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IIe dimanche du temps ordinaire (A)

Une Parole qui transperce…



La Bible,

Gaston BOUY (Colombes, 1866 - Colombes, 1943),

Huile sur toile, 71,5 x 191 cm, 1927,

Musée Gallé-Juillet, Creil (France)




La transverbération (ou transfixion) de Thérèse d’Avila,

Jacques VAN OOST dit le Jeune (Bruges, 1639 - Bruges, 1713),

Huile sur toile, 200 x 486 cm, avant 1679,

Église paroissiale Saint-Maurice, Lille (France)


Lecture du livre du prophète Isaïe (Is 49, 3.5-6)

Le Seigneur m’a dit : « Tu es mon serviteur, Israël, en toi je manifesterai ma splendeur. » Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur, c’est mon Dieu qui est ma force. Et il dit : « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »


Psaume 39 (40), 2abc.4ab, 7-8a, 8b-9, 10cd.11cd

D’un grand espoir j’espérais le Seigneur : il s’est penché vers moi Dans ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu.

Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens. »

Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.

Vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. J’ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée.

Lecture de la première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (1 Co 1, 1-3)

Paul, appelé par la volonté de Dieu pour être apôtre du Christ Jésus, et Sosthène notre frère, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ, leur Seigneur et le nôtre. À vous, la grâce et la paix, de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ.


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 1,29-34

En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui, Jean le Baptiste déclara : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde ; c’est de lui que j’ai dit : L’homme qui vient derrière moi est passé devant moi, car avant moi il était. Et moi, je ne le connaissais pas ; mais, si je suis venu baptiser dans l’eau, c’est pour qu’il soit manifesté à Israël. » Alors Jean rendit ce témoignage : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, celui-là baptise dans l’Esprit Saint.’ Moi, j’ai vu, et je rends témoignage : c’est lui le Fils de Dieu. »


Premier tableau


Le peintre

Peintre né à Bois-Colombe (Seine) le 2 septembre 1866, il fut en Belgique l'élève d'A. Bourson, et étudia à Paris, à l'Académie Julian et à l'école des Beaux-Arts. Il a exposé aux Artistes français et à la Nationale. Il a peint des portraits, des paysages et des intérieurs. Ami de la famille Gallé, et premier conservateur du musée Gallé-Juillet, de 1930 à 1946, il fait don de certaines de ses propres oeuvres à la création du musée.


L’oeuvre

L'immaculée s'est baignée dans la fraîcheur du Verbe éternel et de sa lumière a resplendi son âme, G.B (étiquette au revers) ; Aux artistes chez eux, 109, boulevard Haussmann, Paris (8e), du 15 au 31 Novembre 1927, Exposition de peintures et aquarelles par Albert Gauthier.


Second tableau


Le peintre

Élève de son père, Jacob van Oost dit le vieux, à Bruges, il poursuit sa formation à Paris puis Rome. Il s'installe à Lille en Flandre en 1668. Il est l'un des peintres les plus renommés, avec Arnould de Vuez, à œuvrer à Lille durant ces années.


Peintre de portraits mais surtout de sujets religieux, il couvre les églises et couvents de la ville de ses œuvres. Il épouse une lilloise, Marie Bourgeois, en 1670. De cette union naissent plusieurs enfants dont Dominique van Oost (1677-1738), peintre comme son père.


Devenu veuf, il quitte Lille en 1709, à la suite de la prise de la ville par les armées hollandaises et aux troubles qui s'ensuivent, pour retourner dans sa ville natale à l'abri de la guerre. Il y décède le 29 septembre 1713.


De nombreuses œuvres de ce maître flamand sont exposées dans des musées et des édifices religieux à Bruges, Bruxelles, Lille et au Louvre à Paris


L’oeuvre

Ce tableau est attribué à Jacques Van Oost dit le Jeune (1639-1713), peintre brugeois établi à Lille entre 1668 et 1708. Il a été réalisé peu avant 1679 pour la chapelle des Carmes déchaussés de cette ville qui fut consacrée en cette même année. Deux autres oeuvres du même artiste présentes dans l'église proviennent également de cette chapelle. L'oeuvre a été mise en place dans l'église Saint-Maurice au début du XIXe siècle.


