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VIe Dimanche du Temps Ordinaire (C)

Heureux... malheureux... -



Le sermon sur la montagne,

Henrik OLRIK (Copenhague, 1830 - Copenhague, 1890),

Retable d’autel, peinture murale à l’huile,

Sankt Matthæus Kirke, Copenhagen (Danemark)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 6, 17.20-26)

En ce temps-là, Jésus descendit de la montagne avec les Douze et s'arrêta sur un terrain plat. Il y avait là un grand nombre de ses disciples, et une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon. Et Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes. Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »


Le peintre

On sait peu de choses d’Henrik Benedikt Olrik. Il est né en 1830 à Copenhague ou il est mort le 2 janvier 1890. Peintre d’histoire, de genre, de portraits, sculpteur et médailleur, il fut l’élève de Thomas Couture à Paris en 1854. Il semble avoir séjourné en Italie en 1879 y peignant des portraits datés, dont celui de Henrik Ibsen.


L’œuvre

L'intérieur de l'église se présente sous la forme d'une grande salle avec trois nefs. Les nefs latérales ont un double niveau, dont la partie supérieure est portée par des colonnes de fer recouvertes de marbre artificiel. Derrière l'autel se trouve une grande peinture à l'huile "Le sermon sur la montagne", peinte directement sur le mur par H. Olrik (1830-1890).


Ce que je vois

Concentrons sur la partie basse de l’œuvre, le haut ne représentant que le ciel chargé de nuages avec un vol d’oiseaux. En bas, la scène se déroule sur un plateau rocheux encadré de deux hautes falaises ravinées. On ne distingue quasiment aucune plante, ce qui peut paraître surprenant à la vue des moutons... Que vont-ils donc pouvoir manger ?


Au centre, le Christ domine, juché sur un rocher. Sa tunique rouge est couverte par un manteau bleu sombre. Est-ce le signe de sa divinité recouverte de son humanité ? La tête auréolée d’une lumière dorée, il montre d’un doigt le ciel tandis que sa main gauche semble app leler les participants à entrer dans sa pensée.


Autour de lui se déploie une foule bigarrée composée du groupe des apôtres qui l’entoure, et de personnages, dans un deuxième cercle, tous aussi divers les uns que les autres. On y repère des bergers, des femmes seules ou avec un enfant, des estropiés tenant leur canne, des juifs au regard dominateur, pour ne pas dire inquisiteur, et même des soldats romains.


C’est la taille de cette œuvre, et sa position derrière l’autel, qui lui donnent cette ampleur dramatique. La force en est accentuée par une composition ramassée et laissant place à un ciel qui occupe la moitié de la fresque, montrant ainsi (et le doigt de Jésus n’en est que le chemin) l’importance du message de son discours : rejoindre le Royaume des Cieux.


Notons que l’attitude, les gestes ou les regards du public ne trahissent pas un engouement particulier. Ils paraissent effectivement écouter avec attention, mais restent dubitatifs, comme s’ils prenaient le temps de mesurer toute la profondeur du discours avant de s’engager résolument pour un chemin qui pourrait orienter toute leur vie, quelle que soit leur profession. De fait, beaucoup au sein de cette foule, et particulièrement les femmes, semblent abattus (terme que l’on retrouve souvent dans les évangiles). Un seul, derrière le Christ, marque sa désapprobation en quittant ostensiblement la scène, et se tournant vers le Christ avec un regard sombre, comme s’il refuser d’en entendre plus.


Il est vrai qu’il faut reconnaître la difficulté pour un artiste de représenter cette scène. Comment montrer avec force ce qui n’est qu’un discours verbal composé de diverses sentences ? Notre peintre a ici, me semble-t-il, réussi l’exploit de donner une force dramatique à l’œuvre, comme s’il insistait plus sur les malédictions que sur les béatitudes. Pourtant, la fresque est dénommée « sermon sur la montagne de l’évangile de Saint Matthieu » qui ne reprend pas la seconde partie de l’évangile que nous avons entendu aujourd’hui. La représentation d’une zone montagneuse vient corroborer le texte de Matthieu, Luc précisant que le Christ descend de la montagne et s’arrête sur un terrain plat, ce qui n’est pas ici le cas.


