Entre la colombe et le serpent

Le charmeur de serpent
Jean-Léon Gérôme (Vesoul, 1824 - Paris, 1904)
Huile sur toile, 83, 8 x 122, 1 cm, 1879
Clark Art Institute, Williamstown (Massachusetts, U.S.A.)
Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 9, 36 - 10, 8.16
En ce temps-là, voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. »
Le peintre
Peintre, sculpteur et professeur français. Fils d’orfèvre, il étudie à Paris et peint des compositions mélodramatiques et souvent érotiques, historiques et mythologiques, excellant comme dessinateur dans le style linéaire de Jean-Auguste-Dominique Ingres. A Paris, il a lutté pour survivre, peignant des cartes religieuses et les vendant sur les marches des églises pour. Après quelques années, il est parti pour l’Italie.
À la fin des années 1840, le gouvernement français donna à Gérôme une commande monumentale pour peindre l’Âge d’Auguste, la naissance du Christ. En préparation de cette commande, il a beaucoup voyagé en Europe et en Asie Mineure, documentant les coutumes de diverses régions. Il a passé deux ans à travailler sur la peinture, perfectionnant inlassablement les détails des différents groupes ethniques. Avec l’argent obtenu grâce à ce travail, Gérôme s’est laissé aller et a passé plusieurs mois à voyager et à dessiner en Égypte.
Ses œuvres les plus connues sont des scènes inspirées par ses visites en Egypte. Pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie, il s’est concentré sur la sculpture. Son atelier est devenu un lieu de rencontre pour les artistes, les acteurs et les écrivains, et il a été nommé professeur à l’École des Beaux-Arts. Gérôme est devenu un maître légendaire et respecté, connu pour son esprit sardonique, sa discipline laxiste, ses méthodes d’enseignement régimentées et son extrême hostilité envers les impressionnistes. Il a exercé beaucoup d’influence comme enseignant à l’École des Beaux-Arts; dans ses élèves, nommons Odilon Redon et Thomas Eakins. Ardent défenseur de la tradition académique, il tente en 1893 de bloquer la réception par le gouvernement des œuvres impressionnistes léguées par Gustave Caillebotte.
Provenance du tableau
Le tableau a été vendu par le marchand de Gérôme (Goupil et Cie) en 1880 au collectionneur américain Albert Spencer pour 75 000 francs. Spencer le vendit à Alfred Corning Clark en 1888 pour 19 500 $, qui en 1893 le prêta pour l'exposition à la World's Columbian Exposition de Chicago. Sa femme et héritière Elizabeth Scriven Clark l'ont prêté au Metropolitan Museum of Art avant de le vendre aux Schaus Art Galleries en 1899 pour 10000 $ ou 12000 $, dans une transaction qui aurait également pu impliquer la réception d'une autre œuvre d'art. Il a été acquis en 1902 par August Heckscher pour un prix inconnu, puis racheté par le fils de Clark, Robert Sterling Clark en 1942 pour 500 $ - un exemple frappant de la chute de valeur du travail de Gérôme aux yeux des collectionneurs. (Les prix de son travail ont considérablement rebondi au XXIème siècle, ses peintures se vendant à des millions de dollars.) Depuis 1955, Le Charmeur de serpent fait partie de la collection du Sterling and Francine Clark Art Institute, à Williamstown dans le Massachusetts.
Le Charmeur de serpent a été inclus dans l'exposition The Spectacular Art of Jean-Léon Gérôme (1824–1904) au Getty Museum en 2010 et au Musée d'Orsay en 2010-2011.
Description
Extrait de Wikipedia
La peinture représente un garçon nu debout sur un petit tapis au centre d'une pièce aux murs carrelés de bleu, à l'opposé du spectateur, tenant un python qui s'enroule autour de sa taille et sur son épaule, tandis qu'un homme plus âgé est assis à sa droite jouer de la flûte traversière. La performance est regardée par un groupe hétéroclite d'hommes armés d'une variété de tribus islamiques, avec des vêtements et des armes différents.