Ce que je vois

Regardons d’abord la première oeuvre de Gaston Bouy. La scène est sombre et notre oeil est d’abord attiré par cette lumière qui éclaire le livre et les deux mains qui le tiennent. Apparemment, ce rayon vient de la gauche, comme s’il s’était glissé par un trou dans un volet clôturant une fenêtre. Puis, on cherche à qui appartiennent ces deux mains et on aperçoit cette femme dans l’ombre. Revêtue d’un longue jupe marron et d’un surcot ouvert aux manches tombantes, elle semble nous regarder, comme si elle venait d’être distraite dans sa lecture. Le peintre précise au dos de son oeuvre que c’est la Vierge immaculée qui médite les Écritures. L’oeuvre est d’autant plus saisissante que Marie est grandeur nature : elle nous regarde et nous invite à méditer la Parole divine. Une méditation lumineuse. N’est-ce pas ce qu’annonçait le psalmiste : « Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles » ?


Ce verset, « Ta loi me tient aux entrailles », est peut-être encore mieux illustré par le second tableau. Les photographies ne sont pas d’une grande qualité et je me permets de vous en montrer une seconde :



La scène représente ce que l’on appelle la « transverbération » ou la « transfixion » de sainte Thérèse d’Avila. Voici comment elle raconte cette expérience mystique dans son Livre de vie :

« J’apercevais près de moi, du côté gauche, un ange sous une forme corporelle. […] il n’était point grand, mais petit et très beau ; à son visage enflammé, on reconnaissait un de ces esprits d’une très haute hiérarchie, qui semblent n’être que flamme et amour. […] Je voyais dans les mains de cet ange un long dard qui était d’or, et dont la pointe en fer avait à l’extrémité un peu de feu. De temps en temps il le plongeait, me semblait-il, au travers de mon cœur, et l’enfonçait jusqu’aux entrailles ; en le retirant, il paraissait me les emporter avec ce dard, et me laissait tout, embrasée d’amour de Dieu. […] La douleur de cette blessure était si vive, qu’elle m’arrachait ces gémissements dont je parlais tout à l’heure : mais si excessive était la suavité que me causait cette extrême douleur, que je ne pouvais ni en désirer la fin, ni trouver de bonheur hors de Dieu. Ce n’est pas une souffrance corporelle, mais toute spirituelle, quoique le corps ne laisse pas d’y participer un peu, et même à un haut degré. Il existe alors entre l’âme et Dieu un commerce d’amour ineffablement suave. […] Les jours où je me trouvais dans cet état, j’étais comme hors de moi ; j’aurais voulu ne rien voir, ne point parler, mais m’absorber délicieusement dans ma peine, que je considérais comme une gloire bien supérieure à toutes les gloires créées ».

Elle aussi méditait les Écritures lorsque l’ange lui apparut. Nous connaissons tous cette célèbre statue du Bernin à Rome où l’extase de saint Thérèse parut assez équivoque aux yeux des commanditaires…



Extase de sainte Thérèse,

Gian-Lorenzo BERNINI dit Le Bernin (Naples, 1598 - Rome, 1680),

Marbre, hauteur : 350 cm, 1647-1652,

Santa Maria della Vittoria, Rome (Italie)


Mais que veut donc bien dire ce terme de transverbération ? Le dictionnaire de l’Académie française nous l’explique :

Emprunté au latin transverberare « transpercer », composé de verberare « battre, frapper » et de trans (à travers).

La transfixion a le même sens. Mais c’est la similitude phonétique du mot latin « verberare » avec le mot « verbum » (parole) qui me séduit. La parole de Dieu qui vient transpercer la sainte. La parole divine qui pénètre son coeur, son âme. Le tableau de Lille vient illustrer cet instant mystique que vécut la sainte, et donner du poids à mon intuition.


Thérèse, en grande tenue carmélitaine, est en prière dans la nature. À genoux, elle médite les Écritures posées à terre devant elle. Et voici ce premier ange qui apparaît, à sa gauche (à droite sur notre tableau). Effectivement, il est très beau, et ses cheveux dorés semblent des flammes. Derrière elle, un autre ange, aux jambes effilées et au visage dans l’ombre, tient en main la flèche qui va transpercer la sainte. Mais, en fait, toute la cour céleste semble convoquée : des visages de putti apparaissent dans le ciel. La sainte tombe en pâmoison, une main sur le coeur, alors que l’autre semble s’abandonner vers la Bible. Au point que si je suis le parcours de la flèche, après avoir transpercé le coeur de la sainte, elle ira se ficher dans le livre au sol, unissant ainsi la sainte, son coeur (son âme) et la Parole de Dieu.


