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VIe dimanche du temps ordinaire (B)

Si tu le veux…



Jésus guérit un lépreux,

Anonyme,

Paroi de la cuve de la chaire à prêcher (1631), chêne sculpté,

Église Notre-Dame des Jésuites, Molsheim (France)


Évangile selon saint Marc (Mc 1, 40-45)

En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. » Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.


Le contexte

Le protestantisme et sa Réforme se sont particulièrement développés en Alsace, et le Concile de Trente (1545-1563) a du mal à juguler cette expansion. La Contre-Réforme essaiera de tout mettre en œuvre pour contrer cette foi peu orthodoxe aux yeux de l’Église. L’art religieux sera un des moyens de prédilection pour rendre à la foi catholique toute son ampleur, que ce soit par les écrits et les consignes de nombreux évêques, ou par le développement des ordres religieux. Les Jésuites, fondés en 1539 par Ignace de Loyola et ses compagnons, seront un des fers de lance de ce projet, tant par leur méthode spirituelle, que par leur enseignement ou par la promotion d’un art didactique qui leur est propre. C’est dans cet esprit que fut construite à Molsheim cette église conventuelle de l’Ordre.


La Compagnie de Jésus va prioritairement utiliser l’art et ses représentations comme un des nouveaux moyens catéchétiques. Il s’agira, respectant ainsi les consignes de la dernière session du Concile de Trente, que toute représentation religieuse soit immédiatement identifiable, et qu’elle exalte la présence de Dieu en ce monde au sein de l’Église. On pourrait ainsi en résumer l’idée maîtresse : que dans l’Église, le ciel descende jusqu’aux hommes et que les hommes puissent rejoindre, exaltés, leur Dieu, dans une vision quasi-théâtrale. Ainsi, le moindre tableau, le moindre objet, le plus simple mobilier a une vocation d’enseignement. C’est le cas de cette chaire à prêcher de 1631.


L’œuvre

La cuve de la chaire est entourée de six saints : Pierre et Paul et les quatre grands docteurs de l’Église latine (saint Jérôme, saint Augustin, saint Ambroise et saint Grégoire) – Ils sont l’appui de la parole du prédicateur. Entre eux, des panneaux de chêne sculpté en bas-reliefs représentent saint Ignace de Loyola, Jésus guérissant un lépreux, l’envoi des apôtres en mission, saint Jean-Baptiste prêchant et saint François-Xavier (co-fondateur de la Compagnie). L’abat-voix qui domine la chaire nous montre la colombe de l’Esprit (le prêtre parle inspiré par Dieu, et sur le dessus le Bon Pasteur et les quatre évangélistes autour du sigle jésuite IHS (Iesus Hominum Salvator : Jésus Sauveur des Hommes). Les panneaux historiés viennent renforcer le sens de la prédication : le jésuite prédicateur est à la suite des fondateurs (Ignace et François-Xavier), il annonce la guérison de la lèpre de notre péché, pour nous envoyer en mission annoncer la bonne parole, tel Jean-Baptiste. La guérison du lépreux prend alors ici tout son sens.



Ce que je vois

Dans le fond, une grande montagne présente en son sommet sept personnages. Faut-il y voir le Christ prêchant à ses apôtres le fameux discours sur la montagne, ou Ignace prononçant le vœu fondateur de la Compagnie de Jésus sur le mont des martyrs (Montmartre à Paris) ? Au pied de cette montagne, un groupe compact d’hommes devant un arbre en feuilles. Neuf hommes, dont certains sont couverts d’un étrange chapeau, puis le Christ penché sur le lépreux à genoux devant lui. Les insectes xylophages ont comme accentué la lèpre de cet homme, creusant de petits trous dans sa chair ! Il est pauvrement vêtu d’un surcot, la tête couverte d’un simple bonnet. À genoux, les bras croisés sur la poitrine, il semble attendre tout de la miséricorde de Jésus.


