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XXVIIIe Dimanche du Temps Ordinaire (B)

Oser, c’est la sainteté…


Jésus et le jeune homme riche

Heinrich HOFFMANN (Darmstadt, 1824 – Dresde, 1911)

Huile sur toile, 1889, taille inconnue

Riverside Church, New York (U.S.A.)


Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 10, 17-30)

En ce temps-là, Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » Jésus lui dit : « Pourquoi dire que je suis bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre, ne commets pas d’adultère, ne commets pas de vol, ne porte pas de faux témoignage, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère. » L’homme répondit : « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse. » Jésus posa son regard sur lui, et il l’aima. Il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » Mais lui, à ces mots, devint sombre et s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples : « Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! » Les disciples étaient stupéfaits de ces paroles. Jésus reprenant la parole leur dit : « Mes enfants, comme il est difficile d’entrer dans le royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » De plus en plus déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : « Mais alors, qui peut être sauvé ? » Jésus les regarde et dit : « Pour les hommes, c’est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu. » Pierre se mit à dire à Jésus : « Voici que nous avons tout quitté pour te suivre. » Jésus déclara : « Amen, je vous le dis : nul n’aura quitté, à cause de moi et de l’Évangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre sans qu’il reçoive, en ce temps déjà, le centuple : maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres, avec des persécutions, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »


Le peintre

Ce peintre allemand est particulièrement connu pour ses représentations des épisodes de la vie de Jésus. Sa renommée fut surtout due à l’achat de plusieurs de ses peintures par le richissime John D. Rockefeller Jr. pour l’église qu’il fit édifier à New York. Son Christ à Gethsémani est certainement la peinture religieuse la plus copiée dans le monde.


Hoffmann emprunte son style à plusieurs peintres italiens qu’il découvrit lors de ses voyages sur la péninsule, en l’occurrence Giorgio, Bellini ou Giotto ; mais aussi aux classiques maîtres allemands ou hollandais. Sa rencontre de Peter Von Cornelius à Rome lui fit connaître les Nazaréens, ce courant pictural d’origine allemande qui mit en avant un sens romantique, influencé par l’image émotionnelle du Moyen-âge que l’on redécouvrait à cette époque, à l’instar des Préraphaélites anglais. Ce mouvement se retrouve dans le style architectural Néogothique dont Riverside Church est un bel exemple.


Ce que je vois

La scène semble se dérouler devant une maison de pierre, dont on remarque le solide mur, percé d’une porte en profondeur. Sur le côté gauche, on distingue un auvent couvert de branchages. Un paysage montagneux, avec quelques maisons, se dessine dans un ciel orangé, comme au coucher du soleil.


Sous l’auvent de bois, deux personnages, certainement un vieux couple. L’homme est assis, le dos dénudé, les braies déchirées, tient un bâton. Il est fatigué, sûrement d’une longue marche, l’œil clos, la barbe en broussaille. À ses côtés une femme regarde l’échange entre les deux hommes au premier plan. Son visage est résigné, résigné à sa condition de pauvreté. Sa main droite posée sur le dos de l’homme paraît tenter de lui rendre force et courage.


Au premier plan, deux personnages. Le plus jeune, à droite, que l’on voit de trois-quarts est richement habillé. Un joli chapeau moiré se termine en turban sur la tête. Sur ses épaules, un grand manteau blanc festonné d’une bande de tissus doré, en dessous, une tunique verte est nouée par un ruban ouvragé. Il regarde vers le bas, une moue sur les lèvres vient assombrir son fin et jeune visage glabre, entouré de beaux cheveux bouclés. Tout en lui nous désigne la richesse, l’insouciance, la beauté, la facilité de la vie.


Il converse avec l’homme devant lui vêtu d’une tunique rouge cramoisie et couverte d’un manteau vert bleu. Notre regard est immédiatement attiré par ses yeux, brûlants de force et de douceur, mais aussi par ses mains blanches au mouvement délicat. Derrière sa tête barbue, trois rayons apparaissent discrètement sur la pierre.


