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XXIIIe Dimanche du Temps Ordinaire (B)

Ouvre-toi !



La guérison de l’aveugle

Jean-Marie Pinot dit Arcabas (Trémery, 1926 - Saint-Pierre de Chartreuse, 2018)

Toile de jute, pigments à l’œuf

Musée d’art sacré Arcabas

Église Saint-Hugues de Chartreuse, Saint-Pierre de Chartreuse (France)


Évangile de Jésus-Christ selon Saint Marc (Mc 7, 31-37)

En ce temps-là, Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit : « Effata ! », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Ses oreilles s’ouvrirent ; sa langue se délia, et il parlait correctement. Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. »


L’auteur


Extrait du site Wikipédia


Fils d'instituteur, Jean-Marie Pirot, devenu plus tard Arcabas, est né le 26 décembre 1926 à Trémery en Moselle. Il passe son enfance à Metz. Très tôt passionné par le dessin et la peinture, il bénéficie de l’enseignement de son premier maître Clément Kieffer. La première grande déchirure de sa vie est la seconde Guerre Mondiale. Comme tant d'autres adolescents mosellans devenus des Malgré-nous en Moselle annexée, Jean-Marie Pirot est incorporé de force dans l'armée allemande et voit le sang couler à l’âge de 17 ans. Il parvient à s’enfuir, reste caché de longs mois et finalement gagne Paris.


Formé à l'École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris, où il est admis définitivement le 9 juin 1945 dans l'atelier de Nicolas Untersteller qui devient directeur de l'école en 1948, il en sort titulaire en 1949 et rejoint son poste de professeur à l'École des Beaux-arts de Grenoble dès 1950.


En 1948, il rencontre Jacqueline Barrucand, qui se forme à la psychologie scolaire, ils auront deux enfants Etienne né en 1952 qui deviendra sculpteur et Isabelle née en 1954 qui deviendra comédienne et auteur.


Impressionné par l’une des créations majeures de l’Art sacré moderne d’après-guerre, l’église Notre-Dame-de-Toutes-Grâces du plateau d’Assy, il va sillonner dès lors le Dauphiné et la Savoie à la recherche d’une église à décorer.


En 1949/1950, il orne de peintures a fresco la Chapelle du Villard de Saint-Paul-sur-Isère en Savoie, dédiée à Saint François-de-Sales.


Enfin une église de montagne lui est confiée. C’est ainsi qu’à partir de 1953, il se fait connaître à travers une œuvre monumentale réalisée en plusieurs étapes pendant plus de 30 ans : l'ensemble d'art sacré de l'église Saint-Hugues à Saint-Pierre-de-Chartreuse dans le massif du même nom. Le chantier débute en 1951, il y reviendra à trois reprises. L'église Saint-Hugues devenue musée départemental d'art sacré en octobre 1984, lors de la donation de cet ensemble (111 œuvres) par l'artiste au Conseil général de l'Isère, elle a été rebaptisée depuis la disparition du peintre Musée Arcabas en Chartreuse.


Professeur titulaire, chef d'atelier de peinture à l'École des Beaux-arts de Grenoble de 1950 à 1969. Jean-Marie Pirot expose à la première Biennale de Paris en 1959.


Heureux bénéficiaire de commandes du gouvernement français, de collectivités locales ou de communautés religieuses, il remporte, dès les années 50, de nombreux appels d’offre ou concours (1% par exemple) et réalise un grand nombre d’œuvres monumentales


De 1969 à 1972, il est artiste invité par le Conseil des arts du Canada et professeur titulaire à l’université d’Ottawa, où il crée et dirige l'atelier collectif expérimental.


À son retour en France, l’artiste est conscient de n’être plus tout à fait le même peintre, son écriture a changé, matériaux et couleurs ont évolué, il se cherche une nouvelle identité, il prendra désormais le pseudonyme d’Arcabas.


Il fonde à ce moment-là un atelier d’arts plastiques Éloge de la main à l'université des sciences sociales de Grenoble, qu’il animera jusqu’en 1992.


En 1991, il réalise avec son fils Étienne, sculpteur, à l’initiative de l’archiprêtre Bernard Heudre, un ensemble important de mobilier liturgique pour la Cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo (Maître autel, ambon, cathèdre, fonds baptismaux …), consacré en décembre par Mgr Jacques Jullien, archevêque de Rennes.


En 1993, toujours avec Étienne, il renouvelle l’expérience pour la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes. Cette œuvre est consacrée en 1994 par Mgr Jacques Jullien, archevêque de Rennes.


