À satiété !

Le miracle des cinq miches de pain et deux poissons
Lucas Cranach l’Ancien (Kronach, 1472 - Weimar, 1553)
82 x 120 cm, Huile sur bois, bercée, plancher arrière
National Museum, Galerie Nationale des Portraits de Suède, Stockholm (Suède)
Évangile de Jésus-Christ selon Saint Jean (Jn 6, 1-15)
En ce temps-là, Jésus passa de l’autre côté de la mer de Galilée, le lac de Tibériade. Une grande foule le suivait, parce qu’elle avait vu les signes qu’il accomplissait sur les malades. Jésus gravit la montagne, et là, il était assis avec ses disciples. Or, la Pâque, la fête des Juifs, était proche.Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe : « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. » Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! » Jésus dit : « Faites asseoir les gens. » Il y avait beaucoup d’herbe à cet endroit. Ils s’assirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains et, après avoir rendu grâce, il les distribua aux convives ; il leur donna aussi du poisson, autant qu’ils en voulaient. Quand ils eurent mangé à leur faim, il dit à ses disciples : « Rassemblez les morceaux en surplus, pour que rien ne se perde. » Ils les rassemblèrent, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux des cinq pains d’orge, restés en surplus pour ceux qui prenaient cette nourriture. À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient : « C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde. » Mais Jésus savait qu’ils allaient l’enlever pour faire de lui leur roi ; alors de nouveau il se retira dans la montagne, lui seul.
L’artiste
Lucas Cranach l’Ancien était un peintre et graphiste allemand de la Renaissance qui excellait dans les portraits et dans les nus féminins. Il a été le premier membre de la famille des artistes de ce nom actifs en Saxe au cours du XVIe siècle. Lucas Cranach a adopté son nom de famille de son lieu de naissance, Kronach, une ville de Haute-Franconie dans le diocèse de Bamberg. Son père et professeur était un peintre du nom de Hans Moller ou Maler (1448-1491/2). Aucun de ses travaux n’est connu pour avoir survécu, mais sa grande maison à Kronach sur le Marktplatz suggère qu’il a réussi comme peintre. Le nom Maler ('Painter') a conduit à une certaine incertitude quant à savoir si c’était simplement une référence à la profession de Hans, mais les références contemporaines au 'pictor Lucas Moller' ou 'maler Moller' confirment qu’il était devenu le nom de la famille. L‘idée est encore courante que son nom était Sonder ou Sunder et résulterait apparemment d’une confusion avec une autre famille à Kronach, qui était liée à Lucas l’Ancien par le mariage.
De 1501 environ à 1504, Cranach vécu à Vienne, et ses premières œuvres connues datent de cette période. Ils comprennent un portrait d’un humaniste, Doctor Reuss (Germanisches Museum, Nuremberg) et une Crucifixion (1503, Alte Pinakothek, Munich). Son œuvre à cette époque, lyrique et animée par le paysage, est influencée par celle d’Albrecht Dürer.
En 1505, Cranach devint peintre de la cour des électeurs de Saxe à Wittenberg, poste qu’il occupa jusqu’en 1550. Il était un citoyen éminent à Wittenberg, et reçut un titre, puis est devenu maire en 1537. En 1508, il a visité les Pays-Bas, où il a peint des portraits de la royauté comme le saint empereur romain Maximilien Ier et le jeune prince qui lui a succédé : Charles V. Pour ses patrons électoraux, il a peint des scènes bibliques et mythologiques avec des nus sensuels et décoratifs, ce qui étaient nouveaux dans la peinture allemande. Ces œuvres comprennent de nombreuses versions d’Adam et Eve, Le Jugement de Pâris (1528, Metropolitan Museum, New York), et Vénus et Cupidon.
Cranach était un ami de Martin Luther, et son art exprime une grande partie de l’esprit et du sentiment de la Réforme allemande. Cranach a a favorisé la cause protestante par de nombreux portraits et gravures sur bois. Ses portraits de dirigeants protestants, dont de nombreuses versions de Luther et du duc Henri de Saxe (1514, Gemäldegalerie, Dresde), sont sobres et méticuleusement dessinés. Cranach dirigea un grand atelier et travailla à grande vitesse, produisant des centaines d’œuvres. Il mourut à Weimar, le 15 octobre 1553. Les fils de Cranach étaient tous deux artistes, mais le seul à atteindre la distinction était Lucas Cranach le Jeune, qui était l’élève de son père et souvent son assistant. Son fils aîné, Hans Cranach, était un artiste prometteur, mais il est mort prématurément.
