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Ve dimanche du Carême (B)

Tombé en terre…



Triptyque de la Rédemption,

Vrancke VAN DER STOCKT (Bruxelles, 1424 - Bruxelles, 1495),

Huile sur bois, 195 x 326 cm, 1455-1459,

Musée du Prado, Madrid (Espagne)


Évangile selon saint Jean 12, 20-33

En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés à Jérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. » Philippe va le dire à André, et tous deux vont le dire à Jésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure” ? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! » Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait là disait que c’était un coup de tonnerre. D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. » Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par-là de quel genre de mort il allait mourir.

Introduction

Cette œuvre me touche particulièrement car ce fut celle que je choisis de représenter sur l’image souvenir de mon ordination presbytérale ! En effet, cet évangile fut celui proclamé lors de l’ordination.



L’artiste

Cette œuvre mit du temps pour trouver son véritable auteur. Elle fut un temps attribuée à Roger VAN DER WEYDEN, puis à un maître inconnu, avant que l’on ne propose comme auteur Vrancke VAN DER STOCKT. Le triptyque aurait été la propriété de Leonor MASCARAS qui l’aurait offert au couvent de Notre-Dame des Anges qu’elle a fondé à Madrid en 1564. On sait assez peu de choses de ce peintre, hormis qu’il naquit avant 1424 à Bruxelles, dont il devint le peintre officiel après la mort de Rogier VAN DER WEYDEN, en 1464. Peut-être a-t-il collaboré avec ce dernier, ce qui expliquerait les styles extrêmement proches ?


Description de l’œuvre

Le triptyque fermé représente une scène d’évangile : le paiement de l’impôt à César. Ouvert, le panneau de gauche nous montre le jugement dernier, alors que celui de droite illustre l’expulsion d’Adam et Ève du Paradis (attention : les deux panneaux ont été intervertis sur l’image). Au centre, la grande scène de la crucifixion du Christ dans un intérieur d’église. C’est cette représentation de l’intérieur, ainsi que la scène du Jugement Dernier qui firent rapprocher l’œuvre d’un autre retable de VAN DER WEYDEN : Les sept sacrements (Musée d’Anvers)



Le panneau central

Le Christ en croix est mort. Il est entouré de saint Jean l’Évangéliste et de la Vierge Marie, sa mère. La scène est comme incluse dans une porte gothique dont les diverses parties de l’archivolte décrivent des scènes de la Passion, alors que les jambages présentent les sacrements, donnant à l’ensemble l’impression de sculptures peintes en polychromie.


Les scènes des jambages


À gauche, de bas en haut :

  • Le baptême

  • La confirmation

  • L’ordination


À droite de haut en bas :

  • Le mariage

  • La réconciliation

  • Le sacrement des malades

Notons que l’eucharistie est représentée dans la scène centrale entre la croix et saint Jean.


Les scènes de l’archivolte


À gauche, de bas en haut :

  • Jésus au jardin des oliviers

  • La flagellation

  • Le portement de croix


À droite, de haut en bas :

  • La descente de croix

  • La mise au tombeau

  • La résurrection

La scène centrale


Le fond

Remarquons d’abord le fond de la scène : une grande église gothique, très lumineuse, avec des vitraux en verre blanc ou armoriés. Le chœur est fermé par un jubé. C’est une clôture de bois ou de pierre qui séparait le chœur de la nef. Les jubés furent souvent détruits au XVIIe siècle, après le Concile de Trente pour que les fidèles puissent voir l’action liturgique. Sur celui-ci, quatre statues : les docteurs de l’Église (on reconnaît saint Jérôme et son lion). On distingue au fond un diacre en dalmatique verte en train de lire l’évangile, sur la gauche un prêtre tonsuré donnant la communion à un fidèle, et à droite un autre prêtre en chasuble violette élevant l’hostie à la consécration.


La crucifixion

La scène semble se situer à l’entrée, au porche de l’église. On peut même évaluer la longueur de la nef au nombre de colonnes qui précèdent la croix. Le changement de pavement et la marche renforcent cette idée. La croix serait-elle la porte d’entrée de l’Église ?


Jésus

Sur la croix, Jésus est mort : il a reçu le coup de lance du soldat et sang et eau ont coulé de son côté ouvert jusqu’au perizonium (le voile de pudeur qu’il porte à la taille). Couronné d’épines, son auréole se limite à quelques rayons d’or. Sur le haut de la croix, le titulus rappelle les quatre lettres INRI (Iesus Nazaretus Rex Iudeorum : Jésus de Nazareth le Roi des Juifs). Le sang coule aussi de ses pieds jusqu’au bas de la Croix. Ce sang qui vient arroser et abreuver l’Église…


Marie

À gauche, Marie, les mains croisées, des mains comme torturées par l’arthrite. Ce geste rappelle la douleur : son cœur est transpercé. Elle est revêtue d’un grand manteau bleu ourlé d’une bande décorée au fil d’or. Sous le manteau, elle semble porter une tunique de riche brocard. Rappelons que le bleu est la couleur de sa fidélité. Elle a la tête couverte d’une double guimpe (ce voile que portaient les béguines flamandes) et couronnée de rayons d’or. Son regard est triste, tourné vers le bas, comme si elle regardait ceux qui allaient se présenter au porche de l’Église. N’en est-elle pas la Mère ?


