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Mercredi, 6e semaine du T.O. — année paire

Le miroir de l’âme -



La reproduction interdite,

René Magritte (Lessines, 1898 - Shaerbeek, 1967),

Huile sur toile, 79 × 65,5 cm, 1937,

Musée Boymans-van-Beuningen, Rotterdam (Pays-Bas),


Lecture de la lettre de saint Jacques (Jc 1, 19-27)

Sachez-le, mes frères bien-aimés : chacun doit être prompt à écouter, lent à parler, lent à la colère, car la colère de l’homme ne réalise pas ce qui est juste selon Dieu. C’est pourquoi, ayant rejeté tout ce qui est sordide et tout débordement de méchanceté, accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut sauver vos âmes. Mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter : ce serait vous faire illusion. Car si quelqu’un écoute la Parole sans la mettre en pratique, il est comparable à un homme qui observe dans un miroir son visage tel qu’il est, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant comment il était. Au contraire, celui qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s’y tient, lui qui l’écoute non pour l’oublier, mais pour la mettre en pratique dans ses actes, celui-là sera heureux d’agir ainsi. Si l’on pense être quelqu’un de religieux sans mettre un frein à sa langue, on se trompe soi-même, une telle religion est sans valeur. Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde.


Quelques éléments sur le tableau


Extrait du site artifexinopere.com


Le titre ne ment pas : ce n’est pas la réflexion qui est interdite, mais la reproduction à l’infini. Le dos dans le miroir amorce un effet Droste (L’effet Droste est un effet purement graphique, qui imite l’effet optique des miroirs en abyme, mais réplique l’image sans se soucier de l’inverser), mais le livre, en se reflétant normalement , bloque la récession dès la première itération.


Le choix des Aventures d’Arthur Gordon Pym de Poe, n’est pas l’effet du hasard. On y trouve deux passages mettant en garde contre les méfaits du miroir, en premier lieu à l’encontre du narrateur lui-même :

« Lorsque enfin je me contemplai dans un fragment de miroir qui était pendu dans le poste, à la lueur obscure d’une espèce de fanal de combat, ma physionomie et le ressouvenir de l’épouvantable réalité que je représentais me pénétrèrent d’un vague effroi » (chapitre VIII, Le revenant)


Mais surtout, dans ce morceau de bravoure sur les ravages de l’effet d’abyme :

« Too-wit fut le premier qui s’en approcha, et il était déjà parvenu au milieu de la chambre, faisant face à l’une des glaces et tournant le dos à l’autre, avant de les avoir positivement aperçues. Quand le sauvage leva les yeux et qu’il se vit réfléchi dans le miroir, je crus qu’il allait devenir fou ; mais, comme il se tournait brusquement pour battre en retraite, il se revit encore faisant face à lui-même dans la direction opposée ; pour le coup je crus qu’il allait rendre l’âme » (Chapitre XVIII, Hommes nouveaux)


Méditation

Ce surprenant tableau de Magritte, comme beaucoup de ses oeuvres, illustre ce verset de l’épître de Jacques : « Car si quelqu’un écoute la Parole sans la mettre en pratique, il est comparable à un homme qui observe dans un miroir son visage tel qu’il est, et qui, aussitôt après, s’en va en oubliant comment il était. » Et en contemplant de tableau, je me rappelais une pensée de Confucius (551 av. J.C. - 479 av. J.C.) : « L'expérience est une lanterne que l'on porte sur le dos et qui n'éclaire jamais que le chemin parcouru. » Comme cet homme qui, se regardant dans le miroir, ne voit que son dos. Aurait-il entendu les sages pensées de Pierre Dac : « L'avenir de Monsieur est devant lui, et l'aura dans le dos chaque fois qu'il fera demi-tour » ?! Trêve de plaisanterie.


Saint Jacques, en fait, n’est pas aussi complexe que ce tableau et sa mise en abyme. Son message est simple : écoutez la Parole de Dieu, mais évitez qu’elle n’entre par une oreille et sorte par l’autre. Il ne dit pas autre chose que ce que Jésus disait dans la parabole du grain semé (Mc 4, 14-20) :

