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XIIe Dimanche du Temps Ordinaire (B)

Silence et paix…



Jésus apaisant la tempête ou La vocation de Simon-Pierre et André

Joseph PARROCEL (Brignoles, 1646 – Paris, 1704)

Dessin à l’encre brune, mine de plomb, pierre noire, plume et sanguine, 14,1 x 18,7 cm

Vers 1656, inscription « Parrocel » en bas à gauche, Inventaire n° RF41551

Musée du Louvre, Paris (France)


Évangile de Jésus-Christ selon Saint Marc (Mc 4, 35-41)

Toute la journée, Jésus avait parlé à la foule. Le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »


L’auteur

Joseph Parrocel, peintre, graveur et dessinateur, fut particulièrement apprécié par Louis XIV, à tel point qu’il lui confia les travaux de décoration de la salle à manger du Roi à Versailles, ainsi que de l’Hôtel des Invalides à Paris. Il était renommé pour sa liberté dans son expression artistique, marquée par un trait vif, pour ne pas dire vigoureux, ce qui le différenciait des autres artistes de l’époque, dont le style était beaucoup plus académique.


Sa renommée s’est d’abord faite sur ses peintures de batailles. Mais les recherches ont permis de découvrir un très grand nombre de dessins préparatoires à des gravures de sujets religieux. Son séjour en Italie lui donna cette fougue que l’on retrouve dans le dessin de ce jour. Dans une recherche de couleurs expressives, par un mouvement spontané du crayon, les lignes s’enchevêtrent, comme les techniques, donnant cette profonde impression de vigueur, de bouillonnement créatif.


Le dessin


Parcours visuel

La première impression lorsque l’on regarde ce dessin est d’être devant une œuvre rapidement crayonnée, non terminée. Avant même de repérer la barque, et d’en comprendre le sujet, on est attiré par les traits de couleur de la moitié haute du dessin. Puis notre regard se porte sur les personnages de droite, marqués d’un trait noir plus net. Enfin, on prend un recul visuel qui nous permet de mieux comprendre le sujet et d’en apprécier la vigueur.


Que voit-on ?

Une longue barque, étroite, à la poupe relevée, porte un équipage bien agité. Le troisième homme, en partant de la droite, semble être Jésus. Il dort, recroquevillé sur lui-même, la tête sur un coussin. Derrière lui, un homme se penche tout en se tenant au bord de la barque. Devant lui, trois ou quatre hommes sont tournés vers le Christ. L’un s’approche de lui, bras tendus, pour le réveiller. Derrière, un apôtre assis tient une rame qui doit essayer de contenir les mouvements désordonnés de la barque, secouée par les vents et la mer. Cette mer qui n’est que traits entremêlés. Mais c’est surtout le vent dans la voile qui montre la force des éléments. Peut-on distinguer une sorte de mât portant une voile carrée, type de voile latine correspondant aux gréements de cette époque. S’est-elle arrachée ? Est-celle que l’on voit flotter au grand vent dans ces grands traits ronds ? Il est sûr que le déchaînement des éléments est ici évident.


La mise en image

La scène d’évangile ici représentée se passe juste avant que Jésus n’impose le silence à la tempête.

Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? »

Il dort encore, la tête sur le coussin. C’est lui qui semble mort, presque en chien de fusil. Alors que ce sont les disciples qui meurent… de peur ! Et ils se penchent vers Jésus, reposant dans son tombeau. Cet homme à gauche, bras désespérément tendus ressemble presque à Jésus se penchant dans la tombe pour en sortir Lazare…


Pour nous aujourd’hui


En pleine tempête


Nous aussi sommes parfois embarqués et pris dans une violente tempête : celle de la vie ! À moins que ce ne soit celle de l’Église… Ne compare-t-on pas l’Église à la « barque de saint Pierre » ? Celle dont Alfred Loisy disait « qu’elle avançait à coup de gaffes » ! Nous aussi avons parfois l’impression d’être noyés, de sentir les vagues des problèmes nous submerger. Alors que nous aimerions tant passer sur l’autre rive tranquillement, profiter de la croisière de la vie.


Et en plus, on nous dit que Jésus est là, avec nous ! Quoi ? Lui ? Lui qui dort alors que nous devons nous démener devant la tempête. Lui qui fait sa Marie, alors que nous sommes acculés à être continuellement des Marthe ! Il dort… c’est quand même le comble ! Il devrait s’occuper de nous et de nos problèmes plutôt ! N’est-ce pas sa mission de Fils de Dieu ? Je ne peux m’empêcher de penser au sublime texte des Dialogues des Carmélites de Georges Bernanos (Deuxième Tableau, Scène IX). La Prieure est en agonie et parle avec la sous-Prieure, Mère Marie :


La Prieure

Oh ! ma Mère, regardez : vais-je dans un instant montrer ce visage à mes filles.

