Païen plus chrétien que les chrétiens eux-mêmes...

Le Centenier prosterné aux pieds de Jésus et lui demandant la guérison de son serviteur
Jean JOUVENET (Rouen, 1644 - Paris, 1717)
Huile sur toile, 356 x 245 cm
Dépôt de l'Etat, 1803, transfert de propriété à la Ville de Tours, 2010
Musée des Beaux-Arts de Tours (France)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 7, 1-10)
En ce temps-là, lorsque Jésus eut achevé de faire entendre au peuple toutes ses paroles, il entra dans Capharnaüm. Il y avait un centurion dont un esclave était malade et sur le point de mourir ; or le centurion tenait beaucoup à lui. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya des notables juifs pour lui demander de venir sauver son esclave. Arrivés près de Jésus, ceux-ci le suppliaient instamment : « Il mérite que tu lui accordes cela. Il aime notre nation : c’est lui qui nous a construit la synagogue. » Jésus était en route avec eux, et déjà il n’était plus loin de la maison, quand le centurion envoya des amis lui dire : « Seigneur, ne prends pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C’est pourquoi je ne me suis pas autorisé, moi-même, à venir te trouver. Mais dis une parole, et que mon serviteur soit guéri ! Moi, je suis quelqu’un de subordonné à une autorité, mais j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : “Va”, et il va ; à un autre : “Viens”, et il vient ; et à mon esclave : “Fais ceci”, et il le fait. » Entendant cela, Jésus fut en admiration devant lui. Il se retourna et dit à la foule qui le suivait : « Je vous le déclare, même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi ! » Revenus à la maison, les envoyés trouvèrent l’esclave en bonne santé.
L’artiste
Issue d’une grande famille d’artistes, dont il sera le plus brillant représentant, Jean Jouvenet s’initie à la peinture à Rouen dans l’atelier de son père Laurent Jouvenet le Jeune. Il entre à partir de 1661 à l’Ecole de l’Académie royale, et poursuit sa formation dans le cercle de Charles Le Brun. Sept ans plus tard il collabore à des chantiers importants, au château de Saint-Germain, à la galerie des Tuileries, puis à Versailles. En 1673, il peint pour la corporation des orfèvres le Mai de Notre-Dame, Jésus et le paralytique (détruit), tableau remarqué et qui assure sa réputation. Reçu à l’Académie royale en 1675 sur présentation d’Esther et Assuérus (musée de Bourg-en-Bresse), Jouvenet après avoir peint des scènes mythologiques et décoratives, pour Versailles mais aussi pour des hôtels particuliers à Paris, notamment pour des plafonds, se consacre essentiellement à la peinture religieuse à partir des années 1685 et devient véritablement le principal représentant dans ce genre en France. Il exécute des œuvres au format imposant pour les églises parisiennes, mais aussi pour les congrégations religieuses et les églises de province. Ses puissantes et démonstratives compositions seront largement diffusées par l’estampe qui atteste du grand succès de son œuvre auprès de ses contemporains.
Il occupe différentes responsabilités au sein de l’Académie et sera nommé directeur de l’institution royale en 1705 puis recteur en 1707.
L’œuvre
Texte extrait du Catalogue raisonné des peintures françaises du XVIIIe s. du Musée des Beaux-Arts de Tours - Château d'Azay-le-Ferron, par Sophie Join-Lambert
L’Envoi par le Museum Central de ce tableau avait été accepté dès 1803, mais son état nécessitait une restauration importante qui va retarder son départ pour le musée de Tours. L’œuvre entre enfin dans les collections du musée trois ans plus tard.
