Seul avec le Seul… -

Les lamentations de Jérémie,
Jean Gilbert MURAT (Felletin, 1807 - Paris, 1863),
Huile sur toile, 30 x 45 cm, 1844,
Collégiale Saint-Léonard, Saint-Léonard de Noblat (France)
Lecture du livre du prophète Jérémie (Jr 20, 10-13)
Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire... Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. Leur défaite les couvrira de honte, d’une confusion éternelle, inoubliable. Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c'est à toi que j’ai remis ma cause. Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants.
Psaume 68 (69), 8-10, 14.17, 33-35)
C’est pour toi que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage : je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi.
Et moi, je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ; dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi.
Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Que le ciel et la terre le célèbrent, les mers et tout leur peuplement !
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 5, 12-15)
Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n'en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 10, 26-33)
En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. »
Le peintre
Élève de Jean-Baptiste Regnault, de Merry-Joseph Blondel et de Louis Hersent à l'École des Beaux-arts de Paris, Jean Murat connut de brillants débuts. La Veuve au tombeau de son mari mort pour la liberté, Circé, Eucharis, Charles VII et Agnès Sorel, ainsi que quelques portraits qu'il exposa de 1831 à 1835, l'avaient déjà fait connaître du public lorsqu'il remporta en 1837 un second grand prix de Rome en peinture pour son Noé faisant un sacrifice au sortir de l'arche.
À son retour d'Italie, Murat fixa son atelier à Paris, où il continua à s'adonner à la peinture historique et religieuse. Parmi les œuvres qu'il exposa au Salon de peinture, on peut citer : Agar dans le désert (1842), qui lui valut une Deuxième médaille, les Lamentations de Jérémie (1844), pour lesquelles il obtint une Première médaille, Numa écrivant ses lois (1846), Abraham recevant les trois anges (1849), le Christ prêchant la charité (1853), etc. Outre ces tableaux, il réalisa des travaux décoratifs pour plusieurs églises, et en particulier Marthe et Marie aux pieds du Christ dans l'église Saint-Séverin, à Paris.
Le tableau
La peinture est acquise par le gouvernement de Louis-Philippe sur la demande d'un député de la Haute-Vienne, Léris de Peyramont, pour être placé au-dessus du maître-autel de Saint-Léonard-de-Noblat.
Jérémie est assis à gauche, accablé, au milieu de ruines antiques éclairées par les dernières lueurs du crépuscule. Il est accompagné de fidèles, hommes et femmes éplorées, assis autour de lui, certains profondément enveloppés dans leur manteau. À droite une femme debout, tête levée et mains portées à la gorge, semble prendre le ciel à témoin.
Ce que je vois
Ce sont les tons jaunes et ocres qui dominent la toile, et peut-être est-ce même d’abord ce ciel illuminé par le soleil couchant qui attire d’abord notre regard et nous permet de distinguer guère ensuite les figures qui s’y découpent. Le contraste est marquant entre ce jaune, signe d’une certaine joie, et ces personnages écrasés de douleur au milieu des ruines. Les reliefs d’une civilisation perdue, temples détruits, colonnes abattues s’accordent avec les visages et les attitudes qui reflètent une même destruction intérieure. Une femme au torse dénudée crie sa douleur vers le ciel, mains jointes implorant la protection divine. Une autre, à ses pieds, semble résignée et accepter son sort. La troisième, elle aussi dénudée, paraît ne plus croire à un avenir possible et attendre la fin. D’autres, tels des moines en prière, ont couvert leur tête d’une capuche qui dissimule dans les ténèbres leur visage. À droite, un homme s’effondre, se tenant encore à une pierre, avant de tomber dans les affres de son âme. Et, assis sur l’emmarchement d’un temple détruit, appuyé sur une colonne tronquée, le prophète penche la tête, comme pour descendre en lui-même. Vieux, barbe grisonnante et crâne dégarni, il est las, presque sans espoir. Son cœur se lamente sur la destruction, non seulement de la ville, mais surtout sur les oreilles fermées des hommes qui refusent d’entendre le message divin. On entend déjà résonner le chant des lamentations que nous écoutons lors de la célébration de la Croix du Vendredi saint… Comme le Christ attendant le supplice, il est seul.
Seul
« On naît seul, on vit seul, on meurt seul » disait Orson Welles. Et cette solitude, ou plus exactement cet isolement, est notre plus grande peur. Peur de l’abandon que ce soit celle de l’enfant qui s’effraie de ne plus voir sa mère, que ce soit celle de l’homme perdu devant la mort d’un être cher, que ce soit notre peur primale devant la mort. Peur de ne plus avoir rien, ni personne à qui nous raccrocher, comme si nous allions sombrer dans un immense trou noir sans fin. Peur de nous retrouver seul, tout seul, isolé.