Ce que je vois
On est d’abord marqué par les couleurs vives et chatoyantes de l’œuvre. Mais aussi par son côté un peu naïf que l’on retrouverait dans des oeuvres du Douanier Rousseau !
On se croirait au milieu de la Forêt Noire, peuplée de sapins et d’hêtres, avec au loin un lac qui resplendit au pied d’une montagne bleue. Et pourtant, ce doit être le lac de Tibériade ! Et c’est là, sur des près d’herbes grasses, comme dit le psaume 21, que le peuple s’est assis.
Ils sont nombreux à droite. Et l’on voit la virtuosité de Cranach comme peintre de portraits. Des mères souriantes, couvertes d’un voile de tulle sur leurs cheveux blonds peignés, tiennent dans leurs bras leur bambin joufflus qui jouent entre eux. Remarquez bien que les seules qui n’écoutent pas Jésus sont les femmes ! Les hommes, eux, de tous âges, portent leur regard sur le Maître. Des jeunes, tel cet adolescent aux cheveux roux bouclés, aux adultes comme celui qui semble être le père du précédent au premier plan, jusqu’aux anciens, barbe fournie et petite casquette « protestante ». Un chien repose près d’un rocher, il dort, ignorant ostensiblement le miracle qui se déroule pourtant sous ses yeux.
À gauche, un autre groupe d’hommes, les apôtres, entourent le Christ. Un seul, Pierre ?, nous regarde. Voyez-vous ce qui est en train de se passer, semble-t-il dire. L’un des Douze présente à Jésus ce petit garçon, bien nourri !, qui porte la nourriture salvatrice. Pourtant, il n’a que quelques poissons : deux en main et les cinq pains dans son panier de pêcheur. Certainement le petit goûter que sa maman lui avait prévu...
Jésus, vêtu d’une longue tunique bleue satinée, les yeux clos, signe de sa prière, porte sa main gauche sur le cœur alors que sa droite bénit la pêche de l’enfant. Ce dernier a un regard un peu surpris, presque déconfit.
Laquelle ?
Voilà une scène très souvent représentée en peinture. Mais ne nous trompons pas, laquelle ? En effet, Luc (Lc 9, 10-17) et Jean (Jn 6, 1-15) ne connaissent qu’un seul miracle de la Multiplication des pains. Mais Matthieu (Mt 14, 13-21 et Mt 15, 32-39) et Marc (Mc 6, 33-44 et Mc 8, 1-9) le dédoublent et relatent une seconde multiplication qui ne diffère de la première que par le chiffre.
Même s’il s’agit d’une nourriture spirituelle comme l’expliquent un certain nombre de commentateurs, ces chiffres ont un caractère paradoxal. La première fois, Jésus rassasie 5 000 hommes avec cinq pains (et deux poissons) et il reste douze paniers inutilisés ; la deuxième fois avec sept pains (deux de plus), il n’en nourrit plus que 4 000 (mille de moins) et il ne reste que sept corbeilles. Surprenant ce decrescendo... On s’attendrait à ce que le deuxième miracle nourrisse plus de monde.
Première multiplication
C’est celle qui est commune aux quatre évangiles. Tous les quatre parlent bien de cinq pains et deux poissons. Elle se déroule au bord du lac de Génésareth. Imaginez... Les disciples viennent de raconter à Jésus leur mission. Ils n’ont même pas mangé. Jésus les emmène à l’écart pour se reposer. Alors, ils prennent une barque pour s’éloigner de la foule qui va et vient. Et ils partent vers un lieu désert, à l’écart. Certainement une des rives du lac qui n’est pas habitée. Ils ont à peine débarqué que la foule, avide de voir et d’entendre le Christ, les a rejoint en suivant la rive. Ils sont lestes ! À un tel point que leur vélocité les a fait arriver avant la barque ! Jésus et ses disciples débarquent, sûrement déjà entourés par la foule. Mais Jésus ne s’énerve pas, au contraire, il est saisi de compassion (καὶ ἐσπλαγχνίσθη ἐπ’ αὐτοῖς) dans l’évangile de Marc. Le terme en grec est fort, il est pris aux entrailles, au plus profond de lui-même. On ne le changera pas ! Et il les enseigne longuement. Du haut de la montagne, plus sûrement du haut de la rive, sur la colline.

