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VIe Dimanche du temps ordinaire (A)

Choisis d’être un enfant et tu vivras !



Le ballon,

Félix Vallotton (Lausanne, 1865 – Paris, 1925),

Huile sur carton marouflé sur bois, 48 x 61 cm, 1899,

Musée d’Orsay (Paris, France)


Livre de l'Ecclésiastique 15, 15-20

Si tu le veux, tu peux observer les commandements, il dépend de ton choix de rester fidèle. Le Seigneur a mis devant toi l’eau et le feu : étends la main vers ce que tu préfères. La vie et la mort sont proposées aux hommes, l’une ou l’autre leur est donnée selon leur choix. Car la sagesse du Seigneur est grande, fort est son pouvoir, et il voit tout. Ses regards sont tournés vers ceux qui le craignent, il connaît toutes les actions des hommes. Il n’a commandé à personne d’être impie, il n’a donné à personne la permission de pécher.


L’artiste

Félix Edouard Vallotton naît à la fin de l’année 1865 à Lausanne où son père tient une droguerie. Il suit des études classiques, obtient son baccalauréat en latin-grec, tout en manifestant déjà son goût pour les arts et la peinture. Félix Vallotton part à Paris suivre les cours de l'Académie Julian ; il est rapidement remarqué et passe le concours d'entrée à l'École des Beaux Arts, où il est reçu (1883).


Tout en restant chez Julian à Paris, il revient régulièrement en Suisse pour les vacances. Il fait la connaissance de nombreux artistes suisses (Biéler, Reichlen, Gaulis, Blancpain, etc.) et se lie d'amitié avec Charles Maurin et le graveur Félix Jasinski. Il se passionne pour le portrait. Son art prend souvent une certaine liberté par rapport à l'académisme qu'on lui a enseigné.


L’artiste a de grosses difficultés financières. Il expose pour la première fois au Salon des Indépendants (1891). Il s’engage après 1890 dans la gravure sur bois, réalise des eaux-fortes en s'inspirant de Rembrandt et de Millet. Le renouveau qu’il insuffle à cette technique ancestrale lui vaut rapidement une notoriété internationale d’artiste à la pointe de la modernité.


Lié d’amitié avec Vuillard, Bonnard et Maurice Denis, il rejoint le groupe des nabis et devient le principal illustrateur de La Revue blanche. Son mariage (1899) avec la fille du grand marchand de tableaux Alexandre Bernheim marque un tournant dans sa carrière. Il se consacre désormais à la peinture, sa vocation première.


En 1900, il se fait naturaliser français. Son art ne rompt pas avec la tradition mais la bouleverse par de puissants effets décoratifs, par une palette où des tons sourds alternent avec les couleurs les plus éclatantes, souvent dissonantes, parfois irréelles. Farouchement indépendant, il élabore en quelques années un style singulier. En outre, Félix Vallotton est un dessinateur prolifique, il s’essaye à la sculpture et aux arts appliqués, il écrit (critiques d’art, romans, pièces de théâtre, essais, journal, etc. )


Secret et passionné, réfléchi et sensuel, misanthrope et séducteur, aspirant au bonheur mais se régalant de souffrance, l’homme est aussi complexe que son art est savant sous une apparente simplicité. Il a appartenu aux sociétés d’artistes les plus prestigieuses, il a participé à toutes les grandes expositions internationales dont, en 1903, au premier Salon d'Automne, dont il est membre fondateur, ou à la Sécession de Vienne (Autriche), où il présente une dizaine de peintures et où il reçoit les félicitations de Gustav Klimt et de Hödler.


Vallotton aura fait de nombreux voyages (Allemagne, Hollande, Suède, Italie…), aura lié encore de nombreuses amitiés (Manguin, Marquet). En 1909, il participe à la Fondation de l'Académie Ranson, avec Vuillard, Bonnard, Denis et Roussel, tandis qu'à Zurich, le Künstlerhaus organise la première exposition qui lui est totalement consacrée. Les expositions qui lui sont dédiées se multiplient.


L'été 1914, Félix Vallotton est à Honfleur, lorsque se déclare la guerre. Il cherche à s'engager volontaire, mais il est refusé en raison de son âge. En 1917, il visite le front qui lui inspire une série de paysages de guerre. À la fin de la Grande Guerre, Il entreprend différents voyages au travers les régions de France jusqu'en 1924, tout en continuant de peindre alors que la maladie le gagne.


