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VI - La Transfiguration : conclusion


Je voudrais conclure par un petit clin d’oeil à François et Emanuela qui doivent connaître cette mosaïque de Marco Rupnik (qui fut mon professeur) :



La Transfiguration

Marco Rupnik (né en 1954 à Idrija), jésuite

Mosaïque, 2002

Église des saints Jacques et Jean, Milan (Italie)


Un seul mot de conclusion : puissions-nous comprendre que l’art est une porte d’entrée, et même un athanor...


L’athanor

Le grand rêve des alchimistes du Moyen-âge était de créer la pierre philosophale qui leur permettrait de changer le plomb en or. Pour cette transformation mythique, ils avaient besoin d’un four adéquat qu’on appelait un athanor (le terme vient de l’arabe et désigne un fourneau). Au cours des siècles, la recherche continua, le four se perfectionna, mais le vil métal ne devint jamais noble…


L’église, tant bâtiment qu’institution issue du Christ, n’a-t-elle pas le même objectif : transformer le vil plomb, si lourd et si impur de chaque homme, en un métal précieux, en or de la sainteté, en un trésor inestimable (Lc 12, 34) ? Et pour cela, elle a aussi besoin de son fourneau, de son athanor mystique où pourra s’effectuer cette conversion. Cet athanor s’appelle l’église, ce bâtiment en lequel la liturgie, aidée de tous ses principes actifs, va pourvoir transformer l’homme pécheur en fils de Dieu, en frère de Jésus, en homme habité par l’Esprit. Et ce rêve n’est pas vain comme celui des alchimistes, il se joue à tout instant sur la terre.



Alchimiste dans son laboratoire à la recherche de la pierre philosophale

Michael Maier (Rendsburg, 1568 - Magdeburg, 1622)

Gravure du "Tious Aureus », 1618


Décrépitude ?

Pourtant, l’opération ne semble plus porter autant de fruits qu’auparavant… Le plomb est-il de moindre qualité ? Possible dans un monde où la majorité définit la vérité. Mais n’est-ce pas aussi, et surtout, que l’athanor manque de flammes, que les principes actifs n’y sont plus versés, et que nous l’ayons tellement négligé au cours des derniers siècles qu’il a fini par rouiller et se percer ? La conversion mystique ne s’effectue plus correctement, par manque de chaleur, par les fuites qui laissent passer l’air vicié, par les acteurs qui n’y croient plus vraiment, par un discours qui nivelle la charité en solidarité ou le salut en bien-pensance ou par oubli des principes actifs (pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple, se dit-on comme justification)…


Et doucement l’athanor se refroidit, au risque de l’extinction. D’athanor mystique, il est devenu athanor moral. D’athanor où tous les plombs y étaient versés, on a laissé chacun se faire son propre petit fourneau où il se cuisine une petite bouillabaisse personnelle. De communautaire, il est devenu individuel. Alors, certains constatant l’affadissement du processus ont essayé de fabriquer, parfois en groupe, un nouvel athanor. Mais n’étant pas construit sur les plans du Créateur, ils ne réussirent qu’à faire des groupes aux paroles parfois coruscantes mais masquant souvent une grande pauvreté. D’autres ont été voir d’autres fabricants, en Inde ou en Islam… Les fumées furent enivrantes… Ou le résultat fut sanglant… Ce n’étaient pas les plans du Créateur !


Oh, bien sûr, il fallait dépoussiérer, nettoyer les scories accumulées au cours des siècles, peut-être même boucher les ouvertures pratiquées par les grandes tempêtes de notre histoire. Peut-être fallait-il même le moderniser, faire des « update » qu’on appelle conciles. Était-il nécessaire pour autant de le repeindre, d’enlever un grand nombre de principes actifs et de tellement racler la rouille qu’on a pu entamer le métal ?


