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Ve Dimanche du temps ordinaire (A)

Être une lumière dans la nuit…



La lumière du monde,

William Holman Hunt (Londres, 1827 – Kensington, 1910),

Huile sur toile, 125 x 60 cm, 1853-1854,

Chapelle du Keble College (Oxford, Royaume-Uni)


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 5, 13-16

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. »


Les préraphaélites

Au milieu du XIXe siècle, au début du règne de la reine Victoria, la peinture anglaise s'est enlisée dans les conventions académiques et se trouve dans une impasse créative. En réaction, trois jeunes étudiants de la Royal Academy, Hunt, Millais et Rossetti, fondent la confrérie préraphaélite.


Ils ambitionnent de créer une nouvelle peinture, se référant non plus à la Renaissance, mais à l'art médiéval, celui d'avant Raphaël, libre et authentique, suivant en cela les préceptes de l'influent théoricien victorien, John Ruskin. Leurs tableaux sont colorés, porteurs de multiples symboles et références littéraires, sensibles à la nature et aux questions sociales.


La confrérie se dissout rapidement, mais ses idées continuent à nourrir l'avant-garde anglaise pendant près de cinquante ans. La seconde génération, dominée par Edward Burne-Jones et William Morris, applique les principes préraphaélites au décor, au mobilier et à l'illustration de livre. Au-delà de l'Angleterre, l'univers de Burne-Jones en particulier influencera profondément le courant symboliste.


Le peintre

William Holman Hunt, né le 2 avril 1827 à Londres, est décédé le 7 septembre 1910 à Londres, artiste britannique et membre éminent de la Fraternité préraphaélite. Son style est caractérisé par une couleur claire, dure, un éclairage brillant et une délimitation minutieuse des détails.


En 1843, Hunt entra dans les écoles de la Royal Academy où il rencontra son ami de longue date, le peintre John Everett Millais. L'opinion publique fut d'abord hostile à Hunt. Mais, en 1854, La lumière du monde, une allégorie du Christ frappant à la porte de l'âme humaine, a été défendu par John Ruskin et apporté Hunt son premier succès public. En 1854, Hunt entreprit une visite de deux ans en Syrie et en Palestine, où il acheva en 1855 Le bouc émissaire, une peinture représentant un animal déchaîné sur les rives de la mer Morte. Parmi les plus importantes de ses dernières peintures figurent Le Triomphe des Innocents (deux versions : 1884, Tate Gallery, Londres et 1885, Liverpool), May Morning on Magdalen Tower (1889, Lady Lever Art Gallery) Le Miracle du Feu Sacré (1898), terminé juste avant que sa vue ne commence à décliner.


Ce que je vois

C’est la nuit… Tout semble calme, paisible, peut-être même un peu angoissant. Une maison, entourée d’un jardin à l’abandon. Les plantes ont envahi le devant de la porte qui devient presque inaccessible. Les arbres décharnés se tordent au vent. Une porte, sans poignée…, au bois vermoulu. Et devant, un homme ! Un homme ? Non, un Roi, couronné, revêtu d’une chape richement brodée et tenue par un fermoir constellé de pierres précieuses. Pourtant, il est pieds nus. Et sans gardes. Seul, il tient à la main, comme unique protection, cette lanterne multicolore. Il nous regarde en même temps qu’il frappe à la porte. Un Roi ? Oui ! Et quel Roi ! Le Roi de l’Univers, couronné, mais surtout auréolé, Lui, le Fils de Dieu.


Comme il est difficile de se détacher de son regard… Ce tableau a dû même surprendre dans une église méthodiste, souvent marquée par un puritanisme froid, aux cérémonies quelque peu ampoulées de l’Église anglicane de l’époque. Mais son regard ne peut qu’interpeler… Le visage est paisible, sans menace, sans reproche ni culpabilisation. Il est sérieux, profond, direct. C’est à moi qu’il s’adresse. Comme dans ce verset de l’Apocalypse (3, 20) :

Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi.

