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XIe dimanche du temps ordinaire (A)

Un royaume de prêtres, une nation sainte… -



Le chemin des élus,

Enlumineur du scriptorium de Reichenau,

Enluminure sur parchemin, 25 x 18,5 cm, vers l’an 1000,

Msc Bibl. 22, folio 4v,

Bibliothèque d’État, Bamberg (Allemagne)


Lecture du livre de l’Exode (Ex 19, 2-6a)

En ces jours-là, les fils d’Israël arrivèrent dans le désert du Sinaï, et ils y établirent leur camp juste en face de la montagne. Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l’appela du haut de la montagne : « Tu diras à la maison de Jacob, et tu annonceras aux fils d’Israël : Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. »


Psaume 99 (100), 1-2, 3, 5)

Acclamez le Seigneur, terre entière, servez le Seigneur dans l’allégresse, venez à lui avec des chants de joie !

Reconnaissez que le Seigneur est Dieu : il nous a faits, et nous sommes à lui, nous, son peuple, son troupeau.

Oui, le Seigneur est bon, éternel est son amour, sa fidélité demeure d’âge en âge.


Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 5, 6-11)

Frères, alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. À plus forte raison, maintenant que le sang du Christ nous a fait devenir des justes, serons-nous sauvés par lui de la colère de Dieu. En effet, si nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils alors que nous étions ses ennemis, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, serons-nous sauvés en ayant part à sa vie. Bien plus, nous mettons notre fierté en Dieu, par notre Seigneur Jésus Christ, par qui, maintenant, nous avons reçu la réconciliation.


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 9, 36 – 10, 8)

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Alors Jésus appela ses douze disciples et leur donna le pouvoir d’expulser les esprits impurs et de guérir toute maladie et toute infirmité. Voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon, nommé Pierre ; André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le publicain ; Jacques, fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélote et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra. Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Sur votre route, proclamez que le royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »


Le manuscrit

Le manuscrit a été peint aux environs de l'an mil au sein de l'abbaye de Reichenau, sur le lac de Constance, au sud de la Bavière. Stylistiquement, il appartient au groupe de manuscrits dits de Liuthar, du nom d'un scribe ayant laissé son nom dans un évangéliaire actuellement conservé à Aix-la-Chapelle. Alors qu'il devait être conservé au sein de la bibliothèque impériale, il est envoyé à la cathédrale de Bamberg, deux inscriptions au début du manuscrit, datées de 1108 et 1122, mentionnent l'évêque Othon de Bamberg. En 1803, les manuscrits de la bibliothèque épiscopale sont réunis au sein de la nouvelle bibliothèque d'État de Bamberg.


En 2003, le manuscrit est inscrit au registre de la Mémoire du monde par l'UNESCO avec neuf autres manuscrits produits à Reichenau à l'époque ottonienne.


Le folio

Le manuscrit contient quatre grandes miniatures qui s'étendent chacune sur une double page dont la première (f.4v-5r) illustre le début du commentaire du Cantique des cantiques : la miniature de gauche représente une procession de personnages allant du baptême à l'union eucharistique avec le Christ.


