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Pentecôte (A)

Souffle créateur



La création d’Adam

Herrade de Landsberg (Alsace, 1130 - Hohenburg, 1195)

Hortus Deliciarum du Mont Saint-Odile

Enluminure originale du XIIème siècle, copie du XIXème siècle

Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg (France)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 20,19-23.

C’était après la mort de Jésus. Le soir venu, en ce premier jour de la semaine, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »


L’œuvre

Ce manuscrit, l’Hortus Deliciarum, c’est-à-dire Le jardin des délices, a été conçu à la fin du XIIème siècle (entre 1159 et 1175) par Herrade de Landsberg, abbesse du couvent du mont Sainte-Odile en Alsace, pour la catéchèse de ses religieuses. C'est la première encyclopédie connue qui ait été réalisée par une femme. Cet ouvrage en latin résume les connaissances théologiques et profanes de l'époque. Le manuscrit original, qui avait été transféré à la bibliothèque de Strasbourg lors de la Révolution française, a été détruit lors de l'incendie de la bibliothèque en 1870, au cours de la guerre franco-prussienne. Les miniatures nous sont connues par des copies partielles effectuées par Christian Moritz Engelhardt et par le comte Auguste de Bastard d'Estang. Dans la plupart des cas, les légendes originales ont été ignorées lors de la copie de la miniature. Les dix épisodes joints racontent la création et le péché de l’homme des chapitres 2 et 3 du livre de la Genèse. Dieu créant toutes choses par sa Parole (il dit et cela est), c’est le Christ (reconnaissable à son nimbe crucifère) qui est à l’œuvre, en tant que Verbe, en tant que Parole de Dieu. À cette époque, il est impensable de représenter corporellement le Père invisible !


Les deux inscriptions latines

  • Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol.

  • Il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant.

Ce que je vois

L’image représente deux étapes de la création d’Adam. Dans la première à gauche, il est encore “glaiseux”, fait de terre, d’humus. Siégeant sur son trône richement ouvragé, Dieu aux traits christomorphiques, façonne l’homme. Ce dernier est encore petit et courbé, comme un pantin désarticulé. Dans l’image suivante, Dieu lui souffle dans les narines et lui donne vie (anima) lui tenant la main gauche et le poignet droit.


Cette saisie du poignet nous fait alors penser à la Descente aux Enfers, lorsque le Christ le saisira de la même façon pour l’extraire, avec Ève, du royaume des morts ; seconde vie que connaîtra le premier homme, après celle que nous avons sous nos yeux, où sa chair prend vigueur et couleur rose. C’est véritablement ce souffle qui lui donne vie et le créé comme homme nouveau…


Un souffle

L’année C, j’ai commenté la descente de l’Esprit-Saint sous forme de langues de feu (récit du livre des Actes des Apôtres) en l’illustrant de la superbe fresque réalisée par Maurice Denis en l’église du Saint-Esprit de Paris. Aujourd’hui, j’aimerais m’arrêter sur le texte de l’Évangile de saint Jean que nous venons d’entendre, et plus particulièrement sur ce curieux souffle de Jésus sur les Apôtres.

Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. »

Quand on se replonge dans la Bible, et dans différents ouvrages d’exégèse, on est surpris de la place insoupçonnée que prend cette dimension du souffle. Pour ne vous en donner que quelques aspects, il est tantôt présenté comme un souffle qui sort de la bouche, que ce soit de Dieu ou de l’homme, tantôt comme une des représentations de l’Esprit divin.


Le souffle “buccal”

De fait, pour chacun de nous, respirer est à la fois une nécessité, mais aussi un mystère. Notre souffle n’est-il pas le secret de la vie ? Et même notre langue le montre : “rendre son dernier souffle”, “expirer”, voire “être inspiré”. Mais aussi “soupirer”, sans parler, par ce soleil, de “transpirer” ! Ce souffle, du premier au dernier, est emblématique du mystère de la vie qui réside en nous, vie que nous ne pouvons saisir, mais qui nous saisit. Comme l’air dans laquelle nous baignons, présente, réelle, mais insaisissable… Ce souffle, dans le sens propre du terme, nous anime, signifie notre vie, notre âme.


