Un bruit de fin silence -

Le prophète Élie,
Claude Vignon (Tours, 1593 - Paris, 1670),
Huile sur toile, 194 x 134 cm, 1635,
Carmel, Morlaix (France)
Lecture du premier livre des Rois (1 R 19, 9a.11-13a)
En ces jours-là, lorsque le prophète Élie fut arrivé à l’Horeb, la montagne de Dieu, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ; et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère. Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne.
Psaume 84 (85), 9ab-10, 11-12, 13-14)
J’écoute : Que dira le Seigneur Dieu ? Ce qu’il dit, c’est la paix pour son peuple et ses fidèles. Son salut est proche de ceux qui le craignent, et la gloire habitera notre terre.
Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ; la vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice.
Le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. La justice marchera devant lui, et ses pas traceront le chemin.
Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 9, 1-5)
Frères, c’est la vérité que je dis dans le Christ, je ne mens pas, ma conscience m’en rend témoignage dans l’Esprit Saint : j’ai dans le cœur une grande tristesse, une douleur incessante. Moi-même, pour les Juifs, mes frères de race, je souhaiterais être anathème, séparé du Christ : ils sont en effet Israélites, ils ont l’adoption, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses de Dieu ; ils ont les patriarches, et c’est de leur race que le Christ est né, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen.
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 14, 22-33
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjà à une bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait à enfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Le peintre
Claude Vignon est né le 19 mai 1593 à Tours. Issu d’une famille protestante aisée, il serait devenu catholique en 1609-1610 à l’occasion d’un voyage à Rome. Il y rencontre Simon Vouet, peintre déjà reconnu à cette époque, avec qui il se lie d’amitié. Celui-ci jouera un rôle décisif dans la formation artistique du jeune Claude Vignon qui multiplie petits portraits, images tirées de la vie quotidienne et des natures mortes qui connaissent un franc succès. Il s’initie également à l’art de l'eau-forte, procédé de gravure en taille-douce sur plaque métallique.
Ce long séjour romain qui durera dix ans, fut entrecoupé de séjours à Florence, Venise mais aussi de voyages en Espagne et de brefs retours en France. Ces pérégrinations permettent à Vignon de multiplier les rencontres artistiques qui influenceront son œuvre et ses goûts propres. Le style de l’artiste évoluera, attiré qu’il est par le coloris vénitien, les lumières à la Bramer (1596-1674) ou le maniérisme tardif vénitien.
Il revient en France en 1623. Il est porté par un marché de l’art en plein renouveau et jouit de la protection royale jusqu’à la disparition de Louis XIII (1643). Vignon trouve également de nombreux clients dans les milieux religieux et dans certaines confréries comme celle des orfèvres dans les décennies 1620-1630. A côté d’une production religieuse institutionnelle à destination de Gaston d’Orléans ou de Richelieu, Vignon compose des toiles de dimensions plus modestes, à thème historique, moralisant, mythologique ou biblique. C’est dans le cadre de cette activité que s’inscrit Le prophète Élie, daté de 1635.
Son activité fléchira à partir de la Fronde, période peu propice aux commandes institutionnelles ou des grands princes. Par la suite, il continuera de travailler pour de nombreuses églises, couvents et particuliers. Après avoir refusé de participer à la fondation de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en 1648, Vignon s’y rallie pour assurer une fusion harmonieuse avec l’ancienne Communauté des Peintres et Sculpteurs dont il avait été l’un des membres les plus influents. Claude Vignon meurt le 10 mai 1670.
Le tableau
Sa présence dans la collection du Carmel s’explique à la fois par les nombreuses commandes que reçut le peintre après la Fronde, mais aussi par l’histoire de la fondation du Carmel de Morlaix. On peut ainsi lire sur le site du Carmel un aspect de son histoire :
Après un essai de vie religieuse dans un monastère à Paris, Julienne de Kerémar, jeune bretonne d'Allineuc (Côtes d'Armor) cherchait la manière de consacrer sa vie à Dieu. Sortie de ce monastère, elle rencontra à Paris, en 1611, la Mère Anne de Saint Barthélemy.