Méditation

Et c’est dans cet esprit que j’ai intitulé mon texte : « Une Parole qui transperce… » En effet, C’est peut-être le fil, ou la flèche, qui traverse l’ensemble des textes entendus ce dimanche. J’en veux pour signe :

  • Isaïe : « Maintenant le Seigneur parle, lui qui m’a façonné dès le sein de ma mère pour que je sois son serviteur, que je lui ramène Jacob, que je lui rassemble Israël. Oui, j’ai de la valeur aux yeux du Seigneur ». Le Seigneur nous façonne par sa Parole.

  • Le Psalmiste : « D’un grand espoir j’espérais le Seigneur : il s’est penché vers moi… Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse… Vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. » Cette Parole me transperce…

  • Saint Paul : « à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ ». C’est cette Parole qui nous sanctifie.

  • Saint Jean : « J’ai vu l’Esprit descendre du ciel comme une colombe et il demeura sur lui. » Jésus, lui aussi, fut « transverbérer » par l’Esprit du Père.

Alors, que vient dire à chacun de nous la liturgie en ce dimanche qui inaugure le temps ordinaire ? D’abord, je dois dire que je n’aime pas trop ce mot « ordinaire ». En l’entendant je pense à ce que l’on appelait avant « l’essence ordinaire », ou à du beurre ordinaire, voire à un Président ordinaire… Le mot « ordinaire » signifie ce qui est conforme à l'ordre normal, habituel des choses. Mais à un tel point habituel qu’on peut finir par s’en lasser, ou ne plus être attentif à l’importance de ce temps. Je pense à la Prière des chevaliers écrite par le Père Sevin, jésuite : « Dans l'obscurité des journées banales, préparez-nous aux grandes choses par le fidélité aux petites et enseignez-nous que la plus fière épopée est de conquérir notre âme et de devenir des saints. ». Dans l’obscurité de ce temps ordinaire, préparons nos coeurs, nos âmes à la venue du Seigneur. Prenons conscience que ce temps « banal » (celui qui appartient au Seigneur, dans le sens féodal du terme) est celui de l’avènement du Christ dans le coeur des hommes, en son Église. Prenons acte qu’il nous faut faire preuve de fidélité. Et je rappelle que ce mot (dont la racine latine est fides) veut autant signifier notre persévérance dans nos actes, que nous amour confiant, que notre foi.


Alors, fidèles à quoi ? Fidèles à un projet grandiose, incommensurable, pour ne pas dire inimaginable : « conquérir notre âme et de devenir des saints. » Voilà le vrai projet de ce temps de l’Église, voilà la vraie mission qui nous est confiée : devenir des saints. Voilà le rêve pas si banal, pas si ordinaire que ça ! Trente-trois dimanches, avec l’interruption du Carême et du temps pascal, pour concrétiser ce rêve. Trente-trois semaines où, dans l’obscurité des journées banales, nous devons avoir pour objectif de préparer, dans le fin-fond de notre atelier spirituel les conditions pour devenir des saints, et conquérir notre âme.


Car cette âme a été faite à l’image de Dieu, à sa ressemblance (Gn 1, 26) : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. » Et comment ressembler à Dieu si nous ne prenons pas le chemin de la sainteté ? Je relis ce que saint Paul nous a dit « à ceux qui ont été sanctifiés dans le Christ Jésus et sont appelés à être saints avec tous ceux qui, en tout lieu, invoquent le nom de notre Seigneur Jésus Christ ».


Première clé

Comment y arriver, me direz-vous ? Je ne suis pas un gourou, et je n’ai aucune solution miracle. Mais j’ai les Écritures avec moi. Et c’est là où je vais trouver le chemin.