Il en est de même pour Dieu. Son souffle, signe de sa présence insaisissable, vient résider en l’homme. Comme pour l’enluminure qui illustre ce dimanche, Dieu souffle, dès la création, dans les narines d’Adam pour lui donner son âme, sa vie. Dieu, et c’est bien ce qui le détermine en sa divinité, est doté de ce souffle créateur, réparateur et dynamique. Il dit, et cela est ; il souffle, et cela crée. Mais ce don n’est pas offert à tous. Lorsque nous regardons en détail la création dans le livre de la Genèse, on peut être étonné de voir que les autres animaux sont créés sans ce souffle initial que reçut Adam. La vie est en eux, mais sans une âme consciente du don fait par leur Créateur. Seul l’homme bénéficie de cette création dynamique et vivifiante.


Et en hébreu, ce souffle prend encore plus de sens car il est qualifié de “ruah” (רוּחַ), c’est-à-dire d’une énergie qui peut se moduler de diverses façons, d’une énergie vive et vivifiante. N’est-ce pas lui qui planait sur les eaux au début de la création (Gn 1, 2), comme il planera sur Marie pour la couvrir de son ombre (Lc 1, 35) ? N’est-ce pas ce même “ruah” qui, sous la forme d’une nuée mêlant la lumière et les ténèbres, que Dieu accompagnera son Peuple dans sa libération de la mains des Égyptiens (Ex 13, 21) et dans sa traversée du désert ? N’est-ce pas le même souffle, le même “ruah” qui viendra se poser sur l’Arche de l’Alliance (Ex 40, 34), pour donner vie à la Loi de Dieu ? N’est-ce pas le même souffle qui emplit le Christ lors de son Baptême (Lc 3, 22) ou de sa Transfiguration (Lc 9, 34) ? N’est-ce pas le même souffle qui vient se poser sur la tête des Apôtres (Ac 2), sur notre tête au jour du baptême ? Car l’homme est l’oeuvre d’art par excellence de Dieu. C’est donc de Dieu que l’homme tient son souffle de vie. Et Dieu fera de nous des participants, par ce souffle créateur, des participants à son oeuvre de création (Gn 1, 27-30).


Un souffle spirituel

Mais pour nous aussi, ce souffle, support de notre voix, exprime notre coeur le plus profond. Nous soupirons, nous inspirons, nous expirons. Nous pouvons souffler le chaud comme le froid ! En fait, il révèle ce qui nous habite, il exprime nos dons…


Ainsi, quand Dieu souffle dans les narines d’Adam, il vient créer un homme nouveau. Il vient donner vie et sens à l’homme. Mais avec cela, comme une marque particulière et intimement personnelle, Dieu nous fait la grâce de dons qui nous sont propres et qui ne font pas de nous des clones, des individus, mais des personnes, des personnes différentes et complémentaires, porteuses des dons choisis de Dieu. En ça, son souffle devient spirituel, créateur, dynamique et réparateur.


La liturgie elle-même a voulu le signifier de diverses façons. Je n’en soulignerai que deux. Lors du baptême, le prêtre est invité à souffler dans les narines du bébé en disant :

Sors de cet(te) enfant, esprit impur, et cède la place à l’Esprit-Saint Paraclet.

L’enfant est alors, par le souffle de Dieu recréé comme être vivant, empli de l’Esprit-Saint, homme nouveau, comme le dit aussi saint Paul (Ep 4, 22-24) :

Il s’agit de vous défaire de votre conduite d’autrefois, c’est-à-dire de l’homme ancien corrompu par les convoitises qui l’entraînent dans l’erreur. Laissez-vous renouveler par la transformation spirituelle de votre pensée. Revêtez-vous de l’homme nouveau, créé, selon Dieu, dans la justice et la sainteté conformes à la vérité.

Le deuxième exemple est celui de la liturgie de l’ordination. Le diacre est allongé sur le sol. L’homme ancien est en train de mourir. Et c’est le souffle de l’Esprit qui le relève, le recrée, le “répare” et le “dynamise” comme prêtre lorsque l’évêque lui impose les mains alors que l’on chante le “Veni Creator”…


Pentecôte ?

