Un ex
emple de roi, ou un roi exemplaire ? -

David avec ses attributs royaux, assis sur son trône et jouant de la lyre devant un bestiaire transpercé par son jeu,
Anonyme,
Mosaïque, 508 ap. J.-C., pavement de la Synagogue de Gaza (Palestine),
Israel Museum, Jérusalem (Israël)
Lecture du livre de Ben Sira le Sage (Si 47, 2-11)
Dans le sacrifice de communion, on met à part la graisse des animaux offerts à Dieu ; ainsi David a été mis à part entre les fils d’Israël. Il a joué avec les lions comme si c’étaient des chevreaux, et avec les ours comme avec des agneaux. N’était-il pas tout jeune quand il a tué le géant et supprimé la honte de son peuple, lorsqu’il lança la pierre de sa fronde et abattit l’arrogance de Goliath ? Il invoqua le Seigneur Très-Haut qui a mis dans sa main la vigueur pour supprimer le puissant guerrier et pour exalter la force de son peuple. C’est pourquoi on lui a fait gloire des dizaines de milliers qu’il a tués : on l’a célébré en bénissant le Seigneur quand on lui a donné la glorieuse couronne royale. En effet, il a détruit les ennemis alentour, il a anéanti ses adversaires philistins, il a détruit leur force comme on le voit encore aujourd’hui. Dans tout ce qu’il a fait, il a célébré la louange du Saint, du Très-Haut, en proclamant sa gloire. De tout son cœur, il a chanté les psaumes, il a aimé son Créateur. Devant l’autel, il a placé des chantres, et leur voix rendit les mélodies plus douces ; chaque jour ils loueront Dieu par leurs chants. Il a donné de l’éclat aux fêtes, il a donné une parfaite splendeur aux solennités, pour que le saint nom du Seigneur soit célébré, et que les chants retentissent dans le sanctuaire dès le matin. Le Seigneur a enlevé les péchés de David, il a pour toujours exalté sa force, il a fondé sur lui l’Alliance avec sa dynastie, le trône de gloire d’Israël.
La synagogue
Extrait de Wikipédia
La synagogue de Gaza est un édifice de culte juif antique tardif situé dans le centre de la ville antique de Gaza, aujourd'hui le quartier de Rimal. Il a été totalement détruit dès l'Antiquité et il n'en subsiste plus que la première assise et des pavements de mosaïque. Son plan est néanmoins connu : il s'agissait d'un édifice basilical à cinq nefs, orienté vers l'est et mesurant environ 26 × 30 m. L'accès se faisait par trois portes sur le côté ouest. La nef centrale était terminée à son extrémité orientale par une abside semi-circulaire saillante. Les nefs étaient séparées par des colonnades sur toute la longueur de l'édifice. Elles étaient de largeur légèrement différente, si bien que la nef centrale est un peu décalée vers le sud.
Les mosaïques de pavement sont bien conservées à l'ouest de l'édifice et notamment dans l'aile sud : dans cette dernière, une inscription de dédicace, en grec, mentionne la date de 508/509. Les motifs de ces mosaïques figurées comprennent des rinceaux de feuillage habités de différents animaux, et surtout un David jouant de la harpe et apaisant les animaux sur le modèle iconographique d'Orphée : ce motif biblique est important dans la discussion sur l'art figuratif juif dans la fin de l'Antiquité.
La synagogue fut probablement détruite au début du XIIe siècle et découverte en 1965.
Méditation
D’abord, un petit mot sur Orphée. Le Larousse nous précise :
Orphée ('Oρφεύς) : Poète musicien des légendes de Thrace, fils du roi Œagre et de Calliope. Par son chant il devint le maître des créatures, charmant les animaux, les plantes, et les pierres même. Après la mort de son épouse, Eurydice, il alla la réclamer aux Enfers, et Hadès se laissa fléchir. Mais, sur le chemin du retour, Orphée se retourna malgré l'interdiction qui lui en avait été faite, et Eurydice disparut à jamais. Il fut foudroyé par Zeus ou, suivant une autre tradition, mis en pièces par les Ménades. On lui attribuait l'invention de la lyre et des rituels divinatoires et magiques.
Ainsi, dès son enfance, Orphée montra de grandes dispositions pour la poésie et la musique, à tel point qu’Apollon lui fit don d'une lyre à sept cordes qu'avait conçue Hermès dans son jeune âge. Les Muses lui apprirent à en jouer et, en leur honneur, il rajouta deux cordes à sa lyre. Par sa musique, non seulement il attendrissait les bêtes féroces mais il charmait aussi les arbres et les rochers au point qu'ils se déplaçaient pour le suivre et l'écouter.