Peint en 1712 pour l’église des Récollets à Versailles, pour laquelle Jouvenet avait exécuté quatre ans plus tôt l’une de ses plus intéressantes compositions, La Résurrection du fils de la veuve de Naïm (Versailles, cathédrale Saint-Louis), ce tableau appartient aux œuvres ultimes de l’artiste. Antoine Schnapper souligne que dans le premier tableau peint pour les Récollets s’exprimait « le meilleur des qualités de Jouvenet …rarement idéalisme et réalisme se sont-ils aussi bien confondus », Schnapper ajoute : « Le Christ et le Centenier, peint quatre ans plus tard pour le même couvent, un peu étouffé par les architectures ne sera pas réussi au même degré ». Il semble difficile de comparer ces deux œuvres peintes pour le même lieu mais d’esprit si différent, La Résurrection du fils de la veuve de Naïm est bruyante, les personnages manifestant avec exaltation leurs sentiments, en revanche Le Centenier aux pieds du Christ est une œuvre silencieuse, empreinte de recueillement.
Clément de Ris (1820 - 1882) note que ce tableau de Jouvenet est « vivement empreint des qualités et des défauts qui se font remarquer dans tous ses ouvrages. Adresse merveilleuse, composition facile et quelquefois heureuse ; dessin lâché et commun…peinture de chic, en un mot… Le Christ et les figures qui l’entourent sont lourdes et gauches ; mais comme pour mettre sa signature sur le tableau, Jouvenet a détaché au second plan une tête de cheval admirable de finesse et de transparence ».
La composition clairement organisée, présente un caractère monumental amplifié par l’architecture aux lignes puissantes qui domine la composition. L’œuvre peut sembler froide presque austère, par l’importance même laissée à cet ensemble minéral, caractéristique de l’œuvre de l’artiste, qui bouche tout l’arrière plan et par l’expression retenue de ses personnages. Ces différents éléments font que la composition manque certes de respiration mais Jouvenet montre ici une fois encore que dans la querelle qui opposait partisans de la couleur et ceux du dessin, il se pose en intermédiaire. Fidèle à la tradition classique il est également un savant et subtil coloriste maniant en particulier avec bonheur l’une de ses couleur favorite, le bleu de cobalt. L’artiste qui fut aussi un brillant portraitiste, réalise sur cette composition plusieurs belles figures et en particulier « ces belles têtes de vieillards très typiques de sa production » mentionnées par Schnapper. Dans cette œuvre Jouvenet réaffirme son admiration pour Poussin, le modèle de ses débuts, à ce titre Schnapper a évoqué l’emprunt direct pour la représentation du cavalier au Martyre de Saint Erasme peint par Poussin vers 1628 pour Saint-Pierre de Rome (Rome musée du Vatican).
Ce tableau présente des analogies étroites de mise en page avec une composition de même sujet proposée en 1686 par Louis de Boulogne pour le May des Orfèvres mais qui ne fut pas retenue.
Ce que je vois
« Une œuvre silencieuse, empreinte de recueillement » peut-on lire dans la recension. Et pourtant, plusieurs éléments indiquent une certaine agitation : le ciel pommelé, le cheval qui se cabre ou les gestes des personnes. Mais il me semble surtout curieux de voir qu’à l’œil, on peut repérer trois parties à l’œuvre. Une architecture à droite éclairée par la lumière, une autre à gauche dans la pénombre, et le groupe autour du Christ. Et ces trois parties semblent, si ce n’est unifiées, au moins réunies par le grand étendard bleu sur lequel on distingue en lettre d’or le SPQR (« Senatus Populus Que Romanus » : Le Sénat et le Peuple Romain).
Donc, à droite, une architecture dans la lumière. Un fronton triangulaire d’entrée, comme pour une église romaine. Mais cela semble plutôt un palais accolé à une muraille plus ancienne, terminée par une tour ronde et crénelée. Les pierres équarries sont blondes sous le rayon solaire et donne une profondeur à la scène. ce qui n’est pas le cas de l’architecture à gauche. On a du mal à la lire. Un fait, une sorte de balcon couvert qui abrite deux personnages (dont un romain casqué) qui observent ce qui se passe dans la rue. Derrière, on voit à travers l’arche une maison d’habitation, sorte de HLM de l’époque !