Philippe
Jésus est assis, et ses disciples l’entourent. Le soir avance et Jésus s’inquiète du ravitaillement pour toute cette foule. Oh, bien sûr, il sait ce qu’il va faire. Mais il va « tester » la foi de ses disciples. Et il s’adresse à Philippe. Vous savez, ce Philippe, originaire de Bethsaïde (le même village que Pierre et André - Jn 1,44) qui sera dans les premiers appelés. Philippe, peut-être un peu naïf comme un enfant, ou qui sait s’émerveiller et qui va aller chercher Nathanaël pour le présenter à Jésus (Jn 1, 45). Philippe qui amène à Jésus tous ceux qui veulent le voir (« Nous voudrions voir Jésus » Jn 12, 21). Philippe qui parfois ne comprend pas tout... « Montre-nous le Père... » (Jn 14, 8). Philippe l’homme qui veut voir et qui amène les autres à voir le Christ... Mais ne le confondons pas avec le Philippe qui baptisa l’eunuque (Ac 8) : lui est un des sept « diacres ».
Petit test...
Et c’est donc lui que Jésus choisit... Un petit test : à ton avis, Philippe, comment va-t-on faire pour les nourrir ? Philippe est l’homme qui voit, mais qui ne voit encore qu’avec les yeux physiques. Les yeux du cœur ne sont pas encore ouverts, ce sera pour la Pentecôte. Alors, il calcule. 200 deniers minimum. Et nous ne les avons pas. Mais un de ses coreligionnaires, originaire comme lui de Bethsaïde, André, amène un petit garçon qu’il a dû apercevoir au milieu de la foule. Un enfant qui était sûrement en train de se rassasier avec le goûter préparé par sa mère ! Heureusement, il n’a pas tout mangé et il reste cinq pains et deux poissons dans son panier. André l’amène, mais sans vraiment y croire... Qu’est-ce que cela pour tant de monde... Ou alors, il y croit, mais il ne veut pas provoquer le Maître. Simplement négocier en bon oriental en contournant le problème. Comme s’il voulait exciter Jésus à faire le miracle. Le test a fonctionné ! Comme quoi, quand on demande, même sans trop le dire, Jésus répond. Mais aussi, une autre leçon à en tirer est que Jésus attend que nous lui demandions comment résoudre nos problèmes. Nous avons tellement peur de demander. Et pourtant, c’est ce qu’il attend. Comme un père attend que ses enfants lui demandent...
Premières dispositions
Mais pour que le miracle ait lieu, il faut quelques dispositions ! D’abord, pour une meilleure digestion, que chacun soit assis. Tout va bien, il y a de l’herbe ! Ne l’avait-il pas promis (Ps 22, 1-3) :
Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d'herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre.
Les voilà assis. Et l’espace devait être assez grand pour accueillir 5 000 personnes assises, voire étendues...
Initiation eucharistique
Et Jésus va faire pour une première fois les gestes de l’eucharistie, avec les quatre étapes rituelles :
Accueillir : la foule vient à lui...
Écouter la Parole : il les enseigne longuement...
Célébrer : Il prend les pains, rend grâces, et donne la communion à tous... Dans les synoptiques, ce sont ces acolytes qui le font.
Puis l’envoi : ils recueillent les restes, renvoie la foule et se retire seul.
En fait, ces cinq mille hommes viennent de faire leur première communion !
Une double communion
Et une double communion. D’abord au pain. Ce pain descendu du ciel. Cette manne qui a nourri le peuple dans le désert. Ce pain qui sera le Corps du Christ. Rappelez-vous que chez Jean il n’y a pas de récit de la Cène. Elle est remplacée par le lavement des pieds. Comme si, aujourd’hui, c’était la Cène que Jésus célébrait au milieu des hommes. Mais ils vont aussi communier aux poissons.