En 1925, Félix Vallotton est hospitalisé à Paris pour subir une opération. L’artiste, qui venait d’avoir 60 ans, meurt des suites de l’intervention.


Le tableau


Présentation du Musée d’Orsay


Le ballon fait partie des plus fameux tableaux de Félix Vallotton, un peintre suisse qui entretient des relations étroites avec les Nabis dès 1891. D'ailleurs, cette vue plongeante est observée dans un parc ou un jardin public, espaces souvent représentés par Bonnard ou Vuillard.


L'ombre des arbres se détache en festons sur la grande plage ocre clair de l'allée, tandis que la silhouette d'un enfant de dos accroche la lumière vive du soleil et court précédée de son ombre foncée. La tête est coiffée d'un chapeau jaune à ruban rouge, sorte de canotier à large bord d'où déborde une chevelure blonde. L'enfant est chaussé de bottines d'un orange éteint, vêtu d'une blouse blanche, boutonnée dans le dos, dont deux pans levés par la course flottent au vent. Il court après une balle rouge.

Comme un écho à la masse claire de l'enfant, deux silhouettes apparaissent côte à côte, bleue et blanche, claires elles aussi. La petite taille des deux femmes laisse à penser qu'elles se situent dans un lointain arrière-plan, pourtant la représentation de l'espace semble plane, frontale.


Travailler avec un document intermédiaire, photo ou esquisse, donnait à Félix Vallotton une distance, qui lui permettait de simplifier au maximum les traits d’une personne, d’un paysage. Le Ballon est un exemple de l’usage de la propre photographie de Vallotton qui acquiert un Kodak en 1899, rappelle la commissaire de l’exposition qui lui fut consacrée en 2014 à Paris au Grand-Palais. « Ce tableau nous semblait avoir été réalisé à partir d’une photo, à cause du point de vue très particulier et de l’élan de l’enfant, mais nous n’en avions pas trace au départ. Puis nous avons trouvé dans les archives une photo qui a dû être prise du même endroit que celles à partir desquelles il a probablement travaillé. Car nous émettons l’hypothèse que Vallotton a travaillé cette toile à partir de deux photos. L’une vue en plongée et l’autre vue de loin. Ce qui expliquerait aussi la dualité dans cette composition: on a presque deux mondes qui se juxtaposent : celui de l’enfance face à celui des adultes. Et l’ombre très particulière qui nous dirige vers l’enfant est aussi menaçante, comme des serres qui s’apprêtent à la saisir. »


Ce que je vois

Deux mondes s’affrontent, ou du moins s’opposent… Un lumineux, un plus sombre, ténébreux. Une place sablonneuse où court un enfant sous le soleil, essayant de rattraper sa balle rouge. Un parc où, sous l’ombre des frondaisons, deux femmes échangent. Elles sont dans un rai de lumière, l’une habillée de bleu, l’autre de blanc. Entre elles et l’enfant, une grande zone où domine l’obscurité.


Pourquoi avoir choisi ce tableau ? Peut-être parce qu’il se révèle à mes yeux comme l’illustration du Siracide. Un choix à faire, un choix à regarder pour prendre une décision. « L’homme libre, c’est l’homme qui fait des choix » disait Victor Hugo. Mais peut-être pas le choix que j’imagine. Trop souvent nous imaginons les choix comme une sagesse, une caractéristique de l’adulte, une application de la raison après avoir pesé et soupesé les différents éléments de la problématique. Un peu comme le font ces deux femmes. Elles échangent, elles réfléchissent, elles vont prendre une décision. Elles ont même été chercher un peu de lumière pour ça. Ne cherchons-nous pas des lumières de l’intellect pour dissiper nos obscurités, pour nous aider à trouver le bon chemin ? Pourtant… se rendent-elles compte qu’elles sont environnées de ténèbres ? Comment imaginent-elle sortir de l’obscurité de leurs pensées, si étroites comme cette tache de lumière dans laquelle elles se sont réfugiées ? Comment vont-elles rejoindre le premier plan, cet espace baigné par le soleil, où court, joyeux, cet enfant ?