L'essai de catalogue de Sarah Lees pour la peinture examine le cadre comme un mélange de la Turquie ottomane et de l'Égypte, et explique également la nudité du jeune charmeur de serpents, non pas comme un affichage érotique, mais pour «éviter les accusations de fraude» dans sa performance: " The Snake Charmer … rassemble des éléments très disparates, voire incompatibles, pour créer une scène dont, comme c'est le cas pour une grande partie de son œuvre, l'artiste n'aurait pu en être témoin. Le serpent charmant ne faisait pas partie de la culture ottomane, mais il était pratiqué dans l'Égypte ancienne et a continué à apparaître dans ce pays au cours du XIXe siècle. Maxime du Camp, par exemple, a décrit avoir été témoin d'un charmeur de serpents au Caire lors de son voyage de 1849-1851 avec Gustave Flaubert en des termes comparables à ceux de Gérôme, y compris la mention du jeune homme se déshabillant afin d'éviter les accusations de fraude. L'artiste a cependant placé cette performance dans un espace hybride et fictif qui dérive de sources turques et égyptiennes identifiables."
Les carreaux bleus sont inspirés des panneaux İznik de l'Altınyol (Golden Passage) et du kiosque de Bagdad du palais de Topkapi à Constantinople. Certaines parties des inscriptions sur les murs ne sont pas faciles à lire, mais la grande frise en haut du tableau, allant de droite à gauche, est parfaitement lisible. Il s'agit du célèbre verset coranique 256 de la sourate II, al-Baqara, La vache, écrite en script thuluth :
Il n'y a pas de contrainte dans la religion - la bonne voie est en effet clairement distincte de l'erreur. Ainsi, quiconque ne croit pas au diable et croit en Allah, il tient en effet la poignée la plus ferme qui ne se cassera jamais. Et Allah entend, sait… ...
L'inscription par la suite est tronquée ... probablement pas un verset coranique ou une dédicace à un calife.
Concernant le serpent représenté, Richard G. Zweifel, un herpétologue de l' American Museum of Natural History a commenté que le serpent ressemble plus à un boa constrictor sud-américain qu'autre chose, une possibilité qui ajouterait encore une autre couche d'hybridité à Gérôme aurait peut-être pu étudier un tel animal au Jardin des Plantes à Paris.
Ce que je vois
Je ne vais pas refaire une description détaillée comme celle que l’on peut lire ci-dessus. Mais plutôt souligner quelques éléments intéressants. On est attiré par ce fond bleu qui évoque immédiatement le monde arabe et nous place dans un dépaysement plaisant. Puis on voit cet homme riche, âgé, armé d’un cimeterre, habillé d’un caftan mordoré et coiffé d’un turban vert. Nonchalant, il a allongé ses jambes et repose ses pieds nus sur un coussin de satin. À ses côtés, plusieurs soldats sont assis au sol, certains casqués et portant une lance. Sûrement sa garde personnelle.
Devant lui, sur un tapis persan déployé sur un sol pavé en cosmatesque de marbre, un jeune garçon nu tient un impressionnant serpent enroulé sur son corps. Il vient de l’extraire du panier d’osier à ses pieds. À sa droite, un vieil homme assis en tailleur et couvert à mi-corps d’un tissu jaune rapiécé et coiffé d’un pauvre turban blanc, joue du ney (flûte persane). À ses côtés, un tombak (tambour persan).
L’enfant, totalement nu, se tient droit, jambes jointes. Sa chevelure est abondante, telle celle d’Absalom. Elle sera sa condamnation ! (2 Sam 18, 9) :
Absalom se retrouva par hasard en face des serviteurs de David. Il montait un mulet, et le mulet s’engagea sous la ramure d’un grand térébinthe. La tête d’Absalom se prit dans les branches, et il resta entre ciel et terre, tandis que le mulet qui était sous lui continuait d’avancer.