Allégorie

Tout cela mérite peut-être quelques explications sinon l’allégorie risque de rester absconse. L’athanor est notre église (il me semble tout autant ridicule que dangereux de séparer les deux sens de ce terme : bâtiment ou Corps du Christ qui ne font qu’un). Un athanor dans lequel on verse des principes actifs comme la lumière ou des sons, des tissus ou des objets. Un athanor dont les parois sont recouvertes de fresques, de peintures ou de statues. Le plomb : nous-mêmes, chrétiens. Un grand alchimiste (plus qu’un horloger !) : notre Dieu Trine. Des assistants de laboratoire : le clergé qui doivent respecter un processus qu’on appelle rituel. Et l’on tourne, on remue la matière, on la fait chanter, on lui parle, on l’écoute. Ses cinq sens s’épanouissent et sont menés à leur terme. N’est-ce pas une liturgie, une oeuvre publique ? Tout cela pour que la transformation au plus profond des coeurs se fasse sous la flamme de l’Esprit. Et à un moment, que nul ne maîtrise, l’étincelle se fait, la fissure se créé, mais non une fissure dans l’athanor, une fissure dans les coeurs qui permet à la Gloire de Dieu de pénétrer en nous. Il frappe et attend qu’on lui ouvre comme dit l’Apocalypse (Ap 3, 20). Une étincelle provoquée aussi pour tous les arts qui tapissent l’athanor, ces arts dans toutes leurs formes possibles qui laissent aussi, par leurs propres fissures passer la lumière de la Gloire de Dieu.


Les arts

Quels arts, me direz-vous ? Les arts dans toutes les dimensions possibles : architecture, peinture, sculpture, décor et ornementation, musique, paramentique, joaillerie, orfèvrerie, mobilier, verrerie, etc. Ils sont nombreux et aident à la théâtralité de ce qui se vit. N’ayons pas peur de ce mot, car toute liturgie est un spectacle, quelque chose qui se donne à voir et qui donne à voir l’invisible. La liturgie est ce croisement mystique entre le visible et l’invisible. Et n’utilise-t-elle pas les mêmes éléments que le théâtre : costumes, décors, dialogues et didascalies, mouvements, rythmes ? Mais elle diffère de la règle des trois unités de Boileau (Art poétique, 1674) : « Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli », unités de temps, de lieu et d’action. Car lors de la liturgie, la temporalité devient éternité, le lieu devient Paradis (pour ne pas dire utopie), l’action devient performance, et même performative : la parole se fait chair.


Ars liturgica

Effectivement, l’art liturgique est un aboutissement. L’art profane, comme son nom l’indique est devant le sacré. L’art religieux permet de se remémorer quelque dévotion. L’art sacré illustre des faits de l’Histoire sainte. Mais ces trois étapes sont sans vie, sans mouvement, sans être, sans présence. L’art liturgique, lui, donne vie. Il rend présent le Christ sous nos yeux et en nos coeurs. Il est l’art qui transcende les arts. Entre l’avènement du Christ dans la chair (Noël) et sont avènement dans la Gloire (les fins dernières), se glisse cet avènement en nos coeurs qui ne peut se faire sans cet athanor mystique. C’est ainsi que l’on doit comprendre la célèbre citation de Cyprien de Carthage : « Extra Ecclesiam nulla salus. Hors de l’Église, point de salut ». L’art liturgique, en cet athanor, est le canal de ce salut que nous espérons, comme l’a confirmé le Concile Vatican II dans la Constitution Lumen Gentium n°14 : « le salut en Jésus ne s'opère pas sans le corps qu'il s'est formé, l’Église ».



Bibliographie

  • Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, Paris, 1957

  • Joie de la Transfiguration, textes présentés par Dom Michel Coune, Abbaye de Bellefontaine, 1985

  • Isabel de Andia, Mystiques d’Orient et d’Occident, Abbaye de Bellefontaine, 1994

  • Bible chrétienne, Mère Élisabeth de Solms, Éditions Anne Signer, 1990

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