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XXIIe Dimanche du Temps Ordinaire (B)

Le pur et l’impur


L


Aiguière liturgique : le passage de la Mer Rouge

Pierre REYMOND (1513 - 1584)

Troisième quart du XVIe siècle, Limoges,

Émail peint sur cuivre, H. : 29,50 cm. ; D. : 12,10 cm.

Musée du Louvre, Département des Objets d’Art, Paris (France)


Évangile de Jésus-Christ selon Saint Marc (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)

En ce temps-là, les pharisiens et quelques scribes, venus de Jérusalem, se réunissent auprès de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées. – Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, par attachement à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de carafes et de plats. Alors les pharisiens et les scribes demandèrent à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas avec des mains impures. » Jésus leur répondit : « Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » Appelant de nouveau la foule, il lui disait : « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. » Il disait encore à ses disciples, à l’écart de la foule : « C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »


L’auteur

Pierre Reymond (mort en 1584) a produit un nombre considérable d’œuvres en émail peint. Parmi les objets sortis de son atelier, on compte de nombreuses pièces de vaisselle émaillée. L’aiguière du Louvre est ornée d’une frise représentant le passage de la mer Rouge tiré de l’Exode. Elle est emblématique des œuvres de l’atelier de Pierre Reymond et du goût d’une clientèle proche de la Cour qui collectionnait ce type d’objet plus qu’elle ne s’en servait.


La production de Pierre Reymond

Pierre Reymond a laissé un nombre important d’objets de vaisselle émaillée. Les décors sont très différents d’une pièce à l’autre ce qui laisse supposer l’existence d’un véritable atelier. Outre les différences de mains et de thèmes, on constate la répétition de motifs décoratifs qui confirme que Reymond avait sous ses ordres plusieurs artisans. Les pièces attribuées à Pierre Reymond sont réparties sur quarante ans, entre 1537 et 1578. Les nombreuses pièces de vaisselle émaillée produites par Reymond ou par ses contemporains étaient acquises semble-t-il afin de constituer des collections par une clientèle proche de la Cour.


Une aiguière en émail peint

L’aiguière reprend certaines formes antiques, très élancée, elle est portée par un piédouche et composée d’un corps ovoïde terminé par un col et un bec très étirés. Les aiguières servaient à verser de l’eau à l’occasion de cérémonies liturgiques ou des liquides divers dans le domaine civil. Les aiguières sont en général associées à des plats à ombilic qui permettent de les maintenir en place au centre du dit plat. Cette aiguière ci a été associée au plat ovale dépourvu d’ombilic (OA 973 B) et représentant Abraham et le roi de Sodome. Si l’association est cohérente quant à la date et au sujet biblique sur les deux objets, il est étonnant que le plat ne soit pas doté d’un ombilic. Cette association n’est donc peut être pas d’origine. Parmi les pièces de vaisselle émaillée connues, il existe de nombreuses aiguières que l’on trouvait sur les dressoirs comme pièce décorative.


Ce que je vois

La panse de l’aiguière est ornée d’une frise en grisaille représentant la destruction des armées de pharaon englouties par la mer Rouge après le passage des Israélites. Cet épisode est tiré de l’Exode (Ex 13) et est inspiré d’une vignette du Maître ISB datée de 1539 et conservée au cabinet des estampes de la Bibliothèque Nationale de France. Les sujets bibliques se retrouvent sur plusieurs pièces de vaisselle émaillée de Pierre Reymond. Cette iconographie biblique est complétée par une scène bachique située sur l’épaule. On y voit une bacchanale avec neuf satyres accompagnant Silène porté par un âne et soutenu par deux satyres. Ce cortège est inspiré de Jacques Androuet du Cerceau. Le pied est orné de deux groupes de satyres accostés à un vase devant une guirlande de fruits rehaussés de vert et de rouge avec quatre masques.


Les pharisiens

Les pharisiens, que les enfants prononcent parfois « les parisiens »... à juste titre ?! Qui sont-ils ? Voici ce qu’en dit l’Église :

En hébreu pérouchim (פְּרוּשִׁים) : séparés
Juifs vivant dans la stricte observance de la Loi écrite ou Thora (Pentateuque) et de la tradition orale. Ils étaient séparés de la classe dirigeante, mais aussi de la foule qu’ils jugeaient ignorante et impure. Les pharisiens multipliaient les obligations et tombaient dans le pur formalisme.

Ainsi, la question du pur et de l’impur va être pour eux une obsession. Le salut passe prioritairement par le respect des règles. Et Jésus n’aime pas cette façon d’aborder la Parole de Dieu. J’ai déjà disserté sur la règle et son respect au sujet du sabbat (cf. IXe dimanche du temps ordinaire, année B). Arrêtons-nous plutôt à la réponse de Jésus :

« Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous aussi, vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »

Hypocrisie

C’est presque une insulte que Jésus leur lance au visage. Le mot est fort : hypocrites ! Mais qu’est-ce exactement que l’hypocrisie. Le dictionnaire étymologique nous explique que le mot vient du grec hupokriseos (ὑποκρίσεως) qui signifiait à l’origine une réponse dans un dialogue de théâtre, d’où le sens de « jeu d’acteurs », de feinte et de faux-semblant. En fait, de l’imitation volontaire du jeu d’acteur, on en est arrivé à l’artifice et à la fausse apparence morale. Le mot finira même par prendre le sens de fourberie. Le fourbe, l’hypocrite, n’est qu’un voleur rusé de la vérité.

