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VIe Dimanche de Pâques (B)

Sacrifices…




Le sacrifice de la guerre / Le grand sacrifice du Calvaire

George DESVALLIÈRES (Paris, 1861 - Paris, 1950)

Huile sur toile marouflée, 1922, 375 x 1273 cm

Chapelle du château, Saint-Privat (France)



Évangile de Jésus-Christ selon Saint Jean 15, 9-17

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres.


L’artiste et l’œuvre

George Desvallières est un artiste français trop peu connu. Sa petite fille, Catherine Ambroselli de Bayser, en est la spécialiste incontestée. Je ne peux que vous inviter à vous reporter au site consacré au peintre :


Il eut une vie longue, 90 ans, qui traversa trois guerres (1870, 1914, 1940), marquée par des événements cruciaux pour ce peintre, que ce soit sa conversion au catholicisme en 1905, la Grande Guerre où il servit comme chef de bataillon, la mort de son fils Daniel, âgé de dix-sept ans en 1915, ou des rencontres exceptionnelles comme celle de Jules-Élie Delaunay, Gustave Moreau, Georges Rouault, Henri Matisse ou Jacques Rouché. Avec Maurice Denis, il créera en 1912 les fameux Ateliers d’Art Sacré.



Au sortir de la Première Guerre, son ami Jacques Rouché, Directeur de l’Opéra de Paris, lui demande de décorer la chapelle de son château à Saint-Privat, tâche à laquelle il s’attèlera de 1919 à 1924. Comme l’écrit sa petite fille, sur son site :

Sur quatre murs, il tend d'énormes toiles au milieu desquelles il place l'Homme des douleurs, le Christ du Drapeau du Sacré-Cœur, offrant son cœur dans un fracas d'obus et de fusillades et entraînant les poilus retranchés sous terre dans une Ascension vers la délivrance du Nouveau Paradis. Sa douleur est sublimée par sa foi. Après l'expérience du front d'Alsace, il centre son œuvre sur le mystère de l'Incarnation qui passe par la Croix de Celui qui prend sur Lui les épreuves de l'humanité. Il l'évoque avec tout le réalisme de celui qui a vécu directement l'horreur des tranchées, avec la détresse d'un père dont le fils a été fauché par un tir d'obus, à quelques kilomètres de lui. Désormais, de la Crèche à la Croix, « le Serviteur souffrant » d'Isaïe sera au centre de son œuvre picturale.

L’autel

Au-dessus de l’autel, une première toile présente Dieu le Père accueillant de ses bras ouverts les deux sacrifices qui se déroulent sur les murs latéraux. De sa main droite, il bénit le soldat et l’infirmière recouverts du manteau de la Rédemption du Christ. De la main gauche, il repousse Adam et Ève, coupables de la faute originelle.



Les deux grandes toiles des murs latéraux


Le mur de droite : le sacrifice du soldat



Elle représente, sur près de treize mètres, le sacrifice de la guerre. Au bas de la toile, le peintre a inscrit le déroulé de ce que nous avons devant les yeux : « L’ASCENSION – 1914 – LE SACRIFICE – L’ASSAUT – 1918 ».


Au centre, Jésus tient le drapeau tricolore français. De la main droite, il tend aux hommes son Cœur, offrande de tout son amour à l’humanité déchirée. Devant lui, un obus éclate, force meurtrière qui ne le fera pas tomber, même si l’arbre derrière le Christ est encore plus décharné que lui. Il est l’emblème du sacrifice ultime. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime… »


À gauche, partie la plus proche de l’autel, comme appelés et entraînés par les anges qui soufflent de la trompette, la foule immense des victimes jaillit des tranchées et des cimetières pour rejoindre un ciel lumineux : celui de Dieu qui les accueillera sur l’autel. Du souffle de leurs trompettes, les messagers de Dieu repoussent les ténèbres, éloignent les nuages de la terreur pour laisser place à la lumière de la Rédemption.


Les soldats progressent lentement vers la paix, soutenus par les infirmières. Devant les anges claironnants, une figure tout de blanc vêtue, tend les bras au ciel, comme l’âme ayant retrouvé sa blancheur baptismale, juste sortie des profondeurs des eaux de la mort. Et au premier plan, des femmes, à l’image des saintes femmes, portent les palmes des martyrs.


À droite, le paysage est ravagé par les fumées et les explosions. Derrière le tronc mort, encore debout, d’un arbre dépouillé, on distingue le peintre qui s’est représenté, comme lors des assauts meurtriers des Vosges. On distingue la première ligne des soldats qui avance.


