Jusqu’où ?

La crucifixion blanche,
Marc Chagall (Vitebsk, 1887 – Saint-Paul de Vence, 1985),
Huile sur toile, 154,3 x 139,7 cm, décembre 1939,
Art Institute of Chicago (Illinois, U.S.A.)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 38-48
En ce temps- là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Œil pour œil, et dent pour dent’. Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. Et si quelqu’un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. À qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos ! » Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.’ Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
L’artiste
Marc Chagall est né le 7 juillet 1887 à Vitebsk (Russie). Issu d'une famille juive et très croyante, il est l'aîné de neuf enfants, sa mère était femme au foyer et son père employé dans un dépôt de harengs.
Sa jeunesse est marquée par la tradition hassidique, ses séjours à la campagne chez son grand-père, sa fascination pour les animaux de ferme. Très jeune il puise son inspiration dans la chaleureuse vie familiale et l'observation du quotidien. Dès son plus jeune âge, on lui trouva un grand talent artistique, il entrera dans l'atelier Pen à Vitebsk, pour y étudier le dessin et la peinture et pratique le violon. Il partira avec un ami à Saint-Pétersbourg pour étudier la peinture. Étant juif, il doit obtenir un permis de travail donc trouver un emploi, par chance il rencontre un avocat qui l'engage comme domestique et lui laisse tout loisir de suivre les cours de peinture de Nicolas Roerich, puis de Léon Bakst. Grâce à ce dernier, décorateur des ballets russes, il trouve plus de liberté et affirme sa vision de coloriste. En 1910, il part pour un voyage de quatre jours à Paris grâce à un mécène, il s'installe à Montmartre dans l'appartement d'un ami russe, c'est là qu'il eut son premier atelier. Il découvre les impressionnistes (Gauguin, Van Gogh...). En 1911, il fait sa première exposition au Salon des indépendants appelée Moi et mon village. En 1914, à la fin de son séjour à Paris, il envoie un ensemble de ses œuvres à la Galerie Der Sturm à Berlin qui réalisera sa première exposition.
En 1915, il retourne dans son village natal pour y épouser Bella Rosenfeld dont il aura une fille et se voit contraint de rester en Russie à cause de la guerre. Il retrouve le monde de son enfance, et revient à une sorte de réalisme. En 1917, il retrouve sa liberté créatrice à travers des toiles inspirées par l'amour qu'il porte à sa jeune femme. Il retourne définitivement en France (excepté durant la deuxième guerre mondiale où il se réfugie aux Etats-Unis). Dans les années 30, Chagall développa de nombreux thèmes bibliques, suite à deux voyages qui le marquèrent profondément : le premier en Palestine (1931) et le second à Amsterdam, où il découvre l'œuvre de Rembrandt. Ses œuvres majeures révélèrent une profonde connaissance des textes bibliques, servie par un style narratif, libre et mobile.
En 1944, sa femme Bella décède d'une infection virale. Durant des mois il sera incapable de reprendre son travail. En 1949, il s'installe à Saint-Jean Cap Ferrat sur la côte d'Azur (France), où il se retranche de plus en plus, tant artistiquement que dans sa vie privée. En 1950, il s'établit à Saint-Paul de Vence où il réalise ses premières céramiques. Malgré sa renommée internationale, les œuvres de la dernière période de sa vie furent marquées par un côté intimiste et surnaturel. En 1952, il se remarie avec Valentina Brodsky. En France, son style évolue vers des compositions de plus en plus oniriques, habités de fleurs, de paysages, d'animaux (poissons, coqs, chèvres...) et d'amoureux (Les mariés de la tour Eiffel - 1928). De 1959 à 1968, il crée des vitraux pour la cathédrale saint-Etienne de Metz, puis en 1976 pour la chapelle des cordeliers à Sarrebourg. En 1962, il fait un voyage à Jérusalem pour l'inauguration des vitraux de la synagogue Hadassah à Jérusalem. Il décède à l'âge de 98 ans, le 28 mars 1985 à Saint-Paul de Vence (France).