Celle-ci lui suggéra de travailler à la fondation d'un Carmel en Bretagne. Ce qu'elle fit avec d'autant plus d'empressement, que sa soeur (Soeur Marie de Saint Elie) était entrée au carmel de TOURS peu de temps auparavant et y avait été accueillie précisément par la Mère Anne de Saint Barthélémy. Julienne connaissait la ville de Morlaix et le désir de ses habitants d'avoir un monastère de femmes qui prieraient pour eux. Elle se chargea de toutes les démarches administratives et les gouverneurs de la ville lui concédèrent l'autorisation d'édifier un monastère de carmélites près de Notre Dame de la Fontaine.

Claude Vignon étant originaire de Tours, c’est peut-être par le biais de la sœur de la fondatrice bretonne, carmélite à Tours que cette œuvre est arrivée dans la collection. En effet, un autre tableau de Claude Vignon se trouvait au Carmel de Guingamp. Le tableau de saint Yves peint par Vignon (conservé à l’évêché de Saint-Brieuc) est le « jumeau » de celui de saint Élie, propriété du Carmel de Morlaix. Les deux œuvres étaient à l’origine dans le chœur du Carmel de Guingamp avant la Révolution française. Les Carmélites de Guingamp avaient des relations avec Tours où est né Claude Vignon. Invité à Guingamp, le peintre aurait orné le chœur du Carmel de ces deux tableaux. Le prophète Élie étant le père spirituel du Carmel, cela allait de soi !
Ce que je vois
Il m’a été impossible de trouver une œuvre convaincante représentant « la brise légère » de notre première lecture. Mais j’ai découvert ce tableau conservé au Carmel de Morlaix. Élie, à genoux et mains jointes, est dans une attitude d’imploration dans une caverne que l’on peut situer sur les bords du torrent de Kerrit, à l’est du Jourdain (1R 17, 3). Cette scène vient après qu’Elie ait alerté le roi impie Achab d’une période de sécheresse, roi que l’on distingue dans le renfoncement du rocher. Le Prophète est habillé de la robe traditionnelle des carmes et de son grand manteau blanc. À ses côtés, un livre usé, sûrement la Bible, et son épée de feu. Ce détail fait allusion au sacrifice du carmel lorsque Élie égorgea les prêtres du Baal (1 R 18, 20-40). En bas, au bord de l’eau, l’homme de dos est peut-être Abdias. Le ciel semble s’ouvrir à la prière d’Élie pour délivrer les torrents de pluie attendus que l’on voit tomber à gros traits sur les eaux.
Mais pourquoi ne pas y voir aussi ce souffle divin, cette brise légère, signe de la présence de Dieu ?
L’ange dans la chair, le glorieux Élie, le socle des prophètes divins, le second précurseur de la venue du Christ, celui qui du ciel envoie la grâce sur Élisée, chasse au loin les maladies et purifie les lépreux ; sur ceux qui le vénèrent il fait jaillir les guérisons.
– Tropaire du saint Elie, ton 4
Théophanies
La rencontre avec Dieu est en effet assez surprenante. Dieu va passer devant Élie qui devra se couvrir le visage, car voir Dieu, c’est mourir — mais pas dans le sens du proverbe italien : Vedi Napoli e poi muori ! qui se traduit par « Vois Naples et puis meurs ! ».
Ici, la manifestation de Dieu sera bien différente des théophanies auxquelles assistera Moïse (Ex 19, 9 - 20, 21) où Dieu se révèlera dans les éclairs, la fureur du bruit et le tonnerre. On peut imaginer la confusion du prophète Élie. Il connaît ces événements et doit bien s’attendre à une tempête. Mais Dieu n’est ni dans l’ouragan, ni dans le tremblement de terre et encore moins dans le feu. Peut-être que de telles manifestations correspondaient à l’état d’âme d’un peuple de l’Exode à la nuque raide qu’il fallait impressionner ? L’âme d’Élie doit être plus apaisée et ouverte à la tendresse de Dieu pour que celui-ci se révèle dans le souffle d’une brise légère. Mais voilà bien une curieuse expression…
De la brise au silence
Si vous ouvrez différentes traductions françaises de la Bible, vous trouverez plusieurs manières de traduire et rendre l’expression de ce texte, au moment où Dieu se manifeste à Élie :
« Le bruit d’une brise légère » (Bible de Jérusalem),
« le murmure d’une brise légère » (Traduction liturgique),
« Le bruissement d’un souffle ténu » (Traduction œcuménique de la Bible),
« Le bruit d’un souffle léger » (Bible en français courant).
Pour leur part, les frères dominicains de l'Ecole Biblique et Archéologique de Jérusalem, tout comme La Bible : nouvelle traduction, proposent une expression paradoxale : « un bruit de fin silence ».