Mère Marie

C’est peut-être celui de notre doux Seigneur à Gethsémani.

La Prieure

Du moins les disciples dormaient, et il ne fut vu que des anges.

Mère Marie

Nous ne méritions pas tant d’honneur d’être ainsi introduites et associées par la vôtre à ce qui, dans la Très Sainte Agonie, fut dérobé au regard des hommes… Oh ! ma Mère, ne vous mettez plus en peine de nous ! Ne vous inquiétez plus désormais que de Dieu.

La Prieure

Que suis-je à cette heure, moi, misérable, pour m’inquiéter de Lui ! Qu’Il s’inquiète donc d’abord de moi !


Quelle violence… Et quelle vérité ! Il ne semble pas s’inquiéter de ses disciples au bord du naufrage. Il ne semble pas s’inquiéter de moi qui suis noyé dans les événements… Il dort !


Et pourtant

Et pourtant, est-il vraiment endormi ? Ou bien veille-t-il ? Veille-t-il, la tête sur le coussin, comme il veillera dans la mort, la tête sur la croix ? Veille-t-il, attendant que quelqu’un l’appelle au secours ? Veille-t-il dans l’attente des hommes, l’attente qu’on lui ouvre la porte de la foi.

Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. (Ap 3, 20)

Peut-être veut-il nous laisser libres, ne pas s’imposer ? Nous laisser libres de lui ouvrir la porte de nos cœurs, nous laisser libres de l’appeler avec toutes nos tripes, avec toute la profondeur de notre être, et pas simplement après une simple réflexion…


Là, ce n’est plus l’intelligence qui fait crier les apôtres, ce n’est pas après une évaluation des dégâts, et un symposium conciliaire qu’ils décident de s’adresser à lui. Ils crient avec toutes leurs peurs, avec toutes leurs tripes. C’est vraiment leur cœur qui appelle. Ô Seigneur, n’écoute pas mon intelligence, écoute mon cœur et le cri de ma peur ! C’est là que se niche la foi !!!


Alors

Et alors seulement, il se réveille. Alors, et alors seulement, il calme la tempête de nos vies, il vient nous rassurer. « Silence, tais-toi ! » crie-t-il à la tempête de nos cœurs et de nos vies. Viens reposer sur des près d’herbes fraîches. Maintenant, accepte de te laisser guider. Lâche les rênes de la vie, lâche la barre, laisse-moi guider.


Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien.

Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre ;

il me conduit par le juste chemin pour l'honneur de son nom.

Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal,

car tu es avec moi : ton bâton me guide et me rassure.

Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis ;

tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m'accompagnent tous les jours de ma vie ;

j'habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. (Psaume 22)


Appel

L’autre titre donné à ce dessin est La vocation de Simon-Pierre et André. Certainement à cause du mélange des scènes dans les évangiles synoptiques. Mais peut-être pourrions-nous y voir un autre signe. Jésus les appelle, effectivement. Il les appelle à le suivre. Mais pas comme nous l’entendons. Il les appelle à le suivre avec tout leur être, à repérer où est leur foi en eux. Il les appelle à passer de la peur à la crainte respectueuse. Je n’ai plus peur des tempêtes de la vie, je n’ai qu’une crainte, celle de ne pas honorer Dieu, et comment puis-je le mieux l’honorer qu’en moi-même ?


Alors, le vent tombe. La mer se calme. La barque de nos vies (ou de l’Église) peut avancer normalement, paisiblement. Le silence a apporté la paix. Madeleine Delbrêl le disait : « Le silence est vérité et charité ».


Pour trouver cette paix, pour laisser le silence de la charité nous envahir, pour calmer la tempête de nos vies, je terminerai sur les conseils de la Prieure de Georges Bernanos à la petite Sœur Blanche, si craintive (je ne peux que vous inviter à lire, ou relire les Dialogues des Carmélites !) :

Mon enfant, quoi qu’il advienne ne sortez pas de la simplicité. À lire nos bons livres, on pourrait croire que Dieu éprouve les saints comme un forgeron une barre de fer pour en mesurer la force. Il arrive pourtant aussi qu'un tanneur éprouve entre ses paumes une peau de daim pour en apprécier la souplesse. Oh ! ma fille, soyez toujours cette chose douce et maniable dans Ses mains ! Les saints ne se raidissaient pas contre les tentations, ils ne se révoltaient pas contre eux-mêmes, la révolte est toujours une chose du diable, et surtout ne vous méprisez jamais ! Il est très difficile de se mépriser sans offenser Dieu en nous. Sur ce point-là aussi nous devons bien nous garder de prendre à la lettre certains propos des saints, le mépris de vous-même vous conduirait tout droit au désespoir, souvenez-vous de ces paroles, bien qu'elles vous paraissent maintenant obscures. Et pour tout résumer d'un mot qui ne se trouve plus jamais sur nos lèvres, bien que nos cœurs ne l'aient pas renié, en quelque conjoncture que ce soit, pensez que votre honneur est à la garde de Dieu. Dieu a pris votre honneur en charge, et il est plus en sûreté dans ses mains que dans les vôtres. Relevez-vous cette fois pour tout de bon. À Dieu, je vous bénis. À Dieu, ma petite enfant...

