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Ve dimanche de Carême (C)

Au Nom de Jésus -



Icône serbe de la Sainte Face

Anonyme

Icône, peinture à la cire sur cyprès, 44 x 40 cm, XIIIe siècle

Cathédrale Notre-Dame, Laon (France)


Lecture du livre du prophète Isaïe (Is 43, 16-21)

Ainsi parle le Seigneur, lui qui fit un chemin dans la mer, un sentier dans les eaux puissantes, lui qui mit en campagne des chars et des chevaux, des troupes et de puissants guerriers ; les voilà tous couchés pour ne plus se relever, ils se sont éteints, consumés comme une mèche. Le Seigneur dit : « Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? Oui, je vais faire passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides. Les bêtes sauvages me rendront gloire – les chacals et les autruches – parce que j’aurai fait couler de l’eau dans le désert, des fleuves dans les lieux arides, pour désaltérer mon peuple, celui que j’ai choisi. Ce peuple que je me suis façonné redira ma louange.


Psaume 125

Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.

Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! »

Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !

Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie.

Il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens (Ph 3, 8-14)

Frères, tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. À cause de lui, j’ai tout perdu ; je considère tout comme des ordures, afin de gagner un seul avantage, le Christ, et, en lui, d’être reconnu juste, non pas de la justice venant de la loi de Moïse mais de celle qui vient de la foi au Christ, la justice venant de Dieu, qui est fondée sur la foi. Il s’agit pour moi de connaître le Christ, d’éprouver la puissance de sa résurrection et de communier aux souffrances de sa Passion, en devenant semblable à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir à la résurrection d’entre les morts. Certes, je n’ai pas encore obtenu cela, je n’ai pas encore atteint la perfection, mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir, puisque j’ai moi-même été saisi par le Christ Jésus. Frères, quant à moi, je ne pense pas avoir déjà saisi cela. Une seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus.


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 8, 1-11)

En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »


L’icône


Présentation de la Base Palissy


Icône serbe de la Sainte-Face datant du XII-XIIIe siècle et conservée dans le transept nord de la cathédrale de Laon. Le tableau représente la figure biblique sur un mouchoir déplié avec l'inscription en slavon (OBRAS COSPODEM NA OUBROUSE) "Visage du seigneur sur un linge". L'oeuvre aurait été acquise par Jacques de Troyes, archidiacre de Laon, qui deviendra pape en 1261 sous le nom de Urbain VI. Il aurait fait don de l'icône à sa soeur Sybille, abbesse du monastère cistercien de Montreuil en Thiérache. L'icône fait l'objet d'un pèlerinage qui se perpétue lorsque l'ordre religieux déménage en 1636 à Laon. À la suite de la disparition de l'abbaye durant la Révolution française, l'icône est intégrée au trésor de la cathédrale. Elle a été restaurée à plusieurs reprises (1931, 1982 et 1988).


La philocalie

Commençons par ce verset de saint Paul qu’entendit un jour le « pèlerin russe » au début du XIXe siècle : « Priez sans cesse » (1 Th 5, 17). Comme le raconte son récit, il parcourut toute la Russie pour trouvez réponse à la question lancinante : mais comment faire, surtout quand on a des occupations professionnelles et familiales ? Et il découvrit ce que l’on appelle l’hésychasme. Ce mot grec pourrait se traduire par « paix », « tranquillité ». Ainsi, un moine vint voir un jour Abba Arsène pour connaître le moyen de rencontrer Dieu dans la paix. Abba Arsène lui répondit ces trois mots latins « Fuge, Tace, Quiesce » : Fuis, tais-toi, repose dans ta cellule. Notre pèlerin russe découvrit aussi, au cours de ses pérégrinations, un petit livre qui venait d’être traduit depuis peu : « La petite philocalie ». Le mot philocalie se traduit par « amour de la beauté, du bon ». C’est, en fait, un recueil de textes spirituels des Pères. Et, en résumé, nous pourrions dire qu’ils s’appuient sur trois piliers : un objectif, un moyen et une méthode.


