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IVème Dimanche de Pâques (A)

La vie en abondance



Accueil au ciel des deux saints Côme et Damien

Anonyme

Basilique Saints Côme et Damien

Mosaïque de l’abside (entre 527 et 530)

Rome, Italie


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 10, 1-10

En ce temps-là, Jésus déclara : « Amen, amen, je vous le dis : celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un étranger, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. » Jésus employa cette image pour s’adresser à eux, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance. »

La mosaïque

L'abside est décorée d’une grande mosaïque représentant la réception des deux saints, titulaires de l'église, au Ciel. Au centre domine la figure du Christ avec un rouleau dans la main gauche. La main droite désigne une étoile. Il est plus élevé que les autres personnages et se tient debout sur des nuages ​​rouges et bleutées, qui envahissent aussi le ciel bleu derrière lui. À ses côtés, sur un petit jardin idyllique se tiennent, à gauche, saint Paul, saint Côme et le Pape Félix IV (il tient une maquette de l'église) et à droite, saint Pierre, saint Damien et Théodore. Dans le tambour en dessous, les apôtres sont représentés sous la forme de brebis.



Voici donc une représentation d'une grande puissance expressive, résultat du regard aiguisé d’un artiste qui synthétise les autres exemples romains de mosaïques au Vème siècle. Dans une composition innovante, l’artiste s’appuie sur une sorte d’eurythmie (l’art du mouvement) dans la disposition des grandes figures, les gestes (comme la main de saint Pierre qui repose affectueusement sur celle de saint Damien) et l'expressivité des visages, un peu figés mais très caractéristiques de l’époque. Il cherche ainsi à résoudre efficacement le problème d'une représentation à sept figures, souvent rendue difficile par la nécessité de contenir tous les personnages sans sacrifier à leur visibilité sur la distance. En comparaison avec les autres mosaïques absidiales romaines de cette époque (la première mosaïque de l'abside de Sainte-Praxède et de l'église voisine de San Teodoro), sans inclure les innovations mises en œuvre à Ravenne, permet d’affirmer que nous sommes ici probablement devant le dernier chef-d'œuvre de la peinture romaine du premier christianisme. Les œuvres qui suivront utiliseront le style all'astrattizzazione (dérive vers une simple abstraction symbolique) bien plus approprié à l'influence byzantine que connaît Rome (absides de Sainte-Agnès ou Santo Stefano Rotondo).


Image biblique

Nous voici aujourd’hui face à une péricope pastorale. De fait, Jésus utilise beaucoup les symboles agricoles et de la nature : la vigne, le ciel, les nuages, le figuier, le bêchage, les brebis, etc. Un vrai cours d’agronomie ! Ce matin, un cours d’élevage : comment tenir son troupeau et faciliter l’entrée à la bergerie ! Avant toute interprétation, avant toute exégèse spirituelle, regardons le texte de plus près.


Un sens johannique

Comprenons d’abord que les paraboles de saint Jean ne sont pas vraiment comparables à celles que l’on trouve dans les synoptiques. Jean sera plus attentif aux symboles, et le récit passera au second plan. Ainsi, les symboles prennent plus d’épaisseur, de sens et le détail descriptif qui en est fait les transforme subrepticement en allégories. L’énigme devient alors difficilement compréhensible au risque de nous aveugler. Il est donc nécessaire de connaître les clés avant toute chose. Saint Jean, lui-même, citera le livre d’Isaïe (6, 9-10) :

Il me dit : « Va dire à ce peuple : Écoutez bien, mais sans comprendre ; regardez bien, mais sans reconnaître. Alourdis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, aveugle ses yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. »

Allégeons notre intelligence pour comprendre ces signes et paraboles comme significatifs de la Vérité divine, c’est-à-dire comme étant un doigt qui pointe un au-delà invisible et indicible. Au risque sinon d’être durs d’oreille et aveugles des yeux. Ce sont les yeux du cœur qu’il nous faut dessiller, et les oreilles de l’âme qu’il nous faut aujourd’hui ouvrir.


Unité

Ainsi, avec les yeux de l’âme, nous comprenons vite que l’appel du Christ est celui de l’unité. C’est d’actualité aujourd’hui… Se rassembler dans le même bercail, ou chaque brebis, connue et aimée, trouvera sa place, même si c’est un mouton noir ! Mais pour qu’il y ait unité, rassemblement possible, il faut que les brebis fassent l’effort d’écouter la voix. Voix de la sagesse, voix de l’intelligence, voix du respect et de l’amour de l’autre. Qui peut prétendre porter cette voix aujourd’hui ? Si ce n’est Dieu ! Car il est le seul qui nous permette de rentrer en toute vérité dans l’intimité et la justesse des rapports. Lui seul peut nous comprendre. Lui seul nous connaît. Et peut-être qu’à Lui seul j’ose parler en liberté, être moi-même en vérité devant Lui. Oserai-je dire aujourd’hui que Lui seul me permet de vivre avec mes frères, libre et égal ?