Ce que je vois

J’ai déjà rapidement montré ce folio lors de l’homélie du IIIe dimanche de l’Avent (A). Un chemin qui débute au baptême et se termine à la Croix. Un chemin empli d’une foule diverse et bigarrée, de laïcs, de religieux, de prêtres, d’évêques, de rois et de princes, de femmes et d’hommes. C’est tout le peuple de Dieu qui est en route vers l’union avec le Christ, ce peuple de saints, cette nation de prêtres comme l’a dit la première lecture. Un parcours d’autant plus curieux qu’il donne l’impression de démarrer sur terre avec cette bande brune, puis aller directement vers le ciel par ce chapelet de petits nuages. Dès que nous sommes baptisés nous prenons le chemin du ciel. Le baptême n’est pas que la porte d’entrée de la vie chrétienne, terrestre, c’est surtout le passage primordiale vers la vie céleste. Un parcours que nous ne faisons pas seuls, mais en communauté, en Église. En Église, car nous sommes « convoqués » par le Christ à le rejoindre au ciel, appelés à la déification. Un chemin qui est aussi en spirale. N’oublions pas que le mot « spirale » a la même racine que « spirituel », esprit. C’est dans le souffle tournant de l’Esprit que nous entreprenons notre ascension. Ce ruban évoque même, à mes yeux, le ruban de Möbius, ce ruban qui retourne sur lui-même, n’ayant qu’une seule face. Une seule face qui nous mène continuellement à l’eucharistie, à la participation au calice que l’Église (ici personnifiée en jeune femme) tend à chacun d’entre-nous. Et cette communion continuelle et infinie trouvera son apogée en notre entrée définitive au Royaume des cieux. Car, tous, nous sommes une Église de saints, tous portent l’auréole. Tous nous sommes une nation de prêtres, c’est-à-dire d’anciens au service de Dieu par l’annonce de sa Parole, par la participation aux sacrements, et en guidant le peuple qu’il nous a confié, que ce soit une paroisse, un diocèse ou notre famille.


Ce chemin démarre par la plongée dans les eaux baptismales. Mais avant la participation à la Croix et à l’union eucharistique, quatre femmes, ou plus exactement trois plus une, nous précèdent. Comment ne pas se rappeler le psaume 84 ,


02 Tu as aimé, Seigneur, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob ;

03 tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute ;

04 tu as mis fin à toutes tes colères, tu es revenu de ta grande fureur.

05 Fais-nous revenir, Dieu, notre salut, oublie ton ressentiment contre nous.

06 Seras-tu toujours irrité contre nous, maintiendras-tu ta colère d'âge en âge ?

07 N'est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ?

08 Fais-nous voir, Seigneur, ton amour, et donne-nous ton salut.

09 J'écoute : que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu'il dit, c'est la paix pour son peuple et ses fidèles ; qu'ils ne reviennent jamais à leur folie !

10 Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre.

11 Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s'embrassent ;

12 la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.

13 Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit.

14 La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.


N’est-ce pas justice et paix que nous voyons s’embrasser ? Et vérité qui ouvre la marche suivie de paix ? Relisez ce psaume en regardant l’enluminure : elle est la parfaite illustration ! C’est bien ce que le Seigneur a promis à Moïse, et par ce récit de l’Exode, à chacun d’entre-nous :

« Tu diras à la maison de Jacob, et tu annonceras aux fils d’Israël : Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Égypte, comment je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples, car toute la terre m’appartient ; mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. »

Portés sur les ailes d’un aigle

Cette déclaration divine mérite d’être regardée plus en détail. Vous vous rappelez certainement la parabole du petit oiseau de Thérèse de Lisieux (en annexe) : elle sait qu’elle n’est qu’un pauvre petit oiseau qui manque de force et qui n’a pas les ailes pour s’envoler vers les cieux dont elle rêve. Convaincue de sa faiblesse, elle attend que le grand aigle divin vienne la prendre sur ses ailes pour l’emmener à l’empyrée. C’est bien ce que Dieu révèle à Moïse : « je vous ai portés comme sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. » En fait, l’espérance de Thérèse s’est déjà réalisée. Il nous a déjà porté sur ses ailes, depuis notre baptême. Il nous a déjà amené jusqu’à lui et continue de le faire à chaque sacrement. Jésus ne l’avait-il pas promis à ses disciples avant de partir vers les cieux (Mt 28, 20) : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » ? Tous les jours il marche à nos côtés ; tous les jours, il nous tend ses ailes pour nous emmener aux cieux. Tous les jours, il veut nous délivrer de nos esclavages. Et il a déjà fait sa demeure en nos âmes depuis notre baptême : jamais il ne nous abandonnera. À deux reprises, le prophète Isaïe nous assure de cette présence discrète mais indéfectible :