Ce que je vois
« Quand je peins, je peins ; ce à quoi j’ai pensé et ce que je voulais exprimer ; je l’apprends ensuite dans les journaux » Marc Chagall
Cette surprenante peinture aurait été réalisée par Marc Chagall après la Nuit de Cristal, pogrom contre les Juifs du IIIème Reich qui se déroula dans la nuit du 09 au 10 novembre 1938. On peut la regarder, et même la lire, comme un cri de révolte du peintre à l’encontre des exactions du régime nazi. Certains historiens d’art y ont vu une relecture picturale d’un poème de Uri Zvi Greenberg (1896 – 1981), The Kingdom of the Cross :
Mon frère est suspendu aux églises, crucifié, frigorifié.
À vos pieds, un monceau de Juifs aux têtes coupées, de taliths insensés,
Parchemins percés, feuilles blanches couvertes de sang.
Antique douleur juive du Golgotha,
Frères, vous ne voyez donc pas que le Golgotha est partout autour de nous...
Mais ici, ce ne sont pas les chrétiens qui sont désignés comme bourreaux mais le nazisme. Autour de cette croix blanche, on peut distinguer cinq scènes historiques :
La Révolution russe de 1917 et le procès de Moscou en 1933,
Les lois de Nuremberg de 1935,
La guerre d’Espagne en 1937,
La Nuit de Cristal du 09 novembre 1938,
Et la conférence d’Évian en 1938.

Mais au centre de tous ces événements dramatiques domine cette Crucifixion blanche. Le Crucifié n’en est ni la source ni l’inspiration, il en est l’éclairage, comme archétype de la souffrance éclairée par la lumière divine. Jésus est ici à la fois passé, présent et avenir.
Passé
Le perizonium (tissu qui ceint le corps) est représenté comme un talith, ce voile juif que l’on porte pour la prière. De plus, le titulus (l’inscription en haut de la Croix) est écrit en araméen (« Roi des Juifs »). Et aux pieds de Jésus on remarque la menorah, chandelier à sept branches qui rappelle la shekhinah, la présence de Dieu qui accompagna le Peuple dans le désert sous la forme de la nuée. Elle rayonne la sainteté de Dieu, surmontée d’une auréole divine. Même la tête de Jésus est couverte d’un linge, plutôt que de la couronne d’épines, telle une kippa pour la prière. Il est mort, les yeux clos, les bras en croix. Il semble presque dormir, ou s’être endormi dans la prière pour son Peuple qui souffre le martyr.
Même les Patriarches (au-dessus de la Croix) se lamentent de ces massacres. Cette Croix est enracinée dans l’histoire du Peuple élu. Elle est emblématique de ce passé dans lequel notre foi chrétienne prend sa source. « Spirituellement, nous sommes tous des sémites ! » proclamera le Pape Pie XI en 1937.
Présent
Le Juif, mais aussi le Chrétien, tout croyant vit ce drame du monde présent.
Que ce soient les hommes massacrés lors de la Révolution russe (1) par ceux qui se réclament du drapeau Rouge. Le stalinisme de 1938, faucille en main, continuait sans vergogne cette dérive du lynchage et de la condamnation.
Que ce soient ceux qui, malgré la conférence d’Évian qui cherchait vainement une solution pour les réfugiés juifs, se virent obligés de fuir le régime nazi à tout prix, quel qu’en soit le moyen (5). Ce bateau serait-il comme la préfiguration du drame de l’Exodus en 1947 ?
Que ce soient ceux qui virent leurs synagogues, leurs magasins, leurs habitations, brûlés par la haine irraisonnée du Juif en cette Nuit de Cristal (4). Même les rouleaux de la Torah sont arrachés au Peuple Juif. La Parole leur est confisquée…
Que ce soient ceux qui, comme lors de la guerre d’Espagne en 1936, virent leur village incendié, sans qu’ils puissent fuir, livrés aux flammes de la haine (3).
