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VIe dimanche du temps ordinaire (A)

L’héroïque pèlerinage vers la sagesse






Turris Sapientiae,

Maître Robert Gaguin (Calonne-sur-la-Lys, 1434 - Paris, 1501),

Extrait du « Compost et calendrier des bergers »,

Codex imprimé à Paris par Guy Marchant sur parchemin, 285 mm x 205 mm, Manuscrit SA 3390, folio 059, 1493,

Bibliothèque Municipale, Angers (France)


Lecture du livre de Ben Sira le Sage (Si 15, 15-20)

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, fort est son pouvoir, et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher.


Psaume 118 (119), 1-2, 4-5, 17-18, 33-34

Heureux les hommes intègres dans leurs voies

qui marchent suivant la loi du Seigneur !

Heureux ceux qui gardent ses exigences,

ils le cherchent de tout cœur !


Toi, tu promulgues des préceptes

à observer entièrement.

Puissent mes voies s’affermir

à observer tes commandements !

Sois bon pour ton serviteur, et je vivrai,

j’observerai ta parole.

Ouvre mes yeux,

que je contemple les merveilles de ta loi.

Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ;

à les garder, j’aurai ma récompense.

Montre-moi comment garder ta loi,

que je l’observe de tout cœur.


Lecture de la première lettre de saint Paul apôtre aux Corinthiens (1 Co 2, 6-10)

Frères, c’est bien de sagesse que nous parlons devant ceux qui sont adultes dans la foi, mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, la sagesse de ceux qui dirigent ce monde et qui vont à leur destruction. Au contraire, ce dont nous parlons, c’est de la sagesse du mystère de Dieu, sagesse tenue cachée, établie par lui dès avant les siècles, pour nous donner la gloire. Aucun de ceux qui dirigent ce monde ne l’a connue, car, s’ils l’avaient connue, ils n’auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire. Mais ce que nous proclamons, c’est, comme dit l’Écriture : ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu.


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 5, 17-37)

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. Amen, je vous le dis : Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise. Donc, celui qui rejettera un seul de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré le plus petit dans le royaume des Cieux. Mais celui qui les observera et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux. Je vous le dis en effet : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras pas de meurtre, et si quelqu’un commet un meurtre, il devra passer en jugement. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui se met en colère contre son frère devra passer en jugement. Si quelqu’un insulte son frère, il devra passer devant le tribunal. Si quelqu’un le traite de fou, il sera passible de la géhenne de feu. Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou. Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. Si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier jeté dans la géhenne. Et si ta main droite entraîne ta chute, coupe-la et jette-la loin de toi, car mieux vaut pour toi perdre un de tes membres que d’avoir ton corps tout entier qui s’en aille dans la géhenne. Il a été dit également : Si quelqu’un renvoie sa femme, qu’il lui donne un acte de répudiation. Eh bien ! moi, je vous dis : Tout homme qui renvoie sa femme, sauf en cas d’union illégitime, la pousse à l’adultère ; et si quelqu’un épouse une femme renvoyée, il est adultère. Vous avez encore appris qu’il a été dit aux anciens : Tu ne manqueras pas à tes serments, mais tu t’acquitteras de tes serments envers le Seigneur. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu, ni par la terre, car elle est son marchepied, ni par Jérusalem, car elle est la Ville du grand Roi. Et ne jure pas non plus sur ta tête, parce que tu ne peux pas rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. Ce qui est en plus vient du Mauvais. »


En frontispice du Codex d’Angers

Cy est le Compost et kalendrier des bergiers nouvellement refait autrement composé que n'estoit par avant. Ouquel sont adjoustez plusieurs nouvelletez... Et enseigne les hours, heures et minutes des lunes nouvelles, et des eclipses de souleil et de lune... Larbre des vices. Larbre des vertus et la Tour de sapience figuree... nothomye et flebothomye, leur astrologie des signes estoilles et planettes, et phiosionomye. Et plusieurs choses exquises et difficiles a cognoistre. Lequel compost et kalendrier touchant les lunes et eclipses est approprié comme doit estre pour le climatz de France au jugement et congnoissance des bergiers.


Pourquoi un tel livre ?


Version revue d’un article de Jean-Patrice Boudet paru dans Ruralités. Des terres, des dieux et des hommes. Mélanges en l’honneur de Jean Tricard, Limoges, PULIM, 2015, p. 91-102.


