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VIIème dimanche de Pâques (A)

Ils sont dans le monde



Le souper mystique

Anonyme

Fresque, XIIIème siècle

Prôtaton, Monastère de Vatopédi (Mot Athos, Grèce)


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 17, 1b-11a)

En ce temps-là, Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe. J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé. Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi. Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ; et je suis glorifié en eux. Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. »


Les fresques

Les fresques paléologues de l'église du Prôtaton au Mont Athos (XIIIème siècle), comptent parmi les plus importants ensembles d'art monumental byzantin conservés à nos jours. Hormis le contenu prévu par sa fonction courante de programme iconographique d'église, l'oeuvre-discours affiche aussi un contenu latent, qui développe des commentaires théologiques et politiques, selon une rhétorique proche aux oeuvres littéraires de style élevé de l'époque. L'image est construire selon des grilles d'organisation que l'on a appelées : composantes primaires ; des équivalences importantes ont été constatées avec des figures rhétoriques et des qualités appréciées dans les compositions littéraires de la société byzantine de l'époque. La construction de la peinture est étudiée en établissant des liens entre l'aspect formel de l'oeuvre et les facteurs qui l'ont probablement modelé. La notion des composantes formelles, ainsi créée, aide à éclaircir certains processus artistiques à l'origine de ces fresques. Les fresques du Prôtaton sont attribuées au patronage de l'empereur Andronic II Paléologue et datées peu après 1283.


Ce que je vois

On peut être d’abord surpris par la vivacité des couleurs de cette fresque après plus de 750 ans. Cela est certainement dû à la qualité des plâtres sur lesquels ont été appliqués des pigments particulièrement vifs et résistants. On est d’abord attiré par ce ciel d’un bleu profond, puis par l’auréole dorée du Christ. La composition ne représente pas uniquement la dernière Cène de Jésus, mais aussi le discours qu’il tint à ses disciples lors de cet ultime repas. Les douze sont assis autour d’une table ronde qui ressemble à un tambour de chapiteau ouvragé. Le dessus représente même une marqueterie de pierres dures dessinant fruits et branches. Au centre de la table, une grande coupe contient la nourriture, pain et morceaux d’agneau. Deux autres coupes accueillent les herbes amères. Les apôtres ont devant eux un morceau de pain, coupé tel un tramezzino italien. Devant Jésus, le pain est rond et porte une croix sur le dessus. On peut aussi remarquer deux coupes de vin et deux couteaux.


La scène se déroule dans la chambre haute symbolisée par la structure architecturale, montrée en perspective inversée. Rappelons que cette présentation de la perspective n’est pas due à une erreur, et encore moins à un manque de virtuosité des artistes. Elle veut simplement nous signifier que le point de fuite n’est pas dans le fond de l’œuvre, comme nous en avons l’habitude, mais au-devant de l’œuvre. Ce n’est pas nous qui regardons cette scène, c’est elle qui nous contemple. Dieu nous regarde. C’est ce qui rend l’icône sacrée en culture orthodoxe car elle porte la présence active de Dieu.


Notons enfin que les disciples sont couchés non sur un triclinium, à la romaine, mais sur une sorte de grand coussin rouge qui ne peut que nous rappeler la couche de la Vierge Marie lors de la Nativité. Ils sont pieds nus, habillés de manteaux et de tuniques multicolores. On reconnaît Pierre à la droite du Christ, Jean penché sur sa poitrine, et Juda mettant sa main au plat.


Sur l’auréole du Christ, les lettres grecques owv sont la contraction de : "Je Suis Celui qui Est"... de toute éternité (donc le signe de la résurrection). Au-dessus de l’auréole sont inscrites les quatre lettres, contraction du nom de Jésus-Christ.


Jésus, ici enseigne. Il a le doigt levé vers le Ciel. Sa Parole vient de Dieu le Père, et il tient le rouleau de la Traditio Legis, remettant ainsi la Loi divine aux mains des apôtres. Enfin, remarquons le grand voile rouge qui couvre l’architecture. On pourrait y voir, bien sûr, la couverture de l’édifice. N’est-ce pas plutôt le signe d’un voile qui se lève, d’un dévoilement, d’une révélation ?