Mais revenons-en ainsi à notre Évangile de ce jour. Une nouvelle fois, il est curieux de lire que la chronologie johannique ne suit pas celle des autres évangélistes. Jean ne parle pas de cinquantième jour. Comme pour l’Ascension, tout semble simultané : apparition aux disciples, souffle sur eux, don de l’Esprit-Saint et “absence/présence”.


Et dans notre texte, ce verbe “souffler” (ενεφυοηεν) est unique dans tout le Nouveau Testament, un hapax. C’est celui qui est utilisé lors de la création d’Adam. Nous assistons ici à une re-création : c’est Yahvé qui a tout créé par le Verbe (comme le montre l’image méditée du mont Sainte-Odile), qui, à présent par le Verbe incarné “restaure l’homme de façon encore plus admirable en nous associant à sa divinité, Lui qui a daigné partager notre humanité” (Prière de l’Offertoire de la messe). L’acte pascal devient ainsi la réplique de l’acte créateur qui fait des Douze les représentants de l’humanité rénovée par la foi et par l’Esprit.


Saint Jean-Paul II le commentait en ces termes dans son Encyclique Dominum et vivificantem (n°13) :

En présentant son « départ » comme une condition de la « venue » du Paraclet, le Christ fait le lien entre le nouveau commencement du don que Dieu fait de lui-même par l'Esprit Saint pour le salut, et le mystère de la Rédemption. C'est là un nouveau commencement, avant tout parce que, entre le premier commencement et toute l'histoire de l'homme, s'est interposé, à partir de la chute originelle, le péché qui s'oppose à la présence de l'Esprit de Dieu dans la création et qui, surtout, s'oppose au don que Dieu fait de lui-même à l'homme pour son salut.

En fait, faut-il véritablement s’inquiéter d’une quelconque chronologie ? Les événements ne sont-ils pas relus dans la foi ? Ne prenons pas l’Évangile pour un récit de faits, tel un journaliste racontant ce qu’il voit, mais pour une “poésie” (ποιεν en grec : ce qui rend présent), une poésie qui rend présent le sens de la geste christique.

Ainsi, saint Jérôme commente cette question “historique” (Ép. 120, ad Hedybiam, 9) :

Comment se fait-il que, selon Saint-Jean, le Seigneur insuffla l’Esprit-Saint aux Apôtres, et que, selon Saint-Luc, il promit de l’envoyer après son Ascension ? (…) Paul nous apprend à discerner diverses grâces de l’Esprit : « Il y a divers dons, mais c’est le même Esprit » (1 Cor 12, 4s). J’ose dire en toute liberté que le jour où les Apôtres ont donné leur foi au Seigneur, ils ont toujours eux l’Esprit-Saint ; et ils n’auraient pu faire aucun miracle sans la grâce de l’Esprit-Saint ; mais ils l’avaient dans une certaine mesure (…) Puis, le premier jour de la Résurrection, ils reçurent la grâce de l’Esprit pour remettre les péchés, baptiser, faire des fils de Dieu et donner l’Esprit d’adoption ; (enfin) le jour de la Pentecôte, ils reçurent (les autres dons de l’Esprit).

Ce commentaire est extrêmement intéressant car il distingue le dons de l’Esprit, en soi, du don efficace des grâces de l’Esprit.


Les dons de l’Esprit

En fait, tout est un unique mystère qui prend diverses teintes entre la présence en nous de l’Esprit et sa mise en œuvre dans la plénitude des dons. Mystère qui s’étale dans le temps en une suite unique d’évènements “historiques”, mais qui est dans sa réalité d’un seul tenant puisqu’il baigne dans l’Éternel ! Et c’est pourquoi, bien que la source des eaux vives du Saint-Esprit ne doive s’ouvrir qu’à la suite de la glorification du Christ (Jn 7, 39), cette glorification se réalise non seulement dans la Résurrection, mais dans “l’exaltation” sur la Croix elle-même (Jn 12, 23). Ainsi, l’Esprit, depuis notre adoption par Dieu au jour de notre baptême, réside en nous. À la Pentecôte sacramentelle qu’est la confirmation, elle prend toute son ampleur en laissant l’Esprit agir en nous et développer ses dons. Ils sont conférés par la générosité de notre Dieu et reprennent traditionnellement les paroles du prophète Isaïe (11, 1-3) :

Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur – qui lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne jugera pas sur l’apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs.

