Ton Dieu, c’est lui qui te délivrera ! -

Daniel répond au roi,
Briton Rivière (Londres, 1840 - Londres, 1920),
Huile sur toile, 120,5 x 187,9 cm, 1890,
Manchester Art Gallery, Manchester (Royaume-Uni)
Lecture du livre du prophète Daniel (Dn 6, 12-28)
En ces jours-là, les hommes qui avaient comploté contre Daniel se précipitèrent et le surprirent en train de prier et de supplier en présence de son Dieu. Ils allèrent trouver le roi et lui dirent : « N’as-tu pas fait mettre par écrit cette interdiction : Tout homme qui, dans les trente jours à venir, adressera une prière à un dieu ou à un homme autre que le roi, sera jeté dans la fosse aux lions ? » Le roi répondit : « Oui, c’est la décision que j’ai prise. Et, selon la loi des Mèdes et des Perses, elle est irrévocable. » Ils dirent alors au roi : « Daniel, un des déportés de Juda, ne tient compte ni de toi, ni de ton interdiction, ô roi ; trois fois par jour, il fait sa prière. » En apprenant cela, le roi fut très contrarié et se préoccupa de sauver Daniel. Jusqu’au coucher du soleil, il chercha comment le soustraire à la mort. Les mêmes hommes revinrent à la charge auprès du roi : « N’oublie pas, ô roi, que, selon la loi des Mèdes et des Perses, toute interdiction, tout décret porté par le roi est irrévocable. » Alors le roi ordonna d’emmener Daniel, et on le jeta dans la fosse aux lions. Il dit à Daniel : « Ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, c’est lui qui te délivrera ! » On apporta une plaque de pierre, on la plaça sur l’ouverture de la fosse ; le roi la scella avec le cachet de son anneau et celui des grands du royaume, pour que la condamnation de Daniel fût irrévocable. Puis le roi rentra dans son palais ; il passa la nuit sans manger ni boire, il ne fit venir aucune concubine, il ne put trouver le sommeil. Il se leva dès l’aube, au petit jour, et se rendit en hâte à la fosse aux lions. Arrivé près de la fosse, il appela Daniel d’une voix angoissée : « Daniel, serviteur du Dieu vivant, ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, a-t-il pu te faire échapper aux lions ? » Daniel répondit : « Ô roi, puisses-tu vivre à jamais ! Mon Dieu a envoyé son ange, qui a fermé la gueule des lions. Ils ne m’ont fait aucun mal, car j’avais été reconnu innocent devant lui ; et devant toi, ô roi, je n’avais rien fait de criminel. » Le roi ressentit une grande joie et ordonna de tirer Daniel de la fosse. On l’en retira donc, et il n’avait aucune blessure, car il avait eu foi en son Dieu. Le roi ordonna d’amener les accusateurs de Daniel et de les jeter dans la fosse aux lions, avec leurs enfants et leurs femmes ; or, avant même qu’ils soient au fond de la fosse, les lions les avaient happés et leur avaient broyé les os. Alors le roi Darius écrivit à tous les peuples, nations et gens de toutes langues, qui habitent sur toute la terre : « Que votre paix soit grande ! Voici l’ordre que je donne : Dans toute l’étendue de mon empire, on doit trembler de crainte devant le Dieu de Daniel, car il est le Dieu vivant, il demeure éternellement ; son règne ne sera pas détruit, sa souveraineté n’aura pas de fin. Il délivre et il sauve, il accomplit des signes et des prodiges, au ciel et sur la terre, lui qui a sauvé Daniel de la griffe des lions. »
Méditation
Briton Rivière nous offre un très beau et original tableau. Rares sont les représentations de Daniel parlant au roi, alors que les fauves se tiennent à distance, assagis, et semblant même en vouloir au roi, protégeant leur nouveau maître. Ce maître, Daniel, n’est plus un enfant comme on le représente habituellement, mais un homme mûr, au crâne dégarni, et encore couvert d’une riche tunique bleue parsemée de rubans dorés. Il est dans cette fosse, qui ressemble plus à une cave à charbon en briques. Mais c’est lui qui était destiné à être le charbon broyé par la dent des fauves. Il n’en reste pas moins serein et digne, la tête levée vers le haut de la trappe écoutant un roi qu’on ne voit pas.
