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Mercredi, 2e semaine du T.O. — année paire

Entre les deux yeux ! -



David avec la tête de Goliath,

Michelangelo Merisi da Caravaggio, dit Le Caravage (Caravaggio 1571 - Port’Ercole, 1610),

Huile sur toile, 125 x 101 cm, 1606-1607 ou 1609-1610,

Galerie Borghese, Rome (Italie)


Lecture du premier livre de Samuel (1 S 17, 32-33.37.40-51)

En ces jours-là, le Philistin Goliath venait tous les jours défier l’armée d’Israël. David dit à Saül : « Que personne ne perde courage à cause de ce Philistin. Moi, ton serviteur, j’irai me battre avec lui. » Saül répondit à David : « Tu ne peux pas marcher contre ce Philistin pour lutter avec lui, car tu n’es qu’un enfant, et lui, c’est un homme de guerre depuis sa jeunesse. » David insista : « Le Seigneur, qui m’a délivré des griffes du lion et de l’ours, me délivrera des mains de ce Philistin. » Alors Saül lui dit : « Va, et que le Seigneur soit avec toi ! » David prit en main son bâton, il se choisit dans le torrent cinq cailloux bien lisses et les mit dans son sac de berger, dans une poche ; puis, la fronde à la main, il s’avança vers le Philistin. Le Philistin se mit en marche et, précédé de son porte-bouclier, approcha de David. Lorsqu’il le vit, il le regarda avec mépris car c’était un jeune garçon ; il était roux et de belle apparence. Le Philistin lui dit : « Suis-je donc un chien, pour que tu viennes contre moi avec un bâton ? » Puis il le maudit en invoquant ses dieux. Il dit à David : « Viens vers moi, que je te donne en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages ! » David lui répondit : « Tu viens contre moi avec épée, lance et javelot, mais moi, je viens contre toi avec le nom du Seigneur des armées, le Dieu des troupes d’Israël que tu as défié. Aujourd’hui le Seigneur va te livrer entre mes mains, je vais t’abattre, te trancher la tête, donner aujourd’hui même les cadavres de l’armée philistine aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. Toute la terre saura qu’il y a un Dieu pour Israël, et tous ces gens rassemblés sauront que le Seigneur ne donne la victoire ni par l’épée ni par la lance, mais que le Seigneur est maître du combat, et qu’il vous livre entre nos mains. » Goliath s’était dressé, s’était mis en marche et s’approchait à la rencontre de David. Celui-ci s’élança et courut vers les lignes des ennemis à la rencontre du Philistin. Il plongea la main dans son sac, et en retira un caillou qu’il lança avec sa fronde. Il atteignit le Philistin au front, le caillou s’y enfonça, et Goliath tomba face contre terre. Ainsi David triompha du Philistin avec une fronde et un caillou : quand il frappa le Philistin et le mit à mort, il n’avait pas d’épée à la main. Mais David courut ; arrivé près du Philistin, il lui prit son épée, qu’il tira du fourreau, et le tua en lui coupant la tête. Quand les Philistins virent que leur héros était mort, ils prirent la fuite.


Un regard sur l’oeuvre


Ce qu’en dit la Galerie Borghese


Le tableau « David avec la tête de Goliath » est de Michelangelo Merisi da Caravaggio. Le peintre a travaillé à sa création du début de 1605 à la fin de 1609-1610. L’oeuvre du maître a été inclus dans la collection d’art du cardinal Scipion Borghèse. Le tableau est entré dans la galerie du même nom de la famille princière en 1650.


Référence historique


Dans le livre de Giovanni Pietro Bellori « Vie des artistes, sculpteurs et architectes contemporains », publié en 1672, il est dit que l’œuvre « David avec la tête de Goliath » a été créée par ordre du cardinal Scipion Borghèse, tandis que le visage du géant philistin tué n’est rien de plus qu’un autoportrait du Caravage.


Des documents datant de 1613 ont survécu; ils confirment le paiement du cadre dont les dimensions correspondent exactement à la largeur et à la longueur de la toile. Dans les manuscrits de l’œuvre poétique de Scipion Francucci da Imola, datant de 1613, il y a aussi une description de l’oeuvre « David avec la tête de Goliath » du Caravage, qui, selon cette source, se trouvait déjà à la galerie Borghèse à cette époque.


Il n’y a pas si longtemps, certains critiques d’art ont proposé une version intéressante selon laquelle l’image du jeune héros montre également les traits de l’artiste, il est représenté exactement comme le Caravage était dans sa jeunesse. Cette hypothèse nous permet de considérer le tableau comme un double autoportrait.


Dans le même temps, un certain nombre de chercheurs affirment que pour créer l’image du jeune roi biblique, il a posé le même modèle de qui le tableau « Jean-Baptiste » a été peint. Le Caravage utilisa plusieurs fois l’histoire de l’Ancien Testament sur la victoire de David sur Goliath. Ainsi, une œuvre similaire a été créée par l’artiste en 1607, elle est conservée au musée d’histoire de l’art de Vienne. Un autre tableau similaire « David avec la tête de Goliath » date de 1600. Cette oeuvre du Caravage fait désormais partie de la collection d’art du Musée National du Prado à Madrid.