Des voix étranges

Car bien des voix peuvent venir mettre le désordre dans le bercail. Ces voix que l’on entend, sans les écouter. Ces voix qui sèment le trouble et qui entraînent le départ, pour ne pas dire la fuite des brebis. Ces voix que l’évangile qualifie d’étrangères. Le mot a pris une connotation très péjorative ces dernières années. Et pourtant, qu’en dit le dictionnaire de l’Académie Française :

(Celui, celle) qui n'est pas familier (ière) à quelqu'un, qui n'a pas de relation avec lui, qui en est mal connu(e), distant(e).

En fait, l’étranger nous est étrange ! Étrange car différent. Étrange car incompréhensible. Étrange car trop singulier, trop particulier. Il risque de briser l’unité. Refaire un peu d’étymologie à partir d’un lexicographe est toujours éclairant. Alain Rey précise que son origine vient de « extraneus » : ce qui vient du dehors. C’est bien le sens de ce que nous dit Jésus. Il vient du dehors, il n’est pas de la bergerie. Alors, comme pauvres brebis chétives, nous pourrions sombrer dans deux excès. Le premier danger serait de le condamner parce qu’il n’est pas de notre groupe et du coup de l’ostraciser. Le second serait de le laisser entrer sans faire attention et qu’il se transforme en loup.


Nous qui sommes les brebis de l’Église (vous vous en doutiez !) et qui cherchons à vivre dans le bercail, la bergerie ecclésiale, pourrions aussi faire cette double erreur…

  • Celui qui n’est pas un « bon » catholique, dont la foi pourrait être chancelante, dont la théologie est trop faible, dont la vie n’est pas suffisamment exemplaire n’a pas de place parmi nous !

    • Combien de frères qui se tiennent à la porte, qui désirent progresser, se verront refuser alors l’accès à notre foi. Serions-nous propriétaires de la bergerie ? Non ! Nous n’y sommes que gracieusement, c’est-à-dire avec toutes les grâces reçues, accueillis. N’est-ce pas un appel, non simplement à accueillir, mais aussi à faire progresser l’autre, à l’aider à s’adapter, à découvrir, à s’intégrer, plutôt qu’à le juger ?

  • L’autre erreur serait d’ouvrir tellement grandes les portes que n’importe quel animal (ce qui a une âme) puisse entrer sans « contrôle »…

    • Mais s’il est immiscible à la communauté pour qu’il puisse venir s’y installer, ne risque-t-il pas de constituer un groupe allogène qui finira par faire sécession et détruire la communauté ?

    • Même dans les temps les plus anciens de l’Église, l’autorité s’est donnée des critères pour assurer la possibilité d’homogénéité. Ne serait-ce que le respect de la Tradition ! Rappelez-vous les trois blancheurs de Don Bosco : l’Eucharistie, la Vierge et le Pape.

  • Et le risque est encore plus grand et n’exige aucune réflexion si celui qui est entré est passé par la fenêtre ou a escaladé le mur ! En ce cas, c’est un larron, un bandit et un voleur. Et on ne peut le tolérer. Mais le voleur, n’est-ce pas celui qui voudrait s’emparer du Christ, le prendre pour lui seul, s’en croire l’unique et digne propriétaire ?

Je sais bien que ce discours pourrait être lu avec une paire de lunette actuelle et politique… Ce n’est nullement mon propos et il me semble qu’avant de s’inquiéter seulement de la communauté nationale et de lui faire telle ou telle reproche, il serait bénéfique de nous poser la question pour nos simples communautés ecclésiales. Mais en tous les cas, reconnaissons que l’Évangile connaît le cœur de l’homme et nous aide au discernement.


Je suis la Porte…

Jésus, disant cela, utilise bien le « Ego eïmi » grec (JE SUIS), le Nom de Dieu. Il est donc celui qu’annonçaient les Prophètes comme le Pasteur à venir. Mais il est un autre sens plus subtil : Jésus vient insister sur son unicité. Il est l’UNIQUE et le VRAI Pasteur. Un Pasteur qui se fait Porte. À la suite du chemin dont il avait parlé plus tôt (Jn 14, 6). Qui passe par le Christ, qui oriente sa vie vers cette Porte, reçoit alors salut, liberté et vie. Il est la Porte, mais aussi le Pasteur par excellence. Mais le troupeau est grand et diversifié. Alors, il se choisit des Pasteurs de substitution, les prêtres, pour guider son troupeau.


Les pasteurs de ce temps

Les qualités requises (pas toujours présentes, vous le savez !) sont :

  • de connaître ses brebis,

  • de savoir se faire entendre,

  • de les faire passer par la porte,

  • de les mener au pâturage,

  • de marcher à leur tête,

  • et de les protéger des loups.

C’est ce que le Concile Vatican II résumait ainsi :

  1. 1.Hommes de la Parole, ils sont chargés de faire connaître à tous la « vérité de l’Évangile » (Galates 2, 5), à travers la catéchèse et la prédication, mais aussi à travers des entretiens et l’étude des problèmes de ce temps : « S’ils veulent vraiment atteindre l’esprit des auditeurs, ils ne doivent pas se contenter d’exposer la parole de Dieu de façon générale et abstraite, mais ils doivent appliquer la vérité permanente de l’Évangile aux circonstances concrètes de la vie » (Presbyterorum ordinis, n. 4).

