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Vigile Pascale (C)

Désemparées.... -



Les deux Marie au tombeau,

Bartolomeo Schedoni (Modène, 1578 - Parme, 1615),

Huile sur toile, 1613, 228 x 283 cm,

Galerie Nationale, Parme (Italie)


Évangile de Jésus-Christ selon Saint Luc (Lc 24, 1-12)

Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés. Elles trouvèrent la pierre roulée sur le côté du tombeau. Elles entrèrent, mais ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Alors qu’elles étaient désemparées, voici que deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant. Saisies de crainte, elles gardaient leur visage incliné vers le sol. Ils leur dirent : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : ‘Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.’ » Alors elles se rappelèrent les paroles qu’il avait dites. Revenues du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques ; les autres femmes qui les accompagnaient disaient la même chose aux Apôtres. Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. Alors Pierre se leva et courut au tombeau ; mais en se penchant, il vit les linges, et eux seuls. Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé.


Le peintre

Peintre italien dont la mort prématurée (peut-être un suicide dû à des dettes de jeu) a mis fin brutalement à la carrière de l’un des peintres les plus attrayants du XVIIe siècle et un représentant original de l’école émilienne. Il était lié aux cours des Farnese de Parme et de Modène, où il avait assimilé et retravaillé diverses écoles. Parmi elles, on peut distinguer une influence directe des œuvres du Correggio (1489-1534), mais encore la méthode de travail, très détaillée, utilisée par les cousins ​​Carracci. Il reste marqué par les dernières tendances de la vie picturale de Rome.


Ranuccio Farnese envoya Schedoni à Rome à la fin du XVIe siècle, mais il retourna vite en Émilie et s'installa à Parme. C'est là qu'il a peint un ensemble de chefs-d'œuvre, petit nombre mais fascinant, dans un style noble et sévère. Parallèlement, ses œuvres sont réchauffées par une lumière qui adoucit les tissus et ajoute de la délicatesse aux expressions. Bien que les dates et les lieux soient différents, l'histoire personnelle de Schedoni est similaire à celle du Caravage. Sa violence et ses problèmes lui ont valu de nombreux ennuis avec la loi, alors que sa passion pour le tennis était telle qu'il a presque perdu l'usage de sa main droite.


Le tableau

Les deux fameux chefs-d'œuvre, Les deux Marie au tombeau et La Déposition (à l'origine dans l'église des Capucins de Fontevivo, près de Parme) nous font regretter la brièveté de la vie artistique tourmentée de Bartolomeo Schedoni. Ils montrent qu'il aurait vraiment pu orienter la peinture baroque dans une direction originale et intense. La manière dont il bloque les gestes, utilise une lumière violente et des blancs éclatants, associée à une clarté parfaite des détails pour produire un effet presque métaphysique, peuvent vraiment être considérés comme le signe d’une exceptionnelle virtuosité.


Ce que je vois

La première chose qui nous attire est à la fois ce « clair-obscur » digne du Caravage (ils sont contemporains et Schedoni a peut-être vu ses œuvres), mais aussi la luminosité des tissus et de la chair. Tout de suite notre regard se porte sur la première vêtue de cet éblouissant manteau jaune. Nous savons leurs noms par l’Évangile : C’étaient Marie Madeleine, Jeanne, et Marie mère de Jacques. Toutes les trois sont dans la partie droite du tableau, noyées dans un ciel de ténèbres qui nous permet à peine de voir les cailloux du sol et les frondaisons des arbres. Trois femmes, trois manteaux de couleur : jaune, vert et rose. Deux ont la tête couverte, une seule a les cheveux dénoués et longs. Bien sûr, c’est Marie-Madeleine à droite, en manteau rose. Sa condition de pécheresse se remarquait par ses cheveux dénoués. Rappelons-nous ce que disait vigoureusement Paul (1 Cor 11, 5-6) :

Toute femme qui prie ou prophétise sans avoir la tête couverte fait honte à sa tête : c’est exactement comme si elle était rasée. En effet, si elle ne se couvre pas, qu’elle aille jusqu’à se faire tondre ; et si c’est une honte pour la femme d’être tondue ou rasée, qu’elle se couvre.

Elle tient un main la coupe (ici en cristal de roche) contenant le nard destiné à embaumer le corps du Christ. Derrière elle, en vert, est certainement représentée Jeanne dont l’évangile dit peu de chose (Luc 8, 1-3) :

Ensuite, il arriva que Jésus, passant à travers villes et villages, proclamait et annonçait la Bonne Nouvelle du règne de Dieu. Les Douze l’accompagnaient, ainsi que des femmes qui avaient été guéries de maladies et d’esprits mauvais : Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Kouza, intendant d’Hérode, Suzanne, et beaucoup d’autres, qui les servaient en prenant sur leurs ressources.