Solitude et isolement
Et il est essentiel de bien distinguer le sens profond de ces deux mots : solitude et isolement. L’isolement nous tombe dessus, on ne l’a pas cherché. Notre mari, notre épouse, nos parents ou, pire, nos enfants, disparaissent sans qu’on ne l’ait voulu. On se sent abandonné. On a l’impression que ceux que nous aimions, que nous chérissions, pour qui même nous vivions, nous laissent tomber, nous abandonnent, nous lâchent au bord du chemin sans même un regard, sans une parole. Alors, on se sent nul, indigne, moins que rien. Et nous sombrons. De la pression de l’amour, nous tombons dans la dépression de l’isolement. L’isolement n’est jamais choisi, c’est une masse qui nous écrase et nous paralyse. L’isolement nous met, contre notre gré, à l’écart, livrés à l’oubli… Là est bien notre plus grande inquiétude : être oublié, condamné à la « damnatio memoriae » (1), rayé des mémoires et des cœurs.
La solitude, elle, a un autre sens. L’homme qui choisit la solitude se met volontairement à l’écart. Ses motivations peuvent être multiples : besoin de silence, recherche de paix intérieure, refus d’une société, appel de la nature, attente de l’inspiration ou désir de se retrouver. La liste peut être tellement diverse suivant notre nature profonde, nos désirs les plus secrets. Dès les débuts de l’Église, hommes et femmes, cherchèrent ce silence, cette solitude pour se retrouver « seul avec le Seul ». Avant que la vie cénobitique (vie communautaire guidée par une règle) ne se mette en place, ce fut l’érémitisme du désert qui attira les premiers moines. Même le mot « moine » l’évoque : il vient du latin monachus , du grec μοναχός , monachos (« homme solitaire »), dérivé de μόνος , monos (« seul »). Le moine est seul, seul avec Dieu. Et il sait que c’est dans la solitude, loin du bruit du monde qu’il pourra rencontrer celui que son âme cherche. Ce n’est pas sans raison que les premiers ermites ont commenté ce livre du Cantique des Cantiques, recherche éperdue de l’Époux. L’orthodoxie développera au fil du temps une mystique de cette solitude que l’on appelle l’hésychasme (du grec ancien : ἡσυχασμός, de ἡσυχία / hēsukhía, « immobilité, repos, calme, silence ») résumée en ces mots entendus du ciel par Abba Arsène (Arsène, Alphabétique 2) : « Fuge, tace, quiesce » : Fuis, tais-toi, reste tranquille (le repos du cœur). La solitude et le silence sont les clefs de la rencontre du Seigneur, comme Élie en fit l’expérience dans la montagne (1 R 19, 11-12) :
À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère.
Deux questions
Cela évoque alors deux questions. Notre monde supporte-t-il encore le silence ? Mais aussi, la solitude est-elle encore perçue comme une chance ? Sur cette deuxième question, il me semble que nous sommes, une nouvelle fois, dans une situation paradoxale. À la fois, nos contemporains ont peur de la solitude, et ils la vivent comme un poids, pour ne pas dire une déchéance (il suffit de penser aux innombrables sites de rencontres sur internet). Et simultanément, ils font tout pour s’isoler. J’en veux pour preuve les publicités pour les vacances qui ne vous proposent que des lieux où vous serez seuls, sans risque de croiser d’autres personnes. Comment ne pas penser aussi aux réseaux sociaux qui sous couvert de « like » et du challenge d’avoir plus « d’amis » que les autres vous isolent derrière votre écran. En fait, on multiplie les relations virtuelles aux dépens des relations humaines. On se déshumanise. Même l’Église risque parfois de se laisser emporter par cette vague. Le confinement lors de la pandémie a montré que beaucoup de chrétiens préféraient regarder la messe devant leur écran plutôt que de prier avec leur communauté. La foi va-t-elle aussi devenir virtuelle ? La question vaut d’être posée… Il suffit de demander à un chrétien à quoi « servent » (2) les moines. Beaucoup vous répondront qu’ils feraient mieux de venir remplacer les prêtres manquant dans les paroisses. L’église respirera-t-elle mieux pour autant ? Ne lui manquera-t-il pas le véritable oxygène ? C’est curieux d’oublier que les débuts de l’évangélisation ont commencé avec les monastères, et non avec les paroisses…
