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Ve Dimanche du Temps Ordinaire (C)

Duc in altum… -



I

La pêche miraculeuse,

Anonyme,

Fresque polychrome romane (XIe siècle),

Cloître de l’Abbaye de la Trinité, Vendôme (France)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 5, 1-11)

En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth. Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets. Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules. Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. » Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer. Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient. A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. » En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ; et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.


L’œuvre

En 1038, le comte d'Anjou, Geoffroy Martel, ramène de Constantinople une sainte larme. Pour faire honneur à cette relique et suite à un "miracle" (il aurait vu tomber des étoiles dans une fontaine), il fonde l'abbaye de la Trinité de Vendôme, dont l'église est dédicacée en 1040. Des bâtiments monastiques, il ne reste que peu de vestiges, exceptée la salle capitulaire, dont les voûtes reposent sur de fines colonnettes. La salle capitulaire contient de remarquables fresques romanes.


Ce que je vois

La fresque, déjà ancienne, a été quelque peu abîmée par les siècles. À plusieurs endroits, la peinture n’est plus visible. Cependant, ces lacunes ne rendent pas impossible la lecture de l’œuvre. Une grande barque navigue sur l’eau. On distingue au milieu des vaguelettes plusieurs poissons. Dans la barque, plusieurs hommes sont en train de pêcher. Ils sont tous auréolés et couverts d’une tunique et d’un manteau colorés. Trois des hommes tiennent à la main un filet qu’ils semblent sortir des eaux. L’homme du centre bénit la pêche de sa main droite, c’est le Christ.


L’image ne mérite pas plus de commentaires ! Elle est simple et belle, comme souvent les œuvres romanes. Elle nous fait entrer directement dans la scène, et comme le dit Jésus, nous appelle à aller plus loin, à avancer en eaux profondes : « Duc in altum ».


Au bord du lac

Reprenons le texte de l’évangile. En fait, dès le début de son ministère, la Parole de Dieu commence à faire son œuvre. Jésus est écouté, et même suivi. La Parole de Dieu fait des progrès. À un tel point que les foules grandissent de plus en plus et semblent empêcher Jésus de respirer… Il se voit contraint de chercher un peu d’air, un peu d’espace, un peu de souffle. Et voilà qu’acculé au bord du lac, il repère cette barque de pêcheurs. Il monte et leur demande de prendre un peu d’écart. Ainsi, les eaux le protègent de cette foule qui risquait de l’écraser. Mais en plus, la voix porte bien sur l’eau : c’est tout avantage ! Et il continue de leur parler, plus précisément de les enseigner.


Et la « leçon » se termine. Jusque là, il n’avait pas parlé avec ces pêcheurs, hormis de demander de prendre un peu de distance. Ceux-ci ont dû être quelque peu interloqués, surpris. Mais bon, cet homme en impose, alors ils obéirent. Et là, dans la barque, comme les autres, ils l’écoutaient. Savaient-ils qui il était ? Étaient-ils touchés par sa Parole ? L’évangile ne le précise pas. À vrai dire, on ne sait pas exactement combien ils sont dans cette barque ? Simon seul avec Jésus ? Ou avec d’autres compagnons ? Ce n’est pas clair. Toujours est-il que Jésus l’invite à prendre de la distance, à avancer au large. Et à jeter les filets.


Eux qui sont pêcheurs savent bien qu’ils ne vont rien prendre. Les poissons de lac se pêchent la nuit, au lamparo. Pas le jour ! Ah ces gens de la ville ! Mais il en impose quand même. À un tel point qu’on l’appelle « Maître » et qu’on lui obéit, même si c’est peine perdue. Et voilà que ça marche ! Le filet est empli, au risque de céder. Les compagnons de l’autre barque viennent à la rescousse. Enfin, ils sont nommés et nous connaissons les noms de ceux qui accompagnaient Pierre dans cette aventure. Mais qui est donc cet homme qui leur donne des ordres, dont la parole fait autorité ? Qui est cet homme à qui l’on ne peut qu’obéir ? Qui est-il celui dont le regard me fait immédiatement sentir ma condition de pécheur ? Et nous, français, nous profitons du jeu de mots qui n’existe pas en grec : pécheur et pêcheur… Ce sont des hommes que tu vas maintenant pécher. Les pêcheurs, eux-mêmes pécheurs, vont pêcher les pécheurs…