La prière sacerdotale

Ce chapitre 17 de l’évangile de Jean s’appelle traditionnellement « la prière sacerdotale ». Non parce qu’elle est destinée aux prêtres, mais parce que Jésus y parle en grand prêtre. Je ne peux que vous invitez à lire aussi la lettre aux Hébreux (5, 5) :

Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.

Comme serviteur, comme Ancien (c’est le sens du mot prêtre en grec), Jésus s’adresse à son Père pour lui rendre compte de son ministère. Une sorte de bilan !


Une prière tripartite

Reprenons le texte : Jésus sait que son heure arrive. Il est au terme de sa course.

Mais en aucun cas, je n’accorde du prix à ma vie, pourvu que j’achève ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus : rendre témoignage à l’évangile de la grâce de Dieu. (Ac 20, 24)

Et arrivé au terme, il sait ce qu’il lui reste à faire. Il retourne vers son Père. Ce qui va advenir est déjà là, déjà acquis aux yeux et au cœur de Jésus. De là vient que le Christ puisse parler comme déjà ressuscité, de sa Passion comme déjà consommée (v. 4), de sa vie terrestre au passé (v. 12), de son Ascension comme acquise (v. 24) et de sa glorification comme effective (v. 4). Et cette prière qu’il adresse à son Père est une liturgie, une œuvre publique.

« Ce n'est pas un épisode parmi ceux qui se déroulent de la Cène au tombeau vide, une prière avant la croix ; elle est le mystère qui s'accomplit dans la suite et l'unité de ces événements. Elle est l'acte suprême de Jésus allant à son Père pour notre salut. C'est la prière de la croix et de la résurrection, le geste même du sacrifice, et on l'a justement nommée la prière sacerdotale. » (A. George, 1954, p. 396).

Sa prière est triple : pour le Fils lui-même (Jn 17,1 ss), ses apôtres (Jn 17,9 ss), enfin « pour ceux qui, sur leur parole, croiront en moi » (Jn 17,20). Il donnera la vie éternelle à ceux que le Père lui a donnés. Mais qui sont-ils ? Bien sûr, en premier lieu ses apôtres. Mais le Père n’a-t-il pas donner tous les hommes à son Fils pour qu’il les sauve (verset 6 et 9) ? Nous sommes donc l’objet de la prière de Jésus, prêtre par excellence. Il s’offre en sacrifice pour nous, comme le rappelle l’épître aux Hébreux (5, 5-10) :

Il en est bien ainsi pour le Christ : il ne s’est pas donné à lui-même la gloire de devenir grand prêtre ; il l’a reçue de Dieu, qui lui a dit : Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré, car il lui dit aussi dans un autre psaume : Tu es prêtre de l’ordre de Melkisédek pour l’éternité. Pendant les jours de sa vie dans la chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect. Bien qu’il soit le Fils, il apprit par ses souffrances l’obéissance et, conduit à sa perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent la cause du salut éternel, car Dieu l’a proclamé grand prêtre de l’ordre de Melkisedek.

Il se sacrifie pour les hommes

Oui, comme le dit ce beau texte, il ne sacrifie pas un animal qui va porter le péché des hommes. Mais c’est lui qui va se faire victime, c’est lui qui devient l’agneau innocent mené à l’abattoir. Il s’est fait péché pour nous (2 Cor 5, 21) :

Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous devenions justes de la justice même de Dieu.

Comme le dira aussi Paul, on peut comprendre qu’un homme se sacrifie (Rm 5, 6-8) :

Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs.

Avons-nous suffisamment conscience de ce sacrifice du Christ pour nous ? Par amour, pour nous qui sommes des impies, il s’est livré totalement, il est descendu au plus profond de l’ignominie pour aller chercher les pécheurs que nous sommes et nous donner la vie éternelle.