« Le semeur sème la Parole. Il y a ceux qui sont au bord du chemin où la Parole est semée : quand ils l’entendent, Satan vient aussitôt et enlève la Parole semée en eux. Et de même, il y a ceux qui ont reçu la semence dans les endroits pierreux : ceux-là, quand ils entendent la Parole, ils la reçoivent aussitôt avec joie ; mais ils n’ont pas en eux de racine, ce sont les gens d’un moment ; que vienne la détresse ou la persécution à cause de la Parole, ils trébuchent aussitôt. Et il y en a d’autres qui ont reçu la semence dans les ronces : ceux-ci entendent la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et toutes les autres convoitises les envahissent et étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit. Et il y a ceux qui ont reçu la semence dans la bonne terre : ceux-là entendent la Parole, ils l’accueillent, et ils portent du fruit : trente, soixante, cent, pour un. »

Car cette Parole de Dieu est une graine. Et par principe, une graine est faite pour germer, croître et enfin fructifier. Si nous écoutons la Parole de Dieu d’une oreille distraite, ce serait la faire entrer dans l’oreille et la y laisser dans un coin sans y toucher, la laisser se momifier, ou simplement la perdre en la laissant sortir. Dans ses Méditations scoutes de l’Évangile, le Père Sevin imagine Jésus commentant à un scout la parabole du grain de blé et lui explique que si le grain ne porte pas de fruit, il ne sert à rien (le texte se trouve plus bas en annexe).


Donc, première leçon, écouter avec attention la Parole de Dieu. L’écouter et la « manduquer ». Comme nos vaches dans les champs qui broutent, puis se reposent et continue de mâcher l’herbe pour en extraire tous les sucs qui donneront notre bon lait. Déjà, dans la Bible, le prophète Ézékiel avait invité par Dieu à manger sa Parole (Ez 3, 1-3) :

Il me dit fils d’homme, ce que tu trouves mange-le, mange ce rouleau et va parler à la maison d’Israël. J’ouvris la bouche, il me fit manger ce rouleau et me dit : Fils d’homme, fais manger ton ventre et remplis tes entrailles avec ce rouleau que je te donne. Je le mangeai et il fut dans ma bouche doux comme du miel.

Ne sommes-nous pas trop distraits quand nous écoutons les textes lors de la messe ? À la sortie de l’office, n’avons-nous déjà pas oublié ? Comme le dénonçait saint Jacques parlant d’un homme qui ne se souvenait même pas de son visage après l’avoir regardé dans le miroir.


Il y a aussi une deuxième leçon : la Parole, comme un grain, est semée. Mais elle ne grandira pas s’il lui manque eau et soleil. Comment l’arroser, me direz-vous ? En creusant ! En creusant la Bible, en essayant de comprendre les allégories, en méditant sur le message. Notre drame est que nous avons saucissonné la Bible : un petit morceau par-ci, un autre par-là. Pourquoi ne pas lire la Bible dans son intégralité ? Sans chercher à tout comprendre, mais plutôt en nous laissant arroser par l’ensemble de la Bible, Premier et Nouveau Testament. Pour vous aider, je vous conseille ce livre « La Bible en 1 an : en français courant, avec les livres deutérocanoniques » (Éditions Bibli’O - 38,90 €)



En un an, jour après jour, vous aurez lu toute la Bible. Personnellement, je le fais chaque année. Voilà pour l’eau !


Quant au soleil, j’en parlais la semaine dernière. Où le trouve-t-on si ce n’est dans la prière ? Et encore mieux quand cette prière se déploie dans la liturgie, ou dans un échange communautaire ? Pourquoi ne pas rejoindre (ou créer) un groupe biblique ? Pas besoin d’être savant, simplement d’échanger sur ce que nous avons lu, compris et vécu.


Maintenant que la graine commence à germer, elle va pouvoir donner du fruit. C’est la troisième leçon de saint Jacques « Au contraire, celui qui se penche sur la loi parfaite, celle de la liberté, et qui s’y tient, lui qui l’écoute non pour l’oublier, mais pour la mettre en pratique dans ses actes, celui-là sera heureux d’agir ainsi. » Porter du fruit, c’est mettre en pratique la Parole de Dieu. Tout l’évangile est traversé par cette demande du Christ. Qu’est-ce d’autre qu’un changement d’attitude, une conversion ? Mais on se fait parfois des noeuds au cerveau se demandant comment mettre en pratique la Parole de Dieu. Ne cherchez pas trop loin. L’Église nous a donné, à la suite de l’Évangile, les sept oeuvres de miséricorde. Si déjà, nous faisions ne serait-ce qu’une de ces oeuvres, nous pourrions être fiers ! Je vous invite à vous reporter à ce que j’ai écrit à la méditation du IVe Dimanche de l’Avent (C).