Le poisson

Il fut le signe de ralliement des premiers chrétiens, bien avant la Croix qui n’apparaît véritablement comme emblème qu’au Ve siècle. On peut bien sûr le rapprocher des poissons que Jésus multiplia pour les foules, avec les pains ; ou du poisson duquel Pierre extraira la monnaie pour payer l’impôt, ou le poisson grillé par le Christ ressuscité au bord du lac. Mais sa signification a aussi un sens codé, crypté. C’est un acrostiche plus qu’un acronyme. L’acronyme est ce mot composé des lettres débutant un mot, comme SNCF (Société Nationale des Chemins de Fer). L’acrostiche, lui, est un mot composé des premières lettres d’un poème qui lui donne alors une double signification.
Ainsi en est-il de notre poisson…
I (I, Iota) : Ἰησοῦς / Iêsoûs (« Jésus »)
Χ (KH, Khi) : Χριστὸς / Khristòs (« Christ »)
Θ (TH, Thêta) : Θεοῦ / Theoû (« de Dieu »)
Υ (U, Upsilon) : Υἱὸς / Huiòs (« fils »)
Σ (S, Sigma) : Σωτήρ / Sôtếr (« sauveur »)
Les premiers chrétiens l’employèrent comme symbole car l’acrostiche « ἸΧΘΥΣ », qui correspond à « Ἰησοῦς Χριστὸς Θεοῦ Υἱὸς Σωτήρ » signifiant « Jésus-Christ fils de Dieu, sauveur », est proche du mot grec ancien « ἰχθύς » signifiant « poisson ». Ce signe rappelle aussi le poisson qui mangea Jonas durant trois jours, ou le poisson qui permettra de guérir Tobit. Il devient alors à la fois un signe d’abondance (la multiplication des pains et des poissons) et un signe de résurrection. Il sera aussi le signe du baptême, comme le rappelle Tertullien au IIIe siècle : « Nous, petits poissons selon notre poisson Jésus Christ, nous sommes nés dans l’eau et nous ne pouvons être sauvés autrement qu’en demeurant dans l’eau. C’est dans l’eau du baptême que nous sommes unis au Christ. » Il est le signe de notre FOI en Jésus Sauveur.
Ainsi, ils communient au pain de Dieu, mais aussi au Christ, Fils du Dieu Sauveur. Mais n’est-ce pas le cas de chaque communion lors de la messe ? Les fresquistes romans de l’église de Brinay ne s’y trompaient pas en ajoutant les deux poissons sur la table des noces de Cana. Car c’est un même festin, du pain et des poissons multipliés, du vin nuptial surabondant et de l’Agneau pascal, par où l’unique Sauveur sacrifie sa chair et son sang, en aliment de vie éternelle.

Noces de Cana
Anonyme
Fresques polychromes du XIIe siècle
Église de Brinay (Cher, France)
Douze couffins
Nous pourrions, bien sûr, imaginer que ces douze couffins symbolisent les douze colonnes naissantes de l’Église, comme les douze apôtres encore en germe de leur mission ecclésiale. Ou penser aux douze tribus d’Israël. La symbolique est assez claire. Mais il est un autre point important. Ces douze paniers restants sont aussi le signe que la foule a été rassasiée. Ils ont mangé à leur faim, et même à satiété puisqu’il en reste. Et Jésus désire que « rien ne se perde ». Alors, imaginons cette multiplication non seulement comme une distribution de nourriture alimentaire, mais aussi comme une distribution illimitée de grâces, du don de Dieu. Dieu donne sans compter, sans aucune limite. Dieu comble les hommes. Le mot utilisé au verset 12, traduit dans la liturgie par « mangé à leur faim » a un sens plus fort en grec (ἐνεπλήσθησαν) : il veut dire comblé, ce qui est encore plus que rassasié. Car lorsqu’on a mangé à sa faim, on quitte la table. On est sustenté. Lorsqu’on est rassasié, c’est qu’on avait une grande faim qui est calmée. Mais lorsqu’on est comblé, c’est qu’il y a encore plus sur la table que nous ne pouvions l’espérer. Et bien, Jésus comble. Il donne plus que nous ne pouvons espérer. Comme il comblera chacun de l’Esprit-Saint (Ep 3, 19) :
Vous connaîtrez ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. Alors vous serez comblés jusqu’à entrer dans toute la plénitude de Dieu.