J’en viens à ma première interrogation sur le silence. Si vous en avez le temps, allez lire ce passionnant livre d’Alain Corbin, Histoire du silence (Albin Michel, 2016). Il me faut bien reconnaître ma consternation : le silence n’est plus ! L’homme ne le supporte plus. Et tout est fait pour nous en écarter. Nos oreilles sont saturées de bruits, de musiques, de télévision, de radio, etc. Plus personne ne fait attention aux autres dans les transports en commun ou dans la rue : on crie, on téléphone sans aucune discrétion. On se noie dans le bruit pour éviter de se retrouver seul avec les autres, et pire, seul avec soi-même. L’agitation sans frein semble être notre survie. Le bruit apparaît comme le signe de la vie, et le silence comme celui de la mort. Rappelez-vous, pourtant, ce petit texte de Dom Louf que j’ai déjà cité :
« Selon la remarque d’un ancien, celui qui vit dans l’agitation, celui qui vit dans l’agitation et les soucis, dans le bruit intérieur ou extérieur, ressemble à une bouteille d’eau trouble qu’on a secouée. Quand la bouteille est restée quelque temps immobile, la saleté se dépose et l’eau redevient claire et limpide. Ainsi, notre cœur quand il trouve la quiétude et un profond silence, reflète Dieu. » (André Louf, Seigneur, apprends-nous à prier, Bruxelles, 1974)
Et dans nos liturgies ? Difficile d’y trouver le silence. Je m’en fais moi-même le reproche ! Trop souvent, comme célébrants, nous avons peur que nos fidèles s’ennuient, alors nous comblons par un chant, des paroles (au risque que les paroles tuent LA Parole), ou en suivant illico presto la suite de la liturgie. Laissons un peu plus de place au silence, à la quiétude avec Dieu. Même dans notre prière. Ne cherchons pas toujours à parler, à trouver quelque chose à dire à Dieu. J’imagine souvent Dieu, au plus haut des cieux, qui essaye de répondre à nos demandes mais qui n’arrive pas à en placer une au milieu du flot de nos paroles ! Nous reprochons à Dieu de ne pas nous répondre, mais nous en laissons-lui le temps ? Car Dieu ne répond que lorsque le cœur est dans le silence… Et comment écouter quelqu’un lorsqu’on ne lui en laisse pas l’occasion ?
Mais, peut-être vous demandez-vous pourquoi je fais cette si longue digression sur la solitude et le silence. Tout simplement parce qu’elle me semble être la réponse à l’inquiétude de la première lecture et du psaume : Dieu entend-il ma souffrance ?
Dieu entend-il ma souffrance ?
Le prophète Jérémie se lamente sur le peuple qui ne veut pas écouter la Parole de Dieu, sur un peuple qui, nonobstant la destruction de la cité, ne prend pas conscience qu’il se détruit lui-même. Un peuple qui ne vit plus que dans la méfiance, la délation, la méchanceté. Doit-on parler de « décivilisation » ? Peut-être. J’aurais plutôt tendance à dire que c’est une « déshumanisation », voire une « dénobilisation divine » : refus de prendre conscience de notre noblesse divine. Mon correcteur orthographique ne connaissant pas ce mot l’a modifié, avec humour, en démobilisation. Ce n’est peut-être pas inconvenant : l’homme est démobilisé sur sa propre nature, son avenir, ce qu’il devrait être plutôt que faire. Une femme politique ira même jusqu’à promouvoir la déconstruction. Mais c’est certainement la faute à Rousseau ! En aparté, je me demande comment, et qui, pourra reconstruire quand on aura tout déconstruit, pour ne pas dire détruit….
