Jésus, Fils de David, aie pitié de moi -

L’aveugle de Jéricho,
Nicolas Poussin (Les Andelys, 1594 - Rome, 1665),
Huile sur toile, 119 x 176 cm, 1650,
Musée du Louvre, Paris (France)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 18, 35-43)
Alors que Jésus approchait de Jéricho, un aveugle mendiait, assis au bord de la route. Entendant la foule passer devant lui, il s’informa de ce qu’il y avait. On lui apprit que c’était Jésus le Nazaréen qui passait. Il s’écria : « Jésus, fils de David, prends pitié de moi ! » Ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour le faire taire. Mais lui criait de plus belle : « Fils de David, prends pitié de moi ! » Jésus s’arrêta et il ordonna qu’on le lui amène. Quand il se fut approché, Jésus lui demanda : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Il répondit : « Seigneur, que je retrouve la vue. » Et Jésus lui dit : « Retrouve la vue ! Ta foi t’a sauvé. » À l’instant même, il retrouva la vue, et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu. Et tout le peuple, voyant cela, adressa une louange à Dieu.
Méditation
Combien d’hommes et de femmes ont bien pu crier dans l’évangile ? Ce même cri de détresse que l’on retrouve si souvent dans les psaumes. Ce cri qui vient du plus profond de nous-mêmes, cri de souffrance, de détresse et d’angoisse. À tel point que l’office de la liturgie des heures commence ainsi : « Dieu, viens à mon aide ! Seigneur, à mon secours ! » Et que le chapelet des orthodoxes consistent à égrener tout au long de la journée le cri de cet aveugle : « Seigneur Jésus, Sauveur, aie pitié de moi, pécheur ». Notre foi n’est-elle pas un cri vers le Dieu vivant (Ps 83, 3) : « Mon âme s'épuise à désirer les parvis du Seigneur ; mon coeur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant ! » ?
Pourtant, cet évangile, et ce cri, ont éveillé en moi plusieurs questions. La première — que j’ai déjà abordée à plusieurs reprises — nous sentons-nous encore le besoin d’être sauvés ? Ou nous contentons-nous de vivre, peut-être du mieux possible, mais sans grandes perspectives divines de rédemption ? Et c’est bien la deuxième question : croyons-nous encore en la rédemption ? Et enfin, la troisième : crions-nous encore vraiment avec foi ?
Je ne reviens pas sur la première question mais m’interroge sur la rédemption. Que l’homme soit capable de rédemption, de rachat, je le crois. Tout homme a ce désir en lui de se convertir, de devenir meilleur, de se corriger. Bien sûr, le caractère peut s’endurcir avec l’âge et faire dire à certains : « à quoi bon ? » Ou parfois devant l’ampleur de la tâche, de répondre : « et après tout, c’est comme ça. Que celui à qui ça ne plaît pas s’en aille ! » Mais au plus profond de notre âme, n’avons-nous pas tous, même si cela paraît bien enfoui, ce désir de sainteté, d’accomplissement personnel plénier ? Ne sommes-nous pas tous à la recherche de l’amour, de l’harmonie et de la paix ? Même si cela devient plus difficile à discerner dans notre société, je crois que la petite flamme existe en chaque homme et femme. Sinon, serions-nous encore des humains ?
Qu’est-ce qui a donc bien pu faire taire ce sentiment ? À première vue, je répondrais le renflement du paraître au détriment de l’être. Notre société s’est donné comme point de repère du « bien » non ce que l’homme est, mais ce que l’homme donne l’impression d’être, et donc de paraître. Il me semble même que nous finirons un jour par écrire : parêtre… On devient donc plus attentif à sa vie extérieure, à ce qu’elle donne à voir, qu’à sa vie intérieure ? Et quand on en parle encore, c’est pour se tourner vers des philosophies (et non des religions) qui mettent en avant l’évanouissement de tout notre être (qu’est-ce d’autre que le nirvana ?). Pour en sortir, je ne crois pas qu’il faille mettre en avant le regard que les autres portent sur nous, ni même le regard que nous portons sur nous-mêmes, mais d’abord de penser le regard que Dieu porte sur chacun d’entre-nous. Et là, la rédemption reprend toute sa place. Il suffit de lire les psaumes : quand l’homme se découvre pécheur, abandonné, désespéré, il crie. Puis, au fur et à mesure des versets, il oriente son regard vers Dieu. Et là naît ce sentiment de rachat : il sait que Dieu l’aime, comme il est, tout en croyant à sa conversion. Et le psaume termine alors sur la louange, voire avec des mots surprenants (Ps 138, 14) : « Je reconnais devant toi le prodige, l'être étonnant que je suis. » Car notre Dieu est un Dieu de miséricorde, un Dieu qui ne veut pas la condamnation du pécheur, mais sa conversion et son rachat. Comme ils serait bon et beau que nos contemporains en reprennent conscience…
Mais plus que nos contemporains, chacun d’entre-nous. Car c’est bien le sens de ma troisième question : crions-nous encore vers Dieu ? Passées les questions de notre besoin d’être sauvé et de l’importance de la rédemption, il reste, en effet, celle de notre foi et de notre espérance. De foi, car certains ne crient plus, ne croyant plus en une quelconque utilité de cet appel. Ou d’espérance parce que d’autres ne croient plus qu’un avenir soit possible. Pourtant, c’est en criant vers Dieu que se réveillent notre foi et notre espérance. C’est en criant vers Lui, à temps et à contre-temps, que nous prenons intimement conscience que sans lui nous ne pouvons rien, que Lui seul peut nous guérir et nous sauver. Les psaumes sont le livre du cri de la souffrance, du désespoir qui nous guette, de l’angoisse qui nous tient. Mais un livre qui crie ! Un livre où l’homme ose crier vers son Dieu, lui demander son aide, son secours. Et à force de cris de détresse, son âme découvre la grâce du pardon, de la miséricorde, de la louange et de l’espérance.
Je suis le premier à me jeter la pierre : je ne commente pas assez les psaumes. Et il est vrai que même s’ils sont présents dans chacune de nos liturgies de la Parole, nous en faisons rarement cas, au point que le dimanche on le change pour un chant dans pas mal de paroisses. Je vais m’y remettre, c’est promis ! Mais vous, mettez-vous à lire, à méditer, à prier les psaumes ! Que les mots du psalmistes puissent devenir les nôtres : mots de souffrance, et chants de louange.