De son bras gauche, tendu vers le ciel, le petit charmeur tient la tête du serpent, et de la main droite sa queue. La bêtes est curieusement enroulé autour de l’enfant, comme s’il cherchait à l’étouffer. Et c’est en cela que cet tableau reflète pour moi ce verset d’évangile : cet enfant, nu et pur comme une colombe, aux prises avec ce serpent qui essaye de le maîtriser.
Un ajout
Je dois préciser que j’ai ajouté un verset qui n’est pas cité dans le texte liturgique (verset 16) car il me semble intéressant pour conclure les recommandations du Christ :
Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes.
Bestiaire
Lorsqu’on lit attentivement la Bible, on peut être surpris du nombre de plantes citées, mais aussi d’animaux. Un vrai jardin habité un bestiaire impressionnant. À un tel point que cet arche de Noé sera utilisé dans les innombrables représentations de l’art roman en sculpture mais aussi dans les enluminures. Chaque plante, chaque animal a une signification. Je ne peux que vous inviter à vous reporter aux œuvres de Michel Pastoureau (Bestiaires du Moyen-âge, Paris, 2011).
Cependant, il est important de se rappeler que ces animaux, comme beaucoup de symboles bibliques, ont souvent un double sens. Seul le contexte permet de lever l’équivoque. Prenons le cas du serpent.
Le serpent
Dans l’Ancien Testament, le serpent est en premier lieu le symbole de la connaissance. Mais non pas une connaissance positive, comme on pourrait le penser aujourd’hui, mais une connaissance réservée, sorte d’arcane pour initié. Cette connaissance donne un pouvoir souvent tourné vers le mal. Pensons au serpent tentateur de la Genèse (Gn 3). Ou alors, il est celui qui se transforme en dragon pour dévorer la pureté. C’est bien le cas dans le livre de l’Apocalypse (Ap 12, 9), le même serpent des origines :
Oui, il fut rejeté, le grand Dragon, le Serpent des origines, celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier. Il fut jeté sur la terre, et ses anges furent jetés avec lui.
Sa connaissance devient celle du mensonge (Jn 8, 44) :
Vous, vous êtes du diable, c’est lui votre père, et vous cherchez à réaliser les convoitises de votre père. Depuis le commencement, il a été un meurtrier. Il ne s’est pas tenu dans la vérité, parce qu’il n’y a pas en lui de vérité. Quand il dit le mensonge, il le tire de lui-même, parce qu’il est menteur et père du mensonge.
Il est donc le diable, celui qui introduit la division, le doute et qui empêche tant notre unité intérieure personnelle, que notre union avec les autres et le Tout-Autre. Il faut dire que c’est un être venimeux, qui mord, comme dans le texte des Nombres (Nb 21, 6-9) :
Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie !
Mais on voit aussi le basculement. Celui qui donne la mort devient aussi celui par qui on obtient la vie. Ce serpent d’airain va sauver ceux qui ont été mordus. Qui le regarde aura la vie sauve. jésus lui-même se fera « serpent d’airain » sur La Croix (Jn 3, 14-15) :
De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle.
En regardant Jésus sur La Croix, nous avons la vie sauve. Le péché qui nous avait mordu est pardonné par le regard de miséricorde du Seigneur.
Prudence
Mais alors, pourquoi le Christ nous invite-t-il a être prudent comme le serpent ? il est vrai que cet animal est prudent. Il ne fait aucun bruit pour rester discret, il évalue la force de sa proie avant d’attaquer, il se cache la plupart du temps, même s’il sait la force de son venin. Jésus ne nous demande pas d’être des serpents, mais d’user de sa qualité : la prudence. N’oublions pas que la prudence est une des quatre vertus cardinales !