Saint Thomas d’Aquin les résumera ainsi (Somme Théologique, Ia, Iiae, Qu. 68) :

"Mais la raison est spéculative et pratique. (…)
Pour la saisie de la vérité, la raison spéculative est donc perfectionnée par le don d'intelligence, la raison pratique par celui de conseil.
Pour bien juger, la raison spéculative est perfectionnée par la sagesse, la raison pratique par la science.
Quant à la puissance appétitive, en ce qui regarde autrui elle est perfectionnée par la piété ; en ce qui regarde le sujet lui-même elle est perfectionnée par la force contre la terreur des périls, et contre la convoitise désordonnée des choses agréables elle est perfectionnée par la crainte,"

Intelligence, conseil, sagesse, science, piété, force et crainte.


Et pour nous ?

Ce sont ces dons reçus, vécus, entretenus en nous qui portent ensuite du fruit. Mais l’Esprit habite déjà au plus profond de notre âme. On pourrait presque tenter de dire qu’Il est notre âme, lui qui vivifie. La vraie question qui nous est posée aujourd’hui par le Christ qui souffle sur chacun de nous, est de savoir si nous voulons être recréés ? Dans le même Évangile, Jésus pose la question à un homme malade (Jn 5, 6) : “Veux-tu guérir ?” Aujourd’hui, ne nous demande-t-il pas : Veux-tu vivre ? Veux-tu revivre, être recréé à notre image ? La question n’est pas de savoir si nous avons une âme, la question serait plutôt de se demander ce que nous en faisons !


Une page blanche…

L’âme que Dieu a insufflée en nous est comme une page blanche. Ne vous inquiétez pas de savoir si ce que vous écrirez dessus est de qualité, de belle syntaxe ou d’orthographe juste. Ne vous formalisez pas de la faiblesse de votre vocabulaire spirituel. Ne vous accablez pas des ratures inévitables, des circonlocutions compliquées, des détours abscons. Ne vous gourmandez pas si vous l’avez chiffonnée puis reprise. Bref, avec l’Esprit, écrivez votre vie ! Inspirez-vous de Lui, l’Esprit.


Inspirez-vous de ses dons, des lumières qu’il vous révèle de la Parole de Dieu. Exsufflez sur les autres la “poésie” de votre vie, et de la Vie de Dieu en vous. Ne vous inquiétez pas… Dans nos vies, Dieu écrit droit avec des lignes courbes, comme lit le proverbe portugais ! La seule chose don’t nous devrions avoir peur serait d’avoir l’attitude du serviteur paresseux (Mt 25, 24-29) :

Celui qui avait reçu un seul talent s’approcha aussi et dit : “Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient.” Son maître lui répliqua : “Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne là où je n’ai pas semé, que je ramasse le grain là où je ne l’ai pas répandu. Alors, il fallait placer mon argent à la banque ; et, à mon retour, je l’aurais retrouvé avec les intérêts. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui en a dix. À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.

Notre âme est cette page blanche, ce trésor que Dieu nous confie. Ne l’enterrez pas, ne la laissez pas traîner dans un tiroir… au risque de vous la voir enlever ! Écrivez-là avec l’Esprit, faites-la fructifier ! Et les fruits sont nombreux (Gal 5, 22-25) :

Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas. Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses convoitises. Puisque l’Esprit nous fait vivre, marchons sous la conduite de l’Esprit.

Veni Creator Spiritus

Viens, Esprit Créateur,

Visite l'esprit de tes fidèles,

Emplis de la grâce d'En-Haut

Les cœurs que tu as créés.


Toi qu'on nomme le Consolateur,

Le don du Dieu très-Haut,

La source vivante, le Feu, la Charité,

L'Onction spirituelle.