Un objectif

Cet objectif est tout autant simple que, presque, utopique sur cette terre : s’unir à Dieu dans la plénitude de l’Esprit. C’est ce dont nous parlions le premier dimanche : la déification, devenir un alter Christus (un autre Christ), voire un ipse Christus (le Christ lui-même). Et, me semble-t-il, l’objectif de la spiritualité orthodoxe est une sorte de « révision », ou plutôt de remise en ordre de ce que saint Paul disait (1 Co 13, 13) : « Ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité. » Car nous considérons souvent que le qualificatif de grand équivaudrait à important. Ce n’est pas la même chose ! Il faut plutôt comprendre que la charité est le pyramidion final d’un édifice donc la base est la foi et l’étage intermédiaire l’espérance. Ainsi, pour vivre de la charité divine, autre nom pourrions-nous dire de la plénitude de l’Esprit, il nous faut d’abord cultiver notre foi, faire grandir notre espérance. Et c’est par la prière qui nous unit à Dieu que nous renforçons notre foi (non celle de l’intellect mais celle du coeur), que nous sommes nourris de l’espérance qui nous rapproche de Lui, et que nous transmettons alors à tous non plus notre, mais sa charité. Et si elle est la plus grande des vertus, c’est bien parce qu’elle s’édifie sur les deux autres : elle en est le sommet. L’erreur serait d’essayer de vivre de la charité, l’estimant la plus importante, en négligeant la foi et l’espérance. Au bout du compte, elle ne serait plus qu’une sorte de solidarité car elle ne serait pas vécue au Nom du Christ (Mc 9, 37) : « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »


En mon Nom

Peut-être avons perdu le sens du nom, encore plus depuis que de nouvelles lois nous permettent d’en changer comme de chemises ! Pourtant, c’est bien notre nom qui nous définit, et même parfois nous détermine. Qui ne s’est interrogé sur l’étymologie de son nom et ne découvre ainsi ses origines territoriales ou la condition et le métier de ses ancêtres ? Ainsi, mes ancêtres devaient fabriquer des manteaux de fourrures, des pelisses : c’étaient des pelissons, d’où le nom de Plichon (à moins que ça ne vienne de « polissons » !) De même, lorsque nous connaissons le nom de quelqu’un, nous avons barre sur lui, que ce soit négativement (une sorte de pouvoir que nous pouvons exercer sur lui) ou positivement parce que nous n’aimons pas une personne indéterminée, mais celle que nous connaissons. Et je vous rappelle que le verbe connaître, c’est, comme le disait avec poésie Charles Péguy, naître avec. Quand je connais, celui que j’aime naît avec et en moi.


Quand on regarde d’un peu près la Bible, on est surpris que les noms ont tous une signification cachée. J’avais déjà fait référence à Zachée, dont le nom peut se traduire par « homme juste ». Alors, est-ce vraiment un ignoble petit collecteur d’impôts ? Rappelez-vous aussi, au début de l’évangile de Luc, la question du nom qui doit être donné au Baptiste. Le nom a une grande importance. La preuve en est encore plus marquante avec le nom de Jésus. Dès l’Annonciation, l’ange indique à Marie qui sera son enfant. Il s’appellera Jésus (Lc 1, 31), ce qui veut dire « Dieu sauve ». Et à Joseph, en Matthieu, il précise que cet enfant sera l’Emmanuel, Dieu avec nous (Mt 1, 21). Ainsi, prier le nom de Jésus, c’est prier le Dieu qui sauve et qui est avec nous, à nos côtés.


Le Nom de Jésus

Dans l’évangile, les références sont nombreuses où Jésus nous explique l’importance de son Nom, de tout faire en son Nom, et que ce Nom nous sauve et nous mène, par l’Esprit, au Père. Cela a tellement marqué les Pères de l’Église, qu’ils ont compris que c’est par le nom de Jésus que l’on obtient le salut et la déification. Déjà, dans le Pasteur d'Hermas, on peut lire : « Pour l'homme, recevoir le nom du Fils de Dieu c'est échapper à la mort et se livrer à la vie », aussi « nul ne peut entrer dans le royaume de Dieu si ce n'est par le nom du Fils ».