Sur cette mosaïque, nous voyons bien David, présentée en Orphée, charmant de sa musique diverses bêtes sauvages : serpent, lion, gazelle. Mais pour nous signifier que c’est bien le roi David, on l’a couronné et on a ajouté une auréole. Sur le côté, son nom est écrit en lettres hébraïques (דָּוד). Alors pourquoi avoir associé ces deux figures, David et Orphée. Bien sûr, pour la lyre. La Bible nous raconte que David avait aussi charmé une autre bête féroce en la personne du roi Saül (1 S 16, 23) : « Ainsi, lorsque l’Esprit de Dieu venait sur Saül, David prenait la cithare et en jouait. Alors Saül se calmait et se trouvait bien : l’esprit mauvais s’écartait de lui. » Mais nous pourrions presque aussi penser que David, tel Orphée, tenta de rechercher son Eurydice aux Enfers lorsqu’il chantait la mort de son ami et frère Jonathan (2 S 1).
Ben Sira le sage écrivit son texte poétique vers 180 avant Jésus-Christ (et non avant notre ère comme on le lit aujourd’hui dans l’objectif de déchristianiser notre monde). Notons qu’il est considéré comme faisant partie de l'Ancien Testament par les catholiques et les orthodoxes (livres deutérocanoniques), et non par les protestants qui le voient comme un texte apocryphe. Ce livre s’appelait, à l’origine « L’Ecclésiaste » car il servait de manuel des prêtres pour l'instruction au baptême des catéchumènes. En fait, c’est un livre de Sagesse comportant des proverbes afin d’aider le lecteur à acquérir une vie pieuse, puis une interprétation de toute l’histoire du Salut biblique.
Ainsi, Ben Sira nous présente, à sa manière, une facette de la vie du roi David. Et en le lisant, on ne peut que se dire que ce roi fut exemplaire : chantre de la Gloire de Dieu, faible enfant qui terrasse Goliath, homme humble qui écoutait le Seigneur et suivait ses voies, etc. Peut-on parler d’une vision partiale ? Peut-être. Mais plutôt d’une vision hagiographique. L’objectif de l’écrivain n’est pas de faire le bilan de la vie du roi, comme on fait celui d’un président de la République à la fin de son mandat, pesant le pour et le contre. Non, Ben Sira veut mettre en avant les qualités de David pour nous les donner en exemple. Peut-être aurions-nous l’impression qu’il omet volontairement des aspects plus sombres de la vie du roi. C’est vrai. Mais édifie-t-on un traité de sagesse en partant des erreurs ? Ne sont-ce pas plutôt les qualités et richesses qui peuvent nous enthousiasmer et nous entraîner à la suite de telle ou telle figure.
J’en veux pour preuve deux exemples. D’abord les funérailles. Avez-vous remarqué qu’à l’écoute des homélies, nous n’enterrons que des saints ?! C’est bien normal. Imaginez-vous, retraçant la vie du défunt, le prêtre ajouter : « Mais ce n’était en fait qu’un salaud ! » ? Comme le chantait François Valéry : « Aimons-nous vivants avant que la mort ne nous trouve du talent » ! Ainsi, si vous voulez éduquer un enfant (et même un adulte), la bonne méthode serait-elle de se fixer sur ses faiblesses et ses erreurs ? Ne risque-t-on pas de le décourager et de lui renvoyer une image de lui-même, somme toute, uniquement négative. Comme le disait Baden-Powell : « Dans chaque garçon, il y a au moins 5% de bon. À vous de le découvrir et de l'épanouir jusqu'à 90 ou 95% ». Alors, avant de découvrir les qualités d’un homme à sa mort, si petites soient-elles, essayons de les apprécier de son vivant !
Mon second exemple est celui des saints. Lorsque l’Église commence un procès en vue d’une béatification, elle vérifie deux choses chez celui q’on veut donner en exemple : l’héroïcité de ses vertus (c’est-à-dire comment il a vécu au mieux les vertus) et… son humanité. Un candidat pour qui on ne détecterait aucune erreur ou faiblesse, qui n’aurait jamais péché serait ou un Dieu, ou un mythe ! Ce qui fait notre sainteté est d’avoir au moins tenté de vaincre nos péchés et nos faiblesses.
Ainsi, pour reprendre le titre de cette méditation : « Un exemple de roi, ou un roi exemplaire ? », Ben Sira ne veut pas nous présenter un roi exemplaire, mais un exemple de roi à suivre. N’est-ce pas la même chose pour chacun d’entre-nous (et comment ne pas penser au métier le plus beau et le plus ingrat qui soit, celui de parents), même si notre vie ne fut pas toujours exemplaire, ne peut-elle parfois être un exemple pour d’autres ? Et si nous savons nous-mêmes que nous n’avons pas toujours été exemplaire, ne devons-nous pas essayer d’être un exemple pour ceux que nous aimons, ou ceux qui nous sont confiés ? Et c’est peut-être en acceptant de ne pas être exemplaire que l’humilité nous aidera à devenir un exemple !
Pourquoi ne pas dire le matin cette belle prière de saint François de Sales :
« Aspirez donc bien souvent en Dieu, Philothée, par de courts mais ardents élancements de votre cœur : admirez sa beauté, invoquez son aide, jetez-vous en esprit au pied de la Croix, adorez sa bonté, interrogez-le souvent de votre salut, donnez-lui mille fois le jour votre âme, fichez vos yeux intérieurs sur sa douceur, tendez-lui la main, comme un petit enfant le fait à son père, pour qu’il vous conduise, mettez-le sur votre cœur comme un bouquet délicieux. »