Car il est sûrement là le bonheur. Là où l’enfant naît, là où l’enfant s’amuse, rit, court, joue. Là où l’on est protégé par cette grande main verte qui domine l’enfant, la main du Dieu créateur ? Et qui pourtant ne projette aucune ombre sur lui. La main le protège mais le laisse libre de courir après sa balle. Comme le dit la lecture, Dieu a étendu la main vers ce qu’il préfère : la joie pure de cet enfant.


Si je devais faire référence à un auteur que j’apprécie, Georges Bernanos, je dirais que ces femmes sous sous Le soleil de Satan, alors que l’enfant court sous le soleil de la jeunesse… En fait, je me demande si elle n’est pas là la problématique du choix du Siracide : choisis entre vieillir et rester jeune ! Ne cherche pas un Paradis imaginaire, retrouve le Paradis de ton enfance. Ne cherche pas comment rejoindre un monde illusoire, à la force de tes pensées : tu ne ferais qu’accélérer ton destin. Cherche plutôt le chemin de la fontaine de Jouvence ! Choisis le bon combat… L’enfant a choisi le combat de la lumière.


Le bon combat

Toute vraie vie spirituelle est un combat. Parfois harassant, pour ne pas dire désespérant… Mais la plupart du temps, il est harassant parce que nous cherchons à combattre le Mal. N’avons-nous pas encore compris qu’il est plus fort que nous, que jamais nous n’arriverons à le dompter ? S’agit-il de chercher à ne pas faire le mal, à éviter les obstacles du péché, à réussir à marcher dans les ténèbres sans tomber ? Ou alors, ne serait-ce pas plutôt de choisir le combat de la Lumière, de chercher à chaque instant le bien, le bon, le beau, le vrai ? S’agit-il de combattre le Diable ? Seul le Christ a réussi à le faire taire au moment des tentations. Et il l’a fait taire, il l’a fait fuir, mais il ne l’a pas terrassé au point de le faire mourir. Ça, ce sera pour les fins dernières. Ne s’agit-il pas plutôt de combattre avec Dieu, comme Jacob luttant avec l’Ange (Gn 32, 23-32) ?

Cette nuit-là, Jacob se leva, il prit ses deux femmes, ses deux servantes, ses onze enfants, et passa le gué du Yabboq. Il leur fit passer le torrent et fit aussi passer ce qui lui appartenait. Jacob resta seul. Or, quelqu’un lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. L’homme, voyant qu’il ne pouvait rien contre lui, le frappa au creux de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant ce combat. L’homme dit : « Lâche-moi, car l’aurore s’est levée. » Jacob répondit : « Je ne te lâcherai que si tu me bénis. » L’homme demanda : « Quel est ton nom ? » Il répondit : « Jacob. » Il reprit : « Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël (c’est-à-dire : Dieu lutte), parce que tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu l’as emporté. »

Dieu nous bénit si nous luttons avec Lui, il nous donne même un nouveau nom : celui de notre baptême. l’enfant ne porte-t-il pas son vêtement de baptême sous la lumière de Dieu ? Ne court-il pas vers cette balle, comme après la grâce ? Il n’a pas peur, il est joyeux de vivre dans le bien. On dirait même qu’il veut attraper cette boule de feu qui roule devant lui, comme celle qui descendit sur les Apôtres à la Pentecôte, comme cette nuée qui guidait le peuple dans le désert. Mais il risque d’être insatisfait… Et c’est là où va se situer le combat. Dieu ne se laisse pas attraper ! Ou il lui déboîtera la hanche, comme pour Jacob, ou il restera ce rêve inaccessible, cette quête insatiable, comme pour Don Quichotte, ou il dansera devant lui déguisé en jardinier en lui disant « Noli me tangere » comme pour Marie-Madeleine.


Cette difficulté sera son petit pincement au cœur, la marque de son avenir d’adulte… Mais il veut rester un enfant pur, franc et joyeux, comme les trois vertus du scout. Un enfant qui continuera de rire, de s’émerveiller, de jouer, d’aimer, d’être un peu fou aux yeux des adultes. Il veut rester éternellement jeune sous le regard de Dieu. Et c’est comme cela que Dieu le regarde. Ne pourrait-on croire que cette image, vue d’en haut, est ce que Dieu voit de nous ? Il regarde les deux camps, séparés par cet arc qui transperce le tableau : le camp de l’ombre (même s’il s’y glisse la fausse luminosité aveuglante du diabolos, du diviseur) et le camp de la lumière où court ce jeune baptisé déjà couronné de son auréole d’or. Cet arc qui les sépare, comme ondulé de vagues, serait-ce le Jourdain, fleuve de renaissance, baptistère de notre salut ?