Une des erreurs spirituelles serait de sombrer dans l’insouciance, croyant que de toutes les façons, Dieu nous protège. Une sorte de quiétisme. Bien sûr, notre foi nous protège. Mais elle doit être active. Relisons l’épître aux Éphésiens (Éph 6, 14-17) :
Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu.
Il ne s’agit pas de s’abandonner à une confiance aveugle. Mais plutôt de revêtir l’équipement nécessaire. Le bouclier de la foi nous protégera contre les traits, les morsures venimeuses du Mauvais. Cependant, comment être protégé si nous ne brandissons pas ce bouclier, si nous le laissons à nos pieds ? Rester aux aguets, rester éveillé comme Jésus le recommandera tant de fois, garder une foi vive (et non éteinte, morte ou endormie) est une vertu de prudence. Force et confiance ne sont pas témérité et insouciance ! Et tirons de ce terrible animal qu’est le serpent cette qualité dont nous avons bien besoin dans un monde parfois venimeux !
La colombe
La colombe, elle, a l’avantage de n’avoir qu’un sens positif dans les deux Testaments. Elle est celle qui rapportera le rameau d’Olivier à Noé (Gn 8, 9-10), elle est celle qui annonce le repos en Dieu (Ps 54, 7-8) :
Alors, j'ai dit : « Qui me donnera des ailes de colombe ? Je volerais en lieu sûr ; loin, très loin, je m'enfuirais pour chercher asile au désert. »
Elle incarne la libération (Os 11, 11) :
Comme un oiseau, tout tremblants, ils viendront de l’Égypte, et comme une colombe, du pays d’Assour ; je les ferai habiter dans leurs maisons, – oracle du Seigneur.
Dans le Cantique des Cantiques, elle incarne l’amour pur de la femme. Et dans le Nouveau Testament, elle est le symbole de l’Esprit-Saint qui fond sur Jésus au jour du baptême (Jn 1, 32-33) :
Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : “Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.”
Évidemment, sa beauté naturelle nous touche, ne serait-ce que par sa blancheur immaculée. Elle nous apparaît immédiatement comme le signe de la pureté, de l’innocence. Comme cet enfant qui tient le serpent : pureté de son corps, de sa peau, de son âge. Innocence de son geste qui tient en lui le Malin sans ni s’en formaliser, ni en avoir peur. C’est sa candeur. Une candeur qui fait peur aux adultes que nous sommes. Ou peut-être qui nous fait envie, ce désir de retrouver cet état de l’enfance.
Candeur et prudence
L’enfant, lui, n’est pas prudent. C’est une notion qu’il ne connaît pas. Il peut même en être stupéfait. Et nous, adultes, c’est l’innocence que nous avons oubliée, étouffée. Ainsi, à quoi le Christ nous appelle-t-il ? Non pas à être l’un ou l’autre. Mais à être l’un et l’autre. Non pas à redevenir des enfants dans le sens physique du terme, mais à retrouver notre candeur, notre confiance sans borne de l’enfant. Non pas à nous jeter dans le nid du serpent, mais à croire que, avec un peu de prudence d’adulte, un peu de confiance candide d’enfant, nous pourrons le tenir, comme sur le tableau. Et que même s’il cherche à nous étouffer, nous pureté baptismale nous protègera.
Nous ne pourrons pas l’éviter ce serpent du mal dans nos vies. Nul n’échappe au mal. Mais Jésus vient nous dire que ce n’est pas par la force, le pouvoir que nous le maîtriserons mais par la confiance et la prudence. C’est en cela que ce tableau illustre pour moi avec merveille ce verset.