Comment expliquer ces différences de traduction ?
Les trois premières traductions s’inspirent du texte grec de la Septante, traduction réalisée par les juifs d'Alexandrie à partir du IIIe siècle av. J.-C. La Septante utilise ici le terme grec aura, qui désigne précisément une brise légère.
Quant à la traduction des équipes du programme de recherches La Bible En Ses Traditions que nous proposons ici, elle suit le texte hébreu (on l'appelle « massorétique »), qui propose l’énigmatique expression qol demamah daqqah, que l’on peut traduire mot pour mot par « voix-de-silence-fin ».

L’église, lieu de silence et de rencontre
Dans ce silence, Élie perçoit une parole qui le renvoie à sa mission. Dieu ne l'abandonne pas, il s'adresse directement à lui, à sa manière, progressivement. Le prophète reconnaît la présence de Dieu « à la voix du fin silence absolu », un silence qui le convoque à sortir de sa caverne où il était pour se tenir devant le Seigneur, plein de persévérance. Il a appris que Dieu se fait proche et parle au cœur dans le silence absolu. Dieu, lui qui est « chemin, vérité et vie » se rencontre donc dans le silence. Mais où trouver ce silence aujourd’hui ? Où trouver la paix quand on est, un peu comme Élie, en situation de tristesse, voire de « burn out » ?
Un monde bruyant
Il est vrai que le silence n’est pas très présent dans notre société… Quand je vivais en Italie, j’étais effrayé par le bruit continuel. Impossible de lire dans le tramway quand un italien hurle dans son téléphone à côté de vous ! Après un certain temps, j’ai compris que le bruit désignait pour eux la vie, l’activité, alors que le silence était signe de mort. Cependant, pas de si grandes différences en France. Nous sommes abrutis de bruits, de musiques, d’informations. Même nos tracteurs agricoles sont devenus de vraies boîtes de nuit ! Fini le temps où l’homme se mettait tranquillement derrière sa bête pour labourer, ayant tout le temps pour contempler la nature, voire la musculature du bœuf devant lui, et méditer sur la vie. Perdue l’époque où le soir, après le dîner, on se mettait devant le feu avec un bon livre, ou simplement pour une conversation, ou encore pour rester en silence en regardant les flammes. Abandonnées les lettres manuscrites pour lesquelles on prenait le temps de les réfléchir, de peser les mots avant de les écrire calmement. La patience, comme le silence, ne trouvent plus place chez nous…
On préfère les informations prémâchées de la télévision plutôt que la lecture d’un long article, la radio plutôt que le silence, le mail immédiat plutôt que l’attente d’une réponse, le coup de téléphone plutôt qu’une visite gratuite. Cette suractivité nous donnerait-elle l’impression de vivre ? Alors que l’on n’a même plus le temps d’écouter notre cœur battre… Et s’il nous manque de temps pour accompagner quelqu’un jusqu’à son dernier souffle, comment pourrions-nous prendre encore le temps de vivre, comme le chantait Georges Moustaki ?
Le silence
Pourtant, nous avons un profond besoin de silence. Déjà, pour y voir plus clair dans nos vies. Je m’explique. Un jour, le Père Abbé de l’abbaye du Mont-des-Cats dans le Nord, emplit une petite bouteille en verre translucide avec l’eau de la rivière qui serpentait au pied de l’église. Le midi, il montre la bouteille aux moines sans autre commentaire que : « L’eau de notre rivière ». Le soir, ayant laissé la bouteille sur la table, il la montre de nouveau aux moines en disant : « L’eau de notre rivière ». Mais au fond de la bouteille reposait une couche d’impuretés que l’on ne voyait pas flotter le midi. Il ajouta : « Il faut du temps, du silence, et du calme pour distinguer le clair du trouble ». Le silence, hors de l’agitation, nous permet de pratiquer ce discernement dans nos vies. Si nous sommes agités, ce sera impossible. Et nous avons besoin de silence. Car c’est dans le silence que notre cœur résonne à ce qui est le plus important, à l’essentiel, à la vie, à l’amour dont nous avons soif.