Dernière leçon : si nous avons bien suivi le cours d’agronomie de saint Jacques, je suis sûr que notre plante grandira tellement qu’elle rejoindra le Ciel ! Mt 13, 31-32 : « Il leur proposa une autre parabole : « Le royaume des Cieux est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et qu’il a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais, quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches. »

Méditations scoutes sur l’Évangile, Père Jacques Sevin

« Je te prêcherai ce soir, mon Scout, une leçon austère et consolante, telle que je l’ai prêchée à mes apôtres avant que d’aller à ma Passion. Le semeur a jeté le grain de blé en terre au vent du soir, et la terre le recouvre et l’ensevelit. A la surface du sol, un grain de blé se remarque à peine, mais celui-ci vient de disparaître à jamais. Longuement, silencieusement, il va se fendre, se désagréger et pourrir. Mais de sa pourriture montera timide un brin d’herbe verdissant. Et le brin d’herbe deviendra fort, il croîtra par la chaleur et par la pluie que je dispense à mes créatures. Et sa cime gonflera et s’alourdira, et le soleil la revêtira de sa splendeur, et le petit grain de blé enfoui sous terre sera devenu le père d’un épi, c’est-à-dire de cent grains de blé. Apprends, mon Scout, la leçon de l’insuccès. Apprends le mystère de l’obscurité. Apprends la fécondité du Sacrifice. Et qu’un grain de blé t’enseigne ces merveilles. S’il avait été déposé dans le creux d’un roc, après trois mille ans peut-être on l’eût retrouvé intact. Intact, mais stérile. Les savants se fussent émerveillés. Rare spectacle qu’une inutilité de trente siècles. Mais il est mort le grain chétif, et c’est de milliers de morts semblables que sont faites les moissons superbes. Après deux semailles, après quatre semailles, évalue si tu peux la descendance d’un seul grain de blé, et calcule combien d’épis sont nés de la mort de deux épis. Ne t’étonne pas des échecs. Il y a des échecs productifs. Ne te scandalise pas de voir disparaître dans l’obscurité ceux qui te semblent destinés à remuer le monde. Disparaître, c’est un peu mourir. Laisse hiverner ces âmes : elles produiront leur épi l’été venu. Et si c’est la tienne que je veux ensevelir pour un temps, ne t’impatiente pas, et laisse-toi faire : petit grain de blé, penses-tu à toi seul dorer la surface de la terre, et nourrir le monde ? Un grain de blé, es-tu davantage, mon Scout ? Et dans la moisson des âmes, ce n’est pas grand-chose. Mais si, après de longs mois, de longues années d’attente, tu produis un épi, alors ton sacrifice aura rendu cent pour un. Et semblablement, ne te scandalise pas de voir parfois les plus utiles quitter ce monde « avant l’heure », comme on dit. D’abord parce qu’on ne meurt jamais avant l’heure, toute heure est bonne pour mourir, et aussi parce que ma puissance n’a pas besoin des hommes, mais de leurs sacrifices. En vérité, je te le dis, seules mes grandes oeuvres sont bâties sur la mort prématurée de fondateurs humainement indispensables. Vois : ne suis-je pas mort à trente-trois ans ? Et mon Eglise, ton Eglise, est née de cette mort. Et pourtant, j’aurai pu choisir de n’être crucifié que dans ma vieillesse. C’est pourquoi, mon fils, si je te demandais, (je ne dis pas que je le demanderai), non seulement le sacrifice de l’échec et de l’insuccès, non seulement le sacrifice d’une vie obscure, mais le sacrifice des sacrifices : ta vie, tout simplement… Il faudrait encore dire Amen à ma Providence affectueuse. Tu as quinze ans, seize ans, et comme mon prophète Daniel, tu es un homme de désirs. Et ces désirs, je les connais, puisque c’est mon Esprit qui les met dans ton coeur. Et si je veux récompenser déjà tes intentions, de quoi te plaindrais-tu, apprenti à qui on épargne l’ouvrage et qui toucheras ta paie à la fin de la première heure ? O grain de blé que je m’apprête peut-être à confier à la terre, n’aie pas peur de t’ensevelir dans le sillon, mais laisse faire la main du Semeur. Je connais mon métier, et je t’aime, que veux-tu de plus ? Je sais les semences qui rendront cent pour un. Toi qui dois toujours être prêt, ne t’effraie donc pas, mon Scout, de te voir les mains vides ; c’est ton sacrifice qui les remplira. Le grain de blé est le père de la récolte. Mais il ne voit pas la moisson. Aussi ne dis pas, si je t’appelle, que tu meurs avant d’avoir rien fait : car c’est déjà beaucoup que de savoir mourir… »

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