Si je lui tient la queue (in cauda venenum), si je maîtrise sa tête (son regard hypnotique), il aura beau s’enrouler autour de moi, je résisterai, avec le bouclier de la foi. Même nu, je suis protégé par Dieu. Il me l’a promis (Is 11, 1-9) :
Un rameau sortira de la souche de Jessé, père de David, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur – qui lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne jugera pas sur l’apparence ; il ne se prononcera pas sur des rumeurs. Il jugera les petits avec justice ; avec droiture, il se prononcera en faveur des humbles du pays. Du bâton de sa parole, il frappera le pays ; du souffle de ses lèvres, il fera mourir le méchant. La justice est la ceinture de ses hanches ; la fidélité est la ceinture de ses reins. Le loup habitera avec l’agneau, le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront même pâture, leurs petits auront même gîte. Le lion, comme le bœuf, mangera du fourrage. Le nourrisson s’amusera sur le nid du cobra ; sur le trou de la vipère, l’enfant étendra la main. Il n’y aura plus de mal ni de corruption sur toute ma montagne sainte ; car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer.
Conclusion biblique
Jésus nous rassure : « Voici que moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme les serpents, et candides comme les colombes. » (Mt 10, 16) Saint Paul confirme : « Votre obéissance est connue de tous, et je m’en réjouis pour vous ; mais je veux que vous soyez avisés en vue du bien, et sans compromission avec le mal. » (Rm 16, 19) « Et puisque nous avons une telle espérance, c’est avec grande assurance que nous nous comportons ; nous ne sommes pas comme Moïse qui mettait un voile sur son visage pour empêcher les fils d’Israël de voir la fin de ce rayonnement passager. Mais leurs pensées se sont endurcies. Jusqu’à ce jour, en effet, le même voile demeure quand on lit l’Ancien Testament ; il n’est pas retiré car c’est dans le Christ qu’il disparaît ; et aujourd’hui encore, quand les fils d’Israël lisent les livres de Moïse, un voile couvre leur cœur. Quand on se convertit au Seigneur, le voile est enlevé. Or, le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Cor 3, 12-18) « Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous. » (Phil 4, 8-9)
Une moniale des Fraternités monastiques de Jérusalem
À quoi ressemble le chrétien ? au serpent ou à la colombe ? Est-il cet homme averti qui sait qu’il faut craindre «celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne» (Luc 11,5), ou bien n’est-il pas plutôt cet homme qui repose, paisible, entre les mains de Dieu, puisqu’il veille sur tout ; nos «cheveux même» ne sont-ils pas «tous comptés» (Luc 12,7) ? La réponse que Jésus donne aujourd’hui ne nous permet pas de choisir. Il faut, dit l’évangile selon saint Matthieu, se montrer «prudent comme le serpent et candide comme la colombe» (Matthieu 10,16) ; l’un et l’autre. Le disciple de Jésus n’est ni un enfant prolongé qui cacherait son irresponsabilité derrière la Providence, ni un angoissé tout bardé de méfiance et de précautions, rongé qu’il est par la crainte de perdre sa vie. Non, à celui qui veut être son disciple, Jésus propose une double exigence : le saut dans la confiance et la vigilance du cœur. «Rien n’est voilé qui ne sera révélé» (Luc 12,2) ; tel il est dans le secret du cœur, tel il doit être à la face du monde. La Bonne Nouvelle est une lumière faite pour briller, non pour être «cachée sous le boisseau» (Luc 11,33). Le vrai disciple – par opposition aux pharisiens qui sont «comme les tombeaux que rien ne signale et sur lesquels on marche sans le savoir» (Luc 11,44) – est «lumineux tout entier» (Luc 11,36). Candide mais prudent, ni naïf ni crédule, il peut mettre toute sa confiance en Dieu, tout en gardant résolument allumée la lampe de sa vigilance pour ne pas être séparé de lui. «Soyez donc sans crainte !», nous dit Jésus (Luc 12,7) : le Père vous aime et il vous conduit vers la vraie vie.