Il a réalisé en 2005, le mobilier liturgique de la chapelle où est inhumé Robert Schuman à Scy-Chazelles en Moselle. Œuvre la plus importante de l'artiste dans son département d'origine.


Dauphinois de cœur, l'artiste est très présent dans différentes collections privées ou publiques en Rhône-Alpes.


Son œuvre est très présente aussi à l'étranger, et en particulier : en Belgique, à Bruxelles, au Palais Archiépiscopal où est présent son grand polyptyque titré l’Enfance du Christ (2002), et à Montaigu (Scherpenheuvel) où le Cardinal Daneels a souhaité voir installé, là aussi, un autre grand ensemble, le polyptyque Passion et Résurrection (2003).


À Francfort, Berlin, Ottawa, Montréal (Musée des Beaux-Arts), au Panama, au Japon, au Mexique et aux États-Unis.


En Italie, particulièrement en Lombardie, où en 2008, il est chargé par Dom Emilio Bronzzoni de l'aménagement complet (peintures, sculptures, vitraux, céramique du sol, mobilier liturgique, chasubles) ainsi que de la Campanella (5 cloches), de la chapelle de la communauté de Piturello à Torre de Roveri à Bergame où l’on peut aussi admiré le polyptyque Les pélerins d’Emmaüs (1994), puis par la suite de la chapelle de la Peta, à Costa Serina (vitraux, toile, mobilier liturgique). Mais aussi à Ardesio, à Cenate Sotto, ou à l’invitation de Enzo Bianchi à Magnano et à San Géminiano pour la Communauté de Boze, à Alba, et au Vatican où figure dans les appartements Pontificaux une Madone.


En 2012 il est pressenti pour créer les vitraux de la basilique du Sacré-Cœur de Grenoble en cours de rénovation : 24 vitraux (de 13 m2 chacun), l’un des plus grands ensemble de vitraux modernes du début du XXIe siècle commençant en France, il choisit le thème de la création qu’il affectionnait et qui seront réalisés par l'atelier Berthier-Bessac de Grenoble. En mars 2016, les six premiers vitraux monumentaux sont inaugurés dans la basilique, puis six autres sont aussi installés. L’ensemble du chantier sera terminé à la fin de l’année 2019 sous le contrôle de Christophe Berthier ami et collaborateur de confiance, Arcabas n’aura pas vu l’ensemble achevé.


Les derniers vitraux réalisés de manière posthume par l’atelier Berthier-Bessac seront pour l’église Saint-Christophe de Saint-Christophe-sur-Guiers-en Chartreuse.


Parmi les grands polyptyques d’Arcabas celui qui servit de décor à la lecture du Journal d’un curé de campagne de Georges Bernanos en 1962 à Grenoble, a été installé en décembre 2019 dans la nef du Couvent des Jacobins à Toulouse. Titré L’hommage à Bernanos il trouve son origine dans l’émotion qui saisit Arcabas à la lecture des Grands cimetières sous la lune, pamphlet antifranquiste du grand écrivain. Son installation à Toulouse inscrit cette œuvre dans l’univers mémoriel qui marque l’histoire de la ville rose, capitale de la Retirada des républicains espagnols.


Arcabas a fait de nombreuses expositions, à Paris, Berlin, Bruxelles, Luxembourg, Ottawa, Bergame, Francfort, Lyon, Grenoble, Marseille ou Strasbourg…


À partir de 1972, Arcabas vit et travaille à Saint-Pierre-de-Chartreuse en Isère où il meurt le 23 août 2018.


Il est inhumé à Saint-Hugues-de-Chartreuse où il repose avec son épouse Jacqueline qui l’a accompagné sa vie durant et a largement contribué à faire connaître son œuvre.


Ce que je vois

D’abord, le couleurs, dominées par le pourpre et l’ocre jaune. Puis mon regard part vers le coin supérieur droit et ce curieux arc-en-ciel qui semble couvrir l’homme de droite. Est-ce l’Esprit, l’alliance, qui fond sur lui ? Puis, à gauche, Jésus les cheveux presque rouges, la barbe naissante et le torse dénudé, pose ses mains sur le visage du sourd-muet, et lui rend la parole. L’infirme, les mains jointes, prie pour que sa prière soit exaucée. Il semble sortir d’une grotte, celle des ténèbres certainement, qui s’illumine à la présence du Christ. Ses yeux s’ouvrent. Et on le voit d’autant plus qu’il semble avoir une double paire d’yeux. Ouverts par les doigts du Christ, mais au-dessus, comme disparaissant doucement, les yeux clos, ceux de la foi, qui sont maintenant guéris. Comme si ses paupières closes, enfin dessillées par le miracle, s’enfuyaient...