Mais voyons plus loin que cette simple anecdote piscicole… Pourquoi avancer au loin, en eaux profondes…


Duc in altum…

Nous sommes à quelques semaines du début du Carême. Et cet évangile tombe bien… Le carême n’est-il pas un moment pour avancer en eaux profondes, pour prendre un peu le large devant la quotidienneté ? Un Carême pour se poser et se reposer. Un Carême pour s’asseoir avec Jésus. Permettez-moi de vous livrer un texte que j’avais écrit voici quelques années. Je vous le laisse… Mais avant, quelques mots pour aujourd’hui.


Quand j’entends cette invitation du Christ à avancer en eaux profondes, je l’entends comme un appel à aller au fond des choses. Nous sommes dans une société du superflu et du superficiel. Nous vivons une dictature du papillonnage. Nous sommes noyés d’informations. On nous dit quoi penser. Il faut reconnaître que ce flux continu d’infos ne nous laisse pas beaucoup le temps de l’analyse. Il est plus aisé de se reporter à ceux qui ont analysé pour nous, qui sont les spécialistes. Et du même coup, cela nous permet d’aborder tant de sujets. Au point que nous nous croyons plus cultivés ! À la limite, pourquoi pas !


Mais il y a un risque énorme… Que cette attitude de papillonnage s’applique sur d’autres domaines de notre vie. Que là encore nous survolions le sujet. Une idée générale, type résumé de Wikipédia, devrait suffire. Est-ce si sûr ? Est-ce suffisant dans notre travail (Bon, je maîtrise, ça devrait aller…) ? Est-ce suffisant dans nos relations interpersonnelles (j’ai lu son CV, ça devrait être assez) ? Est-ce suffisant dans nos relations familiales (Je suis sûr que ça n’intéressera pas les enfants !) ? Est-ce suffisant dans ma relation à Dieu (Une petite prière et basta !) ? On risque de se contenter de peu. On risque aussi un jour de croire que la porte est ouverte, vouloir l’enfoncer et s’écraser lamentablement car elle s’est refermée entre temps… On risque de ne jamais connaître les autres, l’autre et le Tout-Autre… Et si je suis aussi superficiel avec les autres, ne le seront-ils pas avec moi ?


Bon assez ! Ne nous rendons pas malades ni coupables ! Prenons simplement conscience de nos survols et de leurs conséquences. Essayons modestement de nous ré-enraciner, de redonner de la profondeur, de la densité à ce que nous vivons. Rendons du corps à nos relations. Remettons du poids dans notre vie spirituelle. Et surtout, n’ayons pas peur de perdre notre temps. Le temps n’est jamais perdu. Ou plutôt, il l’est toujours car, de toutes les façons, il file et nul ne peut le retenir. Le temps est notre meilleur allié…


Notre allié

Notre meilleur allié car nous en avons intimement besoin. Besoin pour réfléchir, besoin pour naître et connaître, besoin pour approfondir et comprendre, besoin pour prendre de la hauteur et non pas survoler. Prendre le temps car il permet de distinguer le clair du trouble (cf. Dom Louf). Prendre le temps car il permet de descendre au plus profond de nous-même. Prendre le temps car il permet d’apprivoiser Dieu et de le laisser s’approcher. Prendre le temps car il nous permet de nous canaliser.


Prendre le temps…

  • De couper la radio en voiture, d’éteindre la télé, d’écouter de la musique.

  • De regarder mes enfants, de les écouter et de jouer ou parler avec eux.