Le psalmiste se trouve aussi devant cette tristesse de constater que personne ne l’écoute, et même qu’il est (mot à la mode) « ostracisé » : « C’est pour toi que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage : je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi. » Des mots assez proches de ceux de Jérémie : « J’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : Peut-être se laissera-t-il séduire... Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! »
Est-il déplacé de faire le parallèle avec notre époque ? Les catholiques — on l’a vu après les événements d’Annecy comment fut traité le jeune Henri dans certains médias — doivent endurer l’insulte. La dénonciation fait florès. Et l’on finit par se demander qui sont nos vrais amis, même au sein de nos communautés et de l’Église... L’amour de la maison chrétienne nous a même perdu puisque peu de catholiques osent dire qu’ils croient en Dieu et qu’ils pratiquent, comme le dénonce avec humour Gad Elmaleh dans son film « Reste un peu » ! D’autres, plus courageux, s’inquiètent de l’inaction de l’Église, d’une parole trop faible, pour ne pas dire trop consensuelle. Je lisais dernièrement dans une interview de Sonia Mabrouk :
« Lorsqu'il y a eu l'incendie de Notre-Dame, j'attendais un discours puissant d'un responsable religieux. L'Église est dans une forme de retenue, avec un souci permanent d'éviter les pièges médiatiques ; mais à force de vouloir les éviter, elle n’avance sur aucun chemin. Pire, quand elle pense se moderniser, elle fait marche arrière. Je pense qu’il faut moins faire attention à l’image que l’on renvoie et se battre sur l’essentiel. »
Des propos durs, voire intransigeants, mais qui méritent d’être écoutés. Comme ceux du Cardinal Gerhard Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi qui déclarait au sujet de la poussée des jeunes vers la tradition :
« Beaucoup de jeunes profondément sensibles à la dimension religieuse se sentent heurtés par le sécularisme de bien des prêtres et bien des communautés qui cachent leur perte, moderniste, de la foi sous les oripeaux de la liturgie rénovée du pape Paul VI. La foi catholique dogmatiquement juste doit en tout cas concorder avec la piété intérieure, l'élévation du cœur vers Dieu. »
Là aussi, des propos sans ménagement mais à prendre en considération. Un constat qui rappelle, malgré tout, les accents du prophète et du psalmiste…
Seul avec le Seul
Alors, où est la clef, comment en sortir ? Il suffit de relire les deux textes.
Jérémie, après son cri de désespoir proclame avec force : « Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. (…) Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c'est à toi que j’ai remis ma cause. Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. »
Le psalmiste, lui aussi, exulte : « Et moi, je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ; dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi. »
Oui, bien des choses, des événements, des propos, des actes ou des non-actes méritent notre indignation (3), et même parfois notre écœurement. Oui, la tentation du désespoir (comme disait Bernanos) est à notre porte. Oui, il est temps de nous réveiller, comme nous le demandait déjà saint Paul (Ep 5, 14) : « Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera. »
Se réveiller dans la solitude et le silence de la prière et de la méditation. Nous ne pourrons nous comprendre, nous percevoir comme chrétien, et comprendre ce monde que si nous prenons le temps du silence seul avec le Seul, le Christ. Si nous plongeons aux tréfonds de notre âme, dans le silence du recueillement, dans le silence de notre cœur, faisant taire toutes nos inquiétudes, une lueur, bien faible au début il est vrai, une lueur apparaîtra et nous éclairera sur ce que nous devons penser et faire. C’est l’Esprit qui nous illuminera, Jésus l’a promis à plusieurs reprises :
Mt 28, 20 « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
Jn 15, 7 : « Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voulez, et cela se réalisera pour vous. »
Jn 16, 13 : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. »
Jn 16, 33 : « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde. »
Alors, n’attendons pas ! Réveillons-nous ! Rappelez-vous cette petite affiche et son message si juste, si vraie :

Pour conclure
L’Église s’est développée sur notre vieux continent grâce aux monastères. C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes… Alors, ressortons le pot de l’armoire. Le saint Pape Jean-Paul II exhortait les chrétiens à refaire des cellules de base, en premier lieu dans les familles. Peut-être devrions-nous reconstituer ces petites cellules entre quelques familles. Nous pourrions y mettre en place le trépied de notre foi : prier, célébrer et enseigner… Des petits prieurés guidés par un prêtre, voire un ermite, un « starertz », des petits prieurés ou l’on rencontre le Seul. Des petits prieurés qui rayonneront vers leurs frères. Si c’est le projet de Dieu, qu’il nous fasse signe dans la prière car « Toute activité quelconque se prépare d’abord dans la prière » disait le Père Sevin.
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1- Dans l'Antiquité, la damnatio memoriae - « damnation de la mémoire » - est une condamnation votée par le sénat romain. Elle vise le plus souvent un puissant, homme ou femme, et consiste à annuler ses honneurs, à effacer son nom des monuments publics, des monnaies, voire à renverser les statues le représentant.
2- La question n’étant abordée que sous l’angle de l’efficacité et non de l’essence.
3- Même si je réprouve ce mot depuis le livre de Stéphane Hesse, « Indignez-vous ! ». Je préfère celui de « Réveillez-vous ! » comme l’a titré Alexandre Del Valle.
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« Éveille-toi, ô toi qui dors » - Homélie ancienne pour le Grand et Saint Samedi
Que se passe-t-il ? Aujourd'hui, grand silence sur la terre ; grand silence et ensuite solitude parce que le Roi sommeille. La terre a tremblé et elle s'est apaisée, parce que Dieu s'est endormi dans la chair et il a éveillé ceux qui dorment depuis les origines. Dieu est mort dans la chair et le séjour des morts s'est mis à trembler.