Mais ici, on ne voit ni la langue du muet, ni même ses oreilles que Jésus va toucher. Le Christ semble se contenter de lui rendre la vue intérieure, la foi. Mais n’est-ce pas le plus important ? En effet, l’infirme n’avait rien demandé. Bien sûr il ne peut parler, ou du moins dans une sorte de borborygmes. Mais en plus, ce n’est pas lui qui s’est approché, mais la foule qui l’a amené. Jésus lui rend ici l’essentiel : les yeux de l’amour et de la foi. Notons que le visage de l’infirme a une allure quelque peu cubiste qui rappelle les oeuvres de Pablo Picasso. Les deux carrés blancs en bas sont ceux du support !


Une autre version

Cet évangile trouve une version parallèle quelque peu différente chez saint Matthieu (Mt 19-31). Chez Matthieu, c’est une foule bigarrée de malades, d’estropiés, que Jésus guérit ensemble. Nul détail sur les gestes qu’il fait. Marc, lui sera plus précis. Il ne s’agit que d’un sourd-muet, et, de plus, l’évangéliste nous décrit ce que fait Jésus. Ce sera la même description quand il guérira l’aveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-26).


Comment guérit Jésus ?

Rien ne l’arrête ! Même à distance, comme il l’a prouvé avec la Cananéenne (Mt 15, 22-28), par la seule force de sa Parole. Ce fut aussi le cas à Cana (Jn 2) ou avec le serviteur du Centurion (Mt 8, 5-13). Mais Jésus n’est pas pour autant pur esprit : il est le Verbe, la Parole. Et le verbe INCARNÉ, qui a pris chair. Ainsi, tout contact avec son corps laisse sortir une force ; la femme hémoroïsse en a fait l’expérience (Mc 5, 28-30) :

Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. » À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? »

Sa Toute-Puissance réside en sa chair et rayonne même à travers ses vêtements ! Et c’est bien pour cela que Jésus va utiliser tous les moyens à sa disposition pour guérir cet homme. Quels moyens hormis ceux de son propre corps : sa salive et ses doigts.


Le sourd-muet

Cet homme, amené par la foule (car c’est souvent par la foi des autres, et dans la communion des saints que nous sommes guéris de nos maux), est sourd. Et comme tous les sourds de naissance, n’ayant jamais perçu les bruits, les sons de la parole, il a bien du mal à prononcer le moindre mot. Son langage paraît confus aux oreilles de ceux qui l’entourent. Mais cette confusion n’est-elle pas aussi celle de Moïse (Ex 4, 10) ? :

Moïse dit encore au Seigneur : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! »

Ou encore celle qui prit tous les peuples qui cherchaient à « détrôner » Dieu en construisant la tour de Babel (Gn 11, 6-9) :

Et le Seigneur dit : « Ils sont un seul peuple, ils ont tous la même langue : s’ils commencent ainsi, rien ne les empêchera désormais de faire tout ce qu’ils décideront. Allons ! descendons, et là, embrouillons leur langue : qu’ils ne se comprennent plus les uns les autres. » De là, le Seigneur les dispersa sur toute la surface de la terre. Ils cessèrent donc de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela Babel, car c’est là que le Seigneur embrouilla la langue des habitants de toute la terre ; et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la surface de la terre.

La racine du mot Babel (בבל) a du sens : En akkadien Bāb-Ilum signifie « la porte des dieux ». Dans le récit biblique, ce mot prend un tout autre sens en raison d'une confusion avec la racine hébraïque BLBL, qui signifie « bredouiller », « confondre ». Cet homme est fils de Babel : il est confus, il bredouille. Il attend la Pentecôte, cet Esprit qui permettra aux apôtres d’être compris dans toutes les langues (Ac 2, 6) :

Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.

C’est maintenant le peuple qui est dans la confusion ! Alors Jésus agit pour remettre les choses à leur place, en bon ordre...


L’imposition des mains

Il commence par « étendre les mains », sorte d’épiclèse. L'épiclèse (du grec ἐπίκλησις, épiklêsis) est une invocation au Saint-Esprit dans les liturgies chrétiennes afin d'évoquer sa puissance créatrice (l'Esprit est actif à la création du monde, à l'Incarnation du Christ, à la Résurrection...). Par ce geste, Jésus le sauve du Mal, il lui donne l’Esprit, ce même Esprit qui planait sur les eaux (Gn 1, 2) ou qui guidait le peuple dans le désert (Ex 14, 19), cet Esprit qui va sauver cet homme de la captivité de son mal comme il sauva le peuple hébreu de la captivité des Égyptiens (Dt 4, 34) :

Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ?