Dans le royaume de France des derniers siècles du Moyen Âge, bergers et bergères sont plus que jamais à la mode. Pastourelles, mystères, entrées royales et vies de saints les mettent en valeur, en liaison directe ou indirecte avec l’Évangile de Luc, 2, 8-20, qui révèle leur élection divine parmi « les hommes de bonne volonté ». Jeanne d’Arc est l’objet d’une « opération bergère », magnifiquement narrée par Colette Beaune, un demi-siècle après la composition du plus ancien manuel d’élevage des moutons conservé en langue française, le Bon berger ou Vray regime et gouvernement des bergers et bergeres de Jean de Brie, dont on ne conserve plus de manuscrit mais que les éditions du XVIe siècle présentent comme ayant été adressé au sage roi Charles V, en 1379.


Jean de Brie, dans le Bon berger, consacre deux chapitres à la « congnoissance du temps » et aux manières « de sçavoir du beau temps et de la pluye », l’un par les oiseaux, l’autre par les autres animaux. Le chapitre V passe ainsi en revue les capacités de prévision météorologique fondées sur l’observation du vol des étourneaux, du héron, de l’hirondelle, du « huat que l’en appelle escoufle » (le milan), de « l’espec » (le pivert), de « la verdiere » (le passereau), du butor, de la pie et de la corneille, le chapitre VI étant consacré à ce que qu’il convient que « le bergier sache de l’augur des bestes par certains signes ». Jean de Brie énonce alors les capacités augurales du mouton « sonnailler » de Brie, du chat, des chevaux, juments ânes et ânesses, mais aussi et surtout, « par meilleures et plus soutilles raisons », des couleurs des quatre chevaux du char de Phébus. Et ce chapitre VI s’achève par l’affirmation selon laquelle le savoir du berger pourrait inclure également des notions d’astronomie-astrologie et de prévision astro-météorologique, que l’auteur n’est pas ignorant en la matière mais que ce n’est pas l’objet de son livre :

« Et se le bergier congnoissoit les corps du ciel et la cause des influences des signes et des planetes, ce luy feroit grant avantage pour avoir congnoissance de ces choses, car par les corps du ciel est causee et faicte tout la mutacion des temps qui est faicte es elemens. Si s’en taira Jehan de Brie, et toutesfois est il si sage que pour certain il congnoist le fouc des estoiles . »

Or, c’est précisément cette lacune que le Calendrier des bergers prétend combler. Imprimé à dix reprises dans la dernière décennie du XVe siècle, une trentaine de fois au XVIe siècle et jusqu’à la veille de la Révolution, sans parler des traductions dont il fut l’objet, le Calendrier des bergers est un best-seller emblématique de l’histoire de l’imprimerie. Sa genèse, encore assez mal connue, nous place d’emblée au cœur d’une aventure éditoriale exceptionnelle, fondée sur une supercherie littéraire. Elle témoigne de la souplesse, de l’habileté mais aussi des tâtonnements des diffuseurs du nouveau média mis au point par Gutenberg.


La première édition du Kalendrier des bergiers est sortie des presses de « Guiot Marchant, imprimeur demorant ou grant hostel de Navarre, en champ Gaillart, à Paris », le 2 mai 1491.


Guy Marchant est loin d’être un débutant en la matière. Clerc et maître ès arts vraisemblablement formé à l’université de Paris, lié au collège de Navarre, il a imprimé quelque deux cents ouvrages de 1482 à 1509 et c’est à lui que l’on doit la première impression parisienne de l’Ars moriendi, en 1483, ainsi que les deux premières éditions de la Danse macabre, en 1485 et 1486 . Il est surtout connu pour ses impressions de beaux livres illustrés en français mais plus de la moitié de sa production est en fait en latin et destinée en priorité aux clercs de l’université parisienne.


Cette édition princeps, dont le seul exemplaire conservé aujourd’hui se trouve à la Bibliothèque Mazarine de Paris, est de format in-folio mais d’une épaisseur modeste, 28 feuillets.


Une Tour de la sagesse ?

Dans leur constante quête de spiritualité, les auteurs médiévaux ont souvent élaboré des opuscules ou des procédés destinés à l’instruction mo­rale. La Tour de la sagesse en est une illustration méconnue. Probablement née à la fin du XIIIe siècle, cette allégorie consiste en une tour dont chacune des pierres est annotée d’un précepte moral. Dans près de la moitié des cas, l’image est accompagnée d’un texte explicatif qui, en plus de donner les clefs de lecture du schéma, incite le lecteur à bâtir sa propre tour de la sagesse.