Il y a surabondance. Surabondance de grâces. Surabondance de dons. Il est normal que nous ne sachions pas tous les recevoir, nous ne sommes que des hommes. Mais Jésus ne veut rien perdre. Ce que je n’aurai pas pris, ce qui aura « coulé » sur moi sans pénétrer mon cœur, sera distribué plus tard à d’autres. C’est la même surabondance qu’à Cana. Ce sera la même surabondance d’amour qui coulera en nous quand le Christ viendra dans sa Gloire, ce moment où nous rejoindrons « le pays où coule l’amour dont nous avons tellement soif » (Guy de Larigaudie).
Homélie de saint Augustin (+ 430), Commentaire sur l'évangile de Jean, 24, 1.6.7; CCL 36, 244.247.
Les miracles accomplis par notre Seigneur Jésus Christ sont vraiment des oeuvres divines. Ils disposent l'intelligence humaine à connaître Dieu en partant de ce qui est visible, puisque nos yeux sont incapables de le voir en raison même de sa nature. En outre, les miracles que Dieu opère pour gouverner l'univers et organiser toute sa création ont tellement perdu de leur valeur à force de se répéter, que presque personne ne prend la peine de remarquer quelle oeuvre merveilleuse et étonnante il réalise dans n'importe quelle petite graine de semence.
C'est pourquoi il s'est réservé, dans sa bienveillance, d'accomplir au moment choisi certaines actions en dehors du cours habituel des choses et de l'ordre de la nature. Ainsi, ceux qui tiennent pour négligeables les merveilles de tous les jours, restent stupéfaits à la vue d'oeuvres qui sortent de l'ordinaire et cependant ne l'emportent pas sur celles-là. Gouverner l'univers est en vérité un miracle plus grand que de rassasier cinq mille hommes avec cinq pains! Personne toutefois ne s'en étonne, alors que l'on s'extasie devant un miracle de moindre importance parce qu'il sort de l'ordinaire. Qui, en effet, nourrit aujourd'hui encore l'univers sinon celui qui, avec quelques grains, crée les moissons ?
Le Christ a donc fait ce que Dieu fait. Usant de son pouvoir de multiplier les moissons à partir de quelques grains, il a multiplié cinq pains dans ses mains. Car la puissance se trouvait entre les mains du Christ, et ces cinq pains étaient comme des semences que le Créateur de la terre multipliait sans même les confier à la terre.
Cette oeuvre a donc été placée sous les sens pour élever l'esprit, et elle s'est offerte aux regards pour exercer l'intelligence. Il nous est ainsi devenu possible d'admirer le Dieu invisible en considérant ses oeuvres visibles (cf. Rm 1,20). Après avoir été éveillés à la foi et purifiés par elle, nous pouvons même désirer voir sans les yeux du corps l'Être invisible que nous connaissons à partir du visible. <>
En effet, Jésus a fait ce miracle pour qu'il soit vu de ceux qui se trouvaient là, et ils l'ont mis par écrit pour que nous en ayons connaissance. Ce que les yeux ont fait pour eux, la foi le fait pour nous. Auss i bien, nous reconnaissons en notre âme ce que nos yeux n'ont pu voir et nous avons reçu un plus bel éloge, puisque c'est de nous qu'il a été dit : Heureux ceux qui croient sans avoir vu (Jn 20,29 ) ! <>
D'après l'évangile, les gens dirent, à la vue du signe qu'il venait d'opérer : Celui-ci est vraiment un prophète (Jn 6,14). Or, il était le Seigneur des prophètes, l'inspirateur des prophètes, le sanctificateur des prophètes. Mais il était aussi un prophète, comme cela avait été dit à Moïse : C'est un prophète comme toi que je leur susciterai (Dt 18,18). <>
Le Seigneur est prophète, il est la Parole de Dieu et, sans la Parole de Dieu, aucun prophète ne prophétise. La Parole de Dieu est avec les prophètes et la Parole de Dieu est prophète. Dans le passé, les hommes ont mérité d'avoir des prophètes inspirés et remplis de la Parole de Dieu (cf. He 1,1) ; nous, nous avons mérité d'avoir pour prophète la Parole même de Dieu.
Prière
Dieu qui aimes les hommes, ton Fils est venu dans le monde comme le grand Prophète qui nourrit les foules de sa parole et de son pain. A ceux qui forment le peuple de l'Alliance nouvelle, ne cesse pas d'accorder les signes de ta grâce et la force de ton salut. Par Jésus Christ.