Le connaître

Pour cela, il nous faut le connaître. Le connaître c’est sortir du monde, ce monde pour lequel il ne prie pas, car c’est celui du prince des ténèbres, du père du mensonge. Le connaître, c’est entendre le Nom qu’il a manifesté aux oreilles des hommes. Il existe même une rubrique de la messe pour le saint Nom de Jésus (Dieu sauve) :

Puisque nous vénérons aujourd’hui le saint Nom de Jésus, notre Sauveur, accorde-nous, Dieu notre Père, de connaître dès cette vie la douceur de son amitié, et d’être un jour comblés de sa joie dans le Royaume où il nous attend. (Oraison d’ouverture)

Le connaître, c’est naître avec Lui par son Nom. Le connaître, c’est naître avec lui par sa parole. C’est aussi ce que nous avons médité hier (Homélie du samedi de la 6ème semaine du temps pascal).


Le Logos

Versets 6-8 :

J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données : ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi, et ils ont cru que tu m’as envoyé.

Il nous adonné sa Parole. Mais la conservons-nous ? La prions-nous ? La méditons-nous ? Les catholiques me semblent toujours trop loin de la Parole de Dieu. Une nouvelle fois, je le redis, cinq chapitres de la Bible par jour et elle est lue en un an. Replongeons-nous dans ce livre, le Livre, le plus édité, le plus traduit, le plus vendu dans le monde, et... le plus mal lu !


Prier pour le monde ?

Il nous est dit que Jésus ne prie pas pour le monde... Surprenant ? Non, si nous considérons que ce monde est celui du mal, du Malin. Mais ce n'est pas une exclusion, puisque le pouvoir de Salut est confié au Christ « sur toute chair » (v. 2). D'ailleurs, à partir du verset 20, Il prie pour « tous », sans autre limite que celle du refus de croire que notre liberté peut opposer au Christ ou à ses représentants (16,20). Or c'est précisément le « front du refus » que désigne « le monde », pris au sens péjoratif au moins à partir du verset 14. Et si, même pour « le monde » au sens positif et universel, Jésus ne prie pas non plus ici, c'est d'une part que pendant ces onze versets, Il se consacre aux Douze ; c'est surtout d'autre part qu'il ordonne les Apôtres précisément pour « aller à toutes les nations » (Mt 28,19). L'apparent rejet est du même type que pour la Cananéenne (Mt 15,23-26) : la communication du Salut se fera progressivement, par degrés, du Christ aux Apôtres, puis à Israël et enfin aux païens. Ainsi, l'oeuvre apostolique aura-t-elle, extérieurement, plus d'extension que celle du Christ même (Jn 14,12) ; ainsi, même Paul respectera cet ordre (Ac 13,46).


Mais nous pourrions-aussi penser à ce que disait Ignace de Loyola, ou plus précisément ce que lui fait dire Karl Rahner dans un « Discours d’Ignace aux Jésuites d’aujourd’hui » (Ignace de Loyola, Paris, Centurion 1979) qui parle de la « sympathie de Dieu pour le monde » et « se penchèrent de Dieu vers ce qui n’est pas Dieu » ! Sympathie, compassion, souffrir avec. Dieu, même s’il ne nous invite pas à partager les convictions et positions de ce monde, nous invite à souffrir avec lui et pour lui.


Nous sommes dans le monde

Et c’est bien au sein de ce monde, dont on peut difficilement s’extraire, que nous devons être des lumières au sein des ténèbres, un ferment dans la pâte, un sel pour éviter que le monde ne s’affadisse. Attendons l’Esprit pour qu’il nous donne le courage, la force, la conviction, pour ne pas dire l’héroïsme dont nous avons besoin. Un héroïsme chrétien que Jacques d’Arnoux (Les sept colonnes de l’héroïsme, Paris, 1938) résumait en sept colonnes de notre Temple :

  1. la Grâce,

  2. la Volonté,

  3. le Sacrifice,

  4. l’Ire (sainte colère),

  5. l’Intelligence,

  6. l’Enthousiasme,

  7. la Mémoire.