Il frappe à ma porte, la porte de mon cœur. Porte encombrée, obstruée par mes refus d’entendre, mes péchés, mes difficultés, mes tabous, mes blocages, mes échecs… L’air frais a bien du mal à y pénétrer… Ma vie s’y est affadie… Les ténèbres m’entourent… Qui pourra l’ouvrir ? Qui pourra y faire entrer un vent nouveau ? Qui ouvrira mes portes et fenêtres ? Qui remettra un peu de lumière dans mes obscurités ? Qui me rendra espérance et force ? Qui me relèvera ? Si ce n’est Lui ! Lui, qui comme le titre du tableau l’indique, est La lumière du monde. William Hunt citait parfois un verset de psaume (Ps 118, 105) :

Ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route.

C’est cette lumière que porte le Christ, cette lumière qu’il vient m’apporter. Celle qu’on ne met pas sous le boisseau, mais sur le lampadaire. Celle qu’on n’enterre pas, comme je le suis, mais qui éclaire tout homme. Effectivement la lumière rayonne partout dans ce tableau (on la voit sur le visage du Christ, autour de sa main qui frappe et singulièrement sur cette porte qui s’ouvrira peut-être), sur sa robe et son beau manteau, mais elle brille surtout à partir de la lanterne qui éclaire le chemin, ses pierres aigües et ses petits cailloux brillants.


C’est tout un sermon que nous fait Hunt en peignant ce tableau, c’est une spiritualité authentique et claire qu’il nous propose dans sa sincérité. On peut comprendre le désarroi de l’Église officielle, des Anglais bien-pensants déstabilisés dans leurs rites ecclésiastiques, leur doctrine traditionnelle. La pensée puritaine de Hunt contourne les dogmes traditionnels - la couronne d’épine sur la tête du Christ rappelle pourtant discrètement le message de la Croix - et il ne reste de sa foi que ce qui en fait à ses yeux l’essentiel : l’espérance apportée à l’homme angoissé par l’union communionnelle que le Christ nous propose, paisiblement, puissamment, fraternellement.


Ne pas s’affadir et éclairer le monde ?

En fait, nous connaissons bien ce texte d’Évangile. Et peut-être n’agit-il plus vraiment sur nos cœurs… Ça rentre par une oreille et ça sort par l’autre ! À moins qu’il n’y ait une double lecture possible ? Une un peu plus sombre, l’autre plus lumineuse…


Une lecture sombre…

Ce serait d’y lire prioritairement la menace de l’affadissement du sel et de la lampe cachée. Lorsqu’on lit les textes parallèles dans les synoptiques, c’est parfois plus terrible. Chez Marc, par exemple :

C’est une bonne chose que le sel ; mais s’il cesse d’être du sel, avec quoi allez-vous lui rendre sa saveur ? Ayez du sel en vous-mêmes, et vivez en paix entre vous. (Mc 9, 50)
Il leur disait encore : « Est-ce que la lampe est apportée pour être mise sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour être mise sur le lampadaire ? Car rien n’est caché, sinon pour être manifesté ; rien n’a été gardé secret, sinon pour venir à la clarté. (Mc 4, 21-22)

Ou chez Luc :

C’est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-t-on sa saveur ? Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors ! Celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! (Lc 14, 34-35)
Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d’un vase ou ne la met sous le lit ; on la met sur le lampadaire pour que ceux qui entrent voient la lumière. Car rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour ; rien n’est secret qui ne doive être connu et venir au grand jour. (Lc 8, 16-17)
Personne, après avoir allumé une lampe, ne la met dans une cachette ou bien sous le boisseau : on la met sur le lampadaire pour que ceux qui entrent voient la lumière. (Lc 11, 33)