Le premier chemin, c’est de demander à l’Esprit de fondre pour moi afin que ma prière ne soit pas une sorte d’introspection maladive, mais une vraie prière adressée au Dieu qui m’aime et pour qui j’ai de la valeur, comme nous l’avons entendu en Isaïe. J’aime cette prière rédigée par Enzo Bianchi pour commencer toute méditation de l’Écriture :

Notre Dieu, Père de la lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, ta Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes. Envoie maintenant ton Saint-Esprit sur moi, afin que je puisse entendre ta Parole dans ce passage de l’Écriture et rencontrer Jésus Christ dans cette Parole qui vient de toi. Accorde-moi de le connaître plus intensément ; et qu’en le connaissant mieux je l’aime davantage, parvenant ainsi, à sa suite, à la béatitude de ton Royaume, béni pour les siècles des siècles. Amen

Ou alors cette prière d’Éphrem le Syrien qui inaugure tous les offices liturgiques chez les Orthodoxes :

Seigneur et Maître de ma vie, ne m'abandonne pas à l'esprit de paresse, de découragement, de domination et de vain bavardage ! Mais fais-moi la grâce, à moi ton serviteur, de l'esprit d'intégrité, d'humilité, de patience et de charité. Oui, Seigneur-Roi, accorde-moi de voir mes fautes et de ne pas condamner mon frère, ô Toi qui es béni dans les siècles des siècles. Amen.

Deuxième clé

Personnellement, j’ai toujours du mal à avoir une prière silencieuse sans appui. C’est-à-dire sans un texte, une image pour m’aider et me guider. En fait, j’ai besoin que cette Parole de Dieu me « transvébère » ! Mais, n’est-ce pas ce que le psalmiste nous a dit ? Reprenons le psaume de ce jour :

D’un grand espoir j’espérais le Seigneur : il s’est penché vers moi Dans ma bouche il a mis un chant nouveau, une louange à notre Dieu.
Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. Mon Dieu, voilà ce que j’aime : ta loi me tient aux entrailles.
Vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. J’ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée.

Qu’en retenir ? D’abord, que la louange devrait toujours être sur nos lèvres. Sacrée leçon, nous qui, en bon français, sommes plutôt des râleurs et quémandons continuellement de l’aide… Alors qu’il nous faudrait commencer par rendre grâce pour tout ce que Dieu nous a déjà dispensé.


Ensuite, il y a ce merveilleux couplet… Combien de fois n’ai-je pas entendu cette question : « Qu’est-ce que Dieu attend de moi ? Que dois-je faire ? Quel chemin dois-je prendre ? » La réponse vient de nous être donnée : « Dans le livre, est écrit pour moi ce que tu veux que je fasse. » Le livre, c’est la Bible, bien sûr. Mais si nous ne l’ouvrons pas, ou qu’épisodiquement, comment pourrions-nous y trouver les réponses ? Une nouvelle fois, je vous le dit : lisez la Bible chaque jour. Lisez et surlignez ! Vous serez surpris de voir que l’année suivante ce ne sera pas le même verset qui vous touchera. Ou même que vous aurez l’impression de lire ce verset, ce texte, pour la première fois. Tout simplement parce que Dieu imprime en vous ce dont vous avez besoin à ce moment-là, et pas à un autre. Cette parole sera pour vous comme une flèche qui viendra vous transpercer l’âme. Et à l’instar de sainte Thérèse d’Avila, elle vous fera souffrir (pathos : et donc vous vous associerez à la Passion du Christ), mais vous pourrez aussi dire : « mais si excessive était la suavité que me causait cette extrême douleur, que je ne pouvais ni en désirer la fin, ni trouver de bonheur hors de Dieu. »


Troisième clé

Rassurez-vous, même si vous ne désirez pas la fin de cette prière, les choses terrestres vous rappelleront à elles ! Mais alors, il faut que nous portions du fruit comme Jésus le déclarait à ses amis (Jn 15, 10-16) :

« Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi, j’ai gardé les commandements de mon Père, et je demeure dans son amour. Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande. Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. »

Cette troisième clé est bien de porter du fruit. Ou pour le dire avec les mots du psalmiste : « Vois, je ne retiens pas mes lèvres, Seigneur, tu le sais. J’ai dit ton amour et ta vérité à la grande assemblée. » Si cette Parole nous fait vivre, si elles est suavité en notre âme, comment pourrions-nous la garder jalousement et avidement pour nous ? Elle ne peut que se distribuer !


