'aliment, car voici ce que dit le Seigneur Dieu : Je viens moi-même. » J'ai soustrait mes brebis aux mauvais pasteurs en leur recommandant de ne pas faire ce qu'ils font, de ne pas faire par témérité et par négligence ce que font ces indignes pasteurs. Mais quoi ! à qui confie-t-il ces brebis qu'il leur a soustraites ? Est-ce à de bons pasteurs ? On ne le voit pas. Que conclurons-nous, mes frères ? N'y a-t-il pas de bons pasteurs ? Les Écritures ne disent-elles pas ailleurs : « Je leur donnerai des pasteurs selon mon coeur, « et ils les nourriront d'instruction Jr 3,15 ? » Comment donc ne confie-t-il pas à de bons pasteurs les brebis qu'il a ôtées aux mauvais ? Pourquoi dit-il, comme s'il n'y avait plus nulle part de bons pasteurs : « Je viendrai les paître ? » II avait dit à Pierre : « Pais mes brebis. » Comment expliquer son langage ? En confiant ses brebis à cet Apôtre, il ne lui dit pas : Je les paîtrai et non pas toi ; il lui dit : « Pierre, m'aimes-tu ? Pais mes brebis (Jn 21,17). » Parce qu'il n'y a plus aujourd'hui de Pierre, parce que Pierre est parvenu au repos des Apôtres et des martyrs, est-ce qu'il ne se trouve plus personne à qui le Seigneur puisse dire avec assurance : « Pais mes brebis ? » Serait-il vrai que ne découvrant pas à qui confier son troupeau, que néanmoins il ne veut pas abandonner, il est obligé de s'abaisser jusqu'à le paître lui-même ? On le croirait en lisant ce qui suit : « Voici ce que dit le Seigneur : Je viens moi-même. »
Nous lui disions : « Écoutez-nous, ô Pasteur d'Isra