Mais ceux qui l’entourent paraissent aussi dans l’expectative. Leur tenue laisse à penser qu’en leur sein se trouve un certain nombre de juifs, de scribes ou de rabbins, coiffés de leur chapeau caractéristique des juifs du XVIIe siècle. Celui qui est juste sur la droite de Jésus semble s’indigner de la situation. Sa main droite levée au ciel s’offusque, alors que sa main gauche se porte sur son cœur. Le geste est répété par l’autre homme à son côté. Les juifs n’aiment pas que Jésus se fasse le thaumaturge : il vient jeter le trouble dans le peuple. Encore plus avec la lèpre. Toute maladie de peau était considérée comme une lèpre, maladie honteuse qui abimait le corps de l’homme fait à l’image de Dieu, et souvent considérée comme le signe d’un homme qui avait péché.


Lui, Jésus, n’a peur ni de la maladie de l’homme, ni de son péché. Il s’approche, il se penche sur lui, relevant un pan se sa tunique pour éviter le faux pas. Et de sa main droite, il le bénit, et ainsi le guérit de son mal. La main ne présente plus le geste traditionnel de la bénédiction, déjà oublié à cette époque : trois doigts levés pour indiquer sa participation trinitaire, deux doigts repliés pour rappeler sa double nature humaine et divine. Derrière Jésus, un homme (certainement un apôtre, Pierre ?) porte la main à sa bouche, signe de son incrédulité ou de sa stupéfaction : comment est-ce possible ?


Si tu le veux…

Revenons au texte qu’illustre ce panneau. La réputation de Jésus semble l’avoir précédé. Cet homme sait qui il est, il connaît son pouvoir thaumaturgique, même s’il ne lui donne aucun titre. C’est simplement un cri, le cri de la dernière chance : « Tu peux me purifier ». Il est tellement désespéré qu’il y croit à moitié : si tu le veux. Surprenants ces deux verbes : vouloir et pouvoir. Je sais ce que tu es capable de faire Jésus, je connais ton pouvoir. Mais, y ai-je droit, en suis-je digne ? Seule ta volonté, seul ton vouloir peut me guérir, moi, je suis trop usé, trop misérable pour vraiment croire que j’en sois digne. Ce « si tu le veux » est le signe de l’humilité de cet homme, une humilité qui touchera Jésus. Dieu, comme le rappellent tant de psaumes, attend de notre part cette humilité fondamentale : le Psaume 50

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi.
Contre toi, et toi seul, j'ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l'ai fait. Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice, être juge et montrer ta victoire.
Moi, je suis né dans la faute, j'étais pécheur dès le sein de ma mère.
Mais tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret, tu m'apprends la sagesse.
Purifie-moi avec l'hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.
Fais que j'entende les chants et la fête : ils danseront, les os que tu broyais.
Détourne ta face de mes fautes, enlève tous mes péchés.
Crée en moi un coeur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d'être sauvé ; que l'esprit généreux me soutienne.
Aux pécheurs, j'enseignerai tes chemins ; vers toi, reviendront les égarés.
Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur, et ma langue acclamera ta justice.
Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.
Si j'offre un sacrifice, tu n'en veux pas, tu n'acceptes pas d'holocauste.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un esprit brisé ; tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un coeur brisé et broyé.
Accorde à Sion le bonheur, relève les murs de Jérusalem.
Alors tu accepteras de justes sacrifices, oblations et holocaustes ; alors on offrira des taureaux sur ton autel.

Jésus est saisi de compassion. Saisi, il n’en est plus maître. L’humilité de cet homme l’a touché. Il souffre avec et pour lui. Alors, il étend la main…


Il étend la main

Il ne fait pas que la tendre, geste d’aide, il l’étend, il se donne tout entier. Il va lui imposer la main, poser la main sur lui, lui donner l’Esprit Consolateur, l’Esprit guérisseur. Tout son être passe en ce geste, en cette main. La force de son amour est plus grande que celle de la maladie ; il n’a pas peur de le toucher. Jésus le touche parce que lui-même fut touché par cet homme. Je le veux, j’en ai le profond désir, je veux te rendre la vie, je veux te remettre debout, je veux faire de toi un homme libre, un homme pur. Sois purifié !