Analyse de l’oeuvre


Probablement, le maître s’est inspiré d’une œuvre d’un thème similaire, créée en 1510 par le peintre vénitien Giorgione.


Dans le même temps, l’image du Caravage diffère de la source originale par un grand drame, un tel effet a été obtenu du fait que la tête coupée de Goliath est représentée non allongée à distance, elle est dans la main sanglante de David. Sur l’épée du héros, les lettres H – AS OS sont visibles, qui sont une abréviation de l’expression latine « humilitas occidit superbiam », traduite en français, ces mots signifient « l’humilité tue l’orgueil ».


David a l’air inquiet, il est tourmenté par des sentiments intérieurs, il ressent à la fois dégoût et pitié. Le peintre décide de dépeindre le héros sous la forme d’une jeunesse maussade, plutôt que d’un vainqueur triomphant. Cette interprétation donne lieu à une sorte de connexion philosophique entre David et Goliath. Ce fil unissant les deux forces opposées devient encore plus évident lorsque l’on se rend compte que la tête coupée du géant philistin est un autoportrait du peintre, et que la figure du roi biblique a peut-être été peinte de l’artiste Tommaso Salini (Mao Salini).


Selon une autre version, pour créer l’image de David, il a posé un élève du peintre, un certain jeune homme du nom de Francesco Boneri, surnommé Cecco di Caravaggio. Dès son plus jeune âge, il était artiste et étudiait la peinture dans son atelier. Certains chercheurs ont tendance à voir un aspect sexuel dans leur relation.


Le grand intérêt pour l’oeuvre n’est pas seulement causé par la corrélation de l’œuvre avec la biographie de l’artiste. L’œuvre, qui est complexe dans son contenu idéologique, est remplie d’une profonde signification allégorique. Les images de David et Goliath, du point de vue de l’iconographie chrétienne de cette époque, personnifiaient le Sauveur et le Diable, ainsi que la victoire du bien sur le mal.


Un autre exemple d’une œuvre liée au genre est la peinture « Judith à la tête d’Holopherne » d’un contemporain du Caravage, Cristofano Allori. L’une des nombreuses copies de l’œuvre de l’auteur orne les murs du Palazzo Pitti, à Florence. La tête coupée d’Holopherne est un autoportrait d’Allori. En même temps, un message légèrement différent est lu dans l’œuvre du Caravage : David dans l’interprétation du maître est dépourvu de cruauté, il vit profondément la mort de son ennemi Goliath.


Méditation

Voici une page bien connue de l’Ancien Testament, et qui a valu de nombreuses représentations d’artistes au cours des siècles. J’ai choisi ce tableau du Caravage que l’on peut admirer à Rome. Car il me semble révéler un des aspects essentiels de cette histoire : le combat entre l’arrogance et la confiance véritable. Goliath est-il arrogant ? Certainement quand il se croit l’unique vainqueur possible de quelque combat qui soit. Il croit en sa force, sa dextérité, sa masse imposante de géant. Personne ne pourra lui en remontrer. Pourtant, malgré la taille de sa boîte crânienne, il ne semble pas faire preuve de beaucoup d’intelligence. C’est curieux comme l’arrogance s’allie si mal avec l’intelligence… Mais s’il est autant arrogant et prétentieux, c’est aussi parce qu’on lui a mis en tête cette idée. Ne sont-ce pas les Philistins qui en ont fait leur héros, figure emblématique de la force conquérante de leur peuple ? Je voudrais faire polémique que j’ajouterais que le mot « philistin » n’est que la déformation hébraïque du mot « palestinien ». Quand on met dans la tête de quelqu’un, ou d’un peuple entier, qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont le droit avec eux, que Dieu les protège (rappelons-nous le « Gott mit uns » des poignards SS), alors, l’intelligence en prend un sacré coup : c’est la première pierre qui s’enfonce dans leur front et qui paralyse l’intelligence ! Comme le rappelle le dictionnaire :


Le terme intelligence de la langue française est emprunté au latin intellĕgentĭa, lui-même dérivé du latin intellĕgō (« discerner, démêler, comprendre, remarquer ») dont le préfixe intĕr (« entre, parmi ») et le radical lĕgō (« ramasser, recueillir, choisir »), ou ligare (« lier ») donnent le sens étymologique de « lier les éléments entre eux », ou « choisir entre, ramasser parmi (un ensemble) »


Être intelligent c’est pouvoir discerner, démêler le vrai du faux, comprendre la situation, lier les évènements entre eux. C’est ce qui a manqué à Goliath et aux Philistins. À tel point qu’à la fin du XVIIe siècle, le mot philistin a pris le sens d’une personne qui, inculte ou bornée, est fermée aux choses de l'art, de la littérature, de l’esprit, et qui par sa vulgarité, est hermétique à toute forme d’enrichissement spirituel ou culturel… Le champion ne compte que sur sa force, il en a oublié le minimum d’intelligence : il en sera pour ses frais ! Après la pierre de bêtise enfoncée dans son crâne, ce sera celle de la mort qui viendra l’achever.