Is 63, 9 : « Dans son amour et sa compassion, lui-même les racheta ; il s’est chargé d’eux et les a portés tous ces jours d’autrefois. »
Is 46, 3-4 : « Écoutez-moi, maison de Jacob, tout ce qui reste de la maison d’Israël, vous qui êtes pris en charge dès avant la naissance et portés dès le sein maternel : jusqu’à votre vieillesse, moi, Je suis ; jusqu’à vos cheveux blancs, je vous soutiendrai. Moi, j’ai agi, c’est moi qui porterai, moi qui soutiendrai et délivrerai. »

Tous les jours, il est à nos côtés. Tous les jours, il marche avec nous. Tous les jours, il nous protège tel un aigle. Tous les jours il fait sa demeure en nous (Jn 14, 23) : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » Le tout est de se le rappeler ! Comme dans ce petit poème brésilien que nous entendons parfois lors des obsèques :

Cette nuit, j'ai eu un songe : Je cheminais sur la plage accompagné du Seigneur. Des traces dans le sable rappelaient le parcours de ma vie; les pas du Seigneur et les miens. Ainsi nous avancions tous deux jusqu'à la fin du voyage. Parfois une empreinte unique était marquée, c'était la trace des jours les plus difficiles, des jours de plus grande angoisse, de plus grande peur, de plus grande douleur. J’ai appelé : « Seigneur, tu as dit que étais avec moi tous les jours de ma vie, j'ai accepté de vivre avec toi. Pourquoi m’avoir laissé seul aux pires moments ? » Il m'a répondu : « Mon fils, je te l'ai dit : Je serai avec toi tout au long de la route. J'ai promis de ne pas te quitter. T'ai-je abandonné ? Quand tu ne vois qu'une trace sur le sable c'est que, ce jour-là c'est moi qui t'ai porté. »

Moins prosaïquement, Rupert de Deutz (1075-1130) écrivait (PL 167,674) :

« S'il était juste de rappeler cela aux Israélites afin qu'ils ne soient pas ingrats, combien plus devons-nous rappeler que, délivrés de nos péchés par une grâce plus magnifique, le Dieu fait homme nous a portés jusqu'au Mont Sion et à la Cité du Dieu Vivant, la Jérusalem céleste ? Il nous a portés comme sur des ailes d'aigle, volant d'emblée au Plus haut et portant puissamment ses petits, et « les prenant sur lui » afin que la où il est nous soyons nous aussi. »

Maintenant donc, si vous écoutez ma voix et gardez mon alliance, vous serez mon domaine particulier parmi tous les peuples…

Devenir le « domaine particulier » du Seigneur, qu’est-ce à dire ? Est-ce une élection qui ferait de nous des personnes meilleures que les autres ? Des gens aptes à être sauvés à la différence des autres ? Dans un sens oui, comme l’affirme saint Pierre (1 P 2, 9-10) :

Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. Autrefois vous n’étiez pas un peuple, mais maintenant vous êtes le peuple de Dieu ; vous n’aviez pas obtenu miséricorde, mais maintenant vous avez obtenu miséricorde.

Mais, notez bien, rien n’est gagné ! La balle est dans notre camp… Comme le dit saint Paul (Rm 8, 24) : « Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ». À nous de transformer cette espérance, avec la grâce de Dieu, en réalité. Si nous avons été choisis, ce n’est pas pour nous enorgueillir. Aucune Légion d’Honneur ne nous est décernée en tant que chrétiens. C’est, au contraire, un choix parce que Dieu sait que nous sommes capables de nous offrir en sacrifice pour Lui et nos frères. Comment ne pas penser au drame d’Annecy… Un domaine particulier car Dieu fait de nous sa « milice », ses soldats, ses chevaliers. Des chevaliers de France, comme dans cette prière du Père Sevin, jésuite :


Prière à Monseigneur Saint Louis

Sire le Roi, qui envoyiez vos plus beaux chevaliers

en escoute à la pointe de l'armée chrétienne,

daignez vous souvenir d'un fils de France

qui voudrait se hausser jusqu'à vous

pour mieux servir sire Dieu et dame sainte Église.