Que ce soient toutes ces communautés israélites éclatées après les lois de Nuremberg de 1935, obligeant chaque Juif à porter son judaïsme comme une honte. Un homme et une femme à l'enfant tentent de fuir en s'évadant du tableau. Le juif errant, dans un habit vert, marche sur la Torah en flammes, marquant encore davantage que la terre est sens dessus-dessous.
Avenir
L’avenir pourrait paraître bien sombre, bien lointain en cette scène dramatique. Et pourtant un avenir radieux se dessine, discrètement. C’est celui de cette lumière blanche qui baigne toute l’œuvre, ce rai de lumière qui vient du ciel et qui illumine d’abord la Croix puis la terre dans laquelle elle est plantée. La Croix, signe que la mort et la haine sont définitivement vaincues. Cette lumière blanche, signe de pureté et d’innocence, rappel de la robe de l’Agneau immolé. Oui, en dépit de tous ces drames qui se déroulent sous nos yeux, une espérance, un salut est possible…
Un salut est possible…
Un élément du tableau, tout à la fois discret et central, nous l’indique : l’échelle. Bien sûr, elle rappelle le songe de Jacob voyant les anges monter et descendre sur cette échelle qui rejoint les cieux (Genèse 28, 11-19). Mais elle est surtout le symbole par excellence de l’ascension spirituelle que nous devons faire pour passer de l’humain au divin, des ténèbres à la lumière.
Nous nous sentons perdus, abandonnés devant une telle situation, à l’image de cet homme au premier plan. Le petit personnage de vert vêtu, avec son lourd fardeau sur les épaules est un symbole récurrent chez Chagall. Il l’appellera le juif errant figure emblématique de la condition juive. Elle renvoie aussi bien à la réalité de l’époque où les juifs sont à nouveau persécutés et obligés de fuir qu’à la mémoire juive avec la fuite en Egypte et l’exil.
Ici encore la symbolique de la couleur est importante. « Le vert garde un caractère étrange et complexe, qui tient de sa double polarité : le vert du bourgeon et le vert de la mort de la moisissure.... Il est l’image des profondeurs et de la destinée. » (Jean Chevalier et Alain Gheerbrandt, Dictionnaire des symboles, Editions Robert, 2008, page 1007). Chagall a su utiliser ces deux facettes de la couleur dans ses tableaux, mais ici c’est à l’errance du peuple juif, à son instabilité permanente qu’il fait référence. En yiddish, l’expression « vert-jaune » est utilisée pour décrire l’état d’une personne atteinte d’une grave maladie. Teinte qui renvoie bien sur à la souffrance des personnes juives persécutées et obligées de fuir avec un maigre balluchon. Le personnage se trouve à la même distance de la Torah qui se consume et de l’échelle en équilibre qui conduit au Christ, comme s’il faisait le lien entre la destruction de l’Écriture et la démolition de l’échelle.
Pourquoi refuse-t-il de prendre cette échelle ? Pourquoi fuit-il le salut ? Peut-être parce qu’il n’a plus d’espoir, parce qu’il n’a pas compris que le désespoir n’empêchait pas l’espérance… Aurait-il sombré dans la Tentation du désespoir dont parle si bien Georges Bernanos dans la première partie de Sous le soleil de Satan (1926) ? En fait, la question qui émerge ici tient en quelques mots : Jusqu’où ? Jusqu’où accepter, supporter, tolérer avant de se révolter, voire de sombrer ? Jusqu’où croire que le salut est effectivement possible ?
Jusqu’où ?
C’est peut-être là que se situe le défi de l’Évangile de ce jour… Doit-on se laisser massacrer, insulter, bafouer, martyriser ? Jésus semble répondre que oui. Il semble nous inviter à tendre continuellement l’autre joue pour la seconde baffe !