Tous les matins, le premier office commence par le psaume 94 qui nous rappelle cette forte injonction : « Aujourd'hui écouterez-vous sa parole ? » L’écouterons-nous tout au long de ce temps de l’Église ?



Prière des Chevaliers (Jacques SEVIN)

Seigneur Jésus,

De qui descend toute noblesse et toute chevalerie,

Apprenez-nous à servir noblement ;

Que notre fait ne soit point parade ni littérature,

Mais loyal ministère et sacrifice coûteux.

Tenez nos âmes hautes, tout près de Vous,

Dans le dédain des marchandages,

Des calculs et des dévouements à bon marché,

Car nous voulons gagner notre paradis

Non pas en commerçants, mais à la point de l’épée,

Laquelle se termine en croix, et ce n’est pas pour rien. Nous avons fait de beaux rêves pour Votre amour ;

Dans l’obscurité des journées banales,

Préparez-nous aux grandes choses par la fidélité aux petites,

Et enseignez-nous que la plus fière épopée

Est de conquérir notre âme et de devenir des Saints. Nous n’avons pas visé moins haut, Seigneur,

Et nous sommes ambitieux,

Mais malheureusement, nous sommes faibles,

Et cette grâce, nous l’espérons de votre miséricorde, nous conservera humbles. Demandez-nous beaucoup, et aidez-nous à vous donner davantage.

Et puisque nous sommes livrés à Vous,

Ne vous gênez pas pour nous prendre au mot et pour nous sacrifier,

Nous vous le demandons malgré le tremblement de notre chair,

Car nous voulons n’avoir qu’une crainte, celle de ne pas Vous aimer assez.

Et quand au soir de notre dernière bataille,

Votre voix de Chef sonnera le ralliement de tous Vos Chevaliers,

Faites, Seigneur, c’est notre suprême prière,

Faites que notre mort serve à quelque chose,

Et accordez-nous la grâce de mourir debout.

Ainsi soit-il.


Pratiquer aujourd’hui la Lectio Divina


« Les prêtres, serviteurs de l’évangélisation » – Bordeaux, mars 2014


Dans notre vie, et en particulier dans la prière, Dieu nous invite chacun à la rencontre et à la relation avec lui. Cela est vrai en particulier pour vous qui exercez le ministère presbytéral au nom du Seigneur. Mais comment entrer concrètement dans cette relation ? Comment entendre la parole qui nous est adressée, pour cheminer jour après jour avec Celui qui veut pour nous le bonheur et nous a appelés à son service devant les hommes ? Avant tout en nous mettant en condition d’écoute. Or pour écouter la Parole, il nous faut en premier lieu lire l’Écriture : car c’est l’Écriture qui contient la Parole que Dieu veut chaque jour nous adresser pour nous faire cheminer à la suite de son Fils, dans la puissance de son Saint-Esprit. Et c’est à cela que cherche à nous introduire la méthode ancienne mais toujours actuelle de la lectio divina. Elle consiste en un itinéraire, à reprendre toujours, pour centrer notre attention sur le Seigneur qui nous parle à travers la Bible. Et c’est en pratiquant la lectio divina avec assiduité qu’on en fait l’expérience : combien ce temps de ressourcement quotidien est important pour notre vie de foi, et même pour notre ministère !


Écouter Dieu qui nous parle Tout d’abord, il m’importe de le dire : que personne ne s’étonne et ne se désespère si la distraction le surprend quand il trouve finalement un moment dans la journée pour se recueillir et prier. Mille choses, peut-être même bonnes en soi, nous distraient de l’attention pour le Seigneur et nous semblent plus importantes que ce peu de temps que nous voudrions consacrer à l’écouter et à lui parler en face-à-face, « comme un ami le fait avec son ami ». C’est la tentation la plus quotidienne, peut-être aussi la plus dangereuse, parce qu’elle semble ne concerner qu’un aspect marginal de la vie chrétienne : au fond, dirons-nous, si je ne prie pas maintenant, je peux toujours prier à un autre moment, je pourrai me concentrer sur la Parole de Dieu quand je serai plus tranquille, après avoir résolu tel problème urgent… C’est une tentation ancienne, que tout croyant connaît tôt ou tard.