Retrouverions-nous notre pureté baptismale en le traversant ? Quitterions-nous les ténèbres et les fausses lumières où nous passons notre temps à bretter sur ce qu’il faut faire, comme ces femmes ? Mais l’on ne peut repasser par les eaux du baptême ? Comment faire ? N’était-ce pas la question de Nicodème (Jn 3, 1-21) ?

Il y avait un homme, un pharisien nommé Nicodème ; c’était un notable parmi les Juifs. Il vint trouver Jésus pendant la nuit. Il lui dit : « Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » Jésus lui répondit : « Amen, amen, je te le dis : à moins de naître d’en haut, on ne peut voir le royaume de Dieu. » Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne sois pas étonné si je t’ai dit : il vous faut naître d’en haut. Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit. (…) Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Jésus n’est pas venu pour nous juger, pour nous condamner pour notre péché. À tout péché, miséricorde ! Il est venu pour nous sauver, pour nous mener à la lumière. Le choix qui est à faire, c’est celui de la lumière. Le chemin qui est à prendre n’est pas celui d’une nouvelle naissance par le baptême, c’est fait ; c’est celui d’une renaissance en revenant au sortir des eaux du baptême, à notre pureté baptismale et enfantine dans le cœur de Dieu. C’est accepter d’en revenir, dans notre vie spirituelle, au lait maternel (1 Cor 3, 1-3) !

Frères, quand je me suis adressé à vous, je n’ai pas pu vous parler comme à des spirituels, mais comme à des êtres seulement charnels, comme à des petits enfants dans le Christ. C’est du lait que je vous ai donné, et non de la nourriture solide ; vous n’auriez pas pu en manger, et encore maintenant vous ne le pouvez pas, car vous êtes encore des êtres charnels. Puisqu’il y a entre vous des jalousies et des rivalités, n’êtes-vous pas toujours des êtres charnels, et n’avez-vous pas une conduite tout humaine ?

Nous sommes toujours, en fait, des petits-enfants. Peut-être pas suffisamment conscients de cet état de petitesse, de fragilité… Peut-être trop timides pour oser jouer, rire, chanter ? Peut-être trop vieux dans notre tête pour oser croire encore aux miracles ! Peut-être trop intellectuels pour encore nous émerveiller… Peut-être trop désabusés ou expérimentés pour discerner le bien avant le mal, pour imaginer le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide... Sommes-nous déjà vieux, décatis ?


Pourtant, comme le disait le Père Jacques Sevin (Positions Sacerdotales, règle n° VII, 1947) :

Nous sommes jeunes et nous voulons absolument le demeurer. Au surnaturel, tout nous intéresse et c’est avec un cœur jeune et des yeux jeunes que nous abordons le monde, les âmes et la vie. (…) Mûrir, soit, comme le blé ou la grappe, pour le sacrifice ; mais vieillir n’est point propos de prêtre : on ne consacre pas de vieilles hosties !

Ainsi, le seul choix que nous propose le Siracide, l’unique choix de nos vies est simple : rester jeune ! Que disait Georges Bernanos de ce soleil de jeunesse ? L’enfant, à ses yeux, est la clé de voûte du Royaume des Cieux. Il n’est ni lâche, ni médiocre. Il est rêveur, et même un rêveur héroïque. Et surtout, cet enfant en nous, ne meurt pas, il persiste. Il s’agit simplement de le faire sortir des scories de notre mémoire, de lui rendre sa place, toute sa place (Georges Bernanos, Les enfants humiliés, Gallimard, 1949, page 256) :

J'ai reçu ma part de vérité, comme chacun de vous a reçu la sienne, et j'ai compris très tard que je n'y ajouterai rien, que mon seul espoir de la servir est seulement d'y conformer mon témoignage et ma vie. Peu de gens renient leur vérité, aucun peut-être. Ils se contentent de la tempérer, de l'affaiblir, de la diluer.