Hier, j'étais dans le métro et j'entendais deux dames dire : " Encore ces juifs avec leurs histoires à l'ONU. Quels emmerdeurs ! ". C'est vrai. Nous sommes des emmerdeurs. Ça fait des siècles qu'on emmerde le monde. C'est dans notre nature, que voulez-vous. Abraham avec son Dieu unique, Moïse avec ses tables de la Loi, Jésus avec son autre joue toujours prête à la deuxième baffe. Puis Freud, Marx, et Einstein, tous ont été des gêneurs, des révolutionnaires, des ennemis de l'Ordre.
Herbert Pagani
Devrions-nous être toujours prêts à la deuxième baffe ? Pourtant, Jésus lui-même qui nous y invite, l’a refusé cette deuxième baffe ! Allez lire en saint Jean (18, 19-23) :
Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. Jésus lui répondit : « Moi, j’ai parlé au monde ouvertement. J’ai toujours enseigné à la synagogue et dans le Temple, là où tous les Juifs se réunissent, et je n’ai jamais parlé en cachette. Pourquoi m’interroges-tu ? Ce que je leur ai dit, demande-le à ceux qui m’ont entendu. Eux savent ce que j’ai dit. » À ces mots, un des gardes, qui était à côté de Jésus, lui donna une gifle en disant : « C’est ainsi que tu réponds au grand prêtre ! » Jésus lui répliqua : « Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »
Jamais il n’a tendu la deuxième joue ! Alors comment comprendre cet appel à une patience à toute épreuve et des faits qui semblent le contredire ? Peut-être en se rappelant cet avertissement… (Matthieu 10, 16-20) :
« Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux tribunaux et vous flagelleront dans leurs synagogues. Vous serez conduits devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : il y aura là un témoignage pour eux et pour les païens. Quand on vous livrera, ne vous inquiétez pas de savoir ce que vous direz ni comment vous le direz : ce que vous aurez à dire vous sera donné à cette heure-là. Car ce n’est pas vous qui parlerez, c’est l’Esprit de votre Père qui parlera en vous.
Le chemin est difficile, la voie est étroite. L’équilibre est compliqué, mais c’est celui que le chrétien doit continuellement rechercher. Comme cette échelle en équilibre instable au pied de la Croix. Un difficile équilibre entre la bonté, la douceur, la patience, la candeur, la miséricorde… et… la prudence, la justice, la force, la conviction, voire la ruse ! En effet, pour que la justice soit juste, il est impératif qu’elle se vive dans la justesse, et non la démesure. Là est la clé : la mesure. Car, comme le disait le Père Sevin : « Démesure n’est point vaillance ! » Alors jusqu’où aller ?
Jusqu’où aller ?
Il me semble que plusieurs règles peuvent être reçues de l’Évangile. Permettez-moi de vous les donner comme des points de repère, des balises sur la piste de décollage vers la sainteté !
Distinguer le péché du pécheur.
Accorder la justice et la justesse.
La confiance n’exclut pas le contrôle !
Croire que l’homme peut toujours se convertir,
Mais ne pas faire preuve de naïveté !
Se donner, oui ! Se faire voler son âme, non !
Toujours demander à l’Esprit-Saint de m’éclairer et de me guider, comme la nuée…
Et peut-être qu’une devise peut nous aider :
« Perdre la vie pour sauver son honneur, perdre l’honneur pour sauver son âme »…
« L’étoile d’or » d’Herbert Pagani (1972)
C'était un pauvre paysan
Qui cultivait depuis longtemps
Son tout petit lopin de terre,
Petit lopin de rien du tout,
Rien que du sable et des cailloux,
Quatre sarments sous la lumière.
Cet homme partageait son temps
Entre son Dieu et ses enfants,
Entre son champ et ses prières
Et n'avait qu'un petit trésor :
Une étoile d'or...
Un jour qu'il soignait ses raisins,
Il vit venir tous ses voisins
En cavalcade à ses frontières.
Il vit briller leurs grands couteaux.
Il leur dit : "Voulez-vous de l'eau ?"
Ils répondirent : "On veut ta terre."
"En quoi vous gêne-t-il, mon champ ?"
Ils répondirent : "Allez, va-t-en !"
Il prit son livre de prières,
Il prit sa femme et ses enfants
Et son étoile d'or...