  2. 2.Hommes des sacrements, ils sont envoyés dans les communautés pour être « ministres de celui qui, par son Esprit, exerce sans cesse pour nous, dans la liturgie, sa fonction sacerdotale » (n. 5).

  3. 3.Ils sont enfin hommes de l’unité et de la mission, en présidant la communauté. Ils doivent avoir à cœur de construire celle-ci de sorte que chacun s’y sente accueilli et puisse grandir en liberté et en responsabilité, mais aussi pour que la communauté participe à l’édification de la société, en particulier en développant les services de charité et de solidarité pour que le Christ soit honoré en tous.

Tout est dit, comme un miroir de l’Évangile pour aujourd’hui !


Pour nous aujourd’hui ?

Il me semble que nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cette parabole évangélique :

  • D’abord que le Christ est l’unique porte pour rejoindre la bergerie.

    • Quel temps je donne dans ma vie pour trouver, regarder et prendre cette porte ?

  • Ensuite, que l’unique Pasteur m’a donné des pasteurs sur cette terre.

    • Est-ce que j’écoute leur voix ?

    • Est-ce que je participe aux sacrements ?

    • Est-ce que je les aide dans leur mission de gouvernement ?

  • Puis, qu’il y a des étrangers…

    • Comment puis-je accueillir la différence qui me fait peur, essayer de la comprendre ?

    • Mais aussi comment je l’aide à s’intégrer, à découvrir ce qui me fait vivre, à partager ma foi et ma vie, à trouver une place dans la bergerie, même s’il ne pense ou ne vit comme moi ?

    • Enfin, qu’il y a des loups, des mercenaires, des voleurs…

Bref, c’est le travail de toute une vie… Mais une vie qui nous est donnée en abondance ! Jamais je ne douterai que le Christ me donne cette vie en abondance. Par contre, je me rappelle cette interrogation de Bernadette de Lourdes au seuil de la mort, devant une autre Sœur :

« Ma chère Sœur, j’ai peur… j’ai peur… J’ai tant reçu de grâces et j’ai peur d’en avoir si peu profité… »

Nous avons reçu la grâce d’une vie en abondance : profitons-en !


Homélie de Clément d'Alexandrie (+ 215), Le Pédagogue, 9, 83,3 85,a, SC 70, 258-261

Malades, nous avons besoin du Sauveur; égarés, de celui qui nous conduira; assoiffés, de la source d'eau vive; morts, nous avons besoin de la vie; brebis, du berger; enfants, du pédagogue; et toute l'humanité a besoin de Jésus. <>

Si vous le voulez, nous pouvons comprendre la suprême sagesse du très saint Pasteur et Pédagogue, qui est le Tout-Puissant et le Verbe du Père, lorsqu'il emploie une allégorie et se dit le Pasteur des brebis; mais il es t aussi le Pédagogue des tout-petits.

C'est ainsi qu'il s'adresse assez longuement, par l'intermédiaire d'Ézéchiel, aux anciens, et qu'il leur donne l'exemple salutaire d'une sollicitude bien adaptée: Je soignerai celui qui est boiteux, et je guérirai celui qui est accablé; je ramènerai celui qui s'est égaré, et je les ferai paître sur ma montagne sainte (cf. Ez 34,16). Oui, Maître, donne-nous en abondance ta pâture, qui est la justice. Oui, Pédagogue, sois notre Pasteur jusqu'à ta montagne sainte, jusqu'à l'Église qui s'élève au-dessus des nuages, qui touche aux cieux! Et je serai, dit-il, leur Pasteur, et je serai près d'eux (cf. Ez 34,14). Il veut sauver ma chair en la revêtant de la tunique d'incorruptibilité et il a consacré ma peau par l'onction. Ils m'appelleront, dit-il, et je dirai: Me voici (cf. Is 58,9). Tu m'as entendu plus vite que je ne l'aurais cru, Seigneur. S'ils traversent, ils ne glisseront pas (cf. Is 43,2), dit le Seigneur. Nous ne tomberons pas dans la corruption, en effet, nous qui traversons pour aller vers l'incorruptibilité (cf. 1Co 15,42), puisqu'il nous soutiendra. Il l'a dit et il l'a voulu.

Tel est notre Pédagogue: bon avec justice. Je ne suis pas venu pour être servi, dit-il, mais pour servir (Mt 20,28). C'est pourquoi, dans l'Évangile, on nous le montre fatigué, lui qui se fatigue pour nous, et qui promet de donner sa vie en rançon pour la multitude (Mt 20,28). Il affirme que, seul, le bon Pasteur agit ainsi.

Quel magnifique donateur, qui donne pour nous ce qu'il a de plus grand: sa vie! O le bienfaiteur, l'ami des hommes, qui a voulu être leur frère plutôt que leur Seigneur! Et il a poussé la bonté jusqu'à mourir pour nous!


Prière

Dieu éternel et tout-puissant, guide-nous jusqu'au bonheur du ciel; que le troupeau parvienne, malgré sa faiblesse, là où son Pasteur est entré victorieux. Lui qui règne.

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