Au-dessus de la toile, George Desvallières a inscrit cette citation latine extraite du psaume (Ps 123, 7) : « LAQUEUS CONTRITUS EST ET NOS LIBERATI SUMUS », « Le filet s’est déchiré et nous avons été libérés ».


Le mur de gauche : le sacrifice de Jésus



Il est comme le miroir de celui qui lui fait face. Au centre, de nouveau, le Christ, entouré des deux larrons, offre sa vie, son cœur, sur la croix. L’arbre mort qui fait face sur l’autre mur, devient ici arbre de vie, puisque c’est par lui que nous obtenons la vie éternelle. Au pied de la croix, le peintre a inscrit la dernière parole de Jésus dans l’évangile de Jean (Jn 19, 30) : « TOUT EST CONSOMMÉ. »


À droite, partie la plus proche de l’autel, on distingue les ronces du péché dans lesquels se sont enfermés Adam et Ève. Puis Caïn tue son frère Abel, première guerre fratricide de l’humanité. Le troupeau éclate… Au fond, on distingue l’Arche de Noé flottant sur les eaux du déluge. Le monde n’est plus que ruines, ruines provoquées par l’homme qui ne cherche qu’à s’éclater, tel un obus. « Unifie mon cœur, Seigneur, pour qu’il craigne ton nom » (Ps 85, 11). Cette unité se retrouvera à la croix. C’est là où Marie-Madeleine, repentante, aux pieds de son Seigneur, retrouve sa beauté et sa pureté baptismales. C’est là que Marie effondrée est soutenue par saint Jean, blanc comme un ange. Elle ira demeurer chez lui. C’est de la croix que semble souffler un vent mystérieux qui repousse les ténèbres et redonner couleur à un ciel embrasé. Il était embrasé de guerres, il sera embrasé d’amour. C’est aussi derrière cette croix, comme y puisant leur force, que des soldats du Christ, lance en main, partent au seul vrai combat : le combat spirituel. Ce n’est pas eux qui l’ont choisi, c’est lui, Jésus, qui les a choisis et établis, afin qu’ils partent, qu’ils portent du fruit, et que leur fruit demeure…


À gauche, la grotte du tombeau est devenue un puits de lumière. Un soleil l’embrasse et semble y avoir fait sa demeure. Devant, l’ange, assis sur la pierre, annonce aux saintes femmes, venues avec leurs onguents, qu’il n’est plus ici.


Sacrifices d’un unique sacrifice


Pourquoi ?

Plusieurs raisons m’ont poussé à choisir ces œuvres. D’abord, mon profond amour pour cette période artistique d’une richesse insoupçonnée qui vît éclore tant de grands artistes, et le renouveau de l’art sacré. Ensuite, parce qu’une amie m’a fait découvrir ce peintre qui m’a immédiatement séduit, tant par son œuvre que par sa vie. Mais aussi parce qu’il est difficile de trouver une œuvre d’art qui illustre directement le discours du Christ en saint Jean. Enfin, parce que je pensais que le moment était venu d’aborder la notion de sacrifice.


Et cette chapelle reste pour moi une superbe illustration de ce que je ressens. Il n’y a pas de plus grand amour que d’offrir sa vie. Pour ceux qu’on aime, ou ceux que l’on aime moins. Comme il est beau le sacrifice de ces soldats, qui voici plus d’un siècle, ont offert leur vie pour notre liberté, pour notre terre, pour ceux qu’ils aimaient. Je sais bien que beaucoup ne sont pas partis à la fleur au fusil. Je sais les questionnements de chacun (il suffit de relire des auteurs comme Dorgelès, Bernanos ou Céline), je sais aussi la beauté du sacrifice de ces hommes et de ces femmes, souvent à peine sortis de l’enfance.


Ces soldats, parfois bien malgré eux, ont répondu à l’appel du Christ. Ils ne l’ont pas toujours choisi, mais ils sont partis, ils ont porté du fruit en ensemençant la terre de France de leur sang et de leurs souffrances. Tout me semble en miroir dans cette œuvre de George Desvallières. Elle est l’œuvre d’un chrétien, d’un homme à la foi chevillée au corps, d’un homme qui a trempé sa foi dans l’épreuve, comme l’or au creuset (1 Pierre 1, 7) :

Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or – cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu –, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ.

Un miroir

Si l’on met les deux peintures en parallèles (et en inversant l’une), la lecture devient plus claire. Elle est comme un parcours que l’on pourrait faire en démarrant de l’entrée sur le mur de droite, vers l’autel. Puis de l’autel vers l’entrée sur le mur de gauche. Ou alors, un parcours croisé, les scènes se répondant d’un mur à l’autre en les croisant.