Cet Esprit, Dieu le donne par l’imposition des mains, à bras étendus. Ce même Esprit qui sera envoyé sur tous les hommes lorsque Jésus étendra, sur la Croix, les mains sur le monde entier...


Alors, Jésus s’éloigne, car toute rencontre avec la puissance de Dieu se fait à l’écart (Jésus pria toujours à l’écart), et dans le silence...


Salive et doigts

Et Jésus va faire ce geste surprenant : crachant au sol, il fait de la boue avec se salive qu’il va appliquer, comme un collyre, sur sa langue, tel qu’il le fit à la piscine de Siloé pour l’aveugle-né (Jn 9, 6) :

Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle.

N’est-ce pas de cette boue créatrice dont nous sommes faits, cette boue qui en hébreu se dit Adam (אָדָם,) qui fait notre humanité (du latin humus : terre) ? Par ce geste, Jésus recrée la parole en cette homme, il rend l’humanité, la vie à sa langue. Comme les moines qui commencent l’office par ce verset du Psaume (Ps 51, 17) :

Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.

De même, il met ses doigts dans les oreilles de l’homme, il rend la possibilité d’entendre la Parole de Dieu. Comme Dieu l’avait demandé à Ézékiel (Ez 3, 10) :

Puis il me dit : « Fils d’homme, toutes les paroles que je te dirai, reçois-les dans ton cœur, écoute de toutes tes oreilles. »

Car, de ses doigts, Dieu va faire sauter le verrou de la surdité (Ct 5, 5) :

Je me suis levée pour ouvrir à mon bien-aimé, les mains ruisselantes de myrrhe. Mes doigts répandaient cette myrrhe sur la barre du verrou.

Mais Jésus accompagne son geste d’une parole performative. Comme Dieu le fit au début de la Genèse : Dieu dit, et cela fut. Sa Parole est créatrice.


Une parole performative

C’est une parole qui réalise ce qu’elle annonce. Cette Parole est trinitaire : prononcée par Jésus, issue du Père (Jésus lève les yeux au ciel) et dans le souffle de l’Esprit (Jésus soupire dans le gémissement de la Création). Par ce souffle, ce soupir, et cette parole, Jésus guérit, comme le précisa Paul dans l’épître aux Romains (Rm 8, 22-23.26) :

Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps.(...) Bien plus, l’Esprit Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements inexprimables.

Cette parole est simple « Ephphta ». Ce mot araméen veut dire : « ouvre-toi ». Et une double ouverture s’opérât : l’ouverture physique des oreilles et de la bouche (verset 35), mais aussi l’ouverture des yeux de la foi, comme le montre le tableau. Cet homme s’ouvre aujourd’hui au sens de la foi.


La foi

Car la foi va passer par ces deux organes. Celle-ci requiert en effet une « écoute », discernant la Parole de Dieu, pour croire au-delà de ce qui peut avoir été vu: « Écoute, Israël... » (Dt 6,4) ; « Fides ex auditu » (Rm 10,17). Et l'acte de foi se réalise « dans la confession des lèvres que Jésus est Seigneur » (Rm 10,9). L'homme ne pourrait à lui seul y atteindre, et les Apôtres se voient reprocher leur incompréhension (Mc 6,52 ; Mc 7,18 ; Mc 8,17-21). Même pour « le Serviteur de Yahvé », les prophéties du Psaume 40 et d'Isaïe 50 annonçaient que cette « ouverture » devait être donnée par Dieu. Les Apôtres n'accéderont que peu à peu à cette foi intégrale et « orthodoxe » (signifiée ici par le fait de parler « correctement »). Ils transmettront ce don en refaisant le geste sacramentel qu'ils ont vu faire au Christ. Ce rite de l'« Ephphata » était resté en vigueur dans le sacrement du baptême jusqu'à la récente réforme (Ancien Rituel, n° 34). Il est triste que, devant les risques d'incompréhension, on l'ait supprimé. Et cela quand on parle de retour à l'Évangile ! Si les braves gens ne comprennent plus, qu'on le leur explique, comme le faisait saint Ambroise (Des Sacrements, I, 3 ; Des Mystères I, 3 — SC 25 bis, p. 60 et 156) :

Ayant rappelé cet Évangile, il commente: « Ces mystères de l'ouverture [à la foi], on les a célébrés quand le prêtre t'a touché les oreilles et les narines... pour que tes oreilles s'ouvrent à la Parole et à l'exhortation sacerdotale... Et pourquoi les narines? — Afin que tu reçoives la bonne odeur de la bonté éternelle, afin que tu dises: < Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu >, comme l'a dit le saint Apôtre (2Co 2,15), et qu'il y ait en toi plénitude du parfum de la foi et de la dévotion... Ouvrez donc les oreilles et aspirez la bonne odeur de la vie éternelle répandue sur vous par le don des sacrements »


Homélie de saint Laurent de Brindes (+ 1619), 11e dimanche après la Pentecôte, Première homélie, 1.9.11-12; Opera omnia, 8, 124.134.136-138.