Jean

À droite, le disciple bien-aimé. L’évangéliste est pieds nus. Il porte une tunique rouge, serrée à la taille par une ceinture. Elle ressemble fort à une soutane de chanoine. Sur ces épaules, un grand manteau rouge, comparable à la Capa Magna des cardinaux, avec les trois boutons pour la tenir au col. Sa main droite en relève un pan, alors que la main gauche se tourne vers le Christ, en un geste saisissant de souffrance. Son visage, comme la tradition le veut (Jean devait être un adolescent lorsque Jésus l’a appelé), est glabre. Ses cheveux châtains bouclés sont surmontés d’une auréole en rayons d’or. Le regard tourné vers le Christ, des larmes paraissent couler de ses yeux sur ses joues. Il est à la fois jeune, et tellement vieux : image de l’Église, dont il est le fils bien-aimé, lui qui accueillît chez lui Marie ?


Un message ?

Revenons-en à l’évangile du jour, cette curieuse parabole du grain tombé en terre. Jésus parle bien sûr de lui-même : il est ce grain qui doit produire du fruit, et pour cela il faut qu’il tombe en terre, qu’il meure. Tombé en terre, il le sera. Cette croix est bien plantée en terre. Elle est comme un arbre, les racines plongées dans notre terreau humain, la cime dressée vers le ciel, les bras étendus sur le monde, comme pour mieux l’embrasser (ou l’embraser ?), comme pour mieux lui imposer les mains, et Jésus accroché comme un fruit à l’arbre de cette croix. Le grain est bien tombé en terre, et il commence déjà à germer. Il germe en son Église. Ne l’a-t-il pas confiée, cette Église, à Marie, à Jean ? Ne voyons-nous pas déjà tous les fruits pousser sur les côtés et derrière, tous ces sacrements ?


Élevé de terre

Il est élevé de terre sur cette croix. Il attire à lui tous les hommes. Il en est le chemin (Jn 14, 6) et la porte (Jn 10, 9), comme il dira lui-même. Élevé de terre, devant nos yeux, fruit mûri sur la croix, il est la porte, la porte de cette église. Nul ne peut entrer sans passer par lui. Nul ne peut rejoindre l’Église sans passer par la Croix. Nul ne peut accéder aux fruits de la Croix, aux sacrements, sans passer par la même étape…


Nous sommes les grains

Car nous aussi, imitant notre Maître, nous devons accepter de plonger en terre. Cette plongée, nous l’avons commencée au baptême. Nous sommes aussi les grains de l’Église, ou des graines de sainteté ! Des graines qui doivent suivre le même parcours que celui qui nous est montré sur l’archivolte : prier même dans la détresse, supporter la flagellation au nom de notre foi, porter notre croix chaque jour, si dur cela soit-il, nous laisser humblement soutenir et descendre de notre croix par d’autres, mettre au tombeau nos faux rêves, pour ressusciter en homme nouveau. Nous sommes les grains qui murissent doucement, sur le chemin de la sainteté par la grâce des sacrements. Ravivons notre baptême, eau nécessaire à la croissance du grain. Recevons l’Esprit de confirmation dans notre choix de pousser et grandir dans l’Église. Consacrons notre vie à Dieu, ou laissons-nous consacrer par Lui. Épousons le Christ et son Église. Laissons-nous réconcilier. Demandons-lui de guérir nos blessures. Et enfin, devenons ce que nous recevons dans l’Eucharistie : le Corps du Christ.


Un coup de tonnerre

Alors, nous deviendrons des êtres étonnants, ceux qui créent des coups de tonnerre autour d’eux, qui font que les autres comprennent que tout cela ne vient pas de nous, mais du Ciel. Que la seule chose qui nous fasse grandir comme chrétien, c’est le soleil du Christ. Mourrons à nous-mêmes pour le laisser naître en nous, nous qui sommes des autres Christs (Alter Christus).



Psaume 138

01 Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !

02 Tu sais quand je m'assois, quand je me lève ; de très loin, tu pénètres mes pensées.

03 Que je marche ou me repose, tu le vois, tous mes chemins te sont familiers.

04 Avant qu'un mot ne parvienne à mes lèvres, déjà, Seigneur, tu le sais.

05 Tu me devances et me poursuis, tu m'enserres, tu as mis la main sur moi.

06 Savoir prodigieux qui me dépasse, hauteur que je ne puis atteindre !

07 Où donc aller, loin de ton souffle ? où m'enfuir, loin de ta face ?

08 Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici.

09 Je prends les ailes de l'aurore et me pose au-delà des mers :

10 même là, ta main me conduit, ta main droite me saisit.