La scène illustre avec plus ou moins de vérité le texte d’évangile de ce jour. En effet, le jeune homme paraît ici bien plus prétentieux. Il ne se jette pas à genoux, mais reste bien droit dans ses bottes devant Jésus, discutant d’égal à égal avec lui. En fait, nous sommes dans la deuxième partie du texte et l’on imagine bien qu’après les premiers mots échangés avec Jésus, le jeune homme s’est redressé. Par contre, les yeux de Jésus sont emplis de cet amour dont nous parle Marc : « Il se prit à l’aimer ». L’un regarde l’autre, l’autre regarde à terre… L’un a les mains ouvertes, l’autre referme sa main sur lui-même. L’un ose, l’autre hésite… C’est peut-être là la clé de la sainteté : oser ! « Oser, c’est la sainteté » disait le père Jacques Sevin. Oser en évitant des écueils… L’un ose, l’autre hésite et évite…


Éviter l’esclavage… Oser la générosité !

La moralisation serait de condamner la richesse. Dans la Bible (rappelons-nous Job), la richesse, une fois qu’elle est loyalement acquise, est une bénédiction. Ce que Jésus vient nous enseigner dans l’évangile n’est pas que la richesse soit mauvaise en soi, mais que tout tient à son usage. Si cette richesse m’enferme, m’enferre (comme les mains du jeune homme), alors j’en suis devenu l’esclave. Au lieu de m’aider à vivre, au lieu d’aider les autres grâce à ce que j’ai, elle est devenue le maître de ma vie. Ma beauté, comme pour le jeune homme, en est ternie. Au lieu d’un visage de joie et rayonnant, la moue et l’inquiétude viennent s’emparer de mes traits. Jésus ne nous a pour autant jamais invité à la misère. Il nous invite à la pauvreté. La pauvreté, c’est tout simplement ne pas être lié à ce que je possède. Ce ne sont pas les richesses qui me possèdent, mais l’inverse. Et je les possède si bien que je peux m’en séparer, mettre bas ce qui m’encombre. C’est le sens de l’expression : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » Le trou de l’aiguille était à l’origine le nom de la porte basse qui était aménagée dans les portes d’entrée d’une ville. Les riches étaient alors obligés de retirer tout le bardas qui encombrait le chameau pour que celui-ci puisse rentrer à genoux, humblement dans la ville. L’octroi pouvait alors contrôler ! Bardas sur le dos, le chameau du riche ne peut entrer dans la cité céleste. Le péché n’est pas d’avoir la richesse, mais de ne pas être capable de s’en séparer. Ne condamnons pas les richesses, mais osons la générosité sans limite !


Évitons le contentement… Osons la démesure !

« Personne n’est bon, sinon Dieu seul ! » Jésus ne tient pas à ce que nous nous contentions d’un certain nombre de paroles toutes faites, de gestes calculés, d’attitudes compassées. Il n’y a pas de bon chrétiens… Il n’y a que des chrétiens qui sont appelés, au nom du Christ, à être bons ! Tout l’Évangile est un appel au dépassement, à la démesure. Du moins, tout l’Évangile est un appel à ne pas se mesurer. Devenir des « fols en Christ » devrait être notre unique objectif ! Que l’Esprit nous donne la folie de la jeunesse, la folie de l’Évangile, la folie de l’enfant touché par la Parole de Dieu.


Évitons de baisser les yeux… Osons regarder droit devant !

Ce pauvre jeune homme, pourtant si beau, baisse les yeux devant plus beau que lui. Aurait-il peur qu’en contemplant Jésus, sa propre beauté s’en flétrisse, tel Dorian Gray d’Oscar Willde ? Son regard n’ose même pas se porter sur la beauté que lui désigne Jésus : celle de la pauvreté. Ce beau jeune homme riche n’ose voir la vraie beauté intérieure de ce couple en plein dénuement, ses yeux n’osent voir la vraie richesse intérieure du Christ et du pauvre. Alors que Jésus, lui, le regarde. Il le regarde tel qu’il est. Il le regarde comme un riche qui a une vraie perle en lui : le désir de changer. Il le regarde avec les yeux de l’amour, les yeux de la confiance. Et, comme une des traductions du texte grec le propose : « Jésus se prit (se surprit même) à l’aimer ». N’évitons pas ce regard, osons plonger nos yeux dans les siens. Osons nous laisser prendre dans ses rets, osons nous laisser aimer par Jésus. Paul le dira en d’autres termes : « Laissez-vous réconcilier » (2 Corinthiens 5). Notre activité, est d’oser nous laisser aimer, nous laisser pardonner, nous laisser convertir. Et si nous n’osons pas lever le regard, notre beauté risque de se flétrir… Ce n’est pas le miroir qui montre notre beauté, c’est le regard des autres qui la dévoile. Osons regarder droit dans les yeux ! Peut-être même que si le regard du jeune homme se portait sur le couple de pauvres, il verrait qu’ils lui ressemblent tellement…


Évitons de replier nos mains… Osons les tendre !

