Ses larmes l’auraient sauvé ! -

Le couronnement d’épines,
Dirck Van Baburen (Wijk bij Duurstede, c. 1595 - Utrecht, 1624),
Huile sur toile, 106 x 136 cm, 1623,
Museum Catharijneconvent, Utrecht (Pays-Bas)
La Passion de notre Seigneur Jésus Christ selon saint Jean 18, 1 - 19, 42
Après le repas, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cédron; il y avait là un jardin, dans lequel il entra avec les disciples. Judas, qui le livrait, connaissait l'endroit, lui aussi, car Jésus y avait souvent réuni ses disciples. Judas prit donc avec lui un détachement de soldats, et des gardes envoyés par les chefs des prêtres et les pharisiens. Ils avaient des lanternes, des torches et des armes. Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s'avança et leur dit: «Qui cherchez-vous?» Ils lui répondirent: «Jésus le Nazaréen.» Il leur dit: «C'est moi.» Judas, qui le livrait, était au milieu d'eux. Quand Jésus leur répondit: «C'est moi», ils reculèrent, et ils tombèrent par terre. Il leur demanda de nouveau: «Qui cherchez-vous?» Ils dirent: «Jésus le Nazaréen.» Jésus répondit: «Je vous l'ai dit: c'est moi. Si c'est bien moi que vous cherchez, ceux-là, laissez-les partir.» Ainsi s'accomplissait la parole qu'il avait dite: «Je n'ai perdu aucun de ceux que tu m'as donnés.» Alors Simon-Pierre, qui avait une épée, la tira du fourreau; il frappa le serviteur du grand prêtre et lui coupa l'oreille droite. Le nom de ce serviteur était Malcus. Jésus dit à Pierre: «Remets ton épée au fourreau. Est-ce que je vais refuser la coupe que le Père m'a donnée à boire?»
Procès devant les autorités juives
Alors les soldats, le commandant et les gardes juifs se saisissent de Jésus et l'enchaînent. Ils l'emmenèrent d'abord chez Anne, beau-père de Caïphe, le grand prêtre de cette année-là. C'est Caïphe qui avait donné aux Juifs cet avis: «Il vaut mieux qu'un seul homme meure pour tout le peuple.» Simon-Pierre et un autre disciple suivaient Jésus. Comme ce disciple était connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans la cour de la maison du grand prêtre, mais Pierre était resté dehors, près de la porte. Alors l'autre disciple - celui qui était connu du grand prêtre - sortit, dit un mot à la jeune servante qui gardait la porte, et fit entrer Pierre. La servante dit alors à Pierre: «N'es-tu pas, toi aussi, un des disciples de cet homme-là?» Il répondit: «Non, je n'en suis pas!» Les serviteurs et les gardes étaient là; comme il faisait froid, ils avaient allumé un feu pour se réchauffer. Pierre était avec eux, et se chauffait lui aussi. Or, le grand prêtre questionnait Jésus sur ses disciples et sur sa doctrine. Jésus lui répondit: «J'ai parlé au monde ouvertement. J'ai toujours enseigné dans les synagogues et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissaient, et je n'ai jamais parlé en cachette. Pourquoi me questionnes-tu? Ce que j'ai dit, demande-le à ceux qui sont venus m'entendre. Eux savent ce que j'ai dit.» À cette réponse, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant: «C'est ainsi que tu réponds au grand prêtre!» Jésus lui répliqua: «Si j'ai mal parlé, montre ce que j'ai dit de mal; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu?» Anne l'envoya, toujours enchaîné, au grand prêtre Caïphe. Simon-Pierre était donc en train de se chauffer; on lui dit: «N'es-tu pas un de ses disciples, toi aussi ?» Il répondit: «Non, je n'en suis pas!» Un des serviteurs du grand prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, insista: «Est-ce que je ne t'ai pas vu moi-même dans le jardin avec lui?» Encore une fois, Pierre nia. À l'instant le coq chanta.