Extrait du « Discours d’Ignace de Loyola aux Jésuites d’aujourd’hui » de Karl Rahner

« Tu le sais bien, je voulais « aider les âmes », comme je disais alors, en d'autres termes dire aux hommes quelque chose de Dieu, de sa grâce, de Jésus Christ crucifié et ressuscité ; leur dire ces choses pour délivrer leur liberté dans la liberté même de Dieu. Je voulais dire tout cela comme on l'avait toujours dit dans l'Église. Tout de même je pensais - et cette idée était juste - pouvoir dire les choses anciennes de manière neuve. Pourquoi donc ? J'étais convaincu d'avoir rencontré Dieu de manière immédiate. Inchoativement d'abord lors de ma maladie à Loyola. De manière décisive ensuite lors de ma période solitaire à Manrèse. Et j'étais convaincu que je devais transmettre, autant que possible, cette expérience aux autres.

J'affirme avoir rencontré Dieu de façon immédiate. Inutile de confronter cette assurance avec ce qu'un cours de théologie peut dire sur la nature de telles expériences immédiates de Dieu. D'ailleurs, je ne parlerai pas de tous les phénomènes qui accompagnent une telle expérience ; ils comportent évidemment des caractéristiques qui dépendent de l'époque et de la personne. Visions, symboles, auditions, don des larmes et autres phénomènes semblables, je n'en parlerai pas. Je dis seulement ceci : j'ai fait l'expérience de Dieu, de Dieu innommable et insondable, de Dieu silencieux et pourtant proche, de Dieu qui se donne dans sa Trinité. J'ai expérimenté Dieu au-delà de toute image et de toute représentation. J'ai expérimenté Dieu qui ne peut d'aucune façon être confondu avec quoi que ce soit d'autre quand il se fait proche ainsi lui-même dans sa grâce.

Au milieu de votre pieux affairement qui vous habitue à manier de hautes paroles, une telle conviction peut vous sembler banalité. En réalité, elle est énorme. Elle est énorme pour moi face à l'incompréhensible mystère de Dieu dont j'ai fait une nouvelle fois l'expérience, et de manière différente. Elle est énorme aussi face à votre époque vide de Dieu ; car en définitive l'athéisme écarte seulement les idoles que les époques antérieures identifiaient, de façon à la fois innocente et épouvantable, avec le Dieu indicible. Pourquoi ne le dirais-je pas : cet athéisme existe jusqu'au sein de l'Église puisque, en fin de compte, elle doit être, à travers sa propre histoire et dans l'unité avec le crucifié, l'événement qui fait tomber les idoles, l'événement de la chute des dieux.

Je l'ai dit dans mon Récit du pèlerin, ma mystique m'avait donné une certitude de foi telle qu'elle serait restée inébranlable même si l'Écriture n'existait pas. N'en avez-vous pas été effrayés ?

Un tel propos ne m'expose-t-il pas facilement à être accusé de mysticisme subjectiviste et d'indifférence à l'égard de l'Église ? De fait, je n'ai pas été tellement surpris qu'on m'ait suspecté d'illuminisme à Alcala et ailleurs. J'ai réellement rencontré Dieu, Dieu vivant et vrai, celui qui efface tous les noms. Peu importe ici qu'on qualifie cette expérience de mystique ou d'un autre terme. Laissons aux théologiens le soin d'expliquer comment un fait de ce genre est tout simplement possible. Je dirai plus tard pourquoi une telle expérience immédiate de Dieu ne supprime ni le rapport avec Jésus ni le lien avec l'Église qui en découle.