Un roi qui doit lui en vouloir pour avoir dénoncé son règne et la fin inéluctable que la sentence écrite sur le mur avait annoncé. Un roi qui n’a toujours pas compris la leçon et qui s’enferre dans son orgueil démesuré. Alors, le moindre petit écart devient occasion pour se débarrasser de cet importun. Et la cour du roi, tous ces faquins qui ne vivent que de ses largesses, ont la dent encore plus dure contre Daniel que les lions ! Ils font feu de tout bois et obligent ainsi le roi à jeter le prophète aux bêtes : Dura lex, sed lex !
Pourtant, un germe pousse discrètement dans le coeur du roi : le germe du repentir. Même s’il ne s’est pas encore converti au Dieu de Daniel, il commence à entrevoir sa force. La foi naît peut-être de la terreur, de la peur du jugement. C’est vrai, mais est-ce une foi solide en ce cas ? Il est tellement hésitant sur la marche à suivre et sur cet embryon de foi, qu’il prend une sorte d’assurance auprès de Daniel en lui disant : « Ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, c’est lui qui te délivrera ! » Ce n’est pas encore SON Dieu, mais il commence à croire en son efficacité. À condition de le servir avec constance, et pas par à-coup.
Et ce germe pousse… Il pousse même la nuit, moment des songes, empêchant le roi de manger et de dormir. Ce n’est plus Dieu qui inspire un songe, c’est le roi qui songe à ce qu’il vient de faire. Dieu sait que la nuit est le moment idéal où l’obscurité nous masque les détails insignifiants et nous met face à nous-mêmes…
Au petit matin, il court vers la fosse et crie d’en haut (ce que le tableau nous montre) : « Daniel, serviteur du Dieu vivant, ton Dieu, que tu sers avec tant de constance, a-t-il pu te faire échapper aux lions ? » « Ton Dieu » de la première fois est devenu « le Dieu vivant »… Et Daniel est sauf ! Soulagement pour le roi. Une joie qui vient du soulagement. Ce n’est pas encore une louange de foi. Mais le germe continue de pousser, doucement, discrètement, malgré un temps de vengeance envers ceux qui l’avaient poussé à commettre ce crime, les jetant eux-mêmes dans la fosse. Les prophéties des psaumes se réalisent (Ps 7, 15) : « Qui ouvre une fosse et la creuse tombera dans le trou qu'il a fait » et (Ps 56, 5-7) : « Je suis au milieu de lions et gisant parmi des bêtes féroces ; ils ont pour langue une arme tranchante, pour dents, des lances et des flèches. Dieu, lève-toi sur les cieux : que ta gloire domine la terre ! Ils ont tendu un filet sous mes pas : j'allais succomber. Ils ont creusé un trou devant moi, ils y sont tombés. »
Et voici qu’enfin, « ton Dieu » devient le Dieu de tout son peuple, comme il le proclame dans cette missive « catholique » (universelle) : « Que votre paix soit grande ! Voici l’ordre que je donne : Dans toute l’étendue de mon empire, on doit trembler de crainte devant le Dieu de Daniel, car il est le Dieu vivant, il demeure éternellement ; son règne ne sera pas détruit, sa souveraineté n’aura pas de fin. Il délivre et il sauve, il accomplit des signes et des prodiges, au ciel et sur la terre, lui qui a sauvé Daniel de la griffe des lions. »
N’est-il pas vrai, en lisant cette histoire, que l’on comprend que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, et qu’il lui laisse toujours la possibilité de la conversion. Et sa grâce fait qu’il ne nous demande même pas une conversion immédiate, radicale, mais qu’il est suffisamment patient pour laisser le temps au temps de la conversion, de la poussée du germe de la foi. Mais si Dieu est patient, nous, le sommes-nous ? Le rêvons-nous avec constance, celui que nous appelons le Dieu vivant ?