Et enfin, ce groupe attroupé au premier plan. Au sol, le Centurion a jeté armes et baudrier. Revêtu de la chlamyde, il est à genoux devant le Christ et lui désigne ses armes en signe de soumission. Et pourtant, l’évangile ne dit pas qu’il ait rencontré le Christ, du moins chez Luc. Chez Matthieu, il vient à sa rencontre (Mt 8, 5-13) et chez Jean, c’est un dignitaire de la cour, et non un centurion. Il lui envoie d’abord des notables, puis des amis. Mais il ne va pas en personne à la rencontre du Seigneur. Alors qu’ici il vient avec sa troupe, plusieurs soldats, dont son héraut à cheval, et un autre officier qui tient son casque en main. Il est vrai que sa présence, même non décrite dans le texte, donne plus de relief et de vigueur à ce que le peintre vont montrer. Il permet surtout d’identifier la scène. Au tour de Jésus, les notables juifs, certainement les deux hommes âgés barbus, qui le défendent. Et peut-être un de ses amis qui est stupéfait du geste de soumission : il a les mains écartées, comme les disciples d’Emmaüs devant Jésus qui disparaît (voir les deux tableaux du Caravage).
Jésus est habillé d’une tunique rose recouverte d’un ample manteau bleu cobalt. La tête auréolée de rayons lumineux, il désigne un des notables juifs de la main droite tandis que l’autre main semble inviter le centurion à se relever. Sur son visage, un léger sourire de respect et de tendresse.
Quel respect !
Jésus arrive donc à Capharnaüm, à une quarantaine de kilomètres de Tibériade d’où il semble venir. Un homme lui envoie des notables juifs : il y a urgence, un de ses serviteurs se meurt. Cet homme n’est pas n’importe qui, c’est un centurion de l’armée romaine occupante. Il commande une centaine de légionnaires et pourrait correspondre à un officier du grade de capitaine. Bref, un haut personnage ! Et ce sera certainement l’humilité d’un tel notable, qui plus officier de l’armée victorieuse et occupante, qui touchera le Christ.
Son humilité se traduit par son respect. Il n’ose pas venir lui-même faire sa demande à Jésus, non par orgueil s’estimant indigne de par sa fonction de se déplacer jusqu’à cet homme, mais à l’inverse, par respect. Il se sent tellement petit face au Fils de Dieu qu’il préfère lui envoyer des intermédiaires. Intermédiaires dans tous les sens du terme : car ils sont de la même nation que le Christ, de la même foi, du même sérail pourrait-on dire.
Pourquoi Jésus ?
On pourrait se demander pourquoi il s’adresse à Jésus. La médecine romaine est-elle mauvaise ? N’a-t-il pas à sa disposition quelque disciple d’Esculape pour soigner et guérir son serviteur ? Et puis, après tout, ce n’est qu’un esclave (δούλος, doulos en grec) ! Mais, il doit y tenir... Son attitude est plus teinte d’humanité que de « propriété ». Alors, ne sachant peut-être plus à quel saint se vouer, il tente la dernière chance. Il a entendu parler de cet homme (verset 3). Qu’est-ce qu’on lui en a dit ? Le texte ne le précise pas. Mais il doit avoir foi en sa puissance pour aller le déranger. Au risque de se faire rabrouer, puisqu’il n’ose y aller lui-même. Il doit tellement tenir à son serviteur qu’y aller ne devait pas être un obstacle. Mais, il semble sentir intuitivement que cet homme vaut bien plus que lui.