(Deuxième Tableau – Scène VIII)



Homélie de saint Augustin (+ 430), Sermon 63, 1-3; PL 38, 424-425.

Je vais, avec la grâce du Seigneur, vous entretenir de l'évangile de ce jour. Je veux aussi, avec l'aide de Dieu, vous encourager à ne pas laisser la foi dormir dans vos coeurs au milieu des tempêtes et des houles de ce monde. Le Seigneur Jésus Christ exerçait sans aucun doute son pouvoir sur le sommeil non moins que sur la mort, et quand il naviguait sur le lac, le Tout-Puissant n'a pas pu succomber au sommeil sans le vouloir. Si vous le pensez, c'est que le Christ dort en vous. Si, au contraire, le Christ est éveillé en vous, votre foi aussi est éveillée. L'Apôtre dit : Que le Christ habite en vos coeurs par la foi (Ep 3,17). Donc le sommeil du Christ est le signe d'un mystère. Les occupants de la barque représentent les âmes qui traversent la vie de ce monde sur le bois de la croix. En outre, la barque est la figure de l'Église. Oui, vraiment, tous les fidèles sont des temples où Dieu habite, et le coeur de chacun d'eux est une barque naviguant sur la mer : elle ne peut sombrer si l'esprit entretient de bonnes pensées.


On t'a fait injure : c'est le vent qui te fouette ; tu t'es mis en colère : c'est le flot qui monte. Ainsi, quand le vent souffle et que monte le flot, la barque est en péril. Ton coeur est en péril, ton coeur est secoué par les flots. L'outrage a suscité en toi le désir de la vengeance. Et voici : tu t'es vengé, cédant ainsi sous la faute d'autrui, et tu as fait naufrage. Pourquoi ? Parce que le Christ s'est endormi en toi, c'est-à-dire que tu as oublié le Christ. Réveille-donc le Christ, souviens-toi du Christ, que le Christ s'éveille en toi. Pense à lui.


Que voulais-tu ? Te venger. As-tu oublié la parole qu'il a dite sur la Croix : Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font (Lc 23,34) ? Celui qui s'était endormi dans ton coeur a refusé de se venger.


Réveille-le, rappelle-toi son souvenir. Son souvenir, c'est sa parole; son souvenir, c'est son commandement. Et quand tu auras éveillé le Christ en toi, tu te diras à toi-même : "Quel homme suis-je pour vouloir me venger ? Qui suis-je pour user de menaces contre un homme ? Peut-être serai-je mort avant d'avoir pu me venger ? Et quand viendra pour moi le moment de quitter ce corps, si j'expire brûlant de haine et assoiffé de vengeance, celui qui n'a pas voulu se venger ne m'accueillera pas. Celui qui a dit : Donnez, et vous recevrez ; pardonnez, et vous serez pardonnes (Lc 6,37) ne m'accueillera pas. Je réprimerai donc ma colère, et mon coeur trouvera à nouveau le repos." Le Christ a commandé à la mer, et elle s'est calmée (cf. Mt 8,26).


Ce que je viens de vous dire au sujet des mouvements de colère doit devenir votre règle de conduite dans toutes vos tentations. La tentation surgit : c'est le vent qui souffle ; ton âme est troublée : c'est le flot qui monte. Réveille le Christ, laisse-le te parler. Qui donc est celui-ci, pour que même les vents et la mer lui obéissent (Mt 8,27) ? Quel est celui à qui la mer obéit ? A lui la mer, c'est lui qui l'a faite (Ps 94,5). Par lui, tout s'est fait (Jn 1,3). Imite plutôt les vents et la mer : obéis au Créateur. La mer entend l'ordre du Christ, vas-tu rester sourd ? La mer obéit, le vent s'apaise, vas-tu continuer à souffler ?


Que voulons-nous dire par là ? Parler, agir, ourdir des machinations, n'est-ce pas souffler, et refuser de s'apaiser au commandement du Christ ? Quand votre coeur est troublé, ne vous laissez pas submerger par les vagues. Si pourtant le vent nous renverse - car nous ne sommes que des hommes -, et qu'il excite les passions mauvaises de notre coeur, ne désespérons pas. Réveillons le Christ, afin de poursuivre notre voyage sur une mer paisible et de parvenir à la patrie.


Prière

Qui es-tu donc, Jésus de Nazareth, pour que le vent et la mer t'obéissent ? Toi que le Père, Créateur de l'univers, a envoyé vaincre nos peurs et apaiser nos angoisses, augmente notre foi en ta puissance et fais-nous sentir ton secours. Toi qui règnes.

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