Cyprien de Carthage - De unitate Ecclesiae (PL 4,495)
Quand le Christ nous ordonne d'être simples par l'innocence mais prudents avec simplicité, qu'est-ce à dire, sinon que nous devons prévoir, veiller d'un coeur qui se tient sur ses gardes, discerner et craindre les embûches de l'ennemi pervers ? Nous qui avons revêtu le Christ, Sagesse de Dieu, oublierions-nous cette Sagesse quand il s'agit de protéger notre salut? ... La sécurité est mieux gardée quand le danger est reconnu. L’ennemi que nous avons à craindre serpente par des voies indirectes, et c'est pourquoi il a reçu le nom de serpent. C'est ainsi qu'au principe du monde il a trompé par des paroles flatteuses les âmes inexpérimentées, crédules et imprudentes.
Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Homélie sur la moisson abondante, 10, 2-3; PG 63, 519-521.
Tous les travaux de l'agriculteur aboutissent naturellement à la moisson. Comment donc, dis-moi, le Christ a-t-il appelé une oeuvre qui en était encore à ses débuts une moisson? L'idolâtrie régnait sur toute la terre. <> Partout, la fornication, l'adultère, la débauche, la cupidité, le vol, les guerres. <> La terre était emplie de tant de maux! Aucune semence n'y avait encore été jetée. Les épines, les chardons et les mauvaises herbes, qui recouvraient le sol, n'avaient pas encore été arrachés. Aucune charrue n'avait encore été tirée, aucun sillon tracé.
Comment donc Jésus peut-il dire que la moisson est abondante? Oui, comment donne-t-il ce nom à l'Évangile dans de telles circonstances juste avant d'envoyer ses Apôtres partout dans ce monde? Ils sont probablement bouleversés et déconcertés, ils doivent se faire ces réflexions: "Comment pourrons-nous même ouvrir la bouche, nous tenir debout, discuter, paraître devant tant de milliers d'hommes? Nous, les Onze, comment corrigerons-nous tous les habitants de la terre? Saurons-nous, ignorants, aborder des savants; nous, qui sommes dépouillés, des hommes armés; nous, des subordonnés, des autorités? Nous qui ne connaissons qu'une langue, arriverons-nous à discuter dans tant de dialectes, avec les peuples barbares qui parlent des langues étrangères? Qui nous supportera sans même comprendre notre langue?"
Jésus ne veut pas que de pareils raisonnements les plongent dans le désarroi. Aussi appelle-t-il l'Évangile une moisson. C'est comme s'il leur disait: "Tout est préparé, toutes les dispositions ont été prises. Je vous envoie récolter le grain mûr, vous pourrez semer et moissonner le même jour. "
Quand l'agriculteur sort de chez lui pour aller faire la moisson, il déborde de joie et resplendit de bonheur. Il n'envisage ni les peines ni les difficultés qu'il pourra rencontrer. Ayant en tête la moisson qui va lui revenir, il court, se hâte de faire la récolte annuelle. Absolument rien ne peut le retenir, l'empêcher ou le faire douter de l'avenir: ni pluie, ni grêle, ni sécheresse, ni légions de sauterelles malfaisantes. Ceux qui s'apprêtent à moissonner ne connaissent pas ces inquiétudes, si bien qu'ils se mettent au travail en dansant et en bondissant de joie.
Vous devez être comme eux et aller par toute la terre avec une joie beaucoup plus grande encore. C'est la moisson qui l'emporte. La moisson que vous avez à faire est très facile, elle vous attend sur des champs tout préparés. Le seul effort qui vous est demandé est de parler. Prêtez-moi votre langue, dit le Christ, et vous verrez le grain mûr entrer dans les greniers du roi. Aussi les envoie-t-il ensuite en leur disant: Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20).
Prière
Seigneur notre Maître, tu as eu pitié de ton peuple délaissé par ses chefs. Suscite aujourd'hui pour ta moisson des ouvriers en plus grand nombre, afin que soit proclamée partout ta Bonne Nouvelle et manifestée ta volonté de soulager toute détresse. Par Jésus Christ.