Et c’est bien ce que dénonce Jésus : vous jouez un mauvais jeu d’acteurs. Vous faites croire que vous suivez la Parole de Dieu. Mais en fait, vous la contournez. Vous l’avez vidé de son sens pour l’utiliser à votre avantage. Vous attachez sur les épaules des autres de lourds fardeaux que vous refuser de porter vous-mêmes... Vous avez transformé le commandement de Dieu, fait pour le bonheur de l’homme, en préceptes étroits pour le malheur de vos contemporains.

En fait, on en revient toujours à la même question : sur le sens de règles. Seul le sens, l’objectif pédagogique de la règle lui donne sa valeur. Sinon, elle n’est qu’un carcan. Et Jésus de donner encore plus de force à sa semonce en rappelant la parole du prophète Isaïe (Is 29, 13-14) :

Le Seigneur dit : Parce que ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi, parce que la crainte qu’ils ont de moi n’est que précepte enseigné par les hommes, eh bien ! j’émerveillerai encore ce peuple par des merveilles de merveilles, et la sagesse de leurs sages se perdra et l’intelligence des intelligents disparaîtra.

Et le texte d’Isaïe continue (versets 15 et 16) avec les menaces que le Christ n’a pas prononcées, mais que tout bon Juif qui connaît le texte du prophète, ne manque pas de se rappeler :

Malheur ! Dans un profond secret, loin du Seigneur ils cachent leur projet, et leur ouvrage est fait dans l’obscurité ; ils se disent : « Qui nous voit ? Qui nous reconnaît ? » C’est le monde à l’envers ! L’argile se prend-elle pour le potier ? L’ouvrage va-t-il dire de son fabricant : « Il ne m’a pas fabriqué », et le pot va-t-il dire du potier : « Il n’y connaît rien » ?

Malheur à eux... Le prophète dénonce un monde qui marche sur la tête, où tout est à l’envers.


Aujourd’hui

N’imaginons pas trop vite que ce message ne nous concerne pas... Il me semble que l’arrogance de l’hypocrite est très à la mode, même dans l’Église... L’arrogance n’est que la face visible de cette hypocrisie : ce comportement fait de mépris et d'insolence, le plus souvent affectés. Dédain et suffisance sont devenus monnaie courante. On va encore me dire que j’exagère. Peut-être... Ou alors, c’est que beaucoup n’aiment pas que l’on dénonce tout haut leur attitude feinte. Comme Jésus le fit...


Mais n’y-a-t-il pas arrogance quand on déforme la vérité, souvent avec superbe, pour la détourner à son profit ? N’y-a-t-il pas arrogance quand on refuse avec mépris certaines vérités, et encore plus quand elles remettent en cause ? N’y a-t-il pas arrogance quand on se réfugie derrière son titre, sa position sociale, ou son institution ?


N’y a-t-il pas hypocrisie quand on proclame une Parole qu’on ne tente même pas de vivre. Il est difficile de vivre la Parole de Dieu, c’est normal. Mais demander aux autres de la vivre, sans soi-même faire le moindre effort est hypocrite. Rassurez-vous, je me pose la question à chaque fois que je prêche !


Orgueil

Hypocrisie, jeu d’acteurs du théâtre ? Oui, et même masque de théâtre. Un masque qui dissimule le vrai visage de ce péché : l’orgueil... Vraiment, je crois que c’est le pire des péchés. L’orgueilleux, tellement convaincu de son fait, tellement assuré de sa valeur, tellement dédaigneux pour les autres qui ne sont rien à côté de lui... Cet orgueil, fruit de leur esprit « à l’envers » a asséché leur cœur. L’orgueilleux se prend pour un roi comme l’argile se prend pour le potier ! L’orgueilleux se prend pour Dieu comme l’ouvrage se prend pour son fabricant...


Nous avons tous des germes d’orgueil en nous, parfois déjà bien enracinés, parfois encore en graines, parfois de grandes plantes. Mais, comme je l’ai déjà écrit, ne confondons pas l’orgueil, la fierté et la vanité.


Trois masques


L’orgueilleux se moque de ce que les autres pensent de lui. Il s’en moque car il est convaincu de sa supériorité. Qu’importe ce que pensent ces misérables ! Il est le prince du dédain. Et il ignore ce qu’est l’humilité ! Les autres sont l’argile que lui, potier, va façonner à sa main.