Toi l'Esprit aux sept dons,

Le doigt de la droite paternelle,

Tu es sa solennelle promesse,

Enrichissant notre gorge par la parole.

Fais jaillir la lumière dans notre intelligence,

Répands l'amour dans notre cœur,

Soutiens la faiblesse de notre corps

Par ton éternelle vigueur !


Repousse au loin l'Ennemi,

Donne-nous la paix sans délai ;

Que sous ta conduite qui nous ouvre la voie,

nous évitions toute nuisance.

Fais que par toi nous connaissions le Père

Et découvrions le Fils,

Et qu'en toi, leur commun Esprit,

Nous croyions en tout temps.

Gloire soit à Dieu le Père,

Au Fils ressuscité des morts,

À l'Esprit Saint Consolateur,

Dans les siècles des siècles.

Amen.


Homélie de Rupert de Deutz (+ 1129), Sur l'évangile de saint Jean, 2, CCM 9, 61-62

Quand le Christ baptise dans le Saint-Esprit, il donne d'abord la rémission des péchés. Mais il donne aussi, en second lieu, l'ornement de diverses grâces. Car il a parlé de la grâce du pardon des péchés le jour de sa résurrection, quand, en soufflant sur ses disciples, qu'il avait déjà lavés de leurs péchés dans son sang, il a dit : Recevez l'Esprit Saint. Et il affirme qu'il le leur donne pour la rémission des péchés puisqu'il ajoute aussitôt: Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, et ceux à qui vous les maintiendrez, ils leur seront maintenus (Jn 20,22-23).

Sur cette distribution des dons par laquelle, nous venons de le dire, il confère l'ornement de ses grâces, saint Luc nous rapporte, dans les Actes des Apôtres, cette parole de Jésus: Jean a baptisé avec de l'eau; mais vous, c'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés d'ici quelques jours (Ac 1,5).

Le double don de ce baptême est exprimé par saint Jean Baptiste qui dit, chez les évangélistes Matthieu et Luc : Lui qui vous baptisera dans l'Esprit Saint et dans le feu (Mt 3,11 Lc 3,16). Car il nous baptise par l'Esprit Saint quand la grâce invisible de cet Esprit descend dans la fontaine baptismale et remet tous leurs péchés à ceux qui reçoivent le baptême. Il baptise en outre par le feu lorsqu'il les rend embrasés par la ferveur du Saint-Esprit, forts dans l'amour et constants dans la foi, brillants de science et brûlants de zèle.

Dans cette rémission des péchés, on ne trouve aucune division ; c'est d'une façon égale et uniforme qu'une seule et même grâce vient sur tous, mais en délivrant de toutes nos iniquités et en jetant au fond de la mer tous nos péchés.

Au contraire, dans les dons de la grâce, tous n'en reçoivent pas autant, lorsque l'un reçoit le don de la foi, l'autre le langage de la connaissance de Dieu ou de la sagesse, un autre le don de parler en langues, un autre le don d'interpréter, et ainsi de suite. Mais celui qui agit en tout cela, c'est le même et unique Esprit : il distribue ses dons à chacun, selon sa volonté (cf. 1 Co 12,8-11).

Chez les saints du Nouveau Testament, nous voyons ces charismes donnés par celui qui baptise, nous voyons ces marques éclatantes d'un baptême de gloire que nul d'entre eux, d'après l'Écriture, n'a reçu avant d'avoir été baptisé pour la rémission des péchés. Sauf dans le cas de Corneille et de ses compagnons : comme Pierre était encore en train de les instruire, le Saint-Esprit tomba sur eux, et ils se mirent à parler en langues et à glorifier Dieu.

Or, si quelques Pères de l'Ancien Testament ont reçu le don des miracles, beaucoup reçurent le don de prophétie, alors qu'ils n'avaient pas été baptisés en rémission des péchés. Car il est certain que tous furent baptisés quand le Christ, mort sur la croix, répandit un flot de sang et d'eau de son côté percé par la lance, pour la purification de l'Église universelle. Celle-ci englobe tous les hommes, depuis l'origine du monde, depuis le premier des justes, Abel, jusqu'au bandit crucifié avec le Christ, à l'heure même de sa mort. Car, alors que cette effusion si précieuse et si salutaire n'avait pas encore jailli du côté du Christ, ce bandit reconnut qu'il était le Seigneur en croyant à la venue future de son règne, et il acheta son entrée dans celui-ci par cette confession de foi imprévue.