Ainsi partit le paysan,
En traversant la nuit des temps
A la recherche d'une terre.
"Mes bras sont forts, j'ai du courage.
J'accepte même un marécage... "
Il ne trouva que des barrières.
"T'es pas d'ici, t'as un accent.
Fais-toi prêteur, fais-toi marchand
Mais tu n'auras jamais de terre.
On se méfie de ton trésor,
Ton étoile d'or... "
Faute d'avoir un champ de blé,
L'homme se mit à cultiver
Son petit champ dedans sa tête.
On le vit scribe et puis docteur
Puis violoniste et professeur,
Peintre, savant ou bien poète.
"Tu fais du bruit, tu vends du vent.
T'as trop d'idées ou trop d'argent.
T'es un danger pour qui t'approche.
On va te coudre sur la poche
Ton étoile d'or... "
Et vint le temps des grands chasseurs,
Des chiens d'arrêt, des rabatteurs.
Ce fut vraiment la grande fête.
Demandez-le aux bons tireurs :
Avec l'étoile sur le cœur,
On traque beaucoup mieux la bête
Et notre pauvre paysan
Perdit sa femme et ses enfants
Et puis le cœur et puis la tête.
Il n'avait plus que son trésor,
Son étoile d'or...
Alors il traversa la mer
A la rencontre de sa terre.
C'était ça ou bien se pendre.
"Revendez-moi mon vieux désert.
- Tu sais, ça va te coûter cher.
- Tant pis : je prends !
- Tu peux le prendre."
Le temps de tracer un sillon,
Un coup de feu à l'horizon.
Il bascula dans la poussière.
Du sang par terre et, sur son front,
Une étoile d'or,
Une étoile d'or...
« Plaidoyer pour ma terre », Herbert Pagani (11 novembre 1975)
Hier, j'étais dans le métro et j'entendais deux dames dire : " Encore ces juifs avec leurs histoires à l'ONU. Quels emmerdeurs ! ".
C'est vrai. Nous sommes des emmerdeurs. Ça fait des siècles qu'on emmerde le monde. C'est dans notre nature, que voulez-vous. Abraham avec son dieu unique, Moïse avec ses tables de la loi, Jésus avec son autre joue toujours prête à la deuxième baffe. Puis Freud, Marx, et Einstein, tous ont été des gêneurs, des révolutionnaires, des ennemis de l'Ordre. Pourquoi ? Parce que l'ordre, quel que fut le siècle, ne pouvait les satisfaire, puisque c'était un ordre dont ils étaient toujours exclus. Remettre en question, voir plus loin, changer le monde pour changer le destin, tel fut le destin de mes ancêtres. C'est pourquoi ils sont haïs par tous les défenseurs de l'ordre établis.
L'antisémite de droite reproche aux juifs d'avoir fait la révolution bolchevique. C'est vrai. Il y en avait beaucoup en 1917. L'antisémite de gauche reproche aux juifs d'être les propriétaires de Manhattan, les gérants du capitalisme. C'est vrai Il y a beaucoup de capitalistes juifs.
La raison est simple : La culture, la religion, l'idée révolutionnaire, d'un coté, les portefeuilles et les banques, de l'autre, sont les seules valeurs transportables, les seules patries possibles pour ceux qui n'ont pas de patrie. Maintenant qu'il en existe une, l'antisémitisme renaît de ses cendres, pardon, de Nos cendres, et s'appelle anti-sionisme. Il s'appliquait aux individus, Il s'applique à une nation. Israël est un Ghetto, Jérusalem c'est Varsovie.
Les nazis qui nous assiègent mangent du couscous et parlent arabe, et si leur croissant se déguise parfois en faucille, c'est pour mieux piéger les gauches du monde entier. Moi, juif de gauche, je n'en ai rien à faire d'une gauche qui veut libérer tous les hommes au détriment de certains d'entre eux, car je suis précisément de ceux-là. D'accord pour la lutte des classes mais aussi le combat pour le droit à la différence. Si la gauche veut me compter parmi les siens, elle ne peut pas faire l'économie de mon problème.