Un autre exemple accompagné de ses explications



Turris Sapientiae,

Compilation de Jean de Metz,

(né vers 1398 et connu comme compagnon d’armes de Jeanne d’Arc),

Psautier Howard, Ms Arundel, 83 I, folio 5r,

Vers 1308-1340, Parchemin de 137 feuilles,

British Library, Londres (Grande-Bretagne)


Explanatio Turris Sapientiae (Psautier Howard, Ms London, British Library, Arundel, 83 I)

Il y a dans l’Église militante trois genres de fidèles à parvenir avec bonheur à la triomphante par l’accroissement des vertus de ceux qui espèrent : à sa­voir ceux qui commencent, ceux qui progressent et ceux qui parviennent. Donc, pour que ceux qui commencent à accéder aux vertus soient disposés à soutenir avec force le joug jadis reçu du Seigneur ; pour que ceux qui progressent dans l’accession aux vertus soient renforcés à combattre avec sagacité les insultes du monde de la chair et du dé­mon ; et pour que ceux qui parvien­nent à l’issue des vertus se glorifient d’avoir atteint la récompense de la féli­cité éternelle.


Maître Jean de Metz leur édifie la Tour de la sagesse dans laquelle, une fois entrés, ils sont capables d’éteindre les flèches enflammées du diable et doivent, en montant de vertu en vertu, parvenir sans encom­bre, comme on le voit, au Dieu des dieux. La Tour de la sagesse est édifiée à la manière d’une tour maté­rielle. Elle est sise sur quatre co­lonnes renforcées par des bases et des chapiteaux qui se répondent, elle com­porte un escalier, une largeur, une hau­teur, des portes, des fenêtres, un mur composé de pierres carrées, de merlons et de gardiens. Et comme une tour matérielle, on commence à la faire naître à partir des fondations, ainsi, celle-ci, morale, on commence à la lire à partir du bas, en montant d’après la séquence de l’alphabet, appliqué des endroits convenus de cette manière :


Le fondement de la Tour de la sagesse est l’humilité, dont Grégoire (a dit) : Celui qui rassemble les vertus sans l'humilité est comme celui qui porte la poussière dans le vent. Sur ce fondement sont sises quatre bases soutenant les co­lonnes. Les colonnes sont les quatre vertus cardinales, à propos des­quelles le Psalmiste :

Espère le Seigneur : par la prudence.

Agis en homme : par le courage.

et ton cœur sera conforté : par la justice.

et soutiens le Seigneur : par la tempé­rance.


Suivent les degrés, qui sont la prière, etc., parce que le pécheur voulant se convertir au Seigneur prie d’abord et par la prière lui est donnée la componction du cœur, par la componction (lui est donnée) la confession par la bouche, par la confession lui est donnée l’action de pénitence, par la pénitence lui est donnée la satisfac­tion des œuvres, qui a lieu par I’aumône et par le jeûne.


Suit la largeur, qui est la cha­rité, à propos de laquelle dans l’Évan­gile : Dieu est charité et etc.


Suit la hauteur, qui est la persé­vérance, à propos de laquelle l’Évan­géliste : Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé.


Suivent les portes, à propos des­quelles Bernard : Les vertus d’obéissance et de patience sont si grandes que sans elles deux, le Fils de Dieu ne pourrait pas retourner dans son Royaume.


Suivent les fenêtres, qui sont le discernement , qui est l’aurige des ver­tus ; la religion, qui est la maî­tresse ; la dévotion, qui est la servante ; la contemplation, qui est la nourricière des vertus.


Suit le mur comptant douze pierres angulaires, dont procèdent d’autres pierres ordonnées. Au-dessus du mur se trouvent les merlons : six vertus pures condui­sant vers les autres.


Suivent cinq gardiens.

Le premier : « blâme envers les dé­pravés », parce que si quelqu’un était retrouvé dépravé dans l’observance des commandements de Dieu, il doit être blâmé par des mots.

Le deuxième : « discipline envers les révoltés », parce que si le blâmé de­vient rebelle, il doit être disci­pliné parce que le stupide n’est pas corrigé par des mots.

Le troisième : « Jugement envers les réprouvés », il doit être jugé, c’est-à-dire excommunié et rejeté du conseil des bons.

Le quatrième : « Punition, pour les mauvais », parce que si le réprouvé omettant la crainte de Dieu, de­vient mauvais, on utilise la puni­tion pour le mauvais selon le conseil de Paul, qui dit à juste ti­tre : il faut livrer l'homme mauvais à Satan dans la destruction de la chair, pour que l'esprit soit sauvé au jour du Seigneur.