Donnez-moi du péché mortel

plus d'horreur que n'en eut Joinville qui pourtant fut bon chrétien,

et gardez-moi pur comme les lys de votre blason.

Vous qui teniez votre parole, même donnée à un infidèle,

faites que jamais mensonge ne passe ma gorge,

dût franchise me coûter la vie.

Preux inhabile aux reculades,

coupez les ponts à mes feintises,

et que je marche toujours au plus dru.

Ô le plus fier des barons français,

inspirez-moi de mépriser les pensées des hommes

et donnez-moi le goût de me compromettre

et de me croiser pour l'honneur du Christ.

Enfin, Prince, Prince au grand cœur,

ne permettez pas que je sois jamais médiocre, mesquin ou vulgaire,

mais partagez-moi votre cœur royal

et faites qu'à votre exemple je serve à la française, royalement.

Ainsi soit-il.


Si nous avons été choisis, si nous sommes membres de son domaine particulier, c’est pour être prêts à nous sacrifier afin d’élever les autres jusqu’à Dieu. Mais cela ne sera possible que si nous gardons son Alliance, s’il est continuellement non pas simplement à nos côtés, mais plus encore EN nous, si nous sommes donc enthousiastes ! Et ce n’est pas pour demain, c’est maintenant, donc…


Vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte…

Voilà notre destinée : devenir un royaume de prêtres. Relisons saint Pierre (1 P 2, 9-10) qui en donne le meilleur commentaire :

Mais vous, vous êtes une descendance choisie, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple destiné au salut, pour que vous annonciez les merveilles de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. Autrefois vous n’étiez pas un peuple, mais maintenant vous êtes le peuple de Dieu ; vous n’aviez pas obtenu miséricorde, mais maintenant vous avez obtenu miséricorde.

Parce que Dieu nous a choisis (rappelez-vous Jn 15, 16 : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. »), il fait de nous un peuple de prêtres, un peuple au service de son Église, un peuple chargé d’annoncer sa Parole, de célébrer le pardon et la rémission des péchés, un peuple appelé à guider ses frères vers le salut. Et cela n’est pas réservé au sacerdoce ordonné mais à tous, au sacerdoce commun des fidèles.


Dieu, en effet, nous a illuminés intérieurement. Comment pourrions-nous laisser cette lumière sous le boisseau ? Elle doit illuminer le monde. Dieu nous donne la saveur du sel dans un monde insipide. Comment pourrions-nous nous dénaturer ? Dieu nous a constitués peuple, et peuple de Dieu. Comment pourrions-nous rester seuls ? Et Dieu nous appelle à tous devenir des saints. Comment pourrions-nous refuser ce rêve ? Léon Bloy disait dans La femme pauvre :

Il n'y a qu'une tristesse, c'est de n'être pas des saints !



Seigneur, je veux être un saint - Pierre Lyonnet

« Seigneur, je rends les armes et je m'abandonne à vous. Pour vous aimer, je ne sais plus m'y prendre, et décidément, ce qui me retarde le plus dans mon élan, c'est de vouloir me frayer seul ma route et de me confier en mes propres moyens. Vous avez beau déjouer mes plans et renverser d'un souffle mes échafaudages, je conserve sur ce point une opiniâtreté incorrigible : je serai le saint que j'ai prévu et j'ai fait mon portrait d'avance ; n'ayez de crainte, Seigneur, j'ai bien tout contrôlé, jusqu'à mes attitudes et les circonstances où se déve¬loppera ma splendide vertu. Mais à la longue, à force de voir crouler tant de rêves, après tant de résolutions manquées, de projets avortés et de lendemains si différents de ce qui était prévu au programme, oui, il faut bien Vous rendre les armes et Vous dire : Seigneur, je veux Vous aimer, être un saint, mais celui que Vous voudrez et par les chemins que Vous choisirez. Je renonce aux projets vaniteux de façonner ma propre maquette. Et voici que j'ai trouvé la paix tranquille, car il n'est plus pour moi de désillusions. Pour qui vous aime sans conditions, Seigneur, il n'y a plus de déceptions, ni rien d'imprévu, et jamais personne d'indésirable, mais seule Votre Volonté, partout, très adorable.