De Matthieu à Luc

Ainsi, seul Matthieu nous parle véritablement d’un sermon sur la montagne. Rien dans Marc et Jean, et chez Luc, l’évangile de ce jour, il ressemble plus à un condensé de maximes éparses. Il est vrai que ce sermon, quand il est qualifié de « sur la montagne », se justifie comme le pendant du discours de Moïse au Mont Sinaï, au somment duquel Dieu remettra les Dix Commandements de l’ancienne Loi.


Luc paraît plutôt situer ce discours au bord du lac de Génésareth. Jésus vient de descendre d’une montagne où il a passé la nuit à prier, comme s’il était le nouveau Moïse qui venait de recevoir en son cœur la nouvelle Loi et qu’il l’enseignait maintenant à son peuple. N’est-ce pas sur la montagne, dans les hauteurs, que de tout temps, Dieu se révèle aux hommes ? Mais c’est aussi du haut de cette montagne qu’il choisit ses douze apôtres (versets 14 à 16). Les voici qui descendent au matin (comme si c’était une résurrection) et qui, sur un endroit plat (la précision est curieuse et laisse entendre, par le terme grec, que c’est un endroit où l’on peu marcher. Comment ne pas penser à l’école philosophique péripatétique fondée par Aristote ?)


Ce qui nous manque...

Notons enfin que le texte d’aujourd’hui a malheureusement été « atrophié » des versets 18 et 20 : « ils étaient venus pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies ; ceux qui étaient affligés d’esprits impurs étaient guéris ; et toute la foule cherchait à la toucher, parce qu’une force sortait de lui et les guérissait tous. » Il est toujours dommage de constater que l’on expurge la Parole de Dieu ou pour éviter des interprétations trop magiques pour les fidèles, ou parce que des versets nous gênent par leur violence, ou pour que ce ne soit pas trop long ! Qui sommes-nous pour « saucissonner » ainsi la Parole de Dieu ?! Trop souvent les paroles tuent la Parole...


En effet, tant le contexte de ce récit évangélique (Jésus vient de prier sur la montagne et de choisir ses disciples) que ces versets supprimés (ils viennent l’entendre et se faire guérir car ils croient en sa force divine) redonne sens à ce qui suit. Comme si les quatre béatitudes étaient la réponse à leur soif :

  • Vous venez de partout, vous êtes déracinés ? Non le Royaume des Cieux est votre vraie demeure.

  • Vous êtes là depuis longtemps à m’attendre, affligés, affamés ? Ma Parole sera la vraie nourriture.

  • Vous pleurez de vos souffrances, de vos afflictions ? Je vais vous donner la vraie joie.

  • Vous êtes haïs, rejetés, insultés ? Le ciel vous attend et vous comblera.

Et ce verset 23 est comme un basculement pour la suite : « Réjouissez-vous ce jour-là et bondissez de joie, car voici, votre récompense est grande dans le ciel ; c’est en effet de la même manière que leurs pères traitaient les prophètes. »


Du passif à l’actif

Si nous sommes attentifs, nous voyons que les quatre premières béatitudes décrivent une attitude passive : je suis pauvre, j’ai faim, je suis triste (je pleure), je suis haï. Comme si de toutes les façons, je ne pouvais rien y faire en ce temps. Hormis croire qu’un jour, les choses changeront comme le Christ le promet dans le futur (qui est aussi le temps utilisé) : vous serez rassasiés, vous rirez vous bondirez de joie... Par contre, et c’est cela que je dois entendre pour aujourd’hui, le Royaume des Cieux est déjà à moi, et ma récompense est déjà grande dans le ciel. Ce futur espéré est déjà à venir... Hic et nunc. Ici et maintenant. Il advient déjà en moi. N’est-ce pas la vraie béatitude ? Pas simplement un réconfort à espérer pour plus tard. Mais une réalité déjà présente : le Royaume des Cieux est déjà en moi ! Comme le disait si joliment saint Augustin :