Le vaniteux, lui, a une mauvaise estime de lui-même. Mais, trop attentif à ce que pensent les autres, il ne veut pas qu’ils s’en rendent compte. Alors, il ment, invente, exagère, construit des châteaux en Espagne, espérant que les autres ne se rendent pas compte que ce n’est qu’un masque qui cache sa misère. Pas d’orgueil, mais pas d’humilité non plus, car il refuse de reconnaître ce qu’il est. Ici, l’argile ne se prend pas pour le potier, mais l’argile refuse de comprendre ce que le potier pourrait faire de lui.


Le fier, c’est encore autre chose. Je n’aime pas que l’on qualifie la fierté de péché, car à mon avis, être fier n’est pas un péché. C’est ce que contracte la fierté en nous qui peut devenir péché. Je m’explique. Quand on a fait une chose de bien, pourquoi ne pas en être fier ? Il n’y a aucune honte ! Par contre, si nous oublions cette petite sagesse de saint Vincent de Paul (1581-1660) :

Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit...

Alors, notre fierté se transforme en vanité orgueilleuse !


Combattre

Il nous faut combattre l’orgueil à chaque instant de notre vie. L’orgueil est à la racine de tous nos maux, et pour reprendre de façon humoristique la Parole de Jésus, à la racine de tous nos MOTS. Car en gangrénant notre cœur, il pervertit notre bouche, nos paroles, et les rend impures. L’orgueil est le coronavirus (virus couronné de sa propre superbe) de nos âmes ! Cette maladie enchaîne les symptômes : d’abord l’arrogance, puis le mensonge, et enfin la méchanceté aveugle. Il pervertit la bouche mais il attaque aussi le regard, il tord la réception auditive, abime le toucher et finit par aboutir à l’agnosie spirituelle ! Un seul vaccin, l’humilité ! La vraie, cet humus que l’on puise dans la Parole de Dieu et les conseils des saints.


Alors, soignons-nous !!!

Traité de saint Irénée (+ 200), Contre les hérésies 4, 12, 1-2, SC 100, 508-514

La tradition des anciens, que les Juifs affectaient d'observer en vertu de la Loi, était contraire à la Loi de Moïse. Voilà pourquoi Isaïe dit : Tes marchands mêlent ton vin avec de l'eau (Is 1,22), montrant par là que les anciens mêlaient à l'austère commandement de Dieu une tradition diluée, c'est-à-dire qu'ils ont instauré une loi altérée et contraire à la Loi. Le Seigneur l'a montré clairement quand il a dit : Pourquoi transgressez-vous le commandement de Dieu au nom de votre tradition (Mt 15,3) ? Ils ne se sont pas contentés de violer la Loi de Dieu par leur transgression, en mêlant le vin avec de l'eau, mais ils lui ont aussi opposé leur propre loi, qu'on appelle aujourd'hui encore la loi pharisaïque. Ils y omettent certaines choses, en ajoutent d'autres, et en interprètent d'autres à leur guise, toutes pratiques auxquelles se livrent notamment leurs docteurs.


Résolus à défendre ces traditions, ils ne se sont pas soumis à la Loi de Dieu qui les préparait à la venue du Christ. Ils ont même reproché au Christ de faire des guérisons le jour du sabbat. Cela, avons-nous dit, même la Loi ne l'interdisait pas, puisqu'elle guérissait d'une certaine façon en faisant circoncire l'homme le jour du sabbat. Cependant ils ne se reprochaient pas à eux-mêmes de transgresser le commandement de Dieu par leur tradition et leur loi pharisaïque, alors qu'il leur manquait l'essentiel de la Loi, à savoir l'amour de l'homme pour Dieu.


Cet amour est, en effet, le premier et le plus grand commandement, et l'amour du prochain est le second. Le Seigneur l'a enseigné quand il a dit que toute la Loi et les Prophètes dépendent de ces commandements (cf. Mt 22,36-40). Et lui-même n'est pas venu donner de commandement plus grand que celui-là. Mais il a renouvelé ce même commandement, en ordonnant à ses disciples d'aimer Dieu de tout leur coeur et leur prochain comme eux-mêmes.


Paul dit aussi : La charité est la Loi dans sa plénitude (Rm 13,10) et, quand tout le reste disparaît, la foi, l'espérance et la charité demeurent, mais la plus grande de toutes, c'est la charité (1Co 13,13). Ni la connaissance, ni la compréhension des mystères, ni la foi, ni la prophétie (cf. 1Co 13,2) ne servent à rien sans la charité envers Dieu. Si la charité fait défaut, tout est vain et inutile. C'est la charité qui rend l'homme parfait, et celui qui aime Dieu est parfait dans le monde présent et dans le monde à venir. Car nous ne cesserons jamais d'aimer Dieu, mais plus nous le contemplerons, plus nous l'aimerons.


Prière

Seigneur notre Dieu, nous avons besoin de lois pour vivre dans la charité, et de signes pour t'exprimer notre foi. Que ces préceptes et ces rites ne s'opposent jamais à ta volonté, mais nous aident à lui conformer notre coeur. Par Jésus Christ.

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