Boris Bobrinskoy (Cinq leçons sur l’orthodoxie) Nous explique comment est née, au cours des siècles, cette prière hésychaste :

Deux siècles plus tard, les Pères du désert ont commenté ce pouvoir du nom. Ils ne faisaient pas pour autant de l'invocation du nom un exercice spirituel, une oraison particulière. En revanche, ils ont préparé d'une autre façon la Prière de Jésus en donnant à leurs prières privées la forme de courtes invocations - du type kyrie eleison. Saint Augustin a décrit les prières fréquentes et très brèves des frères, en Égypte, comme étant « rapidement lancées » (quodammodo jaculatas dans le texte latin), ce qui a donné l'expression « oraisons jaculatoires ». Ce terme est parfois encore employé pour parler de la Prière de Jésus, mais il est toutefois important de ne pas réduire la récitation de cette prière à l'utilisation d'une formule brève et sans cesse répétée. Cette dimension, ce sens tout particulier de la Prière de Jésus sera réellement mis en œuvre par le mouvement hésychaste, une tradition spirituelle qui s'étend du Ve au XVIIIe siècle, établi dès la première moitié du VIIe siècle dans un chapitre de L'Échelle du Paradis de saint Jean Climaque et clos avec Nicodème l’Hagiorite (XVIe siècle) dernier porte-parole de l'hésychasme historique. Ce mouvement tire son nom d'un terme grec, ἡσυχία, hésychia, que l'on peut traduire par « repos » ou, mieux, par « paix, silence », ou encore et c'est cela que nous retiendrons : « tranquillité ou paix du cœur ».

La prière de Jésus

Ainsi, ces moines récitaient cette petite prière (dont les mots varient parfois) : « Seigneur Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ». Pour s’aider, leurs doigts égrènent les 99 boules noires d’un chapelet de laine que l’on appelle le tchotki (en russe : Чётки, équivalent en grec moderne : κομποσκοίνι, koboskini) en répétant cette phrase.


Jean Cassien (360-435) explique le sens de cette prière continuelle (Collations, 10, 10)

« Tout moine qui vise au souvenir continuel de Dieu doit s’accoutumer à murmurer intérieurement et à repasser sans cesse dans son cœur la formule que je vais vous livrer, et chasser pour cela la multitude des autres pensées, car il ne pourra s’y tenir que s’il s’affranchit de tous les soucis et sollicitudes du corps. C’est là une doctrine à laquelle nous avons été initiés par les rares survivants des plus anciens Pères, et que nous ne livrons de même qu’à de rares privilégiés, qui aient vraiment soif de la connaître. »
« Pour conserver continuellement le souvenir de Dieu, vous devez donc sans cesse garder présente dans votre esprit cette sainte formule : Mon Dieu, viens à mon aide ; Seigneur : hâte-toi de me secourir (Psaume 69, 2). Ce n’est pas sans raison que ce verset a été choisi parmi toute l’Écriture Sainte. Il exprime tous les sentiments que peut concevoir la nature humaine, il convient parfaitement à tous les états et à toutes les tentations. On y trouve l’invocation de Dieu contre tous les dangers, l’humilité d’une humble et pieuse confession, la vigilance qui procède d’une attention et d’une crainte continuelles, la considération de notre fragilité, la confiance d’être exaucé, l’assurance d’un secours toujours présent et prêt à intervenir. Car celui qui invoque sans cesse son Protecteur est assuré de l’avoir toujours présent. »

Et l’Archimandrite Sophrony écrira dans le Caractère Universel de le Prière de Jésus :

« Le Nom de « Jésus » fut donné par révélation d’En-haut. Il provient de la sphère divine, éternelle, et n’est en aucune façon le produit de l’intelligence humaine, bien qu’il soit exprimé par un mot créé. La révélation est un acte, une énergie de la Divinité ; comme telle, elle appartient à un autre plan et transcende les énergies cosmiques. Dans sa gloire supraterrestre, le Nom de " Jésus " est métacosmique. Lorsque nous prononçons le Nom du Christ, lui demandant de se mettre en relation avec nous, lui qui remplit tout, il prête attention à nos paroles, et nous entrons en un contact vivant avec lui. Comme Logos éternel du Père, il demeure avec lui dans une unité indivisible, et ainsi Dieu le Père entre par son Verbe en relation avec nous. ... Le Nom de « Jésus » signifie « Dieu-Sauveur » ... En priant par le Nom de Jésus-Christ, nous nous plaçons devant l’absolue plénitude et de l’Être premier incréé, et de l’être créé. Pour pouvoir pénétrer dans le domaine de cette plénitude de l’Être, nous devons le recevoir en nous de telle manière que sa vie devienne aussi la nôtre, et cela par l’invocation de son Nom en conformité avec son commandement. »

Certains pourraient être surpris, voire désabusés, par cette prière répétitive qui ressemble au chapelet marmonné par des grands-mères, ou dénoncent une prière qui n’a rien de la ferveur attendue. Quelle erreur !