Je t'ai aimée bien tard, Beauté si ancienne et si nouvelle, t'ai aimée bien tard ! Mais voilà : tu étais au-dedans de moi quand j'étais au-dehors, et c'est dehors que je te cherchais ; dans ma laideur, je me précipitais sur la grâce de tes créatures. Tu étais avec moi, et je n'étais pas avec toi. Elles me retenaient loin de toi, ces choses qui n'existeraient pas si elles n'existaient en toi. Tu m'as appelé, tu as crié, tu as vaincu ma surdité ; tu as brillé, tu as resplendi, et tu as dissipé mon aveuglement ; tu as répandu ton parfum, je l'ai respiré et je soupire maintenant pour toi ; je t'ai goûtée, et j'ai faim et soif de toi ; tu m'as touché et je me suis enflammé pour obtenir la paix qui est en toi. (Confessions)

Si je prends conscience de cette réalité, de cette attitude passive (pour ne pas écrire : de cette passion), je suis appelé à l’actif, du subir à l’être. Là est la guérison tant attendue par cette foule. Ne plus subir, mais devenir et être.


Les malédictions

Aux huit « pointes » des béatitudes de Matthieu (La Croix templière en était l’illustration), Luc présente quatre béatitudes et quatre malédictions. Comme si elles se répondaient ? Comme si le texte était bâti en parallèle : 4 + 1 + 4. Ce qui nous fait 9 ! Comme une hanoukkia.



Une hanoukkia (hébreu : חַנֻכִּיָּה, plur. hannoukiot) est un chandelier à neuf branches dont une branche particulière est appelée shamash. Ce chandelier est utilisé par les Juifs lors de la célébration de Hanoucca, la fête des lumières, qui commémore la victoire des Maccabées sur les légions syriennes séleucides.


Ainsi, ces quatre malédictions répondent-elles aux quatre bénédictions :

  1. Heureux vous les pauvres / Malheureux vous les riches

  2. Heureux vous qui avez faim / Malheureux vous qui êtes repus

  3. Heureux vous qui pleurez / Malheureux vous qui riez

  4. Heureux lorsqu’on vous haï / Malheureux lorsqu’on vous loue

Et ce qui est curieux, et que l’on retrouve quasiment la même utilisation des temps de conjugaison, et de l’actif-passif :

  1. Présent / Présent

  • Passif / Passif

  1. Présent / Futur

  • Passif / Passif

  1. Présent / Futur

  • Passif / Actif

  1. Présent / Présent

  • Passif / Actif

Au centre...

Car au centre, telle la branche shamash du chandelier, le verset 23 paraît être le pivot du texte. Elle est la première allumée et celle qui permet d’allumer les huit autres. Ne serait-ce pas le cas ici ? Celle qui permet d’allumer les quatre premières branches de nos soucis, de nos afflictions (pauvreté, faim, pleurs et rejet), celle qui permet de brûler les quatre suivantes (richesse, satiété, rire, orgueil). Elle est la clé pour redonner espérance aux quatre premiers affligés, la clé pour dessiller les yeux des quatre autres aveugles et leur donner la force de la conversion.


Au centre : savoir que notre récompense sera grande. Grande si nous tournons notre regard vers le ciel, si nous quittons nos inquiétudes. Grande si nous entendons la voix du salut, si nous comprenons qu’il faut traiter autrement nos frères qui sont tous les prophètes de Dieu. Car chacun est prophète, c’est-à-dire qua chacun est porte-parole du message divin d’espérance et de conversion.


Inquiet

De fait, Jésus nous invite aujourd’hui à nous mettre au centre de ce chandelier. Il veut nous aider à combattre nos inquiétudes. Rappelons-nous le sens de ce mot. In-quiet : qui ne trouve pas le repos, qui s’agite. Est agité celui qui a faim, mais celui est repu a aussi du mal à trouver le repos. Ne se repose pas celui qui pleure, mais celui qui rit est aussi agité. Le pauvre non plus n’arrive pas à trouver le repas, mais le riche s’agite souvent pou rien. Tout autant celui est persécuté que celui qui persécute.