Jésus montre, Jésus accueille, Jésus tend les mains. Elles sont ouvertes, prêtes à ouvrir et à recevoir. Elles sont là, libres, offertes. Celles du jeune homme se ferment, se protègent, se réfugient sur son flanc.


Quand on y pense, les mains sont un outil formidable. Elles nous permettent tant de choses, elles sont si sensibles. C’est par nos mains que l’homme est devenu l’homo faber, l’homme qui fabrique, qui fait, qui rend présent. Car nos mains rendent présentes tant de choses. Je me souviens de ce moment formidable de la visite du Musée de l’Acropole à Athènes avec un groupe d’aveugles. Comme eux, en fermant les yeux et en promenant mes mains sur les sculptures, je les rendais présentes, vivantes. Nos mains donnent vie. Dieu de ses mains façonna Adam, Jésus de ses mains, façonna cette même boue qu’il mit sur les yeux de l’aveugle. Des mains qui donnent vie, qui créent. Elles sont un reflet du mystère de la vie... du mystère de la rencontre.


Bernard BRO écrivait dans son fameux ouvrage, La beauté sauvera le monde :

Il est un moment dans une vie de prêtre où, sans qu’on l’ait prévu, le mystère de ceux qu’on accueille est saisissant. Il ne s’agit plus de curiosité physique. Et pourtant, il s’agit bien d’une rencontre. La plus forte et la plus discrète ; la plus noble et la plus libre ; la plus totale et la plus réservée, avant celle de la mort. C’est le moment de la communion eucharistique. (...) Je suis cependant plus ému en voyant une paroisse tendre la main vers son Dieu, pour le recevoir, depuis la réforme de Vatican II. Comme saint Thomas a tendu la main vers les plaies du Christ après la Résurrection, comme saint Pierre a saisi le bras du Christ lorsqu’il enfonçait sur la mer de Galilée, comme Marie-Madeleine au Jardin de Pâques s’est jetée les bras tendus vers son Maître.
Dans les mains de ses paroissiens, quel prêtre ne serait pas ému et même beaucoup lus : bouleversé. Mais des émigrés portugais ou africains qui supplient par-dessus les barrières au fond du parc du Bourget lors de la messe du Pape Jean-Paul II ; mains des messes du troisième âge, dans telle cathédrale lorsque s’avance une procession de huit cents ou mille personne âgées présentant inlassablement leurs paumes ravinées, creusées, sculptées. Mais encore incertaines des premiers communiants. Mains des paysans du Jura un Jeudi saint à Porrentruy ou à Delémont... Inutile de s’interroger : ce sont bien des mains de charpentiers, de bûcherons, de menuisiers comme celles du Christ. Elles ont l’air d’être immenses, tellement plus fortes que des mains de citadins. Elles parlent, disent le travail, l’apprentissage, la peine et la finesse, l’habileté, la force et la retenue.

Oui, nos mains disent tellement de nous, elles sont le reflet de notre vie, le reflet de notre âme aussi. Et l’on peut en avoir peur... « Si ta main t'entraîne au péché, coupe-là ! » nous dit Jésus (Mc 9). Elles font, elles SONT tant de choses...

  • Des mains pour faire le bien, parfois aussi le mal.

  • Des mains pour sculpter, parfois aussi pour détruire.

  • Des mains pou protéger, parfois exposer impudiquement.

  • Des mains pour caresser, parfois pour gifler.

  • Des mains pour aimer, parfois haïr.

  • Des mains pour accueillir, parfois repousser.

  • Des mains pour recevoir, parfois saisir.

  • Des mains pour consoler, parfois blesser.

  • Des mains qui parlent, parfois qui imposent le silence.

  • Des mains qui donnent, parfois qui reprennent.

  • Des mains qui écrivent, parfois qui effacent.

  • Des mains qui travaillent, parfois se replient.

  • Des mains qui abreuvent, parfois dessèchent.

  • Des mains qui plantent, parfois arrachent.

  • Des mains qui s’ouvrent, parfois pour enchaîner.

  • Des mains qui se serrent, parfois pour broyer.