11 J'avais dit : « Les ténèbres m'écrasent ! » mais la nuit devient lumière autour de moi.

12 Même la ténèbre pour toi n'est pas ténèbre, et la nuit comme le jour est lumière !

13 C'est toi qui as créé mes reins, qui m'as tissé dans le sein de ma mère.

14 Je reconnais devant toi le prodige, l'être étonnant que je suis : étonnantes sont tes oeuvres toute mon âme le sait.

15 Mes os n'étaient pas cachés pour toi quand j'étais façonné dans le secret, modelé aux entrailles de la terre.

16 J'étais encore inachevé, tu me voyais ; sur ton livre, tous mes jours étaient inscrits, recensés avant qu'un seul ne soit !

17 Que tes pensées sont pour moi difficiles, Dieu, que leur somme est imposante !

18 Je les compte : plus nombreuses que le sable ! Je m'éveille : je suis encore avec toi.

19 [Dieu, si tu exterminais l'impie ! Hommes de sang, éloignez-vous de moi !

20 Tes adversaires profanent ton nom : ils le prononcent pour détruire.

21 Comment ne pas haïr tes ennemis, Seigneur, ne pas avoir en dégoût tes assaillants ?

22 Je les hais d'une haine parfaite, je les tiens pour mes propres ennemis.]

23 Scrute-moi, mon Dieu, tu sauras ma pensée éprouve-moi, tu connaîtras mon coeur.

24 Vois si je prends le chemin des idoles, et conduis-moi sur le chemin d'éternité.



Commentaire de saint Cyrille d'Alexandrie sur les Nombres (+ 444), Commentaire sur le Livre des Nombres, livre 2, PG 69, 619-624

Le Christ, comme prémices de la nouvelle création, a évité la malédiction de la Loi, mais par le fait même qu'il devenait malédiction pour nous. Il a échappé aux puissances de la corruption devenant par lui-même libre parmi les morts (cf. Ps 87,6). Après avoir terrassé la mort, il est ressuscité, puis il est monté vers le Père comme une offrande magnifique et resplendissante, comme les prémices, en quelque sorte, de la race humaine rénovée, incorruptible. <>


Comme dit l'Écriture : Ce n'est pas dans un sanctuaire construit par les hommes, qui ne peut être qu'une copie du sanctuaire véritable, que le Christ est entré, mais dans le ciel même, afin de se tenir maintenant pour nous devant la face de Dieu (He 9,24). Il est pain qui donne la vie et qui est venu du ciel. En s'offrant lui-même à Dieu le Père à cause de nous comme un sacrifice d'agréable odeur, il remet aux pauvres hommes leurs péchés et les délivre de leurs erreurs. Vous comprendrez bien cela en le comparant, par le regard spirituel, au jeune taureau muselé, et au bouc égorgé pour les erreurs du peuple. <> Il a donné sa vie afin d'effacer le péché du monde.


C'est pourquoi, de même que sous le pain nous voyons le Christ comme la vie et celui qui donne vie, sous le symbole du jeune taureau nous le voyons comme immolé, s'offrant à Dieu en sacrifice d'agréable odeur, et sous le symbole du bouc comme devenu péché pour nous (2 Co 5,21) et offert pour nos péchés. On pourrait encore le considérer sous le symbole de la gerbe. Qu'est-ce que ce signe représente ? Je vais le dire rapidement.


On peut comparer le genre humain aux épis d'un champ. Ils naissent de la terre, ils attendent d'avoir obtenu toute leur croissance et, au moment voulu, ils sont fauchés par la mort. C'est ainsi que le Christ disait à ses disciples : Ne dites-vous pas : Encore quatre mois et ce sera la moisson ? Et moi je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs qui se dorent pour la moisson. Dès maintenant le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle (Jn 4,35-36).


Or le Christ est né parmi nous, il est né de la Vierge sainte comme les épis sortent de la terre. Parfois d'ailleurs il se nomme lui-même le grain de blé : Amen, Amen je vous le dis: si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit (Jn 12,24). Ainsi s'est-il offert pour nous à son Père, à la manière d'une gerbe et comme les prémices de la terre. Car l'épi de blé, comme nous-mêmes d'ailleurs, ne peut être considéré isolément. Nous le voyons dans une gerbe, formée de nombreux épis d'une seule brassée. Car le Christ Jésus est unique, mais il nous apparaît et il est réellement comme constituant une brassée, en ce sens qu'il contient en lui tous les croyants, évidemment dans une union spirituelle. Sans cela, comment saint Paul pourrait-il écrire : Avec lui il nous a ressuscités, avec lui il nous a fait régner aux cieux (Ep 2,6-7) ? En effet, puisqu'il est constitué par nous, nous ne faisons qu'un seul corps avec lui (Ep 3,6) et nous avons acquis par la chair l'union avec lui. Car lui-même adresse d'ailleurs ces paroles à Dieu le Père : Je veux, Père, que, comme moi et toi ne faisons qu'un, eux aussi ne fassent qu'un avec nous (Jn 17,21).


Prière

Que ta grâce nous obtienne, Seigneur, d'imiter avec joie la charité du Christ qui a donné sa vie par amour pour le monde. Lui qui règne.

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