Cette enfance qui fut celle de la voie par excellence que promut Thérèse de Lisieux. Elle marqua suffisamment Bernanos pour qu’il s’appuyât sur sa doctrine spirituelle à plusieurs reprises dans son œuvre :

Mon enfant, quoi qu'il advienne, ne sortez pas de la simplicité. (...) Oh ! ma fille, soyez toujours cette chose douce et maniable dans Ses mains !

Dialogues des Carmélites, Seuil, 1949, p. 63.


Rappelons aussi cet agnostique qui, en chaire, veut convertir les dévots et présente ainsi Thérèse :

Une sainte, dont la foudroyante carrière montre assez le caractère tragiquement pressant du message qui lui est confié, vous invite à redevenir enfants.

Les Grands Cimetières sous la Lune, Gallimard, 1938, page 269


Je reprends ici ce qu’écrivait Harold Labesse dans Cours le Sénévé :

Le combat chrétien, pour Bernanos, en dépit de tous les obstacles, consiste donc à préserver l'esprit d'enfance dans le monde, à œuvrer pour cette sainteté de l'humilité enfantine. Mais le combat n'est pas solitaire : « Un chrétien ne se sauve pas seul, il ne se sauve qu'en sauvant les autres. » Devant le spectacle tragique de l'esprit de vieillesse, de l'esprit de servitude, il faut regagner l'idéal de l'enfance, car c'est la part de l'enfance préservée qui décidera du Salut du monde.

Oui, vraiment…

Qu'importe ma vie ! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus. Oui, ce que j'ai d'honneur et ce peu de courage, je le tiens de l'être aujourd'hui pour moi mystérieux qui trottait sous la pluie de septembre, à travers les pâturages ruisselants d'eau, le cœur plein de la rentrée prochaine, des préaux funèbres où l'accueillerait bientôt le noir hiver, des classes puantes, des réfectoires à la grasse haleine, des interminables grand-messes à fanfares où une petite âme harassée ne saurait rien partager avec Dieu que l'ennui -- de l'enfant que je fus et qui est à présent pour moi comme un aïeul. (...) Oh ! je sais bien ce qu’a de vain ce retour vers le passé. Certes, ma vie est déjà pleine de morts. Mais le plus mort des morts est le petit garçon que je fus. Et pourtant, l’heure venue, c’est lui qui reprendra sa place à la tête de ma vie, rassemblera mes pauvres années jusqu’à la dernière, et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du Père.

Les Grands Cimetières sous la lune, op. cité, Préface


Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Homélie sur la trahison de Judas, 2, 6; PG 49, 390-391.

Le Christ a donné sa vie pour toi et tu continues à détester celui qui est un serviteur comme toi. Comment peux-tu t'avancer vers la table de la paix ? Ton Maître n'a pas hésité à endurer pour toi toutes les souffrances, et tu refuses même de renoncer à ta colère ! Qu'est-ce qui te retient, dis-moi ? L'amour est la racine, la source et la mère de tous les biens. "Un tel m'a gravement offensé, dis-tu, il a été tant de fois injuste envers moi, il m'a menacé de mort !" Eh bien! Qu'est-ce que cela ? Il ne t'a pas encore crucifié comme les Juifs ont crucifié le Seigneur.


Si tu ne pardonnes pas les offenses de ton prochain, ton Père qui est dans les cieux ne te pardonnera pas non plus tes fautes. Que dit ta conscience quand tu prononces ces paroles : Notre Père, qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié (Mt 6,9), et celles qui suivent ? Le Christ n'a pas fait la différence. Son sang, il l'a versé aussi pour ceux qui ont versé le sien. Pourrais-tu faire quelque chose de semblable ? Lorsque tu refuses de pardonner à ton ennemi, c'est à toi que tu causes du tort, pas à lui. Tu as pu, en effet, le faire souffrir souvent dans la vie présente, mais toi, ce que tu te prépares, c'est un châtiment irrémissible, au jour du jugement. Car personne ne s'attire plus sûrement l'inimitié de Dieu, et ne lui inspire plus d'aversion, que l'homme rancunier, celui qui a le coeur enflé et dont l'âme brûle de colère.