Mais avant toute autre chose ceci : j'ai rencontré Dieu. Je l'ai expérimenté lui-même. Et, croyez bien, j'étais capable alors de distinguer entre Dieu lui-même et les mots, images ou expériences particulières et limitées qui de quelque manière permettent d'évoquer et de désigner Dieu. Mon expérience avait aussi, c'est évident, sa propre histoire, et ses débuts furent petits et modestes ; ce que j'en ai dit et écrit me paraît maintenant bien touchant parce qu'enfantin à mes propres yeux. Mes paroles et mes écrits ne laissent entrevoir que de loin et de manière tout à fait indirecte ce dont il s'agit réellement. Il n'en reste pas moins ceci : à partir de Manrèse j'ai expérimenté avec une force et une netteté de plus en plus grandes la pure incompréhensibilité de Dieu ; mon ami Nadal l'exprimait dès cette époque à sa façon plus philosophique.

Dieu peut et veut agir directement envers sa créature, et l’homme peut réellement expérimenter que l’événement se produit, il peut saisir comment Dieu dans sa souveraine liberté dispose de sa vie d’homme. [Prenez] garde de succomber aujourd’hui à la tentation de penser que la silencieuse incompréhensibilité, qui est hors de tout mode d’être et que nous appelons Dieu, ne peut et ne doit pas, pour être elle-même, se tourner vers nous dans un libre amour, venir au-devant de nous, nous donner elle-même, depuis le centre de nous-mêmes où elle est présente, le pouvoir de dire “Tu” à celui qu’aucun nom ne peut nommer. C’est là un miracle incompréhensible qui fait voler en éclat toute votre métaphysique ; pour en saisir la possibilité il faut en oser la réalité. C’est le miracle qui lui-même appartient à l’indicibilité de Dieu, laquelle resterait une formalité vide, et donc soumise derechef à votre métaphysique, si nous n’en faisions l’expérience précisément dans son inclination vers nous.

On a souvent reproché à votre théologie d’être un éclectisme facile, Il y a évidemment quelque chose de vrai dans ce reproche. Mais si Dieu est le « Dieu toujours plus grand », qui fait éclater tout système par lequel l’homme cherche à se soumettre la réalité, votre « éclectisme » peut tout à fait exprimer que l’homme est dépassé par l’exigence excessive, la vérité de Dieu, et qu’il accepte cet excès et ce dépassement. Finalement, il n’existe pas de système dans lequel on pourrait, à partir d’un point unique, celui où l’on se tient soi-même, saisir la totalité du réel. Que votre théologie ne se contente pas des compromis faciles d’un travail intellectuel paresseux. Mais un système théologique tout clairement agencé et transparent comme du verre serait un système faux. En théologie aussi vous êtes des pèlerins qui, dans un exode toujours repris à neuf cherchent l’éternelle patrie de la vérité. »


Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Homélie sur: "Père, si c'est possible", PG 51, 34-35.

A l'approche de sa mort, le Sauveur s'écriait: Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils (Jn 17,1). Or, sa gloire, c'est la croix. Comment donc pourrait-il avoir cherché à éviter ce qu'il sollicite à un autre moment? Que sa gloire soit la croix, l'Évangile nous l'enseigne en disant: L'Esprit Saint n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié (Jn 7,39). Voici le sens de cette parole: la grâce n'avait pas encore été donnée, parce que le Christ n'était pas encore monté sur la croix pour mettre fin à l'hostilité entre Dieu et les hommes. En effet, c'est la croix qui a réconcilié les hommes avec Dieu, qui a fait de la terre un ciel, qui a réuni les hommes aux anges. Elle a renversé la citadelle de la mort, détruit la puissance du démon, délivré la terre de l'erreur, posé les fondements de l'Église. La croix, c'est la volonté du Père, la gloire du Fils, la jubilation de l'Esprit Saint. Elle est l'orgueil de saint Paul: Que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste mon seul orgueil (Ga 6,14)!

La croix est plus éclatante que le soleil, plus brillante que ses rayons. Car, lorsque le soleil s'obscurcit, c'est alors que la croix étincelle; et le soleil s'obscurcit non en ce sens qu'il serait anéanti, mais qu'il est vaincu par la splendeur de la croix. La croix a déchiré l'acte de notre condamnation, elle a brisé les chaînes de la mort. La croix est la manifestation de l'amour de Dieu: Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas (Jn 3,16).