Le dernier : « Protection pour les bons », parce que la délivrance des maux est faite, les bons sont dans la paix. Les juges sont constitués pour la délivrance des maux et la protection des bons.


Le maître Jean de Metz


Présentation à partir d’une synthèse d’un mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Nancy-2 en mai 2007 par Kévin Gœuriot


Plusieurs manuscrits inscrivent son nom au pied de la tour. Ce serait un franciscain auteur d’un sermon daté de 1273. Cette date coïncide avec l’apparition des premiers exemplaires de la Tour de Sagesse. En fait, suivant les manuscrits, trois auteurs sont possibles : celle de Jean de Metz ; celle d’un certain Bonacursus, dominicain qui aurait occupé le siège archiépiscopal de Tir en Syrie ; et celle de Iohannes Metensis, auteur qui au XIIIe siècle aurait rédigé plusieurs traités sur les vices et les vertus.


À qui était destinée cette Tour ?

On pense que le public visé était surtout celui des ordres mendiants, notamment les franciscains. Puis la diffusion se fit auprès du clergé. Quelques exemplaires luxueux ont été rédigé pour de riches laïcs dès les premières décennies du XIVe siècle. Très vite, cette Tour de Sagesse, et les autres dessins et tableaux (que je ne peux aborder ici) eurent un très grand succès et furent amplement diffusés.


Le texte précise que Jean de Metz (ou Bonacursus selon les manuscrits), a édifié la Tour de la sagesse pour que les fidèles puissent s’élever moralement. Déjà, l’image s’impose comme un schéma à vocation édificatrice. Sa lecture doit permettre à chacun d’acquérir progressivement vertu et sagesse morale.


La description de l’escalier qui conduit au premier étage de la tour est révélateur d’une certaine logique dans la construction, et dans la lecture du diagramme. Du bas vers le haut, nous lisons : prière, componction, confession, péni­tence, disculpation, aumône et jeûne.


Le lecteur est donc invité à observer chacun des préceptes de la tour. Il ne peut accéder au niveau supérieur que s’il a assimilé les notions précédentes. La suite du texte est une énumération des vertus qui figurent dans le dessin de la tour. Chacune de ces vertus est rattachée à une citation extraite de la Bible, de la patrologie ou des écrits de Saint Bernard.


L’Explanatio s’achève sur la description des cinq gardiens qui figu­rent au sommet de la Tour de la sagesse. Le texte qui accompagne le dessin de la tour se veut un chemin jalonné de vertus et de citations. Il assimile le lecteur à un pèlerin en lui proposant de parcourir un voyage initia­tique dont le but suprême est la connaissance de la sagesse morale. À ce titre, les lettres de l’alphabet, qui structurent le discours expli­catif et se retrouvent dans le dessin de la tour constituent des repè­res pour le lecteur. Grâce au texte d’explication, ce dernier reçoit les clés de lecture d’un dessin qui représente un édifice et un tableau dans lequel ont été classées les notions essentielles de la théologie et de la morale médiévales.


L'image comme cadre de la foi

En définitive, pourquoi l’auteur du schéma a-t-il choisi l’image d’une tour pour présenter ces vertus et ces préceptes moraux ? La tour, en tant que construction destinée à défendre un territoire, évoque la force et l’invincibilité. La Turris sapientiae se veut-elle aussi inébranlable et éternelle, parce que bâtie avec les vertus ? Le contenu du dessin légitime, au moins dans le symbole, la solidité de l’édifice spirituel. Le fait que l’humilité constitue la base de l’édifice renvoie peut-être à la parabole des deux maisons qui, dans l’évan­gile, invite le fidèle à bâtir sa foi sur le roc et non sur le sable. Dans la société médiévale, la tour est aussi symbole de puissance et de pouvoir. Son omniprésence dans le paysage de l’époque nous rappelle qu’elle incarnait la justice féodale tout en constituant le refuge des populations en péril. Il n’est pas difficile de filer la méta­phore et de voir dans la Tour de la sagesse l’image du lieu inacces­sible, de la tour de guet ou du refuge des âmes. L’examen de la série de préceptes et de vertus que renferme l’image de la tour a révélé que celle-ci se concevait comme un cheminement spirituel. Les lettres de l’alphabet qui jalonnent le schéma et en déterminent le sens de lecture le confirment. En parcourant le diagramme, le lecteur est assimilé au pèlerin qui chemine vers la perfection morale. L’image se veut « édificatrice » à tous les sens du terme, puisque le lecteur est invité à réfléchir sur chaque vertu, à mettre en œuvre chaque précepte. De cette manière, il acquiert la sagesse et s’élève moralement. La Tour de la sagesse est donc un modèle à reproduire dans sa conscience, une sorte d’outil moralisateur ou de guide de conduite.