Dignité
À un tel point, qu’à la deuxième délégation, il avouera par le messager son indignité. C’est superbe verset que nous reprenons à la messe avant de communier : « Seigneur, ne prends pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. C’est pourquoi je ne me suis pas autorisé, moi-même, à venir te trouver. » À part que pour nous, c’est comme si nous étions le malade qui demande à Jésus de venir sous son toit pour nous guérir de notre mal, notre péché, et notre indignité ! On pourrait aussi se demander pourquoi il envoie une seconde délégation. Est-ce trop long ? L’homme va-t-il mourir incessamment ? Ou se sent-il, dans son désespoir, le droit d’insister auprès de Jésus, telle la veuve devant le Juge (Lc 18, 3-8) :
Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.” Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” » Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice ! Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Intéressant de mettre ses deux textes en rapport. Car apparaît la question de la foi... Et il est vrai que Jésus n’a pas fait attendre le Centurion : il s’est mis immédiatement en route après la demande des notables juifs (verset 6). Il sera moins preste avec Marthe et Marie à la mort de Lazare (Jn 11, 1-45)... Mais Jésus, dans cet évangile de la veuve importune, se demande s’il trouvera la foi sur la terre à sa venue glorieuse. Cependant, il avait eu une réponse avec le centurion.
La foi du centurion
Il doit bien avoir la foi cet homme-le. Déjà, on ne fait pas construire une synagogue dans le pays qu’on occupe. À la limite, un temple à Jupiter, mais pas au dieu des hébreux, même si les romains étaient ouverts aux autres cultes. Mais pas au point de s’empêcher de détruire le temple quelques années plus tard. Ou alors, l’a-t-il faite construire dans un but politique, pour amadouer le peuple. Mais il n’est pas César, ni même le préfet. Nul besoin de faire de la politique. Sûrement par bonté. Et aussi parce qu’il aime ce pays et le peuple juif (verset 5). Peut-être même a-t-il fait une petite place à la foi au Dieu unique en son coeur...
Mais Jésus va vite comprendre qu’il n’a pas affaire à un opportuniste. Il est en chemin avec les notables. De quoi parlent-il ? peut-être s’informe-t-il sur le centurion. Qui est donc cet homme ? Que fait-il auprès de vous ? Pourquoi a-t-il voulu construire une synagogue ? Et arrive une deuxième délégation. Pas pour les presser. Ce sont des amis du centurion. Non, pour les ralentir, voire les arrêter. Il n’ose pas les accueillir chez lui. Qui est-il pour recevoir ce Jésus qui a une telle réputation dans la région ? Il n’est rien, lui, un pauvre soldat romain. Il n’ose pas, il a peur. Il est même terrorisé de se trouver face au maître.
Explications
Alors, il lui explique. Simplement. Avec ces mots. Ou plutôt avec son vocabulaire militaire. Moi, mes soldats doivent obéir, comme moi j’obéis à mes chefs. Ce sont mes subordonnés qui viennent à moi sur mon ordre et pas l’inverse. Alors, moi qui suis ton subordonné, pour ne pas dire ton serviteur, tu n’as pas à venir jusqu’à moi. Ordonne, cela suffira, et mon serviteur sera guéri.
La foi grandit tellement en cet homme lorsque Jésus approche, que le serviteur (δούλος, esclave) est devenu son enfant (παις, enfant, fils) au verset 7. Est-ce aussi ce changement de statut qui a touché Jésus. Le centurion a maintenant des fils plutôt que des esclaves. Le rayonnement de Jésus l’a déjà transformé. D’une foi faisant appel au thaumaturge, cet homme a découvert la foi en l’amour de l’autre. Et du coup, nul besoin de la présence physique de Jésus. J’ai confiance en toi, Jésus. Je sais que tu vas faire pour le mieux, pour le bien, non de moi centurion, mais de mon enfant. Je crois en toi, Logos, en ta parole (verset 7). Je sais que ta parole guérit. Dis seulement une parole... Je n’ai pas besoin d’un miracle pour croire en toi. J’y crois. Mais si mon serviteur, mon fils, mon enfant s’en portait mieux, je serai en joie.
L’efficacité de la Parole
Et Jésus est touché, certainement même bouleversé. Il est admiratif de cet homme qui croit en lui avant même qu’il n’ait fait un miracle. Ce centurion n’a pas besoin de signes et de prodiges. Il croit, c’est tout ! Il n’a pas fait des signes une condition de sa foi. Mais plutôt l’inverse : il fait de sa foi le porteur des signes du Verbe. C’est parce qu’il croit, comme pour Marthe et Marie (« Crois-tu cela ? ») que le signe s’opère. La Parole du Christ est efficace...