Eh bien ! Écoute ce que dit le Seigneur : Lorsque tu vas présenter ton offrande sur l'autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l'autel, va d'abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande (Mt 5,23-24). Mais tu dis : "Vais-je laisser là l'offrande et le sacrifice ?" "Certainement, répond-il, puisque le sacrifice est justement offert pour que tu vives en paix avec ton frère."


Si donc le but du sacrifice est la paix avec ton prochain, et que tu ne sauvegardes pas la paix, il ne sert à rien que tu prennes part, même par ta présence, au sacrifice. La première chose que tu aies à faire c'est bien de rétablir la paix, cette paix pour laquelle, je le répète, le sacrifice est offert. De celui-ci, alors, tu tireras un beau profit. Car le Fils de l'homme est venu dans le monde pour réconcilier l'humanité avec son Père. Comme Paul le dit : Maintenant Dieu a réconcilié avec lui toutes choses (Col 1,22), par la croix, en sa personne, il a tué la haine (Ep 2,16). Aussi celui qui est venu faire la paix nous proclame-t-il également bienheureux, si nous suivons son exemple, et il nous donne son nom en partage. Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9).


Eh bien ! Ce qu'a fait le Christ, le Fils de Dieu, réalise-le aussi autant qu'il est au pouvoir de l'homme. Fais régner la paix chez les autres comme chez toi. Le Christ ne donne-t-il pas le nom de fils de Dieu à l'ami de la paix ?



Commentaire d'Épiphane de Bénévent (5e-6e siècle), Commentaire sur les quatre évangiles, PLS 3, 852

Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir (Mt 7,17). <> En ce temps-là, en effet, le Seigneur a exercé son pouvoir pour accomplir en sa personne tous les mystères que la Loi annonçait à son sujet. Car dans sa Passion, il a mené à terme toutes les prophéties.


Lorsque les Juifs lui offrirent, selon la prophétie du bienheureux David, une éponge imbibée de vinaigre pour calmer sa soif, il l'accepta en disant : Tout est accompli. Puis, inclinant la tête, il remit l'esprit (Jn 19,30).


Il a non seulement réalisé personnellement tout ce qu'il a dit, mais il nous a encore confié ses commandements, afin que nous les mettions en pratique. Alors que les anciens n'avaient pas observé les commandements les plus élémentaires de la Loi, il nous a prescrit de garder les plus difficiles, avec la grâce et la puissance qui viennent de la croix. Il a déclaré : Vous avez appris qu'il a été dit : Tu ne commettras pas de meurtre. Eh bien moi, je vous dis: Tout homme qui se met en colère contre son frère, en répondra au tribunal (Mt 5,21).


Autrefois, celui qui avait tué quelqu'un était coupable d'homicide ; maintenant un mouvement de colère contre son frère est un crime d'homicide. Supprime donc l'intention mauvaise pour ne pas en arriver à l'acte ; réprime ta colère pour ne pas commettre de meurtre. Si Caïn avait fait taire sa rancoeur dès que le Seigneur l'eût averti, il n'aurait pas consenti à tuer son frère. Car la colère de l'homme n'accomplit pas la justice de Dieu (Je 1,20).


Et si quelqu'un en insulte un autre, il sera passible du grand conseil, c'est-à-dire celui qui aura proféré une injure, fût-elle très petite ou légère, à l'adresse d'une personne qui appartient à Dieu, en répondra au conseil des saints, à la résurrection. Et celui qui dira à un saint homme ; Fou !, il sera passible de la géhenne de feu (Mt 5,22). Être passible de la géhenne, c'est aussi être dans la géhenne.


Voilà pourquoi il faut que nous nous gardions des péchés moins graves, comme de dire des injures, d'avoir des pensées mauvaises et des regards concupiscents, et de prêter l'oreille à des propos coupables. Ainsi nous ne risquerons point d'en arriver à commettre des actes criminels. Celui qui tient les petits manquements pour négligeables, en viendra à commettre des fautes graves. Et si le juste est sauvé à grand peine, où donc se retrouvera l'homme pécheur et impie (1P 4,18) ?


Prière

Tu ouvres ton Royaume, Seigneur Dieu, à ceux dont le coeur est pur, loyal et prêt au pardon. Cette loi, qui surpasse l'ancienne, nous avons de la peine à la mettre en pratique. Accorde-nous toi-même la force de l'accomplir par la grâce que nous a méritée Jésus Christ. Lui qui règne.

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