Et voilà pourquoi je salue ma soeur la maladie avec un sourire joyeux et je veux chanter un Alléluia ! Car pour aller à Vous, Seigneur, c'est le seul moyen que je n'avais pas prévu, le seul chemin que je n'aurais jamais choisi.

Seigneur, parce que tous mes plans sont bouleversés et que je ne peux plus raisonner. Je ne peux que Vous tendre les bras, et c'est justement ce que Vous attendiez. »

Thérèse de Lisieux, La parabole du petit oiseau - Histoire d'une âme, Manuscrits autobiographiques, Manuscrit B, folios B4v-B5v

« Comment une âme aussi imparfaite que la mienne peut-elle aspirer à posséder la plénitude de l’Amour ?… Ô Jésus ! mon premier, mon seul Ami, toi que j’aime uniquement, dis-moi quel est ce mystère ? Moi, je me considère comme un faible petit oiseau couvert seulement d’un léger duvet, je ne suis pas un aigle, j’en ai simplement les yeux et le cœur car malgré ma petitesse extrême j’ose fixer le Soleil divin, le Soleil de l’Amour et mon cœur sent en lui toutes les aspirations de l’Aigle… Le petit oiseau voudrait voler vers ce brillant Soleil qui charme ses yeux, il voudrait imiter les Aigles ses frères qu’il voit s’élever jusqu’au foyer divin de la Trinité Sainte… hélas ! tout ce qu’il peut faire, c’est de soulever ses petites ailes, mais s’envoler, cela n’est pas en son petit pouvoir ! que va-t-il devenir ? mourir de chagrin se voyant aussi impuissant ?… Oh non ! le petit oiseau ne va pas même s’affliger. Avec un audacieux abandon, il veut rester à fixer son divin Soleil ; rien ne saurait l’effrayer, ni le vent, ni la pluie et si de sombres nuages viennent à cacher l’Astre d’Amour, le petit oiseau ne change pas de place, il sait que par-delà les nuages son Soleil brille toujours, que son éclat ne saurait s’éclipser un seul instant. Parfois, il est vrai, le cœur du petit oiseau se trouve assailli par la tempête, il lui semble ne pas croire qu’il existe autre chose que les nuages qui l’enveloppent ; c’est alors le moment de la joie parfaite pour le pauvre petit être faible. Quel bonheur pour lui de rester là quand même, de fixer l’invisible lumière qui se dérobe à sa foi !!!…


« Jésus, jusqu’à présent, je comprends ton amour pour le petit oiseau, puisqu’il ne s’éloigne pas de toi… mais je le sais et tu le sais aussi, souvent, l’imparfaite petite créature tout en restant à sa place (c’est-à-dire sous les rayons du Soleil), se laisse un peu distraire de son unique occupation, elle prend une petite graine à droite et à gauche, court après un petit ver… puis rencontrant une petite flaque d’eau elle mouille ses plumes à peine formées, elle voit une fleur qui lui plaît, alors son petit esprit s’occupe de cette fleur… enfin ne pouvant planer comme les aigles, le pauvre petit oiseau s’occupe encore des bagatelles de la terre. Cependant après tous ses méfaits, au lieu d’aller se cacher dans un coin pour aller pleurer sa misère et mourir de repentir, le petit oiseau se tourne vers son Bien Aimé Soleil, il présente à ses rayons bienfaisants ses petites ailes mouillées, il gémit comme l’hirondelle et dans son doux chant il confie, il raconte en détail ses infidélités, pensant dans son téméraire abandon acquérir ainsi plus d’empire, attirer plus pleinement l’amour de Celui qui n’est pas venu appeler les justes mais les pécheurs…