Et il se retourne. Il s’adresse à ceux qui le suivent. Non pas les notables juifs, non pas les amis du Centurion. Mais la foule. La foule qui a soif de signes et de prodiges. Et chez Matthieu, Jésus insiste encore plus (Mt 8, 10-12) :
À ces mots, Jésus fut dans l’admiration et dit à ceux qui le suivaient : « Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. Aussi je vous le dis : Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des Cieux, mais les fils du Royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors ; là, il y aura des pleurs et des grincements de dents. »
Il semble excédé. Comme s’il leur disait, ou plutôt nous disait : Croyez ! Croyez avant de demander des signes. Et en plus, vous avez déjà tout reçu. Vous avez la grâce en vous. Vous avez la chance de marcher avec moi. Vous avez la Parole de Dieu avec et en vous. Et vous ne croiriez qu’avec les signes ? Les prodiges sont nécessaires pour sceller votre foi ? Pauvres de vous... Pauvres de vous parce que les païens, eux, croient en moi, avant de croire en ce que je fais. Comme s’il tentait de provoquer une réaction d’agacement en nous : Mais si, Seigneur, tu le sais bien, nous croyons en toi. N’a-t-il pas fait la même chose avec Pierre (Jn 21, 15-19) :
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes agneaux. » Il lui dit une deuxième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le pasteur de mes brebis. » Il lui dit, pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »
En fait, ne nous invite-t-il pas à croire, à avoir une foi qui accepte même ce qui est l’inverse d’un signe ou d’un prodige, et qui pourtant est le plus pur des signes ? La Christ crucifié, le signe de la Croix !
Alors que les Juifs réclament des signes miraculeux, et que les Grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes. Mais pour ceux que Dieu appelle, qu’ils soient Juifs ou Grecs, ce Messie, ce Christ, est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. (1 Cor 1, 22-24)
La foi du centurion
Ce qui frappe d’abord chez cet homme, c’est la conscience de sa petitesse. Il est vrai que le centurion se trouve dans la position de quelqu’un qui crie sa peine et qui a besoin d’être aidé : il tend la main vers Jésus. Il sent qu’il n’a pas le moindre droit sur Jésus, qu’il ne peut même pas exiger sa visite. Il se tient à la toute dernière place, à peine sur le seuil, et confesse sa petitesse devant Jésus : "Seigneur, je ne suis pas digne que tu viennes sous mon toit".
Le second élément qui frappa dans l’attitude du centurion est sa confiance illimitée en Jésus. Une conviction aussi ferme n’est possible que parce que le centurion pressent qu’un lien personnel existe déjà entre Jésus et lui. Il a compris que Jésus allait faire cela pour lui. Croire que Jésus le fera, parce qu’il est bien disposé envers lui, montre que le coeur du centurion s’est ouvert à Jésus. Il s’agit peut-être déjà d’un début d’amitié.
Le centurion est finalement conscient de la puissance qui habite la parole de Jésus : "Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri". Il pense qu’il est inutile que Jésus vienne en personne ; il suffit qu’il donne un ordre. Le centurion se rapproche déjà très fort de l’abandon et de l’obéissance de foi que tout Juif essaie de vivre à l’égard de la Parole de Dieu et de la puissance qui s’y cache. Sa foi était avant toute autre chose confiance en Jésus et abandon à sa Parole, et cela jusqu’à l’obéissance.
André LOUF, Au gré de sa grâce (DDB)
Homélie de saint Augustin (+ 430), Sermon 62, 1.3-4, PL 38, 414-416.
Dans l'évangile qui vient d'être lu, nous avons entendu Jésus faire l'éloge de notre foi vécue dans l'humilité. Quand le Seigneur lui eut promis de se rendre chez lui pour y guérir son serviteur, le centurion répondit : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri (Mt 8,8). En faisant l'aveu de son indignité, il s'est rendu digne de la visite du Christ dans son coeur plutôt que dans sa demeure.