Et enfin, en jaune, « l’autre Marie », la mère de Jacques. Elle est la mère des fils de Zébédée (Mt 28, 56), Jacques et Jean que Jésus appela les « fils du tonnerre, Boanerguès » (Mc 3, 17). C’est aussi elle qui demanda au Christ une place pour chacun de ses fils (Mt 20, 20-23). À genoux, bras écartés, mains ouvertes, elle est stupéfaite par l’apparition.


Devant elles trois, un beau jeune homme imberbe est assis sur la tombe. Il tient le couvercle de la main gauche tandis qu’il montre le ciel de l’autre. Derrière lui, ses deux ailes se mélangent avec un ciel nuageux où percent les premiers rayons du matin. Telle une figure d’Apollon, il a les cheveux blonds, presque bouclés, le nez aquilin, et porte une tunique blanche qui cache sa nudité. Son regard sombre est accentué par le jeu des ombres, à un tel point que, pour tout l’œuvre, il est difficile d’évaluer les sources de lumière. L’œuvre est emprunte de gravité face à la stupéfaction des femmes.


Apparitions...

Les évangiles synoptiques nous relatent de façons différentes le matin de Pâques.

  • Chez Matthieu, seules Marie-Madeleine et l’autre Marie vont au tombeau. Il n’est pas précisé qu’elles viennent avec des aromates pour embaumer le corps. Elles voient un ange qui, dans un tremblement de terre, roule devant elles la pierre du tombeau, et s’assied dessus. Les gardes en tombent presque morts. Il ne pose pas de question aux femmes. L’ange sait pourquoi elles sont là, les rassure et les envoie en Galilée.

  • Chez Marc, elles sont trois à aller au tombeau : Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé. Sur la route, elles se demandent qui va rouler la pierre. Arrivées, elle trouve le tombeau ouvert et rentrent. C’est là qu’elle voit le jeune homme enveloppé d’un vêtement blanc (on ne parle pas ici d’ange). Il affirme la résurrection devant le tombeau vide et les envoie aussi en Galilée.

  • Chez Luc, les femmes trouvent la pierre roulée. Elles entrent et ne trouvent pas le corps. Et là, deux hommes en vêtements éblouissants. Il n’est pas dit non plus que ce sont des anges. Elles baissent la tête, craintives. Les deux hommes (il n’est pas dit qu’ils sont jeunes) leur pose une question, affirme immédiatement qu’il est ressuscité, et ne les envoie pas en Galilée mais rappellent simplement ses paroles.

Notons aussi que chez Jean le matin de Pâques est encore divers avec d’abord la visite de Marie de Magdala, puis Pierre et Jean, sans aucune apparition ni d’anges ni de Jésus (Jn 20, 1-10) puis ensuite, c’est Jésus qui apparaît à Marie-Madeleine qui le prend pour le jardinier (Jn 20, 11-18) avec la célèbre injonction de Jésus : « Ne me retiens pas » ‘Noli me tangere’ (Jn 20, 17).


Chez Luc

Ainsi, notre évangile d’aujourd’hui ne parle pas d’anges. Seulement de deux hommes, même pas jeunes ! Mais tout se passe dans le jardin. N’oublions pas que le mot jardin se traduit « Paradis » en grec et « Éden » en hébreu. Sont-elles au Paradis ? Ce même jardin où Jésus fut pendu comme un fruit à l’arbre de la Croix, comme pour racheter la faute d’Adam et Ève qui avait dépendu le fruit défendu de l’arbre de la définition du bien et du mal. Et ce sont deux séraphins qui avaient fermé le jardin céleste (Gn 3, 24) :

Il expulsa l’homme, et il posta, à l’orient du jardin d’Éden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie.

Les glaives fulgurants se sont-ils transformés en vêtement éblouissants (un manuscrit précise, tels des éclairs...) Et puis ici, le tremblement de terre de Matthieu s’est transformé en tremblement d’effroi des femmes. C’est en elle que se passe ce tremblement, cette modification de leur sol le plus profond. La preuve en est, elles baissent la tête pour regarder la terre, l’humus, l’humanité. C’est toute l’humanité qui est prise de tremblement devant ce qui se passe. Comme pour les trois apôtres (à l’image des trois femmes) à la Transfiguration (Mt 17, 1-8) :

Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul.