« Car rien n’est caché qui ne doive paraître au grand jour ; rien n’est secret qui ne doive être connu et venir au grand jour. » La sentence est dure à entendre… Mais elle est claire ! Si la lampe doit être visible, c’est pour ne pas être cachée. Lapalissade me direz-vous ! Non, les choses ne doivent pas rester dans le secret, elles ne doivent pas être enfermées à double tour, mais doivent être visibles et vues, entendues et écoutées. Tout doit être au grand jour. Est-ce un appel du Christ à la transparence ? Peut-être pas dans le sens où nos journalistes l’entendent, et Dieu sait qu’ils se déchaînent les canards… Ce n’est pas de l’ordre de la transparence, car Jésus invite aussi à la discrétion et au respect de chacun. Par contre, il nous appelle à la conviction ! Il veut nous éviter la compromission. Tout doit être clair, pur, vrai, franc ! « Quand vous parlez, dites ‘oui’ ou ‘non’ : tout le reste vient du Malin ! » dira-t-il plus loin dans l’Évangile (Mt 5, 37).


Ainsi, ne mettons pas nos convictions, notre foi, notre enthousiasme sous le boisseau. Ne cachons pas nos actes bons, même si « le bien ne fait pas de bruit » ! Une des vertus cardinales est la force. Peut-être devrions-nous, dans l’usage commun d’aujourd’hui, la renommer « le courage ». Le chrétien se doit d’être courageux. Il ne renonce pas, il ne recule pas, il ne s’accommode pas. Toute reculade est feintise. Toute feintise est reculade. Je reprends ici les mots du Père Sevin dans sa Prière des Chevaliers :

Que notre fait ne soit point parade ni littérature,
Mais loyal ministère et sacrifice coûteux.
Tenez nos âmes hautes, tout près de Vous,
Dans le dédain des marchandages,
Des calculs et des dévouements à bon marché,
Car nous voulons gagner notre paradis
Non pas en commerçants, mais à la point de l’épée,
Laquelle se termine en croix, et ce n’est pas pour rien.

Donnons du sel, par l’Évangile, à notre vie. Ne soyons ni tièdes, ni fades. Au risque de choquer dans un bâtiment de la France, à l’image de Dieu « qui vomit les tièdes de sa bouche » (Ap 3, 16), j’exècre la diplomatie telle qu’elle nous est souvent présentée aujourd’hui. Car elle est devenue la recherche de l’accord entre la chèvre et le chou, que l’on éloigne l’un de l’autre, au point que la chèvre en crève et que le chou se flétrit ! Et il ne faut plus choquer, surtout « pas de vagues »…


Mais bon sang, heureusement que Jésus n’a pas suivi cette règle ! Nous ne serions pas là. Nous serions alors, non dans un mode de bisounours, mais dans une société d’ectoplasmes mous. Osons choquer, car c’est du choc que sort l’étincelle. Osons choquer, non scandaliser ! Ce n’est pas la même chose. Le choc est une épreuve qui fait grandir. Le scandale est un torrent de boue qui ne cherche qu’à noyer.


Je le sais. Parfois vous osez me le dire : je peux être choquant ! J’ose… sûrement sans ce soupçon de « je-ne-sais-quoi » qui manque pour que ça fasse mouche. Peut-être est-ce ça la diplomatie… Eh oui, il doit bien exister une vraie et belle diplomatie, non ? Serait-ce la lecture plus lumineuse ?


Une lecture lumineuse…

Le dictionnaire définit ainsi, entre autre, la diplomatie :

Habileté, adresse, souplesse, prudence dans la conduite d'un entretien ou d'une affaire difficile.

Diplomatie ou vérité ? Je crois que toutes les vérités sont bonnes à dire. Ne serait-ce que parce que l’Évangile l’atteste : « La vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32). Mais peut-être que le moment et la façon de la proclamer sont aussi importantes que le message : habileté, adresse, souplesse (que je n’ai ni physiquement ni mentalement) et prudence ! La diplomatie comme moyen positif de proclamer la vérité. Ainsi, il y a quelques années, une grande marque de vente nous invitait à positiver. Ce que fait le Christ dans tout l’Évangile. Ne change-t-il pas la règle d’or de l’Ancien Testament (« Ne fais à personne ce que tu détestes, et que cela n’entre dans ton cœur aucun jour de ta vie. » Tb 4, 15) en la positivant : « Donc, tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi : voilà ce que disent la Loi et les Prophètes. » (Mt 7, 12) ?