Si l’Astre adoré demeure sourd aux gazouillements plaintifs de sa petite créature, s’il reste voilé… eh bien ! la petite créature reste mouillée, elle accepte d’être transie de froid et se réjouit encore de cette souffrance qu’elle a cependant méritée… Ô Jésus ! que ton petit oiseau est heureux d’être faible et petit, que deviendrait-il s’il était grand ?… Jamais il n’aurait l’audace de paraître en ta présence, de sommeiller devant toi… oui, c’est là encore une faiblesse du petit oiseau lorsqu’il veut fixer le divin Soleil et que les nuages l’empêche de voir un seul rayon, malgré lui ses petits yeux se ferment, sa petite tête se cache sous la petite aile et le pauvre petit être s’endort, croyant toujours fixer son Astre chéri. A son réveil, il ne se désole pas, son petit cœur reste en paix, il recommence son office d’amour, il invoque les Anges et les Saints qui s’élèvent comme des Aigles vers le Foyer dévorant, objet de son envie et les Aigles prenant en pitié leur petit frère, le protègent, le défendent et mettent en fuite les vautours qui voudraient le dévorer. Les vautours, images des démons, le petit oiseau ne les craint pas, il n’est point destiné à devenir leur proie, mais celle de l’Aigle qu’il contemple au centre du Soleil d’Amour. »


« Ô Verbe divin, c’est toi l’Aigle adoré que j’aime et qui m’attire, c’est toi qui t’élançant vers la terre d’exil as voulu souffrir et mourir afin d’attirer les âmes jusqu’au sein de l’Eternel Foyer de la Trinité Bienheureuse, c’est toi qui remontant vers l’inaccessible Lumière qui sera désormais ton séjour, c’est toi qui reste encore dans la vallée des larmes, caché sous l’apparence d’une blanche hostie… Aigle Eternel, tu veux me nourrir de ta divine substance, moi, pauvre petit être, qui rentrerais dans le néant si ton divin regard ne me donnait la vie à chaque instant… Ô Jésus ! laisse-moi dans l’excès de ma reconnaissance, laisse-moi te dire que ton amour va jusqu’à la folie… Comment veux-tu devant cette Folie, que mon cœur ne s’élance pas vers toi ? Comment ma confiance aurait-elle des bornes… Ah ! pour toi, je le sais, les Saints ont fait aussi des folies, ils ont fait de grandes choses puisqu’ils étaient des aigles…


« Jésus, je suis trop petite pour faire de grandes choses… et ma folie à moi, c’est d’espérer que ton Amour m’accepte comme victime… Ma folie consiste à supplier les aigles mes frères de m’obtenir la faveur de voler vers le Soleil de l’Amour avec les propres ailes de l’Aigle Divin…


« Aussi longtemps que tu le voudras, ô mon Bien-Aimé, ton petit oiseau restera sans forces et sans ailes, toujours il demeurera les yeux fixés sur toi, il veut être fasciné par ton regard divin, il veut devenir la proie de ton Amour… Un jour, j’en ai l’espoir, Aigle adoré, tu viendras chercher ton petit oiseau, et remontant avec lui au Foyer de l’Amour, tu le plongeras pour l’éternité dans le brûlant Abîme de cet Amour auquel il s’est offert en victime……….