Procès devant les autorités romaines
Alors on emmène Jésus de chez Caïphe au palais du gouverneur. C'était le matin. Les Juifs n'entrèrent pas eux-mêmes dans le palais, car ils voulaient éviter une souillure qui les aurait empêchés de manger l'agneau pascal. Pilate vint au dehors pour leur parler: «Quelle accusation portez-vous contre cet homme?» Ils lui répondirent: «S'il ne s'agissait pas d'un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas livré.» Pilate leur dit: «Reprenez-le, et vous le jugerez vous-mêmes suivant votre loi.» Les Juifs lui dirent: «Nous n'avons pas le droit de mettre quelqu'un à mort.» Ainsi s'accomplissait la parole que Jésus avait dite pour signifier de quel genre de mort il allait mourir. Alors Pilate rentra dans son palais, appela Jésus et lui dit: «Es-tu le roi des Juifs?» Jésus lui demanda: «Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d'autres te l'ont dit?» Pilate répondit: «Est-ce que je suis Juif, moi? Ta nation et les chefs des prêtres t'ont livré à moi: qu'as-tu donc fait?» Jésus déclara: «Ma royauté ne vient pas de ce monde; si ma royauté venait de ce monde, j'aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Non, ma royauté ne vient pas d'ici.» Pilate lui dit: «Alors, tu es roi?» Jésus répondit: «C'est toi qui dis que je suis roi. Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci: rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix.» Pilate lui dit: «Qu'est-ce que la vérité?» Après cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs, et il leur dit: «Moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation. Mais c'est la coutume chez vous que je relâche quelqu'un pour la Pâque: voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs?» Mais ils se mirent à crier: «Pas lui! Barabbas!» (Ce Barabbas était un bandit.) Alors Pilate ordonna d'emmener Jésus pour le flageller. Les soldats tressèrent une couronne avec des épines, et la lui mirent sur la tête; puis ils le revêtirent d'un manteau de pourpre. Ils s'avançaient vers lui et ils disaient: «Honneur à toi, roi des Juifs!» Et ils le giflaient. Pilate sortit de nouveau pour dire aux Juifs: «Voyez, je vous l'amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.» Alors Jésus sortit, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit: «Voici l'homme.» Quand ils le virent, les chefs des prêtres et les gardes se mirent à crier: «Crucifie-le! Crucifie-le!» Pilate leur dit: «Reprenez-le, et crucifiez-le vous-mêmes; moi, je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.» Les Juifs lui répondirent: «Nous avons une Loi, et suivant la Loi il doit mourir, parce qu'il s'est prétendu Fils de Dieu.» Quand Pilate entendit ces paroles, il redoubla de crainte. Il rentra dans son palais, et dit à Jésus: «D'où es-tu?» Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit alors: «Tu refuses de me parler, à moi? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher, et le pouvoir de te crucifier?» Jésus répondit: «Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l'avais reçu d'en haut; ainsi, celui qui m'a livré à toi est chargé d'un péché plus grave.» Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher; mais les Juifs se mirent à crier: «Si tu le relâches, tu n'es pas ami de l'empereur. Quiconque se fait roi s'oppose à l'empereur.» En entendant ces paroles, Pilate amena Jésus au-dehors; il le fit asseoir sur une estrade à l'endroit qu'on appelle le Dallage (en hébreu: «Gabbatha»). C'était un vendredi, la veille de la Pâque, vers midi. Pilate dit aux Juifs: «Voici votre roi.» Alors ils crièrent: «À mort! À mort! crucifie-le!» Pilate leur dit: «Vais-je crucifier votre roi?» Les chefs des prêtres répondirent: «Nous n'avons pas d'autre roi que l'empereur.» Alors, il leur livra Jésus pour qu'il soit crucifié, et ils se saisirent de lui.