La sagesse

Revenons-en au texte de saint Paul après ces longues présentations. Paul parle de deux sagesses : celle des hommes livrés à eux-mêmes, et celle reçue par ceux qui se livrent à Dieu. Elle a été révélée par Dieu à ceux qui acceptent de ne pas limiter leur regard au bout de leur nez, mais ceux qui cherchent vraiment jusqu’au plus profond des choses, et de leur âme, car elle est « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas venu à l’esprit de l’homme, ce que Dieu a préparé pour ceux dont il est aimé. » Elle demande donc un effort de la part de l’homme, une quête, même si elle peut paraître difficile, voire inaccessible, comme le chantait Jacques Brel (La quête).


Le Moyen-âge, qui je le rappelle, à l’instar de Régine Pernoud, n’était pas un âge moyen, avait cette intelligence pastorale de mettre à la disposition des religieux et des fidèles de petits outils simples et mnémotechniques pour leur faciliter l’acquisition des vertus, chemin vers Dieu. Ne serait-il pas bon que nous nous y replongions pour retrouver une catéchèse (c’est-à-dire, étymologiquement, ce qui fait écho de la présence de Dieu en nos vies) qui soit plus pratique et surtout plus spirituelle ? Et cette Tour en est un bon exemple, diagramme, presque ludique, qui balise la route du pèlerin qui veut rejoindre le Royaume, prenant en main le projet divin de sainteté, sans oublier que seule la vertu d’humilité peut l’aider à recevoir l’Esprit sanctificateur. Un peu comme une mise en acte de ce que Jean de La Fontaine donnait comme morale dans sa fable du « Chartier embourbé » : « Aide-toi et le ciel t’aidera ! » L’effort ne porte pas sans le don de l’Esprit, et il ne serait qu’orgueil. Mais l’Esprit sans effort ne serait qu’une sorte de quiétisme, comme celui de l’hérésie moliniste (1) ou de Madame de Guyon (1648-1717).


Quiétisme ou hésychasme ?

Vous savez mon attrait pour la spiritualité orthodoxe. Le Récit d’un pèlerin russe, qui eut tant de succès, parle de cet homme en continuel pèlerinage, à la recherche de la sagesse et de la paix intérieure. Il donne l’impression de mettre en oeuvre le précepte d’Abba Arsène : « Fuge, tace, quiesce » (Fuis le monde, tais-toi et reste dans ta cellule intérieure). Il ne s’agit pas ici de quiétisme, mais d’un état de vie qui essaye de se détacher du monde pour trouver Dieu, participer à la déification (la theosis). Et cela demande des efforts, cela demande de fuir le monde, de partir en pèlerinage, dans le silence, et dans la paix intérieure, celle que donne l’Esprit de sagesse.


Un pèlerinage

Car notre vie terrestre devrait être un continuel pèlerinage : nous sommes sur cette terre parce que Dieu nous y a mis, et ce, pour une seule raison qui se résume dans ce double commandement au triple amour (Mt 22, 36-40) :

« Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Voilà donc la véritable sagesse qu’il nous faut acquérir, pour ne pas dire conquérir (Prière des Chevaliers de Jacques Sevin : « Enseignez-nous que la plus fière épopée est de conquérir notre âme et de devenir des saints »). Et la Tour de la Sagesse peut en être un bon moyen ! Car, comme tout pèlerinage, il est bon de se préparer, du moins de préparer son havresac. Qu’y mettre ? Peut-être que saint Paul peut de nouveau nous donner quelques conseils… (Ep 6, 14-18) :

Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. En toute circonstance, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier : restez éveillés, soyez assidus à la supplication pour tous les fidèles.

Comme il est amusant de voir qu’on y retrouve les mots inscrits sur la Tour de la sagesse.


