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Ve Dimanche du Temps Ordinaire (B)

En todo, amar y servir


Jésus guérit la belle-mère de Pierre

Anonyme

Miniature de l’Évangéliaire d’Egbert (Xe siècle)

Enluminure sur parchemin, Manuscrit 24, Folio 22v

Bibliothèque municipale, Trêves (Allemagne)


Évangile selon saint Marc 1, 29-39

En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade. Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait. Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était. Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent : « Tout le monde te cherche. » Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.


L’œuvre

À l’âge de 27 ans, Egbert est nommé archevêque de Trèves et ainsi primat de la Germanie et des Gaules. Il le restera jusqu’à sa mort en 993, à l’âge de 43 ans. Résidant dans l’ancienne capitale impériale de Constantin et de sa mère, Sainte Hélène, il continue à jouir de nombreux contacts. Métropolitain des évêchés de Metz, Toul et Verdun, il est aussi ouvert aux relations avec l’Ouest, par exemple, avec l’archevêque de Reims, son cousin. L’écolâtre de Reims est le célèbre Gerbert d’Aurillac, le futur pape Sylvestre II. Nous possédons de lui des lettres adressées à Egbert qui manifestent la célébrité de son atelier, d’où sortiront de nombreux chefs d’œuvres.


L’Évangéliaire d’Egbert s'inscrit à l’intérieur d’un courant important de l'histoire de l’art (936-1024), à une époque d’échanges intenses entre Rome et Byzance. Il rassemble les extraits des évangiles utilisés tout au long de l’année liturgique et illustrés d’œuvres d’art. La beauté de son écriture et de ses images reflète le respect et l’amour portés à la Parole de Dieu. L'Évangéliaire s’ouvre par un souhait : « Que ce livre te soit une source de joie, dès ici bas ! ». Les Évangiles sont reçus comme garant d’une vie réussie sur terre et dans le ciel. La gloire de l’Évangéliaire d’Egbert, ce sont ses 51 enluminures qui présentent un parcours des Évangiles, depuis l’Annonciation jusqu’à la Pentecôte. Leur simplicité et leur profondeur nous ouvrent l’esprit et le cœur.


Que voit-on ?

Les deux images permettent de mieux distinguer les couleurs restaurées. Trois inscriptions présentent les personnages : à gauche (αρτι : apostoli) les apôtres, et de chaque côté de Jésus (IHC : ΙΗΣΟΥΣ - XPC : ΧΡΙΣΤΟΣ) Jésus le Christ. La scène se déroule sur un fond rose, signe de bonheur et de joie, et un sol vert, rappel de l’humanité. Sur la droite, de couleur gris-pierre, une sorte de temple encadré de deux colonnes corinthiennes et d’un fronton. Est-ce l’entrée de la maison de la belle-mère de Simon, ou l’entrée de la synagogue ?


Sur la gauche, quatre apôtres, pieds nus, couverts d’une toge de couleur au-dessus de leur tunique blanche, ayant les mêmes traits et les mêmes barbes et coiffures. L’évangile nous précise qu’il doit s’agir de Simon (Pierre), son frère André, Jacques et Jean.


Au centre, Jésus tenant sa tunique violette de la main gauche, bénit de la main droite la femme malade. Une nouvelle fois, la main du Christ est signifiante : deux doigts tendus pour indiquer sa double nature humaine et divine, trois doigts repliés pour la Trinité. Il est couvert d’une auréole (nimbe d’or), symbole du soleil qu’est Jésus, la lumière divine qui éclaire tout homme.


La femme, elle, semble être déjà dans son linceul, les pieds couverts, la tête prête aussi à être voilée. Sa main gauche est sous le voile tandis que sa main droite, en geste d’offrande se tourne vers Jésus. Elle repose dans une sorte de grabat vert sombre. Ce grabat semble soutenu par un homme âgé, aux rares cheveux gris, couvert d’une manteau terre de Sienne, la main droite tendue vers Jésus en un geste de demande, la main gauche présentant la femme alitée. C’est certainement son mari.


La fièvre

Cette histoire de l’évangile est peut-être plus comique qu’on ne pourrait le croire. En effet, le mot hamatha (המעטה) en hébreu signifie à la fois fièvre et belle-mère ! D’ici là que certains croient que les belles-mères ne peuvent que donner la fièvre, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas !


Et pourtant, nous pouvons nous aussi être terrassés par la fièvre. Terrassés, mis à terre, parfois si près de la terre qu’on peut avoir l’impression qu’on risque d’être mis en terre. Comme cette femme, si faible qu’elle paraît déjà avoir été revêtue du linceul de la tombe. Même son grabat, couleur verte de l’humanité, s’est assombrit : la vie la quitte.


Et les fièvres qui nous assaillent sont nombreuses. Pas uniquement celles qui s’en prennent à notre corps, si diverses soient-elles aujourd’hui. Les fièvres de notre monde, de notre société, de notre vie. Une sorte de réchauffement climatique des hommes. Ces fièvres qui nous rendent inquiets du moindre événement, du moindre dérèglement, sorte d’hypocondrie de la vie. Ou alors, ces fièvres qui s’emparent de nous qui nous retirent toute maîtrise de nous-même, toute mesure, ces folies qui nous mettront aussi plus bas que terre. Chacun pourrait allonger cette liste de ces propres fièvres. En tous les cas, elles ont toutes un point en commun : elles nous terrassent ! À un tel point que nous ne sommes plus nous-même et que la seule voie d’apaisement possible semble la mort.


La mort dans laquelle semble s’enfoncer cette femme. La mort qui a déjà couvert sa tête et ses pieds. La mort qui semble l’engloutir dans ce grabat, comme la gueule d’une plante carnivore, ou d’un gros haricot vert. Pourtant, même si elle doit se sentir seule dans sa maladie, elle est soutenue. Soutenue très concrètement par cet homme. Il prend soin d’elle. On voit même qu’il souffre pour elle. Il est, dans le sens étymologique du terme, sympathique. Accablé des souffrances de cette femme, il se voute, il se penche sur elle, il la couvre.


Dans nos fièvres, sommes-nous suffisamment humbles pour oser crier à l’aide ? Dans nos fièvres, acceptons-nous d’être soutenus par d’autres ? Dans nos fièvres, voyons-nous tous ceux qui tiennent à nous, qui prient pour nous, qui appellent le Sauveur pour nous ? C’est dans les fièvres que la communion des saints prend le relais de notre faiblesse.


Il approche

Et le voici qui arrive. Il vient à l’appel des prières des autres. Il vient parce qu’on l’appelle. Il s’approche. Il n’a pas peur de nos fièvres. Il ne peut être contaminé. Par contre, lui est contagieux ! Contagieux d’amour, de paix, de pardon, de guérison. Peut-être faut-il aussi sortir un peu de nous-même pour l’accueillir, sortir de nos obsessions, comme cet homme a sorti la femme malade de cette maison « close » ?


Sûrement, il faut tendre la main vers Lui. Sûrement il faut le laisser me toucher. Sûrement, il faut le laisser me ressusciter. Rappelons-nous qu’en grec le verbe « se mettre debout » veut aussi dire « ressusciter » : anistanai (ἀνίσταναι). Et cette femme et cet homme ressemblent étrangement aux anastasis grecques (représentations de la résurrection dans le monde oriental qui présentent la descente aux enfers de Jésus). Comme une figuration d’Adam et Ève. Jésus la prendra par la main, comme il prend ici Adam par le poignet, pour la sortir de ses enfers.



« Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. » Il la fait se lever, il la fait ressusciter, sortir de la mort de ses fièvres. Mais il y a une belle nuance à noter. À Adam, Jésus ne laisse pas le choix : il le prend par le poignet, ce qui lui interdit tout mouvement. À la belle-mère de Simon, il la prend par la main. Sur cette terre, nous avons encore le choix, Dieu nous a donné un libre arbitre. Alors, si nous tendons librement et volontairement la main vers Jésus, la fièvre nous quitte. Notre grabat commence même à prendre la couleur du manteau de Jésus, les couleurs s’inversent.


Elle les servait

Libéré de nos fièvres, libéré de la mort, libéré de nos angoisses, nos yeux se dessillent. Ce type d’expérience a l’avantage de remettre les choses à leur juste place. Tout retrouve un ordre sacré : une hiérarchie ! Et au somment de cette pyramide est le service. La Père Sevin disait aux scouts que de tous les articles de la Loi Scoute, la pierre angulaire était l’article 3 : Le Scout est fait pour servir et sauver son prochain. Le service n’est-il pas l’expression de l’amour ? Le service n’est-il pas aussi le signe de notre désappropriement de nous-même pour les autres ? Une seule fièvre devrait nous brûler chaque jour : aimer et servir. « En todo, amar y servir » (en toute chose, aimer et servir) disait Ignace de Loyola.



Psaume 37

Seigneur, corrige-moi sans colère et reprends-moi sans violence.