Et en face, il y a ce jeune garçon, David. Il faut reconnaître qu’il fait preuve d’un peu plus de témérité que le roi Saul : ce dernier essaye sans emphase de décourager David, mais au fond de lui-même, il est bien heureux que l’enfant prenne sa place. Au lieu du roi pour combattre le champion, ce qui eut été normal pour un combat singulier, ce sera un adolescent sans autre arme que son lance-pierre. Et lui, David, n’est pas arrogant : il ne vient pas au-devant de la brute avec des mots insultants, ni en se mettant en valeur. Non, il dit simplement que ce sera Dieu qui armera sa pauvre et faible main. Sa seule arme c’est sa foi en Dieu.


Il n’est pas bête cet enfant : il sait bien sa faiblesse devant un tel monstre qui, d’une chiquenaude, pourrait lui briser le crâne. Mais David ne fait preuve d’aucune arrogance, seulement d’une foi indéfectible en la justice de Dieu. Il sait, comme le dira le livre des Chroniques (2 Ch 20, 15) que ce combat n’est pas le sien mais celui de Dieu. Le géant commence à courir, sûrement en poussant quelque cri effrayant. Le sol doit trembler sous sa masse. Mais David a confiance. Je ne sais pas s’il n’a pas peur — qui pourrait rester de marbre quand un monstre sanguinaire vous fonce dessus ? — mais en tous les cas, il ne fuit pas, car il a confiance en son Dieu. Et il va laisser Dieu prendre sa main, donner de la vitesse à sa fronde qui tourne sur elle-même, et projeter sa pierre au beau milieu du crâne de Goliath. Celui-ci tombe sous le regard effaré des Philistins. Peut-être râle-t-il encore ? David avance, saisit l’épée du géant et, d’un coup, lui tranche la tête. L’arrogance d’un homme, l’arrogance d’un peuple, vient d’être tranchée. Et avec la fuite de l’orgueil, fuit aussi le peuple prétentieux. Seule l’humble confiance peut tuer l’orgueil…


Et ce que j’aime dans ce tableau du Caravage, — hormis toutes les gloses sur la beauté troublante du jeune homme laissant entendre une relation intime avec le peintre (et qu’en sait-on ?) — c’est le regard de cet adolescent. Il tient à bout de bras la tête tranchée de Goliath, comme s’il voulait éviter d’être contaminé. De l’autre main, il tient l’épée meurtrière. Mais il ne brandit aucune des deux, ni en signe de victoire, ni pour effrayer les Philistins. En fait, il veut lui-même éviter de sombrer dans l’arrogance du victorieux.


Mais il regarde la tête. On s’attend même à ce que tête et épée lui tombent des mains et de le voir repartir humblement chez lui : il a fait son travail. Je pense à Bernadette de Lourdes : « Je suis le balai dont la Vierge s'est servie. Qu'est-ce qu'on fait d'un balai quand on a fini de s'en servir ? On le met derrière la porte. C'est ma place, j'y suis bien. J'y reste ». David est prêt à repartir derrière la porte, humblement et en pleine confiance en Dieu.


Son regard est indescriptible, et c’est peut-être ce qui fait la beauté attachante de ce tableau. Que pense-t-il ? « Pauvre homme ! Tu as vraiment été sot de t’embarquer à défier Dieu. Tu n’as même pas voulu tenir compte de mes mises en garde. Mais, je ne t’en veux pas, je n’ai aucune haine envers toi. Je crois que je vais prier pour ton âme, pour que Dieu t’accueille et te pardonne ton arrogance, pour qu’il la brise encore et la transforme en humble confiance. »


Dans ce regard, nul dégoût. Un peu de déception peut-être. Mais surtout une lueur d’amour qui commence à poindre… L’humble confiance mène toujours à l’amour modeste et sacré. L’arrogance mène toujours à l’orgueil sans coeur. Comme si ce tableau était une autre version de « l’amour sacré et l’amour profane »… Et il me semble que les deux oeuvres sont dans la même salle de la Galerie






















































Amour sacré et Amour profane

Tiziano Vecellio dit Titien (Pieve di Cadore, 1488 - Venise, 1576)

Huile sur toile, 118 x 279 cm, 1514

Galerie Borghese, Rome (Italie)


Un amour nu, dépouillé de tout, comme cet adolescente, un amour laissant Dieu le revêtir, devant un amour profane, pour ne pas dire ici profanateur, qui se voit couper les ailes… et la tête ! Le drame de notre société est que nous croisons beaucoup de Goliath pour si peu de David…

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