Petite expérience personnelle

Je pratique depuis un certain temps cette prière orthodoxe. Que m’apporte-t-elle ? D’abord, de faire justement taire mon intelligence. Je ne cherche pas à faire de belles phrases, à choisir les mots adéquats, à me concentrer avec difficulté sur une idée. Non, je redis simplement le Nom de celui que j’aime ! Entre amoureux, n’en est-il pas de même ? Les vrais amoureux ne cherchent pas à se faire de longs discours : la poésie du prénom de l’autre et des « je t’aime » suffit amplement. Dernièrement, j’ai vu un film (peut-être un peu licencieux) : « Call me by your Name » : deux amoureux s’appellent par le prénom de l’autre. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau et de très vrai. En répétant cette phrase, ce n’est plus mon intelligence qui prie, mais petit à petit, c’est mon coeur, le seul qui puisse vraiment parler en vérité et en amour au Christ.


Ma prière est soutenue par l’icône sur l’autel du visage du Christ (plus exactement de son Sacré Coeur). En le regardant et en priant la prière de Jésus, j’ai l’impression que doucement c’est Lui qui me regarde et prie avec moi. Ostensiblement, la paix envahit le coeur, l’intelligence retrouve le silence et la tranquillité. N’est-ce pas aussi le cas lorsque nous contemplons cette Sainte Face de la cathédrale de Laon ?


En fait, cette prière illustre la réponse d’Abba Arsène : Fuis, tais-toi, repose dans ta cellule. Mes soucis fuient comme mon attention au monde (dans le sens johannique du terme), le silence m’habite et fait taire toute parole inutile, et je reste seul avec le Seul dans la cellule de mon coeur.


Bien sûr, cette prière ne peut se passer de la Parole de Dieu. C’est pourquoi, je prends le temps de la lecture quotidienne de la Bible. Parfois un verset me marque et nourrit la prière. Parfois, c’est le vide. Qu’importe, ce qui est entré par les yeux finit par reposer dans le coeur et germer à un moment ou à un autre : c’est le propre de la Parole de Dieu. Car le but de cette prière n’est certainement pas d’atteindre une sorte de silence mystique, mais au contraire, de s’ouvrir totalement pour être et devenir réceptacle à la Parole et à la lumière de Dieu. L’effort demandé, ce que les Pères appellent la volonté, n’est certes pas de faire tel ou tel acte pour atteindre la déification, mais au contraire de combattre toute distraction (voir l’homélie de dimanche dernier) pour laisser le Christ nous envahir. En fait, il s’agit par cette prière répétitive de faire mémoire du Seigneur Jésus jusqu’à ce que le Nom du Christ pénètre en mon coeur, y descende profondément et y vivifie mon âme.


Saint Grégoire Palamas explicitera, en termes théologiques, cette transfiguration de notre âme. Selon lui, la vie mystique est la manifestation de Dieu dans les œuvres, c'est ce qu'il appelle l'energeia. Pour résumer en une formule, Dieu est et reste invisible, inaccessible, inconnaissable, invisible dans son essence mais il se révèle et se manifeste dans ses énergies. Ainsi opère l'Esprit qui a été reçu au baptême. Le don de Dieu est révélé et entre de façon résolument active dans la vie de l'homme.


À un tel point que cette énergie reçue dans la prière peut transformer cette phrase répétitive en un seul mot « Jésus », même prononcé dans notre sommeil. Ce qui nous permettra de dire avec saint Paul (Ga 2, 20) : « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. »


Je termine avec les mots de Boris Bobrinskoy (op. cit.) :