« Ô Jésus ! que ne puis-je dire à toutes les petites âmes combien ta condescendance est ineffable…je sens que si par impossible tu trouvais une âme plus faible, plus petite que la mienne, tu te plairais à la combler de faveurs plus grandes encore, si elle s’abandonnait avec une entière confiance à ta miséricorde infinie. Mais pourquoi désirer communiquer tes secrets d’amour, ô Jésus, n’est-ce pas toi seul qui me les as enseignés et ne peux-tu pas les révéler à d’autres ?… Oui, je le sais, et je te conjure de le faire, je te supplie d’abaisser ton regard divin sur un grand nombre de petites âmes… Je te supplie de choisir une légion de petites victimes dignes de ton AMOUR !

Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Homélie sur la moisson abondante, 10, 2-3; PG 63, 519-521.

Tous les travaux de l'agriculteur aboutissent naturellement à la moisson. Comment donc, dis-moi, le Christ a-t-il appelé une oeuvre qui en était encore à ses débuts une moisson ? L'idolâtrie régnait sur toute la terre. <> Partout, la fornication, l'adultère, la débauche, la cupidité, le vol, les guerres. <> La terre était emplie de tant de maux ! Aucune semence n'y avait encore été jetée. Les épines, les chardons et les mauvaises herbes, qui recouvraient le sol, n'avaient pas encore été arrachés. Aucune charrue n'avait encore été tirée, aucun sillon tracé.


Comment donc Jésus peut-il dire que la moisson est abondante ? Oui, comment donne-t-il ce nom à l'Évangile dans de telles circonstances juste avant d'envoyer ses Apôtres partout dans ce monde ? Ils sont probablement bouleversés et déconcertés, ils doivent se faire ces réflexions : "Comment pourrons-nous même ouvrir la bouche, nous tenir debout, discuter, paraître devant tant de milliers d'hommes ? Nous, les Onze, comment corrigerons-nous tous les habitants de la terre ? Saurons-nous, ignorants, aborder des savants ; nous, qui sommes dépouillés, des hommes armés ; nous, des subordonnés, des autorités ? Nous qui ne connaissons qu'une langue, arriverons-nous à discuter dans tant de dialectes, avec les peuples barbares qui parlent des langues étrangères ? Qui nous supportera sans même comprendre notre langue ?"


Jésus ne veut pas que de pareils raisonnements les plongent dans le désarroi. Aussi appelle-t-il l'Évangile une moisson. C'est comme s'il leur disait : "Tout est préparé, toutes les dispositions ont été prises. Je vous envoie récolter le grain mûr, vous pourrez semer et moissonner le même jour. "


Quand l'agriculteur sort de chez lui pour aller faire la moisson, il déborde de joie et resplendit de bonheur. Il n'envisage ni les peines ni les difficultés qu'il pourra rencontrer. Ayant en tête la moisson qui va lui revenir, il court, se hâte de faire la récolte annuelle. Absolument rien ne peut le retenir, l'empêcher ou le faire douter de l'avenir: ni pluie, ni grêle, ni sécheresse, ni légions de sauterelles malfaisantes. Ceux qui s'apprêtent à moissonner ne connaissent pas ces inquiétudes, si bien qu'ils se mettent au travail en dansant et en bondissant de joie.


Vous devez être comme eux et aller par toute la terre avec une joie beaucoup plus grande encore. C'est la moisson qui l'emporte. La moisson que vous avez à faire est très facile, elle vous attend sur des champs tout préparés. Le seul effort qui vous est demandé est de parler. Prêtez-moi votre langue, dit le Christ, et vous verrez le grain mûr entrer dans les greniers du roi. Aussi les envoie-t-il ensuite en leur disant : Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde (Mt 28,20).


Prière

Dieu tout-puissant, force de ceux qui espèrent en toi, sois favorable à nos appels ; puisque l'homme est fragile et que sans toi il ne peut rien, donne-nous toujours le secours de ta grâce ; ainsi nous pourrons, en observant tes commandements, vouloir et agir de manière à répondre à ton amour. Par Jésus Christ.

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