Et mon problème, est que depuis les déportations romaines du 1er siècle après Jésus Christ, nous avons été partout honnis, bannis, écrasés, spoliés, chassés, traqués, convertis de force. Pourquoi ? Parce que Notre religion, Notre culture, étaient dangereuse.
Eh oui ! Quelques exemples : Le judaïsme a été le premier à créer le shabbath, c'est à dire le repos hebdomadaire obligatoire. Vous imaginez la joie des pharaons, toujours en retard d'une pyramide ! Le judaïsme interdit l'esclavage. Vous imaginez la sympathie des romains ! Il est dit dans la Bible : la terre n'appartient pas à l'homme mais à Dieu. De cette phrase découle une loi : celle de la remise en cause de la propriété tous les 49 ans. Vous voyez l'effet d'une loi pareille sur les Papes du moyen âge et les bâtisseurs d'empire de la renaissance ; il ne fallait pas que les peuples sachent. On commença par interdire la Bible. Puis ce fut la médisance. Des murs de calomnies qui devinrent murs de pierres : Les Ghettos, puis l'index, l'inquisition, les bûchers, et plus tard les étoiles jaunes. Auschwitz n'est qu'un exemple industriel de Génocide, mais il y a eut des génocides artisanaux par milliers. J'en aurais pour trois jours rien qu'a nommer tous les pogromes d'Espagne, de Russie, de Pologne et d'Afrique du Nord !
À force de fuir, de bouger, le Juif est allé partout. On extrapole et voilà : il n'est de nulle part. Nous sommes parmi les peuples comme l'enfant à l'assistance publique. Je ne veux plus être adopté. Je ne veux plus que ma vie dépende de l'humour de mes propriétaires. Je ne veux plus être citoyen-locataire. J'en ai assez de frapper aux portes de l'histoire et d'attendre qu'on me dise " entrez " ! Je rentre et je gueule ! Je suis chez moi sur terre, et sur terre j'ai ma terre : Elle m'a été promise, elle sera maintenue.
Qu'est ce que le sionisme ? Ça se réduit à une simple phrase : " L'an prochain à Jérusalem ". Non, ce n'est pas un slogan du club Méditerranée.
C'est écrit dans la bible (le livre le plus vendu et le plus mal lu du monde) et cette prière est devenue un cri, un cri qui a plus de 2 000 ans , et le père de Christophe Colomb, de Kafka, de Proust, de Chagall, de Marx, d'Einstein et même de Kissinger l'ont répétée, cette phrase, au moins une fois par an, le jour de Pâques.
Alors, le sionisme, c'est du racisme ? Laissez moi rire : Est-ce que " Douce France, cher pays de mon enfance ", est un hymne raciste ? Le Sionisme, c'est le nom d'un combat de libération.
Dans le monde, chacun a ses juifs. Les français ont les leurs : ce sont les bretons, les occitans, les travailleurs immigrés. Les italiens ont les siciliens, les Yankées ont leurs noirs, les espagnols leurs basques. Nous, nous sommes les juifs de TOUS. A ceux qui me disent : " Et les palestiniens ? " Je réponds : " Je suis un palestinien d'il y a 2 000 ans. Je suis l'opprimé le plus vieux du monde ". Je discuterai avec eux, mais je ne leur céderai pas ma place. Il y a là bas de la place pour deux peuples et pour deux nations. Les frontières sont à déterminer Ensemble. Mais l'existence d'un pays ne peut en aucun cas exclure l'existence de l'autre. Les options politiques d'un gouvernement n'ont jamais remis en cause l'existence d'une nation. Alors pourquoi Israël ? Quand Israël sera Hors de danger, je choisirai parmi les juifs et mes voisins Arabes, ceux qui me sont frères par les idées. Aujourd'hui, je me dois d'être solidaire avec tous les miens, même ceux que je déteste, au nom de cet ennemi insurmontable : le racisme.