Première lecture : parcours continu



  1. L’assaut

  2. La destruction

  3. Le Sacré-Cœur

  4. L’ascension au ciel

  5. Les femmes

  6. L’arrivée dans les bras du Père (autel)

  7. Le renvoi d’Adam et Ève (autel)

  8. Le fratricide

  9. Le déluge

  10. La crucifixion

  11. Le tombeau vide

  12. Les femmes au tombeau

Comme le parcours du chrétien qui, s’il veut rejoindre la lumière de la résurrection, doit être prêt au combat. Il faut partir à l’assaut de son âme (1). Le combat sera rude, et laissera parfois le cœur en pleine désolation (il suffit de relire Thérèse d’Avila) (2). Mais, nous sommes soutenus. Le Christ nous a donné son Cœur, ce Cœur qui a tant aimé le monde (3), ce Cœur qui peut nous faire passer au milieu des épreuves. Alors, le ciel s’ouvre (4) et l’on peut apercevoir la lumière divine. L’ascension commence, mais elle est loin d’être finie… Le martyre, porté par ses femmes, nous attend (5), avant de rencontrer le Père (6). C’est celui de nous purifier de notre péché, comme Adam et Ève (7). Ce péché qui nous pousse à des guerres fratricides, à haïr notre frère ou notre prochain (8), qui nous entraîne vers la désolation du genre humain et le déluge (9). Seule la Croix peut nous en guérir (10) et nous permettre de rejoindre la lumière du Ressuscité (11) en pleine contemplation de sa gloire (12). Ce parcours, ce combat, c’est celui dont parlé saint Pierre. C’est celui de la vie, du sacrifice pour la Rédemption.


Seconde lecture : parcours croisé

  • L’assaut

  • La destruction

  • Le Sacré-Cœur

  • L’ascension au ciel

  • Les femmes

  • L’arrivée dans les bras du Père (autel)

  • Les femmes au tombeau

  • Le tombeau vide

  • La crucifixion

  • Le déluge

  • Le fratricide

  • Le renvoi d’Adam et Ève (autel)

Pour une lecture plus simple, l’image est remise dans son sens normal.


La lecture en est encore plus surprenante.

  1. Les ronces du péché d’Adam deviennent la forêt dévastée des Vosges. Cette guerre a dévasté la terre comme le cœur de l’homme. Seul Jésus, Nouvel Adam pourra nous en délivrer.

  2. Les soldats sont obligés de se livrer à une guerre fratricide, et seront injustement tués, comme Abel, victime innocente. Jésus n’est-il pas aussi le Nouvel Abel en se livrant à la croix ?

  3. Cette guerre qui fut souvent décrite comme un « déluge de feu ». Un déluge qui noie toute vie. Un déluge, un combat dont le Juste sortira vivant. Jésus n’est-il pas sorti vivant, lui le Nouveau Noé, des eaux de la mort ?

  4. Même si nous nous sentons abandonnés, il est là, planté dans nos vies, au milieu de nous. « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Et cette guerre avait un goût de fin du monde, elle qui devait être la « der des der ». Lui, le Nouveau Combattant offre son Cœur pour nos soldats comme il a offert son Cœur sur la Croix. Et ce Cœur, qui semble projeté dans le ciel, projeté sur les couleurs du drapeau, vient embraser le blanc de la France, sa pureté, son baptême. Au pied de la Croix, celle qui fut le réconfort de tant de soldats, la Nouvelle Ève, Marie.

  5. La foule des soldats qui partirent au combat, qui offrirent leur vie en sacrifice, est telle la foule des chevaliers qui partent mener un combat spirituel. Leur sacrifice n’était pas vain, car il a donné un des plus beaux fruits de l’Esprit : la Liberté. Cet Esprit qui nous arme : « Pour cela, prenez l’équipement de combat donné par Dieu ; ainsi, vous pourrez résister quand viendra le jour du malheur, et tout mettre en œuvre pour tenir bon. Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. En toute circonstance, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier : restez éveillés, soyez assidus à la supplication pour tous les fidèles » (Ep 6, 13-18).

  6. Et puis, il y a ces saintes femmes. Celles qui portent les palmes du martyre (le leur ou celui de leurs époux), celles qui réconfortent et soignent le soldat blessé. Celles qui prient pour le repos de leur âme, ou pour leur guérison, ou leur retour à la maison. Ce sont les mêmes que celles qui vinrent au tombeau pour oindre le Corps de Jésus. Ces infirmières sont les nouvelles saintes femmes.