La croix a ouvert le paradis, elle y a introduit le malfaiteur et elle a ramené au Royaume des cieux le genre humain voué à la mort, devenu indigne de la terre elle-même.

Puisque tous ces biens nous sont venus et nous viennent encore par la croix, comment le Sauveur aurait-il pu la refuser? Et s'il ne l'avait pas voulue, qui aurait pu l'y forcer? Pourquoi aurait-il envoyé des prophètes annoncer qu'il serait crucifié, si cela ne devait pas se faire, et qu'il ne l'eût pas voulu? Pour quel motif désignait-il la croix par le mot de "coupe", s'il ne voulait pas être crucifié? C'est ainsi qu'il montre combien il la désirait. De même que boire une coupe est doux aux assoiffés, de même pour lui être mis en croix. C'est pourquoi il a déclaré: J'ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous (Lc 22,15), quand il savait qu'il serait crucifié le lendemain.

Lui qui appelle ce sacrifice "sa gloire", qui réprimande le disciple qui veut l'en détourner, qui se fait reconnaître pour le Bon Pasteur à ce qu'il donne sa vie pour ses brebis, lui qui affirme désirer ardemment l'heure de sa Passion et qui s'y présente de son plein gré, comment demanderait-il qu'elle n'ait pas lieu?


Homélie de saint Cyrille d'Alexandrie (+ 444), Commentaire sur l'évangile de Jean, 11,7; PG 74, 497-499.

Notre Sauveur affirme avoir glorifié le nom de Dieu son Père, ce qui veut dire qu'il a rendu sa gloire illustre et éclatante par toute la terre. Comment cela? En se montrant lui-même son témoin et son annonciateur par des oeuvres extraordinaires. En effet, le Père est glorifié dans le Fils, comme dans une image et une empreinte de sa forme et de sa figure. Car les empreintes reflètent toujours la beauté de leurs archétypes.

Donc, le Fils unique a été glorifié, lui qui est substantiellement la sagesse et la vie, le créateur et l'architecte de l'univers, plus fort que la mort et la corruption, pur, immaculé, miséricordieux, saint, plein de bonté. Que son Père soit tout cela, c'est évident, car il ne peut pas différer en sa nature de celui qui procède de lui par nature. Le Père a donc rayonné dans la gloire du Fils comme dans l'image et l'empreinte de sa forme. <>

Le Fils a fait connaître le nom du Père non seulement en le révélant et en nous donnant un enseignement exact sur sa divinité. Car tout cela était proclamé avant la venue du Fils, par l'Écriture inspirée. Mais aussi en nous enseignant non seulement qu'il est vraiment Dieu, mais qu'il est aussi vraiment Père, et vraiment qualifié ainsi, ayant en lui-même et produisant hors de lui-même son Fils, co-éternel à sa nature.

Le nom de Père convient à Dieu plus proprement que le nom de Dieu: celui-ci est un nom de dignité, celui-là signifie une propriété substantielle. Car qui dit Dieu dit le Seigneur de l'univers. Mais celui qui nomme le Père précise la propriété de la personne: il montre que c'est lui qui engendre. Que ce nom de Père soit plus vrai et plus propre que celui de Dieu, le Fils lui-même nous le montre par l'emploi qu'il en fait. Il disait parfois, non pas "Moi et Dieu" mais: Moi et le Père, nous sommes un (Jn 10,30). Et il disait aussi: C'est lui, le Fils, que Dieu le Père a marqué de son empreinte (Jn 6,27).

Mais quand il a prescrit à ses disciples de baptiser toutes les nations, il a expressément ordonné que cela se ferait non pas au nom de Dieu, mais au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.


Prière

Entends notre prière, Seigneur: nous croyons que le Sauveur des hommes est auprès de toi dans la gloire; fais-nous croire aussi qu'il est encore avec nous jusqu'à la fin des temps, comme il nous l'a promis. Lui qui règne.

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