À l’instant même…

Sans attendre, sans vérifier que l’homme doit faire quelque acte pour montrer sa détermination. Jésus ne s’embête pas avec tout ça. La demande de l’homme lui suffit. Nul besoin d’attendre. Tout est possible à Dieu. Et tout est possible à l’homme humble… Donne-nous Seigneur cette humilité. Donne-nous la force de crier avec ton Fils. Donne-nous la foi en son pouvoir. Donne-nous la foi en notre guérison, il le veut. Et à l’instant même, ma vie pourra changer, tout mon être pourra être purifié…




Homélie de saint Paschase Radbert (+ 860), Commentaire sur l'évangile de Matthieu, 5, 8, CCM 56 A, 475-476.

Le Seigneur guérit chaque jour l'âme de tout homme qui l'implore, l'adore pieusement et proclame avec foi ces paroles : Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier (Mt 8,2), et cela quel que soit le nombre de ses fautes. Car celui qui croit du fond du coeur devient juste (Rm 10,10). Il nous faut donc adresser à Dieu nos demandes en toute confiance, sans mettre nullement en doute sa puissance.


Et si nous prions avec une foi pleine d'amour, nous bénéficions certainement, pour parvenir au salut, du concours de la volonté divine qui agit en proportion de sa puissance et qui est capable de produire son effet. C'est la raison pour laquelle le Seigneur répond aussitôt au lépreux qui le supplie : Je le veux (Mt 8,3). Car, à peine le pécheur commence-t-il à prier avec foi, que la main du Seigneur se met à soigner la lèpre de son âme. <>


Ce lépreux nous donne un conseil excellent sur la façon de prier. Ainsi ne met-il pas en doute la volonté du Seigneur, comme s'il refusait de croire en sa bonté. Mais, conscient de la gravité de ses fautes, il ne veut pas présumer de cette volonté. Quand il dit que le Seigneur, s'il le veut, peut le purifier, il fait bien d'affirmer ainsi le pouvoir qui appartient au Seigneur, de même que sa foi inébranlable. Car, pour obtenir une grâce, la foi pure et vraie est à bon droit requise tout autant que la mise en oeuvre de la puissance et de la bonté du Créateur.


Par ailleurs, si la foi est faible, elle doit d'abord être fortifiée. C'est alors seulement qu'elle révélera toute sa puissance pour obtenir la guérison de l'âme et du corps. L'apôtre Pierre parle sans aucun doute de cette foi quand il dit : Il a purifié leurs coeurs par la foi (Ac 15,9). Si le coeur des croyants est purifié par la foi, nous devons entendre par là la force de la foi, car, comme le dit l'apôtre Jacques, celui qui doute ressemble au flot de la mer (Jc 1,6).


Mais la foi pure, vécue dans l'amour, maintenue par la persévérance, patiente dans l'attente, humble dans son affirmation, ferme dans sa confiance, pleine de respect dans sa prière et de sagesse dans ce qu'elle demande, est certaine d'entendre en toute circonstance cette parole du Seigneur : Je le veux.


En ayant présente à l'esprit cette réponse admirable, nous devons regrouper les mots selon leur sens. Aussi bien le lépreux a-t-il dit pour commencer : Seigneur, si tu le veux, et le Seigneur: Je le veux. Le lépreux ayant ajouté : Tu peux me purifier, le Seigneur ordonna avec la puissance de sa parole: Sois purifié (Mt 8,2-3). Vraiment, tout ce que le pécheur a proclamé dans une vraie confession de foi, la bonté et la puissance divine l'ont aussitôt accompli par grâce.


Un autre évangéliste précise que l'homme qui recouvra la santé était tout couvert de lèpre (Lc 5,12), afin que personne ne perde confiance en raison de la gravité de ses fautes. Car tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous privés de la gloire de Dieu (Rm 3,23).


C'est pourquoi, si nous croyons à bon droit que la puissance de Dieu est à l'oeuvre partout, nous devons le croire également de sa volonté. Il veut, en effet, que tous les hommes soient sauvés et arrivent à connaître pleinement la vérité (1Tm 2,4).


Prière

Seigneur Jésus, tu aurais voulu que tes actions bienfaisantes restent ignorées de la foule, mais leur éclat fut tel que la nouvelle s'en répandit partout. Donne-nous aujourd'hui encore des signes de ta miséricorde, afin que nous puissions répandre la Bonne Nouvelle. Toi qui règnes.

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