Ces paroles, si pleines de foi et d'humilité, le centurion ne les aurait pas prononcées s'il n'avait pas déjà accueilli dans son coeur celui qu'il craignait de laisser entrer dans sa maison. D'ailleurs, aurait-il été tellement heureux d'accueillir le Seigneur dans son habitation, sans l'avoir en même temps dans son coeur ? Celui qui nous a enseigné l'humilité par sa parole et son exemple est allé manger, il est vrai, chez un pharisien orgueilleux appelé Simon. Le Fils de l'homme s'est bien attablé chez lui, mais il n'a trouvé dans son coeur aucune place où reposer la tête (cf. Lc 7,36). <>
Pourtant, sans entrer dans la maison du centurion, il a pris possession de son coeur. <> A celui qui a dit : Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, le Seigneur a répondu: Amen, je vous le déclare, je n'ai trouvé une telle foi chez personne en Israël (Mt 8,10), c'est-à-dire dans l'Israël terrestre ; cet homme, en effet, appartenait déjà à l'Israël spirituel. Le Seigneur était venu chez les Juifs, l'Israël selon la chair, pour chercher d'abord les brebis perdues de ce peuple, dans lequel et duquel il avait pris corps. Or, il dit lui-même : Je n'y ai pas trouvé une telle foi.
Nous pouvons évaluer la foi des hommes dans la mesure du possible. Mais celui qui voit le fond des coeurs et que personne ne peut tromper, a rendu témoignage aux dispositions intérieures d'un homme qui lui avait manifesté son humilité, et il a prononcé une sentence de guérison.
Comment donc cette confiance est-elle venue au centurion ? "Ainsi, dit-il, moi qui suis soumis à une autorité, j'ai des soldats sous mes ordres. Je dis à l'un : 'Va', et il va. A un autre 'Viens', et il vient, et à mon esclave : 'Fais ceci', et il le fait (Mt 8,9). J'exerce un pouvoir sur mes subordonnés et je suis moi-même soumis à une autorité supérieure. Si donc moi, un subordonné, j'ai le pouvoir de donner des ordres, que ne pourras-tu pas faire, toi, de qui dépendent toutes les puissances ?"
Cet homme, venu de chez les païens, était centurion. <> Ce soldat de métier réglait sa conduite dans les limites de son pouvoir de centurion. Soumis à une autorité, il exerçait également l'autorité. Il obéissait en tant que subordonné et il commandait à ses subordonnés. Le Seigneur, lui, <> appartenait au peuple juif. Mais il proclamait déjà qu'il enverrait ses Apôtres dans le monde entier pour y établir l'Église. Sans le voir, les païens ont cru en lui, tandis que les Juifs, qui l'avaient vu, l'ont mis à mort.
Le Seigneur n'est donc pas allé chez le centurion, mais il a fortifié sa foi. Sans y entrer, il a fait sentir sa divine présence dans cette maison et lui a apporté la guérison. De la même manière, le Seigneur n'est apparu visiblement que dans le peuple juif. Aucun autre peuple ne l'a vu naître d'une vierge, souffrir, marcher, supporter toutes les vicissitudes de l'existence humaine, ni accomplir des merveilles divines. Il n'a fait aucune de ces choses parmi les autres peuples, et pourtant ce qui avait été prophétisé de lui s'est accompli : Un peuple d'inconnus m'est asservi. Comment était-ce possible, puisque ces hommes ne l'ont pas connu ? Au premier mot ils m'obéissent (Ps 17,44-45). C'est le monde entier qui a entendu et qui a cru.
Prière
Seigneur notre Dieu, nous nous sommes engagés envers toi depuis longtemps, mais notre foi n'est pas aussi grande que celle du centurion. Malgré notre indignité, entre dans notre coeur et rends plus ferme notre foi, pour qu'elle puisse faire l'admiration de Jésus Christ, notre Seigneur. Lui qui règne.