Les sept colonnes de l’héroïsme

Je termine en vous parlant d’un livre qui a bercé et illuminé mes années de séminaire : Les sept colonnes de l’héroïsme de Jacques d’Arnoux. En voici la présentation de la quatrième de couverture :

Aviateur, abattu aux commandes de son avion en 1917, Jacques d'Arnoux fut relevé à demi paralysé. Jusqu'à sa mort en 1980, il resta alité. Ce furent 53 années de souffrance où il puisa des ressources morales exceptionnelles qui s'épanouirent en un souffle spirituel, voire surnaturel, hors du commun. Aussi les livres qu'il écrivit sont-ils des oasis de pureté, des sources d'eau claire. Celui que nous présentons ici parut en 1938. C'est la somme de ses réflexions ; sa lecture procure une richesse spirituelle inattendue et durable. "Les sept colonnes de l'héroïsme" est une œuvre de puissante mystique catholique. Il fallait qu'elle fût mise à la disposition d'une jeunesse encore plus déboussolée que celle des sexagénaires que beaucoup d'entre nous sont devenus. Elle recèle "assez de force explosive et radieuse pour soulever au-dessus d'eux-mêmes les adultes les plus aplatis", selon les termes de Michel de Saint Pierre. Tout y est à lire et à méditer sans se laisser rebuter par le lyrisme "apocalyptique" de maints passages. Mais, livre refermé, ce qui reste dans la mémoire suffit à donner un fil à l'Histoire, un cadre à la pensée, un sens à une vie de Chrétien.
C'est d' abord le prologue, longue vision d'une centaine de pages sur l'action de Satan dans la démolition des Panthéons dressés par les hommes, de Nietzsche (complètement dominé par le Mal) à Pascal (insuffisamment docile à la grâce), en passant par Rousseau (et Luther, ce qui peut heurter les Protestants), Goethe, Vigny et Guynemer.
Ce sont ensuite, au fil des "colonnes" (chapitres consacrés aux voies de la sainteté), d'autres visions de l'Univers et des âmes (Intelligence), du Jugement dernier (Enthousiasme), du Purgatoire (Mémoire), de la Passion (Sacrifice, Ire), les 4e et 7e colonnes (Volonté et Grâce) n'en comportant pas, dans la solidité doctrinale de leur construction. Au total, un livre essentiel pour tout homme qui veut tenter d'obéir à l'ordre du Christ d'être parfait, car chacun y trouvera confirmation ou réformation de ses tendances, de ses intuitions, de ses réflexions.

Un souffle

Aux yeux de plusieurs autorités ecclésiastiques modernes, ce livre semblera un brûlot contrerévolutionnaire ! J’en conviens. Mais il est traversé par un souffle, une dynamique, un Esprit qui vous gonfle les voiles intérieures et vous pousse à suivre le Christ jusqu’au bout (Jn 13, 1) : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. »


Un souffle, qui est la vraie Sagesse, un souffle qui nous empêche de nous asseoir, de sombrer dans une sorte de quiétisme démoralisant. Comment ne pas penser à cette prière de Michel Menu :

Si tu veux être chef un jour, Pense à ceux qui te seront confiés, Si tu ralentis, ils s’arrêtent. Si tu faiblis, ils flanchent. Si tu t’assieds, ils se couchent. Si tu critiques, ils démolissent.
Mais… Si tu marches devant, ils te dépasseront. Si tu donnes la main, ils donneront leur peau. Et si tu pries, alors, ils seront des saints.

Alors, si nous voulons (mais le voulons-nous vraiment…) être des saints un jour, prenons d’assaut la Tour de la sagesse, portés par les ailes de l’Esprit. « Et c’est à nous que Dieu, par l’Esprit, en a fait la révélation. Car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. »


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(1) Miguel de Molinos (1628-1696), qui expose cette doctrine dans son Guide philosophique (1675). Dans son ouvrage, le père Molinos explique que « lorsque l'âme parvient à s'unir étroitement à Dieu, elle se trouve dans un état de repos parfait (quies en latin se traduit par « repos »), et n'a plus alors ni acte à produire, ni effort à faire, ni même résistance à opposer à la tentation : l'âme ne pèche plus, même si elle semble aller à l'encontre de la loi de Dieu ».

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Recension du livre de Jacques d’Arnoux (Revue Esprit N°77, de février 1939)