Mais l'homme a perdu ce trésor en cherchant dans le monde le sens même de sa vie. C'est le péché d'Adam. L’homme a perdu ses références essentielles, ses repères, il se disperse dans une quête éperdue mais insensée dans un monde qui lui est extérieur et qui ne peut répondre à sa soif d'absolu. Il vit dans un monde qui se voudrait sans Dieu, où il est bon d'avoir en oubliant qu'il faut d'abord être. C'est un monde qui s'essouffle en cherchant à satisfaire des désirs qu'il a tendance à transformer en droits. Un monde qui cherche constamment à repousser ses limites mais ne fait qu'augmenter ses interrogations. Un monde effréné.
Pourtant, dans le secret de son cœur, l'homme peut en appeler au saint nom de Jésus. La prière n'a pas besoin de connexion internet, de réseau satellite, elle est en quelque sorte accessible partout, tout le temps et par tout le monde. Mais c'est aussi un cheminement spirituel, une voix qui demande une préparation, un guide spirituel mais qui doit aussi s'inscrire dans un contexte qui la soutienne : celui de la prière en Eglise.
Autrement dit, la prière n'est pas tout et il ne faut pas l'isoler de la vie liturgique, au contraire. Elle doit se nourrir de la participation à la vie sacramentelle de l'Eglise et se conforter des conseils d'une personne expérimentée dans sa pratique. Sans oublier que, comme dans toute relation de prière, c'est Dieu qui « reste à la manœuvre », C'est Lui qui donne sa grâce - y compris celle de la prière. Le but de nos activités orantes est d'ouvrir notre cœur à son amour et sa miséricorde.
Ainsi, il peut être donné à l'homme de devenir participant de la nature divine, ce que résume la phrase attribuée généralement « aux Pères » faute de pouvoir lui donner un seul auteur : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu » ou, comme l'écrit l'archiprêtre Serge Boulgakov, « le nom de Jésus présent dans le cœur humain lui confère le pouvoir de déification ». Ces mots font référence à la deuxième épître de Pierre : « Celui qui est Dieu par nature prit notre humanité pour que nous, hommes, nous puissions avoir part par grâce à sa divinité, devenant participants de la nature divine » Le but de la prière tient également dans ces mots : « Deviens ce que tu es. » C'est-à-dire, « deviens, consciemment et activement, ce que tu es déjà potentiellement et secrètement, en vertu de ta création à l'image de Dieu et de ta recréation par le baptême. Redeviens cet homme créé à l'image et la ressemblance de Dieu ».
Pour atteindre ce but, le chemin peut être long et difficile mais, comme dans toute entreprise humaine, il faut commencer par un premier pas. Tranquille. On ne se précipite pas dans la prière, on y entre tout doucement. On prononcera le nom de Jésus comme on le ferait d'un être aimé. Laissant parler le cœur en gardant à l'esprit le souvenir de Dieu. On peut ainsi dire la prière en accomplissant une tâche manuelle, en conduisant sa voiture, dans le train, en promenade ou même... sous la douche. Mais le temps de prière qui sera le plus profitable est celui que l'on prendra dans sa chambre ou dans un coin tranquille de la maison, dans l'obscurité, avec comme élément de meilleure concentration une lampe allumée devant une icône. En effet, spontanément, surtout au début, nous ne sommes pas prêts à entrer dans la prière, quelle qu'elle soit. La répétition, si elle n'est pas simplement mécanique, nous permettra, peu à peu, d'intérioriser cette prière.

Alors… YAPUKA !


Annexe : Méditation sur la femme adultère


Une femme adultère

Nous aussi, à l’image de ces Juifs, aurions tendance à vouloir appliquer une justice sévère, laissant peu de place à quelque considération humaniste. La justice a les yeux bandés ! Mais les a-t-elle pour ne pas voir l’humanité, pour s’empêcher toute faiblesse du cœur, ou pour ne pas se laisser corrompre, pour éviter de favoriser l’un pour l’autre ? Autant la justice appelle à l’égalité de tous devant la loi, autant elle n’empêche pas de s’adapter aux situations et de faire preuve d’humanité. Notre grande peur, en fait, serait de croire qu’en étant humain dans nos jugements nous ouvririons la porte au laxisme. C’est là où nous faisons erreur. Le laxisme serait de ne pas reconnaître la faute, non de refuser la condamnation.


Regardons cette femme adultère. Jésus n’ignore pas son péché. Il le reconnaît l’appelant à ne plus pécher. Il sait que sa vie n’est pas idéale, il sait que cette femme faute. Mais il introduit dans le système judiciaire juif une notion nouvelle : il distingue le péché du pécheur. Autant il condamne le péché, autant il aime et croit en la conversion du pécheur.