La Loi divine raconte les oeuvres que Dieu a accomplies à la création du monde, et elle ajoute : Dieu vit tout ce qu'il avait fait : c'était très bon (Gn 1,31). <> L'Évangile rapporte l'oeuvre de la Rédemption et de la nouvelle création, et il dit de la même manière : Il a bien fait toutes choses (Mc 7,37). Car l'arbre bon donne de bons fruits, et un arbre bon ne peut pas porter de mauvais fruits (Mt 7,17-18). Assurément, par sa nature, le feu ne peut répandre que de la chaleur, et il ne peut produire du froid ; le soleil ne diffuse que de la lumière, et il ne peut être cause de ténèbres. De même, Dieu ne peut faire que des choses bonnes, car il est la bonté infinie, la lumière même. Il est le soleil qui répand une lumière infinie, le feu qui donne une chaleur infinie : Il a bien fait toutes choses. <>


Il nous faut donc aujourd'hui dire sans hésiter avec cette sainte foule : Il a bien fait toutes choses: il fait entendre les sourds et parler les muets (Mc 7,37). <> Vraiment, cette foule a parlé sous l'inspiration de l'Esprit Saint, comme l'ânesse de Balaam. C'est l'Esprit Saint qui dit par la bouche de la foule : Il a bien fait toutes choses. Cela signifie qu'il est le vrai Dieu qui accomplit parfaitement toutes choses, car faire entendre les sourds et faire parler les muets sont des oeuvres réservées à la seule puissance divine. Et d'un cas particulier on passe à tous : <> il a réalisé un miracle que Dieu seul peut faire, donc il est Dieu, qui a bien accompli toutes choses. <>


Il a bien fait toutes choses. La Loi dit que tout ce que Dieu a fait était bon, et l'Évangile qu'il a bien fait toutes choses. Or, faire de bonnes choses n'est pas purement et simplement les faire bien. Beaucoup, à la vérité, font de bonnes choses sans les faire bien, comme les hypocrites qui font certes de bonnes choses, mais dans un mauvais esprit, avec une intention perverse et fausse. Dieu, lui, fait toutes choses bonnes et il les fait bien. Le Seigneur est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu'il fait (Ps 144,17). Tout cela, ta sagesse l'a fait (Ps 103,24), c'est-à-dire : Tu l'as fait avec la plus grande sagesse et très bien. C'est pourquoi la foule dit : Il a bien fait toutes choses. <>


Et si Dieu, sachant que nous trouvons notre joie dans ce qui est bon, a fait pour nous toutes ses oeuvres bonnes et les a bien faites, pourquoi, de grâce, ne nous dépensons-nous pas pour ne faire que des oeuvres bonnes et les bien faire, dès lors que nous savons que Dieu y trouve sa joie ? <>


Vous demanderez : "Que devons-nous faire pour mériter de jouir éternellement des bénédictions divines ?" Je répondrai en une phrase : "Puisque l'Église est appelée l'Épouse du Christ et de Dieu, nous devons faire ce qu'une femme mariée, une bonne épouse, fait pour son époux, et alors Dieu nous traitera comme un bon époux traite son épouse bien-aimée. Voici ce que le Seigneur dit par la bouche d'Osée : Tu seras ma fiancée, et je t'apporterai la justice et le droit, l'amour et la tendresse; tu seras ma fiancée, et je t'apporterai la fidélité, et tu connaîtras le Seigneur" (Os 2,21-22).


Ainsi, mes frères, nous serons heureux dès cette vie même, ce monde sera pour nous un paradis terrestre. Avec les Hébreux nous nous nourrirons, dans le désert de cette vie, de la manne céleste, si, en suivant l'exemple du Christ, nous nous appliquons, autant que nous le pouvons, à bien faire toutes nos actions, de sorte que l'on puisse dire à propos de chacune de nos oeuvres : Il a bien fait toutes choses.


Prière

Seigneur notre Dieu, que de fois ne sommes-nous pas sourds à ton appel et muets devant le témoignage à rendre ! Ne cesse pas d'ouvrir nos oreilles et de délier notre langue, afin que, devant tous, nous proclamions combien tu es admirable en Jésus, le Christ, notre Seigneur. Lui qui règne.

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