M. Jacques d'Arnoux a écrit 556 pages sur l'héroïsme et sur un ton constamment héroïque. Il fait un voyage en Enfer, au Purgatoire et en compagnie de l'archange Raphaël avec qui il soutient interminablement un dialogue interrompu notamment par des conversations également directes avec le Maudit. Pendant ce voyage lui est révélé le sort de tous les héros de l'histoire et il conclut que seuls les saints sont des héros. Le plan de cette œuvre rappelle celui d'une autre assez connue dont la lecture n’est pas des plus faciles : honnêtement, je dirai que le livre de M. d’Arnoux exige du lecteur la volonté de vivre sur des hauteurs inaccoutumées, autant pour le sujet que pour le style. Mais c'est ici que j'arrête un commentaire qui peut paraître ironique, quoique pesamment. Car, d'une part, à moins de lui supposer du génie, je ne vois pas sur quel ton plus accessible et plus coutumier l'auteur aurait pu lyriquement exposer son sujet, et , d'autre part, sa sincérité totale est aussi évidente que le travail (de documentation, de lecture, de méditation), à la base de son livre est prodigieux. Mais surtout parce que ce livre traite sérieusement le sujet de l'héroïsme et apporte à ce mot une définition et une analyse sûres. M. d'Arnoux, qui sans doute a admiré autant de héros que l'a fait Carlyle, a eu le courage de repenser la notion d'héroïsme, de la serrer de près, d’éliminer implacablement tout ce qui n'était que violence, désir de dominer, désir de savoir. On dira que c'est une question de mots et que M. d'Arnoux remplace simplement le mot héroïsme par le mot sainteté en confondant les deux notions. Cela serait une erreur. Le héros pour les anciens était le demi-dieu ; pour le chrétien c'est l'homme qui s'identifie à la volonté de Dieu, cela n'a rien à voir avec le plan sur lequel il poursuit son action humaine. On voit le rapprochement avec la conception païenne et le dépassement. On voit également la conséquence, et c'est qu'une action n’est héroïque qu’autant qu’elle est déterminée (et cela pour les anciens comme pour le chrétien) par une notion divine. M. d’Arnoux démontre avec une patiente violence tous les faux héros parmi les grands hommes véritables. Je crois qu'il est notoirement injuste pour plusieurs d'entre eux, notamment pour Rousseau (comme il parle de tout le monde il serait trop long de discuter des cas d'espèce), et il raconte un peu trop d'histoires de guerre. Mais la richesse de ses citations de contemplatifs, son admirable synthèse de toute la documentation mystique sur le Jugement Dernier, nourrissent des pages dans lesquelles son génie atteint une véritable grandeur. Mais c'est parce qu'il a mis en sa place réelle ce mot d'héroïsme qui entraîne, et qui de notre temps entraîne si souvent au mal, qu'il a fait œuvre utile. Car nous en avons assez des tricheurs qui appliquent ce mot à n'importe quelle volonté tendue à n'importe quel but.



L’héroïsme, Père Joseph Kentenich

« Le christianisme est une religion d’héroïsme, et non de satisfaction bourgeoise. L’être humain est par nature prédisposé à l’héroïsme. Ce n’est pas une réunion de couards: le christianisme exige un héroïsme radical.


Si nous plaçons la barre très haut au niveau des exigences, nous mettons l’accent non pas sur le « tu dois le faire » mais sur le « si tu veux ». Une religion héroïque appelle à des actes d’héroïsme.


L’homme, le héros, grandit au contact d’idéaux élevés. Il faut prononcer un oui audacieux. Et ce que nous prononçons intérieurement doit se traduire par des faits concrets. Nous devons être des héros de l’amour. C’est ce que Dieu veut, et c’est là le risque, l’audace du oui ».


J’aime l’héroïsme de l’amour, d’un oui courageux. J’aime l’audace des hommes qui marchent dans les pas de Dieu au quotidien. J’aimerais être un héros de la vie simple, au quotidien et à tout moment.


Nous pensons quelquefois à des vies réellement héroïques, dignes d’être racontées et nous sous-estimons les vies sans nom, cachées, routinières, excessivement simples.

Car les vies qui surprennent réveillent en nous des idéaux élevés et nous encouragent à vivre plus héroïquement. Une conversion radicale nous surprend, tout comme une vie avec des dons spirituels particuliers ; des gestes uniques, des conquêtes impressionnantes. Ces vies attirent notre attention.


J’aimerais avoir un regard pur pour voir la beauté de Dieu dans la vie simple et routinière. Je ne veux pas vivre en bourgeois et je sais que la routine peut quelquefois me peser. Je veux aspirer au plus élevé et ne pas me contenter de minima.


C’est pourquoi, je veux regarder la vie simple des saints simples que je rencontre sur mon chemin. Je veux apprendre d’eux leur naturel à aimer, leur simplicité à chercher Dieu dans tout.


Je ne prétends pas laisser le souvenir d’un héros. Mais je rêve de toucher l’amour de Dieu et de le rendre avec humilité, dans ma petite vie.


C’est pourquoi, je suis attiré par ces saints qui n’ont pas accompli de grands gestes, mais qui ont changé le monde autour d’eux par une vie simple et pleine d’amour.


Ils sont si imitables que même moi je pourrais suivre leur chemin. Si je suis capable de renoncer à mon égoïsme et à mes prétentions. Même moi je pourrais rêver d’aimer comme ils aiment.