Transfiguré

C’est surprenant de mettre ces deux textes en parallèle:

  • Trois femmes / Trois hommes.

  • Un tombé éloigné / à l’écart

  • Deux hommes en vêtements brillants / un visage brillant, des vêtements éclatants

  • Effrayées, elles baissent la tête / ils tombent face contre terre

  • Il est relevé / relevez-Vous et soyez sans crainte

Il est vrai que la préface de la Transfiguration nous avait déjà donné les clés :

Vraiment, il est juste et bon de te rendre gloire,
de t'offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu,
à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant,
par le Christ, notre Seigneur.
Car il a montré sa gloire
aux témoins qu'il avait choisis,
le jour où son corps semblable au nôtre
fut revêtu d'une grande lumière;
il préparait ainsi le coeur de ses disciples
à surmonter le scandale de la croix,
il laissait transparaître en sa chair
la clarté dont resplendira le corps de son Église.
C'est pourquoi, avec les anges dans le ciel,
nous pouvons te bénir sur la terre
et t'adorer en (disant) chantant: Saint!...

Désemparées

Mais on peut comprendre ces femmes... Elles sont désemparées. D’abord, elles ne connaissaient pas cette préface ! Et puis, deux hommes fulgurants devant soi a de quoi effrayer ! Mais elles sont surtout désemparées parce qu’elles ne trouvent pas le corps, parce qu’il n’est pas là où il devrait être. Bref, ce n’est pas normal ! Et si ces hommes n’avaient pas donné quelques explications, elles seraient retournées, convaincues que le corps avait été volé. Et d’un coup, ils se tiennent là. Il n’est pas dit qu’ils apparaissent, mais simplement que, voici, ils se tiennent là. Du désarroi, elles passent à l’effroi, à la crainte. Pas la peur, mais la crainte. ce n’est pas la même chose. Le tremblement de leur chair ne vient pas d’une peur des fantômes, mais d’une crainte respectueuse devant ce qui les dépasse. Ce qui les dépasse en sainteté, en puissance divine. Et devant Dieu, comme Moïse, on courbe la tête (Ex 3, 6), on se voile le visage devant tant de lumière :

Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu.

En fait, elles comprennent déjà au fond d’elles-mêmes. Pas avec la raison, l’intelligence, mais avec le coeur. Ne sera-ce pas la même chose avec les disciples d’Emmaüs au chapitre suivant (Luc 24, 15-16.25.31-32) :

Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. (...) Jésus leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » (...) Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »

Des yeux au coeur

Voir pour croire, reproche-t-on à Thomas. Et pourtant, ce fut le cas des trois myrophores, et des disciples d’Emmaüs. En fait, le péché n’est peut-être pas de voir pour croire, mais de vouloir voir pour comprendre, pour saisir (Ne me retiens pas...), pour s’emparer de la foi. Alors qu’il nous faut être désemparés... Oui, se désemparer de notre raison, de notre esprit sans intelligence, pour pouvoir le voir et le reconnaître, sous toutes les formes, d’ange à homme lumineux, de pauvre à glorieux. Voir pour croire, comme ses femmes ? Oui, car elles ont vu avec les yeux du coeur. Et c’est leur coeur qui permet de se rappeler des paroles qu’il avait dites. Alors, par « désemparement », sans effroi, mais avec crainte, elles partent l’annoncer aux disciples. Bien sûr, ils prennent ça pour des sornettes... puisqu’ils n’ont pas encore vu, et vu avec le coeur !


Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944) fait dire au renard (Le petit prince, 1943 ) :

On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux.

Avant l’heure, ces trois femmes l’ont vécu ! Puissions-nous obtenir de la grâce de Dieu le même regard...



Poème d’Éphrem le Syrien (306-373)

Heureux es-tu, humble tombeau,

Après de toi les anges veillent ;

En toi s’endort le Roi des rois,

Puis se relève et monte aux cieux.

Toi qui cherchais le mort vivant,

Heureuse es-tu, ô Madeleine,

Qui suppliant le jardinier

As rencontré le Fils de Dieu.

Aujourd’hui dans tous les pays

Se réjouit la Sainte Église :

Aujourd’hui est ressuscité

Le Premier-né d’entre les morts.

De son sang, il nous racheta,

Prépara le festin des noces.

Avec lui nous ressuscitons,

Entrons au Royaume aujourd’hui.


Gloire à toi, Christ ressuscité

Qui nous précède auprès du Père,

Avec l’Esprit Consolateur

Sans tous les siècles éternels.

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