Un temps pour chaque chose… Le livre de l’Ecclésiaste le disait déjà :

Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel : un temps pour se taire, et un temps pour parler. (Ecc 3, 1.7)

Trouver le bon moment pour dire les choses, trouver la bonne façon de les dire : voilà toute la diplomatie de Jésus à laquelle nous sommes inviter et d’y souscrire, et de la mettre en œuvre, moi le premier !


En effet, la lumière est mise sur le lampadaire, non pour seulement dénoncer les péchés et mettre en lumière les secrets, mais d’abord pour éclairer les hommes, pour leur donner la vraie lumière. Le sel doit aussi garder son goût non pour brûler sur les plaies, non pour conserver bêtement (« on a toujours fait comme ça… ») mais pour redonner du goût, ou mieux encore pour exhausser le goût qui existe déjà en nous, créatures de Dieu. Un sel qui met en valeur, une lumière qui dissipe les ténèbres pour illuminer les actes bons. Voilà la lecture lumineuse.



Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Catéchèses baptismales 4, 18-21 33, SC 50, 192-193 199

Nous avons revêtu le Christ une fois pour toutes, et nous sommes devenus dignes de l'avoir comme hôte. Si nous le voulons, nous pourrons donc, sans dire un seul mot, en menant simplement une vie parfaite, révéler à tous la puissance qui habite en nous. <> C'est bien de cela que parle le Christ, quand il dit : Que votre lumière brille devant les hommes : alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux (Mt 5,16). Cette lumière n'atteint pas les sens corporels, mais elle illumine l'âme et l'esprit de ceux qui la voient; elle dissipe les ténèbres du mal et dispose tous ceux qui la reçoivent à briller de leur propre lumière et à prendre la vertu pour modèle.


Que votre lumière brille devant les hommes. Le Christ dit justement devant les hommes. Il veut dire : "Que votre lumière soit si vive qu'elle vous éclaire et brille également devant les hommes, car ils ont besoin de son aide!" La lumière naturelle permet de chasser les ténèbres pour voir le chemin à parcourir et aller droit devant soi sur une route ordinaire. Il en est de même pour la lumière spirituelle provenant d'une conduite exemplaire: elle éclaire ceux qui ont les yeux de leur esprit obscurcis par l'erreur et qui sont incapables d'apercevoir nettement le chemin de la vertu; elle ôte la chassie des yeux de leur intelligence; elle les met sur la bonne voie et leur permet de suivre désormais le chemin de la vertu.


Alors, en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux. Autrement dit : que votre vertu, que la discipline rigoureuse de votre conduite et de votre pratique des bonnes oeuvres éveillent en ceux qui vous voient le désir de glorifier le Maître universel. Que chacun de vous ait à coeur, je vous en prie, de mener une vie si parfaite qu'elle entraîne tous ceux qui la voient à chanter la louange du Maître. <>


Par votre conduite exemplaire, attirez sur vous la grâce de l'Esprit, si bien que vous deviendrez inexpugnables. Ainsi l'Église se réjouira et exultera de votre progrès; notre Maître à tous sera glorifié et tous nous deviendrons dignes du Royaume des cieux, par la grâce, la miséricorde et l'amour du Fils unique de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient, avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.


Prière

Seigneur Jésus Christ, c'est toi qui es le sel de la terre et la lumière du monde. Mais en ta bonté, tu as voulu que tes disciples le deviennent à leur tour. Donne-leur saveur et rayonnement, pour qu'ils soient auprès de leurs frères les témoins de ta gloire. Toi qui règnes.

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