Une autre chose me surprend, après des années de lente désaffection, les jeunes reviennent à la foi, car ils ont soif d’espérance et de sacré. Il suffit de voir le succès des Journées Mondiales de la Jeunesse, ou les foules qui partent en pèlerinage à Chartres. Comment pourrait-il en être autrement dans une société où tout se vaut ? Ils ont besoin de sacré, ils ont besoin de sortir de la masse indistincte. La devise de notre Nation française ne dit pas « liberté, uniformité, fraternité », mais égalité. L’égalité n’est pas l’uniformité. Comment se fait-il que, comme le dénonçait Gad Elmaleh dans un de ses sketches, les catholiques ont peur de dire leur foi ? Peut-être parce que l’on a confondu laïcité et uniformité ? Peut-être parce que l’on préfère se dire sans religion, « comme tout le monde », plutôt que d’oser affirmer sa foi ?
Notre église
Pourquoi je vous dis tout cela ? Tout simplement parce que notre église sera restaurée pour une bonne part d’ici quelques mois. Il ne s’agit pas de simplement préserver un bâtiment inscrit au patrimoine du village. Il s’agit surtout de nous ouvrir un espace de silence, de calme, de recueillement et de paix. Un espace où tant d’hommes, de femmes, d’enfants, des générations qui nous ont précédés sont venus prier, chanter, se recueillir, célébrer des naissances, des mariages, des vies toutes simples, jusqu’à des morts tout aussi simples. Le patrimoine est surtout celui des prières accumulées en ces murs.
L’investissement de la municipalité, que je salue, ne trouvera pleinement son sens que si nous habitons notre église. Peut-être sera-t-il bon, une fois les travaux terminés, de réfléchir avec la paroisse comment faire vivre ce lieu… En tous les cas, nous devrons essayer de le garder ouvert pour que chacun y trouve un espace de silence, seul avec lui-même, et je l’espère seul avec le Seul, Dieu. Mais aussi de célébrations des grands moments de la vie de nos concitoyens. Et si nous avons plus de prêtres, des célébrations de la messe.
Car c’est ici, en cette église, que va se déployer l’extraordinaire pour chacun d’entre-nous. Mais attention, comprenons-nous bien. L’extraordinaire n’est pas impressionnant. Élie a rencontré Dieu dans l’ordinaire en cette « voix de silence fin », et non pas dans l’ouragan, ni le tremblement de terre, ni le feu (Dieu nous préserve de tout cela !). Mais dans cette brise légère. Cela nous invite à ne pas rêver de faire des choses extraordinaires ou devenir puissant et influent, mais bien de choisir l’humilité du quotidien, l’ordinaire de nos vies, pour y vivre de l’amour de Dieu dans les plus petites rencontres.
Extra-ordinaire
Dieu n’attend de nous, rien d’extraordinaire, mais il nous demande de vivre notre ordinaire de manière extraordinaire. C’est-à-dire mettre tout notre cœur, toute notre foi dans les petites choses de notre quotidien. Notre marche à la suite et à l’école du Christ se joue dans un sourire, un geste, une parole, tous ces petits riens dont nous sommes tous capables qui sont ces « murmures d’une brise légère », révélation de la présence et l’action de Dieu au cœur de la vie des hommes. Être chrétiens c’est être un héros, non pas de choses impossibles, mais héros du quotidien comme savent l’être bien des parents, bien des gens engagés discrètement. Car, comme le disait saint François de Sales : « Le bien ne fait pas de bruit ; le bruit ne fait pas de bien. »
Merci Monsieur le Maire, au nom de tous, d’avoir entrepris ces travaux. Je prie maintenant pour qu’ils aboutissent au sein de notre village en une moisson (sans pluie) de choses extraordinaires réalisées par des gens, somme toute, ordinaires qui seront venus chercher ici le silence, le calme, la paix, le recueillement, le sens de leur vie et de toute vie.
Et lorsque les travaux seront terminés et l’église grande ouverte, je vous propose d’en expliquer à tous ceux qui le désirent les sens symboliques et les richesses que recèlent notre belle église. Mais avant toute chose, offrons-nous une vraie minute de silence en priant les uns pour les autres, en « nous aimant vivants avant que la mort ne nous trouve du talent » comme le chantait François Valéry !
Extrait du carnet d’un ermite urbain
Au mont Horeb, Dieu s’est révélé au prophète Élie non dans le déchaînement d’une tempête mais dans le murmure d’une brise légère ( 1 Rois 19, 12). Il ne faut, en effet, que peu de choses pour éveiller notre attention à Dieu: silence, paix intérieure et humble disposition. Le silence résulte de l’absence du tintamarre quotidien, la paix de la conformité de notre conscience aux diverses normes, et l’humilité du sentiment de notre petitesse face au Très-Haut.