C'est le premier homme qu'il va chercher, comme la brebis perdue. Il veut aussi visiter ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. Oui, c'est vers Adam captif, en même temps que vers Eve, captive elle aussi, que Dieu se dirige, et son Fils avec lui, pour les délivrer de leurs douleurs.
Le Seigneur s'est avancé vers eux, muni de la croix, l'arme de sa victoire. Lorsqu'il le vit, Adam, le premier homme, se frappant la poitrine dans sa stupeur, s'écria vers tous les autres : « Mon Seigneur avec nous tous ! » Et le Christ répondit à Adam : « Et avec ton esprit ». Il le prend par la main et le relève en disant : Eveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera.
C'est moi ton Dieu, qui, pour toi, suis devenu ton fils ; c'est moi qui, pour toi et pour tes descendants, te parle maintenant et qui, par ma puissance, ordonne à ceux qui sont dans les chaînes : Sortez. À ceux qui sont dans les ténèbres : Soyez illuminés. À ceux qui sont endormis : Relevez-vous.
Je te l'ordonne : Éveille-toi, ô toi qui dors, je ne t'ai pas créé pour que tu demeures captif du séjour des morts. Relève-toi d'entre les morts : moi, je suis la vie des morts. Lève-toi, oeuvre de mes mains ; lève-toi, mon semblable qui as été créé à mon image. Éveille-toi, sortons d'ici. Car tu es en moi, et moi en toi, nous sommes une seule personne indivisible.
C'est pour toi que moi, ton Dieu, je suis devenu ton fils ; c'est pour toi que moi, le Maître, j'ai pris ta forme d'esclave ; c'est pour toi que moi, qui domine les cieux, je suis venu sur la terre et au-dessous de la terre ; c'est pour toi, l'homme, que je suis devenu comme un homme abandonné, libre entre les morts ; c'est pour toi, qui es sorti du jardin, que j'ai été livré aux Juifs dans un jardin et que j'ai été crucifié dans un jardin.
Vois les crachats sur mon visage ; c'est pour toi que je les ai subis afin de te ramener à ton premier souffle de vie. Vois les soufflets sur mes joues : je les ai subis pour rétablir ta forme défigurée afin de la restaurer à mon image.
Vois la flagellation sur mon dos, que j'ai subie pour éloigner le fardeau de tes péchés qui pesait sur ton dos. Vois mes mains solidement clouées au bois, à cause de toi qui as péché en tendant la main vers le bois.
Je me suis endormi sur la croix, et la lance a pénétré dans mon côté, à cause de toi qui t'es endormi dans le paradis et, de ton côté, tu as donné naissance à Eve. Mon côté a guéri la douleur de ton côté ; mon sommeil va te tirer du sommeil des enfers. Ma lance a arrêté la lance qui se tournait vers toi.
Lève-toi, partons d'ici. L'ennemi t'a fait sortir de la terre du paradis ; moi je ne t'installerai plus dans le paradis, mais sur un trône céleste. Je t'ai écarté de l'arbre symbolique de la vie ; mais voici que moi, qui suis la vie, je ne fais qu'un avec toi. J'ai posté les chérubins pour qu'ils te gardent comme un serviteur ; je fais maintenant que les chérubins t'adorent comme un Dieu.
Le trône des chérubins est préparé, les porteurs sont alertés, le lit nuptial est dressé, les aliments sont apprêtés, les tentes et les demeures éternelles le sont aussi. Les trésors du bonheur sont ouverts et le royaume des cieux est prêt de toute éternité.
Petit éloge du silence, de Sylvain Quennehen
La légende du roi Midas est bien connue : ayant recueilli Silène, il se voit accorder par Dionysos son vœu de transformer tout ce qu’il touche en or. Mais la bénédiction attendue se transforme vite en malédiction, et Midas connaît alors le sort tragique d’un être incapable d’étreindre sans tuer.
Quiconque a jamais parlé ne peut que compatir à l’évocation du sort déchirant qui fut temporairement celui de ce monarque ; car c’est l’humaine condition que d’héberger dans son âme des merveilles, et que de ne pouvoir les vocaliser sans qu’elles s’évanouissent – aussi insaisissables en cela pour nos gorges, que l’eau et le manger en étaient venus à l’être pour le malheur du souverain phrygien.