  7. Enfin, il y a cette lumière qui nous est promise, cette ascension au ciel, cette rédemption, cette résurrection, cette paix après la bataille. Celle qu’annonce les anges, celle qu’a promis l’ange aux saintes femmes. Oui, comme le peintre l’a inscrit : « Le filet s’est déchiré et nous avons été libérés ».

  8. Alors, à l’autel, ils peuvent être accueillis dans les bras du Père, protégés par le manteau de la prière du Christ. Ils sont pour aujourd’hui, le nouvel Adam sorti des enfers comme nous le professons dans le Credo, la nouvelle Ève soutenant l’homme blessé et lui redonnant vie (Ève veut dire vivante). Oui, le sacrifice est plus fort que la mort, car l’amour ne passera jamais, l’amour vainc tout.

Se sacrifier aujourd’hui ?

Le mot n’a pas bonne presse aujourd’hui, encore moins en cette période bouleversée où certains fous se font kamikazes et tuent des innocents. Mais font-ils un vrai sacrifice ? Je ne le crois pas. Sacrifice a un sens bien précis. C’est un acte qui rend sacré. Tuer lâchement des innocents ne sera jamais un acte sacré.


Préférons le sens du mot tel que nous l’entendons dans notre foi. On parle bien du sacrifice de la messe. Jésus s’est offert une fois pour toutes en sacrifice, en victime expiatoire de nos péchés, pour que le sang d’un innocent (homme ou bête) ne soit plus répandu, comme le demandait le Lévitique (Lv 16, 20-28). C’est bien le sens de la Rédemption, c’est-à-dire le rachat. Jésus a racheté notre péché en s’offrant sur la Croix.


Un livre m’a beaucoup marqué dans mes années de séminaire : Les sept colonnes de l’héroïsme de Jacques d’Arnoux. Il m’a fait rêver et donner ce goût, peut-être parfois grandiloquent, du don de soi-même, de l’esprit de chevalerie, de donner sa vie. Une foi de combattant, sans que ce soit sanguinolent. Mais peut-être plus viril que certains livres de spiritualité. J’ai retrouvé cette force dans de nombreux auteurs de la même époque que George Desvallières : Léon Bloy, Georges Bernanos, et un peu avant Fedor Dostoïevski, Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, etc. Je la ressens aussi chez un Matisse, un Maurice Denis, ou un Gustave Moreau. Ce qui me semble en commun chez tous tient en deux termes : une foi chevillée au cœur et au corps, et un rêve qui les fait avancer et combattre, un rêve d’une étoile inaccessible comme disait Jacques Brel. Don Quichotte est une superbe figure…


Puissions-nous chacun faire ce rêve… Puissions-nous avoir la force, par Jésus, de nous offrir nous-même pour les autres, comme tant de nos soldats. Puissions-nous, comme tant de chrétiens d’Orient aujourd’hui, oser offrir notre vie au nom de Jésus.


Puissions-nous avoir le courage de partir et de porter du fruit. C’est ce que je demande à l’Esprit pour vous, pour moi…




Homélie de saint Augustin (+ 430), Commentaire sur l'évangile de Jean, 82, 1-4; CCL 36, 532-534.

Le Sauveur, en parlant à ses disciples, souligne de plus en plus la grâce par laquelle nous sommes sauvés. Ce qui fait la gloire de mon Père, c'est que vous donniez beaucoup de fruit : ainsi vous serez pour moi des disciples (Jn 15,8). <>


Si Dieu le Père est glorifié de ce que nous produisons beaucoup de fruit et devenons les disciples du Christ, nous ne devons pas le mettre au crédit de notre gloire, comme si nous tenions tout cela de nous-mêmes. Car cette grâce vient de lui, et c'est pourquoi, dans ce sens, la gloire n'est pas à nous, mais à lui. Il a dit ailleurs : Que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien... - ici, il devance en eux la pensée que ces bonnes oeuvres viendraient d'eux-mêmes, en ajoutant aussitôt : ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5,16). En effet, ce qui glorifie le Père, c'est que nous donnions beaucoup de fruit et que nous devenions disciples du Christ. Et par qui le devenons-nous, sinon par lui, dont la miséricorde nous a devancés ? Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus Christ pour que nos oeuvres soient vraiment bonnes (cf. Ep 2,10).


Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour (Jn 15,9). Voilà d'où viennent nos oeuvres bonnes. Car d'où pourraient-elles venir, sinon de la foi agissant par la charité (Ga 5,6) ? Et d'où viendrait que nous aimons, sinon de ce que nous sommes aimés en premier ? C'est ce que notre évangéliste nous dit de la façon la plus claire dans son épître : Aimons Dieu parce que lui-même nous a aimés le premier (cf. 1 Jn 4,19). <>


Certes le Père, qui aime le Christ, nous aime, nous aussi, mais en lui, parce que la gloire du Père est que nous donnions du fruit en étant unis à la vigne qui est son Fils, et que nous devenions ses disciples.


