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Mercredi, 29e semaine du T.O. — année impaire

De l’espoir à l’espérance -



La petite servante,

John George Brown (Durham, 1831 - New-York, 1913)

Huile sur toile, 77 x 64 cm, 1891

Collection privée


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 12, 39-48)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure le voleur viendrait, il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Vous aussi, tenez-vous prêts : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. » Pierre dit alors : « Seigneur, est-ce pour nous que tu dis cette parabole, ou bien pour tous ? » Le Seigneur répondit : « Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Vraiment, je vous le déclare : il l’établira sur tous ses biens. Mais si le serviteur se dit en lui-même : “Mon maître tarde à venir”, et s’il se met à frapper les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, alors quand le maître viendra, le jour où son serviteur ne s’y attend pas et à l’heure qu’il ne connaît pas, il l’écartera et lui fera partager le sort des infidèles. Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître, n’a rien préparé et n’a pas accompli cette volonté, recevra un grand nombre de coups. Mais celui qui ne la connaissait pas, et qui a mérité des coups pour sa conduite, n’en recevra qu’un petit nombre. À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. »


Méditation

Elle est là, à la fenêtre, regardant discrètement par le rideau ce qui se passe dans la cour. C’est une pauvre petite servante, habillée chichement de vêtements qu’on a dû lui céder, les pieds nus et le balai de paille à la main. Derrière elle, sur une étagère fermée par un rideau, le pot de toilette, la vasque et le savon. Elle n’a pas l’air heureuse, elle se contente de faire son travail. Mais, comme on dit en Normandie, elle « gogne », elle surveille discrètement. Est-ce par curiosité malsaine ? Ou se sent-elle responsable de la maison qu’on lui a confiée, s’inquiétant des bruits anormaux dans la cour de la maison ? Est-ce à elle qu’a été confiée, la gérance de la maison en attendant le retour des maîtres ? Elle veille, elle surveille, elle attend patiemment. Elle ne sait pas l’heure à laquelle ils vont arriver. Mais elle assume son devoir d’état. Jusqu’au bout. Ou bien, est-elle la pauvre petite servante envoyée assurer les tâches ancillaires pendant que l’intendant se saoule à la cave et frappe les autres serviteurs ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est qu’une humble servante, et non l’intendante en chef de la maisonnée !


Pourtant, si humble soit-elle dans sa mission, elle fait son travail, et elle demeure vigilante, inquiète, c’est-à-dire sans repos.


Quand on relit attentivement l’évangile de ce jour, on se rend compte que le Christ ne nous parle pas seulement de veiller dans l’attente de sa venue. Bien sûr, c’est une parabole eschatologique, une histoire pour nous rappeler que nous devons attendre la venue du Sauveur. Mais c’est aussi une parabole qui nous invite à faire notre devoir d’état. Je regardais, voici quelques jours, le vieux film Léon Morin, prêtre avec Jean-Paul Belmondo. En confessant la jeune fille pour la première fois, le prêtre lui pose cette question : « Faites-vous votre devoir d’état ? » Voilà bien une question que l’on ne pose plus ; peut-être même que l’on ne SE pose plus… Le devoir de l’intendant de l’évangile est d’être d’abord fidèle. Fidèle à son maître, et fidèle à sa mission. Une mission pourtant bien simple, nous précise le Christ : distribuer la nourriture aux serviteurs aux heures de repas. Bref, prendre soin, avoir cure devrais-je dire, de ceux qui lui sont confiés. Et non, s’en moquer, les oublier, voire les frapper avant d’aller cuver son vin. Plutôt que la cure, il choisit alors la cuve ! De fait, il oublie ainsi son devoir d’état faisant passer avant son propre bien-être, abandonnant ses obligations par lassitude, par manque d’intérêt ou par ennui.


Imaginez un orchestre symphonique où le percussionniste, par manque d’activité, laisserait tomber tambours et triangles ! L’harmonie musicale de la symphonie s’en ressentirait. Mais lui abandonne sa tâche estimant qu’il joue trop peu de ses instruments, et que son absence ne s’en ressentira pas. L’absence de tâche créerait une tache dans la partition ! J’ai bien peur qu’avec de telles réflexions, le chef d’orchestre se retrouve seul une fois que chacun aura estimé sa tâche inessentielle… Ça me rapelle la réflexion d’un vieux prêtre : « Ceux qui ne font pas leur tâches sont des taches ! » Car le devoir d’état ne concerne pas seulement les grands actes héroïques. Il n’est pas seulement celui du soldat qui offre sa vie pour la patrie, ni du chef d’état qui ne compte pas ses heures pour sortir le pays du marasme. Ni même celui du Pape qui doit donner chaque minute à son peuple. C’est eux, bien sûr, mais c’est aussi cette pauvre veuve qui estime que son devoir est de dire son chapelet chaque jour, ou de ce gardien qui doit vérifier chaque soir que toutes les portes sont fermées, ou de cet enfant qui doit apprendre ses leçons, ou de ce prêtre qui doit dire son bréviaire cinq fois par jour, ou de cette mère qui doit faire le repas et le ménage. Nous avons tous nos devoir d’état, et si nous ne les réalisons pas avec ténacité, même dans l’ennui ou la détresse, nous ne pourrons pas entendre le Christ nous dire (Mt 25, 21) : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » Heureux celui qui aura accompli son devoir d’état jusqu’au bout ! Comme Jean nous le dit de Jésus avant la Cène (Jn 13, 1) : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »


Bien sûr, on peut comprendre que l’attente devient parfois insupportable. Ainsi, les premiers chrétiens. Déjà les disciples d’Emmaüs se découragent et repartent chez eux, croyant que le Christ allait bouter l’occupant hors du pays. Ils en sont attristés et préfèrent retourner à la maison. L’espoir s’est vite évanoui… En fait, la venue subreptice de Jésus va transformer leur espoir en espérance. Dans la langue française — et si je ne me trompe, ce n’est pas le cas des autres langues — nous avons deux mots : espoir et espérance. L’espoir est à vue humaine : j’espère avoir mon baccalauréat, ou j’espère gagner au loto. L’espérance, elle, est à vue divine : j’espère la venue du Seigneur, ou j’espère devenir un saint, ou j’espère retrouver mes défunts dans le Cœur de Jésus. Les disciples d’Emmaüs ont manqué d’espoir, Jésus leur a donné l’espérance.


N’est-ce pas aussi à cela que nous invite l’évangile ? Si vous n’êtes pas fidèles dans les petites choses humaines, dans vos petits devoir humains, comment pourriez-vous être fidèles dans l’espérance ? Si vous vous désespérez de la moindre contrariété humaine, comment pourriez-vous espérer ma venue dans la Gloire à la fin des temps ? Rassurez-vous, je me mets dans le sac ! Un espoir sans espérance devient vite un désespoir : il suffit de relire les œuvres des humanistes athées. Un espoir qui vise l’espérance devient une joie profonde et inébranlable : il suffit de relire les écrits de Thérèse de Lisieux ou La joie de Bernanos. Vous y verrez une Chantal porteuse d’espérance divine.


Mais peut-être que pour nous rendre espoir, il faut que nous revivifions notre espérance ? Car, de ces trois vertus théologales (la foi, l’espérance et la charité), elle est souvent la plus oubliée. Nous insistons sur notre foi, et nous avons bien raison. Nous sommes continuellement exhortés à la charité (et comment ne pas l’être dans ce monde sans coeur), et nous oublions l’espérance ! Par grâce, le Missel nouvellement traduit va rendre à cette vertu sa place. Après le Notre Père, le prêtre ne dira plus : « Par ta miséricorde, libère-nous du péché, rassure-nous dans les épreuves en cette vie où nous espérons le bonheur que tu permets et l’avènement de Jésus le Christ ». En gros, donne-nous le bonheur (en se rappelant que ce mot signifie un concept passager : la bonne heure, ce qui n’a rien à voir avec la joie), remplis mon compte en banque, évite que je ne sois licencié, donne la santé à ma famille et fais que je gagne au loto. Éventuellement, viens dans ta Gloire sur terre, mais sans trop nous déranger (ce que laisse entendre le ET entre les deux propositions : d’abord le bonheur terrestre, et, voire puis, la joie céleste des fins dernières...) La nouvelle traduction remet les choses dans le bon ordre : « Délivre nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps : soutenus par ta miséricorde, nous serons libérés de tout péché, à l’abri de toute épreuve, nous qui attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avénement de Jésus Christ, notre Sauveur. » Plus question de bonheur terrestre, hormis celui auquel tous devraient aspirer : être délivrés des péchés et à l’abri des épreuves. Mais surtout que nous attendons, lors de cette vie sur terre, que se réalise aujourd’hui notre véritable espérance : le dernier avènement de Jésus, celui que nous confessons à chaque messe : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. »


Alors, entendons les questions que nous pose l’évangile : est-ce que je réalise mon devoir d’état ? Et surtout, est-ce que j’attends, espère et désire la venue dans la Gloire du Christ-Jésus ? Puis-je, moi aussi, dire avec l’Apocalypse (Ap 22, 20-21) : « Et celui qui donne ce témoignage déclare : « Oui, je viens sans tarder. » – Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous ! »


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