Si toutes les religions (et même un certain athéisme) prédisposent à des moments de contemplation naturelle, il faut bien avouer que notre religion judéo-chrétienne a ceci de particulier qu’elle y ajoute le contact avec un Être supérieur bien réel qui se distingue de toutes projections humaines: « Oui, je suis Dieu; il n’en est pas d’autre! » (Isaïe 45, 22). Ces moments de recueillement peuvent laisser en paix ceux qui s’y adonnent, mais, pour un chrétien, le profit est d’autant supérieur que cette paix devient une ouverture à l’action de l’Esprit Saint; la rencontre authentique du Dieu vivant, loin de nous séparer des autres, nous habilite au contraire à prendre notre place dans la société et dans le Corps mystique du Christ. La rencontre de Dieu avec le prophète Élie ne s’est pas soldée uniquement par l’accalmie du prophète déprimé mais l’a incité, en plus, à prendre des initiatives très concrètes: onction de son successeur (Élisée) et celles de généraux militaires destinés à supplanter divers rois de la région (1 Rois 19, 15s). L’histoire de la spiritualité chrétienne nous offre de nombreux exemples de contemplatifs devenus, par la force des choses, des hommes et des femmes d’action: saint Bernard de Clairvaux lors des problèmes de l’Église au 12e siècle, sainte Thérèse d’Avila et la réforme du Carmel en Espagne, sainte Catherine de Sienne et son influence bénéfique sur les Papes de son époque, etc.
Serions-nous réticents à cette forme de prière silencieuse qu’est la contemplation? N’ayons pas peur! Ces moments, jugés inutiles par plusieurs, peuvent devenir (par la grâce à Dieu) non seulement l’occasion de ressourcement spirituel mais également le point de départ d’une action humanitaire bénéfique.
Méditation de Soeur Anne Lécu
Élie, mon frère volcan, combien j’aime ta compagnie. Impulsif, tu voudrais tout vaincre, convertir tout le monde pour ton Dieu, et si possible tout de suite. Dans ton combat avec les faux prophètes, tu fais venir le feu du ciel sur des holocaustes inondés d’eau, et tu te moques de ceux qui ne peuvent pas en faire autant. Mais comme finalement ça ne convainc guère de monde, tu pars bouder au désert, avec des envies de mort, et peut-être de suicide, persuadé que personne ne comprend ton malheur.
Élie, mon frère de feu, j’aime la patience de Dieu avec toi, avec nous. Il se moque bien, quand même, notre Dieu, en se révélant dans la brise légère, quelques versets après ton grand show « feu du ciel », en précisant : « le Seigneur n’était pas dans le feu ». Non, notre Dieu n’est pas dans le grand spectacle, dans ce qui fait du bruit, du nombre. Il n’est pas dans les étendards, ni dans les cortèges que l’on montre au journal télévisé de 20 h.
Élie, mon frère impatient, notre Dieu est dans la voix de fin silence qui ne s’entend que quand nous nous taisons. Il est dans le souffle qui porte le corbeau jusqu’à toi pour poser à ton chevet une galette de force, « autrement, le chemin serait trop long pour toi ». Il est dans le silence des soirées de fin d’été, où l’on écoute ensemble, unis par l’amitié, le soleil s’enrouler dans le sommeil pour la nuit.
Oui, Seigneur, tu es dans la respiration du monde qui retient son souffle, à l’heure où Marie se chausse pour aller t’embaumer au tombeau, et où tu l’attends, vivant, debout, au milieu des primevères et des jasmins, comme tu attends chacun de nous.
Prier pour le silence
Seigneur,
Je suis complètement perdu face à toutes ces sollicitations qui s’imposent à moi. Il y a tant de voix qui m’appellent, tant de promesses qui me tendent les bras. Comment savoir si c’est ta volonté ? Si c’est réellement ce que tu veux pour moi ? Je n’arrive pas à t’entendre. Je ne sais pas comment te réserver un espace.
Je t’en supplie, fais régner en moi le silence. Toi qui as fait taire la tempête en lui ordonnant « Silence, tais-toi ! », tu es capable de ramener le calme en moi.
Je suis prêt à t’accueillir, je suis prêt à t’écouter,
À mon tour, je veux être capable de respecter le silence des autres,
Je te rends grâce Seigneur, je sais que dès cet instant, tu me parles dans le silence de mon cœur.