Le seul vrai repos, le seul « lieu » de quiétude, c’est le Royaume des Cieux. Aujourd’hui, comme l’indique le doigt du Christ sur la fresque, élevons notre regard. Bondissons de joie, le Royaume des Cieux est en nous. Il nous a déjà conquis. À nous de conquérir notre cœur en le débarrassant des scories de péché qui nous agite et nous empêche de profiter du repos en Dieu.



Psaume 22

01 Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.

02 Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles

03 et me fait revivre ; il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.

04 Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.

05 Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.

06 Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ; j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours.



Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407) sur la Deuxième lettre aux Corinthiens, Homélies sur la Deuxième lettre aux Corinthiens, 12, 4; PO 61, 486-487.

Seuls les chrétiens estiment les choses à leur vraie valeur, et ils n'ont pas les mêmes motifs de se réjouir et de s'attrister que le reste des hommes. À la vue d'un athlète blessé, portant sur la tête la couronne du vainqueur, celui qui n'a jamais pratiqué aucun sport considère seulement les blessures qui font souffrir cet homme. Il n'imagine pas le bonheur que lui procure sa couronne.


Ainsi font les gens dont nous parlons. Ils savent que nous subissons des épreuves, mais ignorent pourquoi nous les supportons. Ils ne considèrent que nos souffrances ! Ils voient les luttes dans lesquelles nous sommes engagés et les dangers qui nous menacent. Mais les récompenses et les couronnes leur restent cachées, non moins que la raison de nos combats.


Que voulait dire Paul en affirmant : On nous croit démunis de tout, et nous possédons tout (2 Co 6,10) ? Il entendait par là les biens terrestres et spirituels. Lorsque les villes le recevaient comme un ange, que les gens se seraient fait arracher les yeux pour les lui donner et qu'ils se seraient laissé couper la tête pour lui, n'avait-il pas toutes leurs richesses à sa disposition ?


Et si tu veux considérer les biens spirituels, tu reconnaîtras qu'il les possédait aussi en abondance. Aimé du Roi de l'univers, du Maître des anges, au point de partager ses secrets, il était le plus riche de tous, et tout lui appartenait. Aucun démon n'était capable de résister à son autorité, aucune souffrance ni maladie ne pouvait lui imposer sa loi.


Pour ce qui nous regarde, quand nous sommes soumis à l'épreuve à cause du Christ, supportons-la vaillamment, bien plus, avec joie. Si nous jeûnons, bondissons de joie comme si nous étions dans les délices. Si l'on nous outrage, dansons allègrement comme si nous étions comblés d'éloges. Si nous subissons un dommage, considérons-le comme un gain. Si nous donnons au pauvre, persuadons-nous que nous recevons. Celui qui ne donne pas de cette manière, ne donne pas de bon coeur.


Aussi bien, quand tu veux faire un don à quelqu'un, ne considère pas seulement ce que cela te coûte. Songe plutôt que tu en retires un profit plus important, car ceci l'emporte sur cela. En faisant l'aumône, comme en pratiquant n'importe quelle vertu, pense à la douceur de la récompense, plutôt qu'à la dureté du sacrifice.


Avant tout, rappelle-toi que tu combats pour le Seigneur Jésus. Alors tu entreras de bon coeur dans la lutte et tu vivras toujours dans la joie, car rien ne nous rend si heureux qu'une bonne conscience.


Prière

Nombreux sont les hommes qui, maintenant, pleurent ou ont faim, nombreux sont les pauvres, nombreux les mal aimés. Dieu notre Père, fais jaillir, au coeur même de leur détresse, une étincelle de ta joie, et suscite parmi tes disciples des hommes généreux qui sachent leur venir en aide. Par Jésus Christ.

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