Aussi, ce qu’on ne sait restituer par la plume, quelle folie que de l’espérer donner à entendre de vive voix ! Quelques sentiments, nobles ou délicats, ont momentanément investi votre cœur ? Taisez-vous, insensés : en entrebâillant vos lèvres, vous ne feriez que les laisser s’échapper sans espoir de retour, tels ces vents confiés par Éole à Ulysse pour faciliter sa rentrée à Ithaque, qui finirent dispersés par faute de l’équipage. Gardez donc votre bouche close comme il eût alors fallu conserver l’outre éolienne ; car la parole est une contre-pierre philosophale, qui transforme l’or des cœurs en plomb des propos !
Des silos à silence
Pour ma part, j’ai toujours conçu le silence comme quelque chose dont il fallait faire provision, ainsi qu’on se constitue une réserve d’air avant de plonger dans quelque milieu dont on sait, par avance, qu’il nous sera irrespirable. Je me plais ainsi à imaginer un monde dans lequel on pourrait l’emmagasiner dans des bouteilles, sous pression, et en respirer le gaz oxygénant chaque fois que l’asphyxie nous menacerait. Mieux, même : on en remplirait des silos ; et, dans ce pays hypothétique, chaque entrepôt à grains serait consciencieusement doublé d’une structure jumelle, dans laquelle on stockerait non plus des céréales, mais du silence, comme un aliment dont la faim serait semblablement mortelle. Voilà, me dis-je alors, une nation qui serait armée pour affronter toutes les crises.
De là sans doute me vient cette image agricole que je me fais du silence, comme d’un laboureur intérieur, ayant lui aussi sa charrue, pareil à un serf qu’on pourrait s’assujettir pour nous cultiver l’âme, tout en en conservant les fruits, et la propriété. Du paysan d’ailleurs, je lui vois l’opiniâtreté muette et modeste qui ignore les postures autant que les paroles superflues, parce qu’il pèse ses mots et n’agit pas pour un public, se conformant en cela au modèle de la terre qu’il travaille, et qu’il a constamment sous les yeux comme un exemple à suivre, une figure d’autorité à imiter.
Le silence est une moisson
C’est dans l’économie de paroles que naissent et mûrissent les grandes choses : telle est la leçon des semailles, dont la vérité ne s’arrête pas aux champs, et s’étend bien aux hommes. On méprise par trop la valeur des enseignements dont le silence est tout prêt à nous faire part, à sa manière rurale, agissant d’exemple, n’ignorant pas qu’on ne peut hâter les saisons, et acceptant la durée que prend toute chose pour s’accomplir.
Aussi, je vous le dis : thésaurisez vos pépites intérieures dans les coffres-forts de vos âmes, et remettez-vous en au silence pour en laisser béer quelquefois les trésors. Alors, comme cette poussière d’or qui chaque année, par frottement, s’évapore dans l’air, et enrichit insensiblement tous les hommes tel un encensoir, l’élixir de vos cœurs, placé dans ce flacon, ira parfumer l’air et brumiser les fronts.
Un cataplasme pour jardins de l’âme ravagés
Abandonnez donc vos sentiments les plus purs à la garde du silence, ainsi qu’à une cave vous confieriez vos meilleures bouteilles, pour les mûrir dans sa pénombre. Remettez-les lui ainsi que vous le feriez de graines à un jardinier accompli, chargé d’en ensemencer votre âme ; et attendez sereinement l’infaillible éclosion.
Aucun bachelier n’ignore la célèbre invitation sur laquelle Voltaire conclut son Candide ; mais combien ont appris qu’elle équivalait à la clôture des lèvres ? Vous, en tout cas, ne pouvez plus l’ignorer. Le silence est le suprême cultivateur des cœurs. Hors lui, point de parterres de fleurs, point de roseraies de l’âme. Sa main verte prépare des paradis ; son absence assure des champs d’herbes folles. Le silence est un cataplasme pour jardins de l’âme ravagés…
On cède au bruit comme on cède à la guerre
Bernanos écrivait, en 1942 : “on ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration contre toute espèce de vie intérieure“. Or, de celle-ci, le silence est comme un sanctuaire. Le dialogue avec soi, ce dédoublement intérieur, nécessite d’être extrait du monde ; de se soustraire à sa rumeur, ou de s’y rendre imperméable. Le silence marque alors presque infailliblement la réussite de cet assourdissement du Dehors. C’est ce qui lui vaut l’inexpiable hostilité de la modernité, résolue à régner seule, et à régner partout.