Demeurez, dans mon amour, leur dit-il. Comment demeurer ? Écoutez ce qui suit : Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour (Jn 15,10). Est-ce l'amour qui rend fidèle aux commandements, ou est-ce l'observance des commandements qui engendre l'amour ? Personne ne peut douter que l'amour vient en premier. C'est pourquoi il n'a aucun motif d'observer les commandements, celui qui est sans amour. Donc, lorsque le Seigneur dit : Si vous êtes fidèles à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, il ne nous montre pas ce qui engendre l'amour, mais ce qui le manifeste. Il semble dire : ne vous imaginez pas que vous demeurez dans mon amour, si vous n'êtes pas fidèles à mes commandements : vous y demeurerez si vous les observez. C'est-à-dire : on verra que vous demeurez dans mon amour, si vous observez mes commandements. Ainsi, que personne ne se fasse d'illusion en se disant qu'il l'aime, alors qu'il n'observe pas ses commandements. Car nous l'aimons dans la mesure où nous observons ses commandements. Moins nous les observons, moins nous aimons. <>


Ce n'est donc pas afin d'obtenir son amour que nous observons d'abord ses commandements ; mais, s'il ne nous aime pas, nous ne pouvons pas les observer. Telle est la grâce qui est lumineuse pour les humbles, mystérieuse pour les orgueilleux.



Saint Thomas More (+ 1 535), Traité sur la Passion. Le Christ les aima jusqu'au bout, Homélie 1.

Méditons profondément sur l'amour du Christ, notre Sauveur qui a aimé les siens jusqu'au bout (Jn 13,1), à tel point que pour leur bien, volontairement, il souffrit une mort douloureuse et manifesta le plus haut degré d'amour qui puisse exister. Car il a dit lui-même : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jn 15,13). Oui, c'est bien là le plus grand amour qu'on ait jamais montré. Et pourtant notre Sauveur en donna un plus grand encore, car il donna cette preuve d'amour à la fois pour ses amis et pour ses ennemis.


Quelle différence entre cet amour fidèle et les autres formes d'amour faux et inconstant que l'on trouve dans notre pauvre monde ! Le flatteur prétend vous aimer parce qu'il fait chez vous de bons repas. Mais si l'adversité amoindrit vos revenus et qu'il ne trouve plus la table mise, alors : adieu ! et voilà votre frère le flatteur parti chercher une autre table. Il pourrait même devenir votre ennemi et médire de vous cruellement.


Qui peut être sûr, dans l'adversité, de garder beaucoup de ses amis, quand notre Sauveur lui-même, lorsqu'il fut arrêté, est resté seul, abandonné des siens ? Quand vous partez, qui voudra partir avec vous ? Seriez-vous roi, votre royaume ne vous laisserait-il pas partir seul pour vous oublier aussitôt ? Même votre famille ne vous laisserait-elle pas partir, comme une pauvre âme abandonnée qui ne sait où aller ?


Alors, apprenons à aimer en tout temps, comme nous devrions aimer : Dieu par-dessus toute chose, et toutes les autres choses à cause de lui. Car tout amour qui ne se rapporte pas à cette fin, c'est-à-dire à la volonté de Dieu, est un amour tout à fait vain et stérile. Tout amour que nous portons à une créature quelconque et qui affaiblit notre amour envers Dieu est un amour détestable et un obstacle à notre marche vers le ciel. Dans l'amour que vous portez à vos enfants, que votre tendresse ne vous empêche jamais, au cas où Dieu vous le commanderait, d'être prêt à en faire le sacrifice, comme Abraham était prêt à sacrifier son fils Isaac. Et puisque Dieu ne le fera pas, offrez votre enfant au service de Dieu d'une autre façon. Car tout ce que nous aimons et qui nous fait enfreindre un commandement divin, si nous l'aimons plus que Dieu, c'est un amour mortel et condamnable.


Donc, puisque notre Seigneur nous a tant aimés pour notre salut, implorons assidûment sa grâce, de crainte qu'en comparaison de son grand amour, nous soyons convaincus d'ingratitude.


Prière

Dieu tout-puissant, accorde-nous, en ces jours de fête, de célébrer avec ferveur le Christ ressuscité : que le mystère de Pâques dont nous faisons mémoire reste présent dans notre vie et la transforme. Par Jésus Christ.

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