  • De m’émerveiller de mon épouse ou de mon époux, de l’aimer, et de le lui dire.

  • De regarder ce que je fais, ce que je vis, ce que je dis.

  • D’annuler des rendez-vous trop rapides pour donner du temps aux rendez-vous essentiels.

  • De lire, de me cultiver, de visiter, de me promener.

  • De prier, de la messe, de la lecture de la Bible, de l’adoration et de la louange.

Bref, prendre le temps avant que le temps ne me prenne… Prendre le temps de Le rejoindre en eaux profondes…

Homélie de saint Augustin (+ 430), Sermon 43, 5-6, CCL41, 510-511

Tandis que le bienheureux apôtre Pierre se trouvait sur la montagne avec le Seigneur et deux autres disciples du Christ, Jacques et Jean, il entendit une voix venant du ciel. Elle disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour, écoutez-le (Mt 17,5). Le même apôtre a évoqué ce souvenir quand il a dit : Cette voix venant du ciel, nous l'avons entendue nous-mêmes quand nous étions avec lui sur la montagne sainte. Et il a ajouté : Ainsi se confirme pour nous la parole des prophètes (2 P 1,18-19). Cette voix céleste a retenti, et la parole des prophètes a été confirmée. <>


Qu'elle est grande la bonté du Christ ! Celui dont nous venons de rapporter les paroles, c'est Pierre, qui fut pêcheur, et maintenant un orateur mérite un grand éloge s'il est capable de comprendre ce pêcheur. Voilà pourquoi l'apôtre Paul s'adresse aux premiers chrétiens en ces termes ; Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n'y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort. Ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages. Ce qui est d'origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n'est rien, voilà ce que Dieu a choisi pour détruire ce qui est quelque chose (1 Co 1,26-27).


Car si le Christ avait choisi en premier lieu un orateur, l'orateur aurait pu dire : "J'ai été choisi pour mon éloquence". S'il avait choisi un sénateur, le sénateur aurait pu dire : "J'ai été choisi à cause de mon rang". Enfin, s'il avait choisi un empereur, l'empereur aurait pu dire : "J'ai été choisi en raison de mon pouvoir". Que ces gens-là se taisent, qu'ils attendent un peu, qu'ils se tiennent tranquilles. Il ne faut pas les oublier ni les rejeter, mais les faire attendre un peu; ils pourront alors se glorifier de ce qu'ils sont en eux-mêmes.


"Donne-moi, dit le Christ, ce pêcheur, donne-moi cet homme simple et sans instruction, donne-moi celui avec qui le sénateur ne daigne pas parler, même quand il lui achète un poisson. Oui, donne-moi cet homme. Certes, j'accomplirai aussi mon oeuvre dans le sénateur, l'orateur et l'empereur. Un jour viendra où j'agirai aussi dans le sénateur, mais mon action sera plus évidente dans le pêcheur. Le sénateur, l'orateur et l'empereur peuvent se glorifier de ce qu'ils sont : le pêcheur, uniquement du Christ. Que le pêcheur vienne leur enseigner l'humilité qui procure le salut. Que le pêcheur passe en premier. C'est par lui que l'empereur sera plus aisément attiré."

Songez donc à ce pêcheur saint, juste, bon et rempli du Christ, qui a reçu la charge de prendre ce peuple et tous les autres en jetant son filet jusqu'au bout du monde. Rappelez-vous donc qu'il a dit : Ainsi se confirme pour nous la parole des prophètes (2P 1,19).


Prière

Dieu très bon, quand tu appelles les hommes à collaborer à ton oeuvre, tu leur donnes des signes merveilleux : le filet s'est rempli de poissons et Simon-Pierre est devenu pêcheur d'hommes. Accorde-nous aujourd'hui des signes de ta présence. Alors, laissant tout, nous marcherons à la suite du Christ et nous proclamerons sa Bonne Nouvelle. Lui qui règne.



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