Le chemin de La Croix
Jésus, portant lui-même sa croix, sortit en direction du lieu dit en direction du lieu dit: Le Crâne, ou Calvaire, en hébreu: Golgotha. Là, ils le crucifièrent, et avec lui deux autres, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate avait rédigé un écriteau qu'il fit placer sur la croix, avec cette inscription: «Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.» Comme on avait crucifié Jésus dans un endroit proche de la ville, beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, qui était libellé en hébreu, en latin et en grec. Alors les prêtres des Juifs dirent à Pilate: «Il ne fallait pas écrire: "Roi des Juifs", il fallait écrire: Cet homme a dit: "Je suis le roi des Juifs".» Pilate répondit: «Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit.» Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits, ils en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique; c'était une tunique sans couture, tissée tout d'une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux: «Ne la déchirons pas, tirons au sort celui qui l'aura.» Ainsi s'accomplissait la parole de l'Écriture: Ils se sont partagé mes habits; ils ont tiré au sort mon vêtement. C'est bien ce que firent les soldats. Or, près de la croix de Jésus se tenait sa mère, avec la sœur de sa mère, Marie femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d'elle le disciple qu'il aimait, dit à sa mère: «Femme, voici ton fils.» Puis il dit au disciple: «Voici ta mère.» Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
La mort et la sépulture
Après cela, sachant que désormais toutes choses étaient accomplies, et pour que l'Écriture s'accomplisse jusqu'au bout, Jésus dit: «J'ai soif.» Il y avait là un récipient plein d'une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d'hysope, et on l'approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit: «Tout est accompli.» Puis, inclinant la tête, il remit l'esprit. Comme c'était le vendredi, il ne fallait pas laisser des corps en croix durant le sabbat (d'autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque). Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu'on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Des soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis du deuxième des condamnés que l'on avait crucifiés avec Jésus. Quand ils arrivèrent à celui-ci, voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté; et aussitôt, il en sortit du sang et de l'eau. Celui qui a vu rend témoignage, afin que vous croyiez vous aussi. (Son témoignage est véridique et le Seigneur sait qu'il dit vrai.) Tout cela est arrivé afin que cette parole de l'Écriture s'accomplisse: Aucun de ses os ne sera brisé. Et un autre passage dit encore: Ils lèveront les yeux vers celui qu'ils ont transpercé. Après cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème (celui qui la première fois était venu trouver Jésus pendant la nuit) vint lui aussi: il apportait un mélange de myrrhe et d'aloès pesant environ cent livres. Ils prirent le corps de Jésus, et ils l'enveloppèrent d'un linceul, en employant les aromates selon la manière juive d'ensevelir les morts. Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n'avait encore mis personne. Comme le sabbat des Juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c'est là qu'ils déposèrent Jésus.
Semaine authentique
Il n’y a pas pour moi de journée plus intense que celle-ci. J’ai eu la joie de la célébrer dans le rite ambrosien. Ce rite s’appelle non Semaine Sainte, mais Semaine Authentique. Le mot peut paraître surprenant. Et pourtant, il me semble qu’il nous appelle à vivre ces jours de façon authentique, totalement unis au Christ, en pleine communion avec Lui, avec sa Passion. Et la liturgie ambrosienne renforce cela par la répartition des offices sur le suivi chronologique de la Passion. À chaque heure précisée dans l’Évangile s’accorde un temps particulier de prière.
Ainsi, tôt ce matin, nous avons lu la Passion du Christ. Il vient d’être arrêté. Il est en attente de son jugement, il subit les interrogatoires. Il voit ce peuple qu’il a tant aimé se retourner contre lui. Il voit ces visages, faits à l’image de Dieu, prendre la laideur du péché, se déformer, se transformer.
Ce tableau de Dirk VAN BABUREN, un suiveur du CARAVAGE, en est une belle et forte illustration.
Au premier regard, plusieurs éléments frappent : les yeux fermés du Christ, et sont corps qui semble comme convulsé ; l’air sadique du bourreau de droite ; le regard satisfait du bourreau du centre et l’oeil de cet homme qui nous fixe derrière le casque du garde.
Puis ce sont les couleurs et la lumière qui se révèlent : un rouge puissant, un brun à la fois ténébreux et lumineux, une lumière qui paraît émaner du corps de Jésus, dont on discerne pourtant la source invisible venant de la gauche de la scène.
Enfin, c’est toute la violence de tout ce qui se déroule sous nos yeux qui nous prend.
On ne peut que repenser à la démarche philosophique de la phénoménologie, si bellement synthétisée par le Cardinal Hans-Urs VON BALTHASAR, dans son oeuvre : La dramatique divine. L’oeuvre crée en moi une émotion artistique, elle révèle en mon tréfonds une dramatique que la réflexion et la prière vont m’aider à comprendre.
