Mortelle promesse

Jephté et sa fille
Sir John Everett Millais (Southampton, 1829 - Kensington, 1896)
Huile sur toile, 127 x 162,7 cm, 1867
National Museum of Wales, Cardiff (Royaume-Uni)
Lecture du livre des Juges (Jg 11, 29-39a)
En ces jours-là, Jephté était un vaillant guerrier. L’Esprit du Seigneur s’empara de lui, et il traversa les pays de Galaad et Manassé, et Mispa de Galaad. De là il passa la frontière des fils d’Ammone. Jephté fit alors ce vœu au Seigneur : « Si tu livres les fils d’Ammone entre mes mains, la première personne qui sortira de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai victorieux appartiendra au Seigneur, et je l’offrirai en sacrifice d’holocauste. » Jephté passa chez les fils d’Ammone pour les attaquer, et le Seigneur les livra entre ses mains. Il les battit depuis Aroër jusqu’à proximité de Minnith et jusqu’à Abel-Keramim, soit le territoire de vingt villes. Ce fut une très grande défaite, et les fils d’Ammone durent se soumettre aux fils d’Israël. Lorsque Jephté revint à Mispa, comme il arrivait à sa maison, voici que sa fille sortit à sa rencontre en dansant au son des tambourins. C’était son unique enfant ; en dehors d’elle, il n’avait ni fils ni fille. Dès qu’il l’aperçut, il déchira ses vêtements et s’écria : « Hélas, ma fille, tu m’accables ! C’est toi qui fais mon malheur ! J’ai parlé trop vite devant le Seigneur, et je ne peux pas reprendre ma parole. » Elle lui répondit : « Mon père, tu as parlé trop vite devant le Seigneur, traite-moi donc selon ta parole, puisque maintenant le Seigneur t’a vengé de tes ennemis, les fils d’Ammone. » Et elle ajouta : « Je ne te demande qu’une chose : laisse-moi un répit de deux mois. J’irai dans les montagnes pour pleurer ma virginité avec mes amies. » Il lui dit : « Va ! » Et il la laissa partir pour deux mois. Elle s’en alla donc, avec ses amies, dans la montagne, et pleura sa virginité. Les deux mois écoulés, elle revint vers son père, et il accomplit à son égard le vœu qu’il avait prononcé.
Méditation
Jephté : Mais qu’est-ce qui m’a pris de faire cette promesse !? Tout ça pour gagner une bataille de plus. Et en plus, quel pari stupide. Si au moins, j’avais dit au Seigneur : « Si nous gagnons, je te construirai un autel, ou je ferai des offrandes, ou je m’occuperai des pauvres ». Non ! Pour gagner, je suis prêt à donner une vie, et qui en plus n’est pas la mienne. L’orgueil m’a rongé le coeur… Mais le Seigneur m’a puni de ma bêtise : je me vois dans l’obligation d’offrir ma fille. Je ne peux pas revenir sur ma promesse : je l’ai faite au Seigneur. Si je ne la respecte pas, les malheurs s’abattront sur moi, ma famille et mon peuple. Il va me falloir sacrifier mon enfant. À la différence d’Abraham, je ne le ferai pas sur demande de Dieu qui voulait mettre à l’épreuve sa foi. Non, moi je le ferai parce que je me crois le meilleur, que rien ne me résiste et que je suis suffisamment fort et intelligent pour mettre à l’épreuve Dieu. Comme pour Isaac, je vais devoir lier ma pauvre fille sur le bois du sacrifice… Comme le dit le psalmiste : je tombe dans le trou que j’avais moi-même creusé…
La fille : Mon pauvre père… Mon pauvre père qui se trouve pris à son propre piège. Mais pourquoi l’accablerai-je de mes cris ou de mes pleurs ? Non ! Il vaut mieux se résigner… C’est sûrement la volonté de Dieu. En fait, je ne me résigne pas : je m’offre. Je m’offre pour lui, pour le peuple et pour Dieu. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime…
Jephté : Je ne suis pas digne d’avoir une telle fille. Elle venait à moi avec ses compagnes, chantant au tambourin ma victoire. Et voilà qu’elle fait mon malheur… Mais je suis bien injuste ! C’est moi qui fait son malheur… Et voilà qu’elle va me quitter deux fois… Une première fois pour aller se préparer au sacrifice. Deux mois de souffrance pour moi. Puis l’ultime fois où elle se livrera au bras vengeur de ma bêtise…
La fille : Deux mois pour me préparer avec mes compagnes. Deux mois de retraite au loin pour préparer mes yeux à contempler mon Sauveur ; pour préparer mon coeur à accueillir son amour car je sais que j’ai du prix à ses yeux ; deux mois pour le prier pour mon père afin qu’Il ne lui en tienne pas rigueur ; deux mois pour préparer mon corps à la transfiguration car je sais que Dieu ne me laissera pas mourir définitivement mais m’ouvrira les portes de son royaume.
Jephté : Ô mon peuple, ô mes amis, ô mes frères… Jamais, ô grand jamais, ne laissez votre orgueil guider votre langue. Jamais ne faites de promesses inconsidérées. Jamais ne défiez Dieu. Jamais ne faites d’autres promesses que celle de faire la volonté de Dieu. Toujours, priez-le de vous donner l’humilité et la générosité. Toujours, priez-le de vous revêtir de sa sagesse. Toujours, servez-le dans l’allégresse. Toujours, laissez-vous illuminer de sa Parole. Toujours, contemplez sa Face et vous saurez ce que vous devez dire, penser, et faire. Oui, toujours, apprenons à le servir sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons sa sainte volonté.