Descartes avait tort : Je pense, donc je suis, ça ne veut rien dire. Nous, ça fait 5 000 ans qu'on pense, et nous n'existons toujours pas. Je me défends, donc, je suis.
Homélie de saint Cyprien (+ 258), Traité sur la jalousie et l'envie, 12-15; CSEL 3, 427-430.
Revêtir le nom du Christ sans suivre la voie du Christ, n'est-ce point trahir le nom divin et abandonner le chemin du salut ? Car le Seigneur lui-même enseigne et déclare que l'homme qui garde ses commandements entrera dans la vie, que celui qui écoute ses paroles et les met en pratique est un sage et que celui qui les enseigne et y conforme ses actes sera appelé "maître le plus grand" dans le Royaume des cieux. Toute prédication bonne et salutaire, affirme-t-il, ne profitera au prédicateur que si la parole qui sort de sa bouche se traduit ensuite en actes.
Or, y a-t-il un commandement que le Seigneur ait enseigné plus souvent à ses disciples que celui de nous aimer les uns les autres du même amour dont il a lui-même aimé ses disciples ? Trouvera-t-on, parmi ses conseils salutaires et ses divins préceptes, un commandement plus important à garder et à observer ? Mais comment celui que la jalousie a rendu incapable d'agir en homme de paix et de coeur pourra-t-il garder la paix ou la charité du Seigneur ?
Voilà pourquoi l'Apôtre Paul a publié aussi les mérites de la paix et de la charité. Il a affirmé avec force et enseigné que ni la foi ni les aumônes, ni même les souffrances du confesseur de la foi et du martyr ne lui serviraient de rien, s'il ne respectait pas intégralement et scrupuleusement les liens de la charité. Et il a ajouté : La charité est magnanime, la charité est serviable, la charité ne jalouse pas (1Co 13,4). Il nous apprend et nous fait voir ainsi que seul l'homme magnanime et bienveillant, sur qui la jalousie et l'envie, n'ont pas de prise, peut garder la charité.
De même, à un autre endroit, l'Apôtre a exhorté quiconque est déjà rempli du Saint-Esprit et devenu fils de Dieu par la naissance d'en-haut, à ne rechercher que les réalités spirituelles et divines. Puis il déclare : Pour moi, frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des êtres de chair, comme à de petits enfants dans le Christ. C'est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage maintenant, car vous êtes encore charnels. Du moment qu'il y a parmi vous jalousie, querelle et discorde, n'êtes: vous pas charnels et votre conduite n'est-elle pas tout humaine (1Co 3,1-3) ? <>
Nous ne pouvons, en effet, revêtir l'image de l'homme céleste que si nous manifestons notre ressemblance au Christ à travers l'existence dans laquelle nous venons d'entrer maintenant. Ce qui équivaut, en vérité, à devenir différents de ce que nous étions, et à commencer d'être ce que nous n'étions pas. Ainsi notre divine naissance brillera en nous, notre conduite divine de Dieu nous rendra semblables à Dieu le Père, notre vie entourée d'honneur et de louange fera resplendir Dieu en l'homme. Dieu même nous y exhorte et nous y engage en promettant à ceux qui lui rendent gloire qu'ils seront glorifiés en retour. Car j'honorerai, dit-il, ceux qui m'honorent, et ceux qui me dédaignent tomberont dans le mépris (1S 2,30).
Pour nous éduquer à lui rendre cette gloire et nous y préparer, le Seigneur et Fils de Dieu a enseigné dans son Évangile ce qu'est la ressemblance avec Dieu le Père en ces termes : Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux (Mt 5,43-45).
Prière
Notre Père qui es aux cieux, tu nous appelles à la charité parfaite en nous demandant d'aimer nos ennemis et de prier pour nos persécuteurs. Daigne nous emporter toi-même vers ces sommets de l'amour, inaccessibles à nos propres forces, et nous deviendrons vraiment tes fils, en celui qui nous a apporté ton pardon, Jésus Christ notre Seigneur. Lui qui règne.