Il en est ici de la même chose. Les visages, les signes de la souffrance me touchent, comment pourrait-il en être autrement ? Quand je vois cette souffrance, tant d’autres images me reviennent. Des souffrances connues de tous, Auschwitz et tous les drames de la guerre, le Camp S21 de Phnom Penh et tous les génocides, mais aussi toutes ces souffrances entendues, vécues, reçues, comme « épongées », celles de nos quotidiens, celles plus discrètes, celles qui rongent le coeur de tant, celles qui détruisent le coeur d’une mère qui a perdu son enfant... Ces souffrances qui me tirent des larmes intérieures, même si elles sont loin de moi. Au moins, elles nous montrent que nous avons un coeur. Nos larmes peuvent nous sauver... les larmes souvent ! « Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir » dira Georges BERNANOS à la fin de sa vie.
Ce combat contre la souffrance, contre le Mal, me rappelle avec forces les premières pages d’un de ses livres, L’imposture, où l’abbé Cénabre se bat contre lui-même, découvrant qu’il a perdu la foi. Et le chapitre se termine par ses mots :
C'était une tristesse pleine d'amertume, mais aussi d'une douceur inconnue, à laquelle on ne saurait rien comparer qu'une espèce de plainte tendre et déchirante, un appel venu de très loin, mais dont à travers l'espace l'oreille devine la puissance et l'ampleur, au seul accent. Et certes, il retentissait dans le cœur, il eût ébranlé le cœur le plus dur. La chair même y répondait par une sorte d'alanguissement, qui ressemblait à l'amour, qui était comme l'ombre de l'amour. Les larmes vinrent aux yeux de l'abbé Cénabre, ainsi qu'une eau qui perce à travers la pierre, et il en sentait l'humidité sur son visage, avec une extraordinaire angoisse. Il ne voulait pas de ces larmes, elles n'avaient pour lui aucun sens. Elles étaient le signe purement sensible, indéchiffrable, d'une présence contre laquelle il se sentait soulevé d'horreur. C'étaient comme des larmes versées en vain. La simple acceptation, l'abandon de la lutte inutile, le geste qui avoue la défaite, s'offre au vainqueur, cela seul eût ouvert la vraie source des pleurs, et il redoutait plus cette délivrance qu'aucun supplice. Il se méprisait, se haïssait dans sa détresse et dans sa honte, mais il ne pouvait, non ! il ne pouvait se prendre en pitié.
Oui, ses larmes l’auraient sauvé. Elles lui auraient réouvert le coeur... Il a été touché par l’émotion de ce qu’il vivait. Il a refusé l’abîme du drame qu’il vivait. Il a voulu le raisonner, sans perdre ce qu’il était. Se livrer aux larmes, c’est se livret à l’amour, c’est se livrer à Dieu. Il n’y a pas de plus grand amour...
Et ici, dans ce tableau, ce sont comme ces trois figures symboliques qui apparaissent. Une émotion, celle de cet homme torturé pour nos péchés, laminé par nos fautes. Cet homme qui nous appelle à l’émotion. Non à une émotion naïve, ridicule, mielleuse. Mais à l’ouverture du coeur. À l’ouverture de tout notre être, de tout ce que nous sommes.
Et un oeil, un oeil qui s’interroge. Un oeil qui est face au drame. Un oeil dont on ne sait encore s’il ouvrira son coeur, ou sombrera dans le raisonnement égoïste de son intelligence.
Deux autres regards qui, comme l’abbé Cénabre ont choisi de laisser parler le mal en eux. Deux regards qui face à la lumière s’enténèbrent. Deux regards qui face au rouge éclatant du sang, de la vie donnée, préfèrent s’en tenir au brun de leur bâton, au sombre de leurs pensées, à la facilité de la violence et de la vaine vengeance. C’est tellement plus facile de se réjouir de se laisser aller, que d’accepter de sombrer dans l’amour qui ne nous laisse jamais indemne.
Et il en est un dont on ne voit pas le regard... un homme casqué. Il ne tient rien en main, aucune arme. Ou s’appuie-t-il de sa main gauche sur un bâton ? Essaie-t-elle doucement de se déployer vers l’homme foudroyé. Est-elle encore un peu repliée, à l’image de celle d’Adam qui hésite à la création de Dieu dans les fresques de Michel-Ange ? Je ne sais... Et sa main droite saisit-elle l’épée ? Je ne sais...