Céline, rapportant l’expérience de Bardamu au sein de l’usine Ford, a cette formule incroyable : “on cède au bruit comme on cède à la guerre“. Tel est l’état des positions. L’époque cherche à faire de nous ses auxiliaires sonores dans la lutte à mort qu’elle a déclaré au silence, ainsi qu’à tous les bruits qui ne sortent pas d’elle. Et dans bien des cas, elle parvient effectivement à s’attacher nos services.
La nostalgie du cordon ombilical
C’est que l’individu moderne soupire après le Ça. Plus précisément, il se languit du sentiment océanique originel qui fut le sien, avant l’expérience de la coupure avec le Tout. Il a la nostalgie de l’unanimisme ; il veut en revenir à l’amniotique. Cette conspiration contre toute espèce de vie intérieure est donc loin de l’effrayer ; au contraire, elle le séduit. Mieux, même : il entend prendre part à la conjuration, jouer un rôle actif dans le complot. Sa dissolution dans un grand beat mondial lui tarde ; il a hâte d’aller se perdre dans les décibels, de se fondre dans un grand magma sonore anonymisé.
Il y a ainsi dans le bruit un effet stupéfiant qu’on ne souligne jamais assez. Les grandes basses rythmiques, en particulier, font l’effet de vous liquéfier littéralement le cerveau ; accordées à vos pulsations cardiaques, vous avez même l’impression que c’est un seul et même organe qui bat en vous. C’est l’image de ces rave parties où les participants semblent avoir abdiqué leur individualité en même temps que leur consistance, se mouvant élastiquement comme les terminaisons d’une grande masse gélatineuse, ou guimauvesque. C’est proprement la musique transfrontalière de Cordicopolis, l’hymne œcuménique d’Homo festivus, aurait pu écrire Philippe Muray ; la déclinaison sonore de son inépuisable énergie à fabriquer du même, sous les dehors hypocrites de sa mécanique exaltation de l’altérité.
Des Jérusalems aux portes verrouillées
Aussi, je voudrais insister une dernière fois. C’est de tout un monde souterrain qu’on se coupe en renonçant au silence, ainsi que l’époque nous y invite, pour adopter son étendard décibélique. C’est de tout un univers mystérieux, faits de galeries et de cavernes, qu’on se prive en se pliant au mode de vie bruissant que la modernité a conçu pour nous. Nous pourrions être nos propres Ali Baba intérieurs ; mais cela exigerait de nous taire, un moment, le temps de surprendre le secret du silence alors qu’il ouvre magiquement les portes condamnant nos trésors.
Ce serait un bien faible prix à verser pour accéder à de telles merveilles; et pourtant, exprimé en pareille monnaie, il nous paraît exorbitant. Aussi, de même que bien des mânes, faute d’avoir eu sur elles la modeste obole que requérait Charon pour leur passage, durent végéter 100 ans au bord du Styx avant que de pouvoir gagner l’Hadès, bien des âmes resteront, toute leur vie durant, faute d’avoir su se taire, au seuil de leurs Jérusalems intérieures.
Une identique communauté de destin
Mais concluons, nous n’avons que trop tardé. Simone Weil écrivait : “si, par excès de faiblesse, on ne peut ni provoquer la pitié ni faire du mal à autrui, on fait du mal à la représentation de l’univers en soi. Toute chose belle et bonne est alors comme une injure.” Cette remarque d’ordre psychologique m’a toujours paru le sous-titrage nécessaire, aussi bien au Pavillon d’or de Mishima, qu’à l’annonce de la mort de Dieu par le fou du Gai savoir. Mais, parvenu au stade de ce développement, je ne doute plus maintenant qu’il en aille de même du silence (”Autrement dit, que sa meurtrissure, elle-aussi, ne soit l’effet d’un excès de faiblesse.”) ; et l’évidence de leur communauté de destin (”Au Beau, à Dieu, au silence.”) m’apparaît désormais lumineuse. L’existence d’une vie intérieure n’est pas seule suspendue au silence ; le sentiment même du Beau en dépend. Aussi ces trois chandelles seront-elles éteintes d’un même souffle. L’unification du genre humain en sera-t-elle facilitée ? Peut-être. Mais nous réjouirons-nous d’appartenir à cette humanité ?
Prier pour le silence
Seigneur,
Je suis complètement perdu face à toutes ces sollicitations qui s’imposent à moi. Il y a tant de voix qui m’appellent, tant de promesses qui me tendent les bras. Comment savoir si c’est ta volonté ? Si c’est réellement ce que tu veux pour moi ? Je n’arrive pas à t’entendre. Je ne sais pas comment te réserver un espace.