Tes flèches m'ont frappé, ta main s'est abattue sur moi.

Rien n'est sain dans ma chair sous ta fureur, rien d'intact en mes os depuis ma faute.

Oui, mes péchés me submergent, leur poids trop pesant m'écrase.

Mes plaies sont puanteur et pourriture : c'est là le prix de ma folie.

Accablé, prostré, à bout de forces, tout le jour j'avance dans le noir.

La fièvre m'envahit jusqu'aux moelles, plus rien n'est sain dans ma chair.

Brisé, écrasé, à bout de forces, mon coeur gronde et rugit.

Seigneur, tout mon désir est devant toi, et rien de ma plainte ne t'échappe.

Le coeur me bat, ma force m'abandonne, et même la lumière de mes yeux.

Amis et compagnons se tiennent à distance, et mes proches, à l'écart de mon mal.

Ceux qui veulent ma perte me talonnent, ces gens qui cherchent mon malheur ; ils prononcent des paroles maléfiques, tout le jour ils ruminent leur traîtrise.

Moi, comme un sourd, je n'entends rien, comme un muet, je n'ouvre pas la bouche, pareil à celui qui n'entend pas, qui n'a pas de réplique à la bouche.

C'est toi que j'espère, Seigneur : Seigneur mon Dieu, toi, tu répondras.

J'ai dit : « Qu'ils ne triomphent pas, ceux qui rient de moi quand je trébuche ! »

Et maintenant, je suis près de tomber, ma douleur est toujours devant moi.

Oui, j'avoue mon péché, je m'effraie de ma faute.

Mes ennemis sont forts et vigoureux, ils sont nombreux à m'en vouloir injustement.

Ils me rendent le mal pour le bien ; quand je cherche le bien, ils m'accusent.

Ne m'abandonne jamais, Seigneur, mon Dieu, ne sois pas loin de moi.

Viens vite à mon aide, Seigneur, mon salut !



Homélie de saint Pierre Chrysologue (+ 450), Sermon 18, 1-3; CCL 24, 107-108.

Ceux qui ont écouté attentivement l'évangile de ce jour savent pour quelle raison le Seigneur du ciel est entré dans d'humbles demeures terrestres. Puisqu'il est venu par bonté secourir tous les hommes, il n'est pas étonnant qu'il ait bien voulu porter ses pas en tous lieux.


Etant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec de la fièvre (Mt 8,14). Voyez quel motif a conduit le Christ chez Pierre : nullement le désir de se mettre à table, mais la faiblesse de la malade; non le besoin de prendre un repas, mais l'occasion d'opérer une guérison. Il voulait exercer sa divine puissance, et non prendre part à un banquet avec des hommes. Ce n'était pas du vin qu'on versait chez Pierre, mais des larmes. <>


Aussi le Christ n'est-il pas entré dans cette maison pour prendre sa nourriture, mais pour restaurer la vie. Dieu est à la recherche des hommes, non des choses humaines. Il veut leur donner les biens célestes, il ne désire pas trouver les biens terrestres. Le Christ est donc venu ici-bas pour nous prendre avec lui, il n'est pas venu chercher ce que nous possédons.


Etant venu dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère alitée, avec de la fièvre. Dès qu'il fut entré chez Pierre, le Christ vit ce pour quoi il était venu. L'aspect de la maison ne retint pas ses regards, ni la multitude venue à sa rencontre, ni l'hommage de ceux qui le saluaient, ni la famille qui le pressait. Il ne jeta même pas un coup d'oeil sur les dispositions prises pour le recevoir, mais il écouta les gémissements de la malade et porta son attention à la fièvre qui la consumait. Il vit qu'elle était dans un état désespéré, et aussitôt il étendit les mains pour qu'elles accomplissent leur oeuvre divine. Et le Christ ne prit pas place à la table des hommes avant que la femme ne se lève de sa couche pour louer Dieu.


Il lui prit la main, dit l'évangile, et la fièvre la quitta (Mt 8,15). Voyez comment la fièvre quitte celle que le Christ tient par la main. La maladie ne résiste pas devant l'auteur du salut. Il n'y a pas de place pour la mort, là où est entré le Prince de la vie.


Prière

Seigneur notre Dieu, ton Fils est passé parmi nous en faisant le bien: il guérissait les malades et proclamait la Bonne Nouvelle. Il savait aussi se retirer dans la solitude pour te prier. Accueille notre prière avec la sienne, car il est le seul à te prier comme il faut. Lui qui règne.

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