Des mains qui révèlent la noblesse de notre humanité, qui montrent que nous sommes faits à l’image de Dieu, et que l’on recouvre parfois d’un masque de laideur que l’on appelle le péché...


Des mains à l’image de notre vie, de notre être le plus profond, de notre âme. À l’image du combat que nous vivons entre le Bien et le Mal, entre l’Amour et la Haine.


Mais à chaque fois, des mains qui nous servent à aiguiser un des sens ultimes de notre vie, un des sens essentiels à la rencontre : le toucher ! Vous en avez certainement déjà fait l’expérience, lors des grands froids. On perd le sens du toucher, les doigt gelés. Nous devenons si maladroits, si gourds. Sans toucher, les doigts engourdis, nous devenons gourds, pour ne pas dire des gourdes ! Le toucher nous redonne droiture et ordre. Il est vraiment un sens capital, plus que le goût, plus que l’odorat, plus que l’ouïe, autant que la vue... Car ce sens du toucher de nos mains ne prend toute sa valeur que s’il est associer à la vue. Comme il est difficile de toucher sans voir. Seule l’imagination nous permet de créer une image intérieure, de récréer, de voir ce que nos mains touchent. On dit alors que l’on voit avec les mains.


Nos mains, comme nos yeux, sont le reflet de notre âme. Ne les fermons pas… Osons ! Osons toucher et nous laisser toucher. Osons tendre la main. Osons prendre la main que Jésus nous tend.


Évitons la peur… Osons la confiance !

De fait, tout est question de peur… Qu’est-ce donc que la peur ? Le contraire de l’Évangile ! « N’AYEZ PAS PEUR » dira tant de fois Jésus. N’ayons pas peur car, il l’a promis, « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Si Dieu est avec nous, si Dieu habite en nous, si Dieu m’a fait Christ, de quoi aurais-je peur ? Ma seule peur devrait être de le contrister. Pour le reste, osons… Osons car il est avec nous. Osons nous lancer dans l’aventure de l’Évangile, quoiqu’il m’en coûte ! Oui… OSER, C’EST LA SAINTETÉ ! Amen.



Homélie de saint Jean Chrysostome (+ 407), Homélie sur le débiteur de dix mille talents, 3; PG 51, 21.

En réponse à la question que lui posait un homme riche, Jésus avait révélé comment on peut parvenir à la vie éternelle. Mais l'idée d'avoir à abandonner ses richesses rendit cet homme tout triste, et il s'éloigna. Alors Jésus déclara : Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu (Mc 10,25).


A son tour, Pierre s'approche de Jésus. Lui qui s'est dépouillé de tout en renonçant à son métier et à sa barque, ne possède même plus un hameçon. Et il pose cette question à Jésus : Mais alors, qui peut être sauvé (Mc 10,26) ?


Remarque la réserve et le zèle du disciple. Il n'a pas dit : "Tu ordonnes l'impossible, ce commandement est trop difficile, cette loi est trop exigeante." Il n'est pas non plus resté silencieux. Mais, sans manquer au respect qu'un disciple doit à son Maître, il a dit : Mais alors, qui peut être sauvé ? montrant par là combien il était attentif aux autres. C'est qu'avant même d'être le pasteur, il en avait l'âme. Avant d'être investi de l'autorité, il possédait le zèle qui convient à un chef, puisqu'il se préoccupait de la terre entière.


Un homme riche, propriétaire d'une fortune considérable, aurait probablement demandé cela par intérêt, par souci de sa situation personnelle et sans penser aux autres. Mais Pierre, qui était pauvre, ne peut être soupçonné d'avoir posé sa question pour de pareils motifs. C'est le signe qu'il se préoccupait du salut des autres, et qu'il désirait apprendre de son Maître comment on y parvient. D'où la réponse encourageante du Christ : Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu (Mc 10,27). Il veut dire : "Ne pensez pas que je vous laisse à l'abandon. Moi-même, je vous assisterai dans une affaire aussi importante, et je rendrai facile et aisé ce qui est difficile."


Prière

Seigneur Jésus, notre Maître, toi seul es bon, toi seul mérites qu'on te sacrifie toutes choses. Aide-nous à nous détacher de la richesse et du souci du bien-être. Alors notre liberté trouvera de l'espace pour s'épanouir et du courage pour s'engager à ta suite. Toi qui règnes.

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