Je t’en supplie, fais régner en moi le silence. Toi qui as fait taire la tempête en lui ordonnant « Silence, tais-toi ! », tu es capable de ramener le calme en moi.
Je suis prêt à t’accueillir,
Je suis prêt à t’écouter,
A mon tour, je veux être capable de respecter le silence des autres,
Je te rends grâce Seigneur, je sais que dès cet instant, tu me parles dans le silence de mon cœur.
Amen.
Dieu, un ami du silence - Mère Teresa
Au commencement de la prière se trouve le silence. Si nous voulons prier, il nous faut d'abord apprendre à écouter car, dans le silence du cœur, Dieu parle. Et pour être en mesure de vivre ce silence et d'entendre Dieu, il nous faut un cœur limpide car il est seul capable de voir Dieu, d'entendre Dieu, d'écouter Dieu. Alors seulement, de la plénitude de nos cœurs, nous pouvons parler à Dieu. Et Il écoute. Mais nous ne pouvons pas parler à moins d'avoir écouté, à moins d'être en contact avec Dieu dans le silence de nos cœurs. La prière n'est pas censée nous torturer, nous mettre mal à l’aise, nous troubler. Il faut s'en réjouir à l'avance : parler à mon Père, parler à Jésus, celui auquel j'appartiens, corps et âme, esprit et cœur. Réfléchissons donc au silence de l'esprit, des yeux et de la langue. Le silence de l'esprit et du cœur. La Vierge Marie « gardait précieusement tous ses souvenirs et les méditait en son cœur ». Ce silence la rapprochait de notre Seigneur de sorte qu'elle n'a jamais eu à regretter quoi que ce fût. Rappelez-vous ce qu'elle fit quand saint Joseph fut troublé. Un seul mot de sa part aurait dissipé tout soupçon, mais elle ne le prononça pas et c'est le Seigneur Lui-même qui accomplit le miracle d'attester son innocence. Si seulement nous étions aussi convaincus de la nécessité du silence ! Je crois qu'alors la voie vers l'union intime avec Dieu serait bien dégagée. Puis nous avons le silence des yeux, celui qui nous aidera toujours à voir Dieu. Nos yeux sont comme deux fenêtres par lesquelles, le Christ ou le monde parviennent jusqu'à nos cœurs. Il nous faut souvent beaucoup de courage pour les garder clos. Ne disons-nous pas souvent : « Si seulement je n'avais pas vu telle ou telle chose ! » Et cependant nous nous donnons si peu de peine pour surmonter le désir de tout voir. Par le silence de la langue, nous apprendrons beaucoup : à parler au Christ, à rester joyeux en tout temps et à avoir quantité de choses à dire. Le Christ nous parle par l'intermédiaire d'autres personnes et, lorsque nous méditons, il nous parle directement. Dieu est ami du silence. Nous avons soif de trouver Dieu, mais il ne se laisse découvrir, ni dans le bruit ni dans l'agitation. Voyez comme la nature, les arbres, les fleurs et l'herbe croissent dans un profond silence. Voyez comme les étoiles, la lune et le soleil se déplacent en silence. Plus nous recevons dans une prière silencieuse, plus nous pouvons donner dans notre vie active. Le silence nous donne un regard neuf sur toutes choses. Nous avons besoin de ce silence afin de toucher les âmes. L'essentiel n'est pas dans ce que nous disons, mais dans ce que Dieu nous dit et dans ce qu'il transmet par notre intermédiaire. C'est en silence que toujours Jésus nous attend. Dans ce silence, il nous écoutera ; c'est là qu'Il parle à nos âmes et c'est là que nous entendrons sa voix. Dans ce silence, nous trouverons une énergie nouvelle et une véritable unité. L'énergie de Dieu sera nôtre pour bien accomplir toutes choses dans l'unité de nos pensées avec les siennes, l'unité de nos actions avec les siennes, de notre vie avec la sienne.
Prier dans la solitude
Seigneur, je me tourne vers toi, du fond de ma solitude. Entends mon appel et montre-moi que je ne suis pas seul.
Envoie sur moi ton Esprit-Saint, qui comme tu nous l’a promis ne nous laissera jamais seul, lui qui est le défenseur, le consolateur.
Viens à mon aide. Seigneur, donne-moi, je t’en prie, des signes d’amour, et établis dans mon cœur la paix et la joie. Mets sur mon chemin des frères et sœurs pour cheminer vers toi.
Ouvre aussi mes yeux sur ceux qui sont seuls autours de moi, et donne-moi les mots et les gestes pour les consoler.