Péché et pécheur

Les scribes et les pharisiens cherchent simplement à savoir si Jésus est capable d’appliquer froidement la loi. « Dura Lex, sed Lex »… Mais ce n’est pas parce que le texte de loi est implacable, et quand pourrait-il en être autrement, que son application doit l’être. Oui, ce qu’a fait cette femme est condamnable aux yeux de la loi (qui les a pourtant bandés…) Oui, elle mérite d’être châtiée. Mais ce n’est pas parce qu’elle le mérite qu’il faille pour autant le faire. Jamais le Christ n’a nié le péché de cette femme. Il le reconnaît, et même, il le condamne puisqu’il invite avec force cette femme à ne plus le commettre. Mais, elle, il la distingue de ses actes. Elle est plus que ses actes, elle est plus que ce qu’elle fait. Nous devrions plus souvent nous rappeler cette subtile distinction dans nos petites condamnations quotidiennes… Que de fois nous assimilons les personnes à leurs actes. Que de fois nous condamnons les personnes pour leurs actes, sans condamner les actes véritablement. À un tel point que nous ferions preuve d’une indulgence facile à notre égard pour ces mêmes actes… Il est facile de condamner l’homme politique qui a pu détourner des fonds publics. Et c’est quelque chose de très grave. Mais, moi, est-ce que je respecte toujours la loi. Ne serait-ce que sur ma déclaration d’impôts… ? À qui doit s’appliquer l’indulgence ?


Le statut du juge

Car, après cette première notion introduite par le Christ - la distinction entre le péché et le pécheur -, deux nouvelles perspectives apparaissent : l’indulgence en vue de la rédemption, et le statut du juge. Le statut du juge car, comme nous venons de le dire, pour juger, il faut en être capable. Si nous voulons appliquer une loi implacablement, il faut impérativement qu’elle ne nous touche pas, qu’elle ne nous condamne pas nous-même. Comment pourrions-nous accepter qu’un juge nous condamne pour une règle que lui-même ne s’appliquerait pas ?


Bien sûr, si nous poussons trop loin le raisonnement, il n’y a plus de juge possible. Qui peut se dire parfait ? Qui peut prétendre n’avoir jamais fauté ? Qui peut se targuer d’une pureté totale ? C’est bien cela que Jésus rappelle aux pharisiens… Et il sait que plus la vie est longue, plus on se salit… Plus on est vieux, plus on a péché… « Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. » Cela nous fait mieux comprendre le troisième concept christique : l’indulgence rédemptrice.


L’indulgence rédemptrice

Car il ne s’agit pas d’être simplement indulgent avec les autres pour éviter que cela ne nous arrive, par pure protection. Il s’agit plutôt d’être indulgent par espérance. L’espérance que l’autre se convertisse, comme moi j’y suis aussi invité. L’indulgence est la porte entrebâillée de la justice permettant de laisser passer l’appel à la conversion, la possibilité de changer, la foi en la rédemption. Jésus, en ne condamnant pas cette femme, en distinguant la personne de ses actes, en reconnaissant malgré tout les fautes commises, mais en lui offrant cette indulgence, lui ouvre la porte de la conversion.


Jésus nous montre la voie étroite entre un jugement implacable, froid, déterminé, et un laxisme tout aussi coupable. Cette voie étroite qui ne nie pas le péché, mais qui propose au pécheur de se repentir, de se convertir, de reprendre une juste route. Oh, rassurez-vous, il n’est pas bête… Il sait qu’il peut se faire avoir. Et alors ? Comme le disait le Cardinal Veuillot distribuant chaque jour des pièces aux clochards devant la cathédrale de Paris, rappelé à l’ordre par un jeune prêtre zélé lui expliquant que ces hommes empochaient l’argent pour le boire, le saint homme répliquait : « Je préfère me faire avoir dix fois que de manquer une seule fois à la charité ».


Mais Jésus a mis des limites à notre indulgence pour qu’elle ne soit pas elle-même abusée. La première est dans l’évangile de Matthieu (Mt 16, 15-17) :

Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Église ; s’il refuse encore d’écouter l’Église, considère-le comme un païen et un publicain.