Homélie de saint Augustin (+ 430), Sermon 271, éd. des Mauristes 5, 1102-1103

Nous avons vu avec joie, mes frères, se lever ce jour de la Pentecôte, où la sainte Église resplendit aux yeux des fidèles et enflamme leurs coeurs. Car nous célébrons ce jour où notre Seigneur Jésus Christ, après sa résurrection et la gloire de son ascension, a envoyé le Saint-Esprit. Il avait dit, comme l'Évangile nous le rapporte : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi! Comme dit l'Écriture: Des fleuves d'eau vive jailliront de son coeur. L'Évangéliste donne alors cette explication: En disant cela, il parlait de l'Esprit Saint, l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Jésus. En effet, l'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié par le Père (Jn 7,37-39).

Il restait donc, après la glorification de Jésus, sa résurrection d'entre les morts et sa montée aux cieux, que l'Esprit Saint fût donné, après avoir été envoyé par celui qui l'avait promis. Et c'est ce qui s'est produit.

En effet, après avoir vécu avec ses disciples pendant les quarante jours qui suivirent sa résurrection, le Seigneur monta au ciel, et, le cinquantième jour, que nous célébrons aujourd'hui, il envoya le Saint-Esprit, ainsi qu'il est écrit: Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d'un violent coup de vent: il virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d'eux. Ils se mirent à parler en d'autres langues, et chacun s'exprimait selon le don de l'Esprit (Ac 2,2-4).

Ce souffle purifiait les coeurs de leur paille charnelle; ce feu consumait le foin de l'ancienne convoitise; ces langues que parlaient les Apôtres comblés de l'Esprit Saint préfiguraient la diffusion de l'Église par les langues de toutes les nations. Car, de même qu'après le déluge l'impiété des hommes édifia une haute tour contre le Seigneur, quand le genre humain mérita d'être divisé par des langues diverses si bien que chaque nation parlait sa propre langue sans être comprise par les autres nations, ainsi l'humble piété des croyants ramena vers l'Église la diversité de ces langues. Ainsi, ce que la discorde avait dispersé, la charité le rassemblerait, et les membres épars d'un unique genre humain seraient reliés entre eux et avec le Christ, le chef unique, et seraient fondus par le feu de l'amour dans l'unité de ce corps très saint.

C'est pourquoi ils sont totalement exclus de ce don du Saint-Esprit, ceux qui haïssent la grâce de la paix, et qui ne restent pas en communion avec l'unité. Car, bien qu'eux-mêmes se réunissent aujourd'hui comme chaque année, bien qu'ils entendent lire ces Écritures qui attestent la promesse et l'envoi du Saint-Esprit, ils les entendent pour leur condamnation, non pour leur récompense. A quoi leur sert-il, en effet, de percevoir par les oreilles ce que rejette leur coeur et de célébrer le jour de celui dont ils détestent la lumière ?

Mais vous, mes frères, membres du corps du Christ, germes d'unité, enfants de paix, passez ce jour dans la joie, célébrez-le en sécurité. Car ce qui était annoncé en ces jours où vint le Saint-Esprit, c'est cela qui s'accomplit en vous. Car chacun de ceux qui recevait alors l'Esprit Saint parlait, à lui seul, toutes les langues. C'est ainsi qu'aujourd'hui l'unité elle-même parle toutes les langues à travers toutes les nations, cette unité dans laquelle vous possédez l'Esprit Saint, vous qui n'êtes séparés par aucun schisme de l'Église du Christ, laquelle parle toutes les langues.


Prière

Aujourd'hui, Seigneur, par le mystère de la Pentecôte, tu sanctifies ton Église chez tous les peuples et dans toutes les nations ; répands les dons du Saint-Esprit sur l'immensité du monde, et continue dans les coeurs des croyants l'oeuvre d'amour que tu as entreprise au début de la prédication évangélique. Par Jésus Christ.

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