Leurs péchés ne me scandalisent pas. Car je pèche et me crois néanmoins appelé à vivre une vie sainte. C’est l’amour qui change la société, l’éducation, la politique, la famille. Et pour ce qui est d’aimer, oui j’aime, bien que maladroitement. Et c’est dans l’amour que se matérialise la sainteté des personnes et non dans les grandes déclarations d’amour qu’emporte le temps.


Je pense à la vie de tant de saints qui ont commencé leur chemin dans la douleur, porté leur croix, vécu des pertes et ont fini par vaincre tous les obstacles par la grâce de Dieu dans leurs vies.


Comme moi-même. Comme n’importe qui. Une vie comme la mienne. Je ne me justifie pas de ne pas être un saint, si ce n’est que je ne désire pas être un saint.



Dialogue

François Xavier :

« Veux-tu de moi, que je sois éloigné de tout ? Veux-tu, peut-être que je laisse maison, famille, travail ou état ? Tu demandes trop… »


Ignace de Loyola :

« Je t’offre beaucoup plus ! Toi, le faux chercheur de vanité, gloire et honneur, vas-tu reculer alors que je viens t’offrir une gloire et honneur meilleurs ? Ne cherche pas honneur, vanité dans des armoiries et couronnes, tu sais bien que ce n’est pas cela ce que tu ambitionne, ni ce qui t’appelle. Lorsque l’applaudissement te réclame, tu penses que tu es arrivé à ta plus grande gloire. Insensé ! Ne vois pas tu que ton destin est divin et que cela faisant, tu restes à moitié de chemin ?! »



Ignace d’Antioche, Lettre aux Romains

« Depuis la Syrie jusqu'à Rome, sur terre et sur mer, de nuit et de jour, je combats déjà contre les bêtes, enchaîné que je suis à dix léopards : je je veux parler des soldats qui me gardent et qui se montrent d'autant plus méchants qu'on leur fait plus de bien. Leurs mauvais traitements sont pour moi une école à laquelle je me forme tous les jours ; « mais je ne suis pas pour cela justifié ». Quand donc serai-je en face des bêtes qui m’attendent ! Puissent-elles se jeter aussitôt sur moi ! Au besoin je les flatterai, pour qu'elles me dévorent sur le champ, et qu'elles ne fassent pas comme pour certains qu'elles ont craint de toucher. Que si elles mettent du mauvais vouloir, je les forcerai. De grâce, laissez-moi faire ; je sais, moi, ce qui m'est préférable. C'est maintenant que je commence à être un vrai disciple. Qu'aucune créature, visible ou invisible, ne cherche à me ravir la possession de Jésus-Christ ! Feu, croix, corps à corps avec les bêtes féroces, lacération, écartèlement, dislocation des os, mutilation des membres, broiement du corps entier : que les plus cruels supplices du diable tombent sur moi, pourvu que je possède enfin Jésus-Christ !


Que me servirait la possession du monde entier ? Qu'ai-je à faire des royaumes d'ici-bas ? Il m'est bien plus glorieux de mourir pour le Christ Jésus que de régner jusqu'aux extrémités de la terre. C'est lui que je cherche, ce Jésus qui est mort pour nous ! c'est lui que je veux, lui qui est ressuscité à cause de nous ! Voici le moment où je vais être enfanté. De grâce, frères, épargnez-moi ; ne m'empêchez pas de naître à la vie, ne cherchez pas ma mort. C'est à Dieu que je veux appartenir : ne me livrez pas au monde ni aux séductions de la matière. Laissez-moi arriver à la pure lumière ; c'est alors que je serai vraiment homme. Permettez-moi d'imiter la passion de mon Dieu. Si quelqu'un possède ce Dieu dans son cœur, que celui-là comprenne mes désirs, et qu'il compatisse, puisqu'il la connaît, à l'angoisse qui me serre.


Je ne veux plus vivre de cette vie terrestre. Or, la réalisation de mon vœu dépend de votre bonne volonté : montrez-en donc à mon égard, afin d'en trouver vous-mêmes à votre tour. Ces quelques mots vous transmettront ma prière : croyez à mes paroles. Jésus-Christ fera éclater à vos yeux la sincérité de mon cœur, lui, la bouche infaillible par laquelle le Père a vraiment parlé. Priez pour que je réussisse. Ce n'est pas la chair qui m'a dicté cette lettre, c'est l'esprit de Dieu. Mon martyre sera la preuve de votre bienveillance, et le refus de m'y admettre l'effet de votre haine. »

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