Je n’espère qu’une chose : qu’il se laissera toucher, prendre, retourner, raviver, illuminer par le Christ qui s’offre à lui, à nous. Il semble se jeter sur Jésus... par haine ? Par amour ? Son manteau semble répondre à la chlamyde du Christ. Est-il l’autre face de nous-même ? La face cachée ? Je ne sais...
Je n’espère qu’une chose : qu’il laisse tomber sa cuirasse qui jamais, ô grand jamais, ne pourra contenir un coeur qui veut aimer, un coeur qui a soif. Une cuirasse qui jamais, ô grand jamais, ne pourra le protéger de l’amour qui s’offre à lui, devant lui.
Oui, « pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir », pour rencontrer le Christ, la Charité source d’espérance, il faut aller au-delà du désespoir de cette souffrance pour y discerner, au milieu des ténèbres la lumière de la résurrection, celle qui déjà se mêlait à la nuée de ténèbres et de lumière.
Homélie de saint Cyrille d'Alexandrie (+ 444), Commentaire sur l'évangile de Jean, 12, 30, PG 74, 667-670
Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : Tout est accompli. Puis, inclinant la tête, il remit l'esprit (Jn 19,30). Jésus a raison de dire que tout est accompli. Mais maintenant son heure l'appelle à proclamer la parole aux esprits qui sont dans les enfers. Il s'y rend, en effet, pour montrer sa seigneurie sur les vivants et sur les morts. C'est pour nous qu'il s'est plongé jusque dans la mort, et qu'il subit cette passion commune à toute notre nature, c'est-à-dire la souffrance de la chair, alors qu'étant Dieu, il est, par nature, la vie. Il veut, après avoir dépouillé les enfers, ramener la nature humaine à la vie, lui que les Écritures appellent les prémices de ceux qui se sont endormis (cf. 1 Co 15,30), et le premier-né d'entre les morts (Col 1,18).
Donc, il inclina la tête, ce qui est habituel aux mourants, parce que l'esprit ou l'âme qui maintient et gouverne le corps quitte celui-ci. Quant à ce que l'Évangéliste ajoute : et il remit l'esprit, c'est bien ainsi que les gens parlent pour dire que quelqu'un vient de s'éteindre et de mourir. Mais il semble que ce soit de propos délibéré et avec une intention précise que l'Évangéliste n'a pas dit simplement que Jésus était mort, mais qu'il avait remis son esprit dans les mains de Dieu le Père, selon ce qu'il a dit de lui-même : Père, entre tes mains je remets mon esprit (Lc 23,46). La portée et le sens de ces paroles apportaient à nous-mêmes le principe et le fondement d'une joyeuse espérance.
On doit croire, en effet, que les âmes saintes, après s'être dégagées de leurs corps terrestres, sont remises, entre les mains du Père très aimant, à la bonté et à la miséricorde de Dieu. Contrairement à ce que certains infidèles ont pensé, elles ne demeurent pas auprès de leurs tombeaux, en attendant les libations funèbres, et elles ne sont pas, comme les âmes des pécheurs, précipitées dans le lieu d'u n supplice sans fin, c'est-à-dire en enfer. Au contraire, elles se hâtent de se remettre entre les mains du Père de tous et en celles de notre Sauveur, le Christ, qui nous a montré cet itinéraire. Il a remis son âme entre les mains de son propre Père pour que, nous aussi, en nous engageant sur ce chemin, nous possédions une glorieuse espérance, en sachant et en croyant fermement qu'après avoir subi la mort de la chair, nous serons entre les mains de Dieu, et dans une condition bien préférable à celle que nous avions quand nous vivions dans la chair. C'est pourquoi saint Paul écrit à notre intention qu'il est bien préférable de s'en aller pour être avec le Christ (cf. Ph 1,23).
Prière
Regarde, Seigneur, nous t'en prions, la famille qui t’appartient : c'est pour elle que Jésus, le Christ, notre Seigneur, ne refusa pas d'être livré aux mains des méchants ni de subir le supplice de la croix. Lui qui règne.