L’autre limite est celle que Jésus vécu lui-même. Dans le sermon sur la montagne (Mt 5, 39), Jésus nous appelle à tendre la joue si l’on nous gifle, appelle à la bonté et à l’indulgence :

Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre.

Et pourtant, lorsque qu’un garde du grand-prêtre le gifle, que fait Jésus (Jn 18, 19-23) ?

Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » Jésus lui répliqua : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »

Jésus n’a jamais tendu l’autre joue. Nous sommes appelés à être bon, pas autre chose, si vous voyez ce que je veux dire… Et c’est bien là tout le sens de l’Évangile : pas de justice sans justesse !



Lettre de saint Ambroise (+ 397), Lettre 26, 11-20; PL 16, 1044-1046

Une femme coupable d'adultère fut amenée par les scribes et les pharisiens devant le Seigneur Jésus. Et ils formulèrent leur accusation avec perfidie, de telle sorte que, si Jésus l'absolvait, il semblerait enfreindre la Loi, mais que, s'il la condamnait, il semblerait avoir changé le motif de sa venue, car il était venu afin de pardonner le péché de tous. Ils dirent en la lui présentant : Cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu (Jn 8,4-5) ?


Pendant qu'ils parlaient, Jésus, la tête baissée, écrivait avec son doigt sur le sol. Comme ils attendaient, il leva la tête et dit : Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre (Jn 8,7). Y a-t-il rien de plus divin que cette sentence : qu'il punisse le péché, celui qui est sans péché ? Comment, en effet, pourrait-on tolérer qu'un homme condamne le péché d'un autre, quand il excuse son propre péché ? Celui-là ne se condamne-t-il pas davantage, en condamnant chez autrui ce qu'il commet lui-même ?


Jésus parla ainsi, et il écrivait sur le sol. Pourquoi ? C'est comme s'il disait : Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'oeil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton oeil, tu ne la remarques pas (Lc 6,41) ? Il écrivait sur le sol, du doigt dont il avait écrit la Loi (Ex 31,18). Les pécheurs seront inscrits sur la terre, et les justes dans le ciel, comme Jésus dit aux disciples : Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux (Lc 10,20).


En entendant Jésus, les pharisiens sortaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés, puis ils s'assirent pour délibérer entre eux. Et Jésus resta seul avec la femme qui était debout, là au milieu. L'évangéliste a raison de dire qu'ils sortirent, ceux qui ne voulaient pas être avec le Christ. Ce qui est à l'extérieur du Temple, c'est la lettre ; ce qui est au-dedans, ce sont les mystères. Car ce qu'ils recherchaient dans les enseignements divins, c'étaient les feuilles et non les fruits des arbres ; ils vivaient dans l'ombre de la Loi et ne pouvaient pas voir le soleil de justice.


Quand ils furent tous partis, Jésus resta seul avec la femme debout au milieu. Jésus, qui va pardonner le péché, demeure seul, comme lui-même l'a dit : L'heure vient et même elle est venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul (Jn 16,32). Car ce n'est ni un ambassadeur ni un messager qui a sauvé son peuple, mais le Seigneur en personne. Il reste seul parce qu'aucun des hommes ne peut avoir en commun avec le Christ le pouvoir de pardonner les péchés. Cela revient au Christ seul, lui qui enlève le péché du monde. Et la femme méritait d'être pardonnée, elle qui, après le départ des Juifs, demeure seule avec Jésus.


Relevant la tête, Jésus dit à la femme : Où sont-ils, ceux qui t'accusaient ? Est-ce que personne ne t'a lapidée ? Et elle répondit : Personne, Seigneur, Alors Jésus lui dit : Moi non plus, je ne te condamnerai pas. Va, et désormais, veille à ne plus pécher. Voilà, lecteur, les mystères divins, et la clémence du Christ. Quand la femme est accusée, le Christ baisse la tête, mais il la relève quand il n'y a plus d'accusateur, si bien qu'il veut ne condamner personne, mais pardonner à tous. <>


Que signifie donc : Va, et désormais veille à ne plus pécher ! Cela veut dire : Puisque le Christ t'a rachetée, que la grâce te corrige, tandis qu'un châtiment aurait bien pu te frapper, mais non te corriger.


Prière

Que ta grâce nous obtienne, Seigneur, d'imiter avec joie la charité du Christ qui a donné sa vie par amour pour le monde. Lui qui règne.

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