Pour y faire face, je veux donc vous conseiller une pratique tout aussi ancienne, une manière de chercher le dialogue avec Dieu à travers sa Parole : la lectio divina. Il s’agit d’une façon de lire l’Écriture sainte qui, se produisant dans la foi, dans la prière, dans l’ouverture à l’Esprit saint, devient écoute de la Parole de Dieu qui, au travers de la page biblique, s’adresse personnellement à nous. Cette « méthode » de lecture priante de l’Écriture se fait à la lumière du Saint-Esprit, car seul l’Esprit qui a inspiré les auteurs bibliques peut ressusciter la page écrite il y a si longtemps pour en faire une Parole vivante aujourd’hui. La lectio divina vise à interpréter l’Écriture à travers l’Écriture elle-même, à faire émerger du texte écrit une Parole vivante. Elle nous conduira à la prière, en nous amenant à nous adresser à Dieu avec les mots mêmes qu’il a lui-même utilisés pour s’adresser à nous.

D’ailleurs, il y a quelques années, le pape lui-même invitait les fidèles à la pratique de la lectio divina pour renouveler leur foi et leur prière. Voici ce qu’écrivait alors Jean Paul II : « Il n’y a pas de doute que le primat de la sainteté et de la prière n’est concevable qu’à partir d’une écoute renouvelée de la Parole de Dieu. Il est nécessaire, en particulier, que l’écoute de la Parole devienne une rencontre vitale, selon l’antique et toujours actuelle tradition de la lectio divina permettant de puiser dans le texte biblique la parole vivante qui interpelle, qui oriente, qui façonne l’existence. » (Novo millennnio ineunte, 39.)


Un chemin en quatre étapes Les racines de la lectio divina remontent jusqu’à l’Ancien Testament. Mais l’interprétation de l’Écriture que faisaient les Pères de l’Église en est également très proche. Le nom lectio divina naît avec le monachisme occidental. C’est d’ailleurs un moine du XIIe siècle, Guigues le Chartreux, qui en a balisé l’itinéraire, devenu classique. Pour lui la lectio divina est une opération en quatre temps, un chemin marqué par quatre étapes : la lecture, la méditation, la prière, la contemplation. Il écrit : « La lecture porte la nourriture à la bouche, la méditation la mâche et la broie, la prière en acquiert la saveur et la contemplation est cette saveur elle-même qui réjouit et refait. » (L’échelle des moines, I.)

Bien sûr, ce schéma ne fournit pas une recette, mais l’indication d’un itinéraire de liberté qui n’a certes pas à être considéré de manière mécanique. Bien souvent la méditation devient prière et contemplation sans même que nous nous en apercevions : dans la pratique, il n’y a pas de frontière précise ni de déroulement chronologique absolu entre ces divers éléments. Plus encore que d’une « technique », il s’agit d’un « art » ! On pourrait, en fait, résumer l’ensemble de la démarche en deux moments : une inspiration, qu’est la lecture de la page biblique et la méditation (en un mot : l’écoute, qui vise à faire émerger en nous ce que le texte dit), et une expiration dans la prière et la contemplation (pour ainsi dire notre réponse à Celui qui nous a parlé à travers l’Écriture ; où émerge davantage le lecteur avec sa vie et son expérience de foi). Oui, la lectio divina est un mouvement respiratoire, où ce que l’on « respire » est la Parole de Dieu, sa volonté.

Mais trêve de discours. Comment « fait-on » concrètement la lectio divina ? Comment devons-nous nous y prendre pour « prier la Parole » ?


Le lieu et le temps propices Avant de commencer, il faut trouver d’abord un lieu de solitude et de silence. Car on est appelé à chercher et à rencontrer Dieu « qui est dans le secret » (Mt 6,6). Pour se disposer à écouter la Parole, on devra s’efforcer de faire taire les nombreuses paroles et les bruits qui assourdissent notre cœur : il s’agira de prendre distance des innombrables « présences » qui nous assaillent journellement. Une parole autorisée ne peut naître que du silence, de l’écoute, de la capacité de méditer, de penser et de pondérer. Pour s’aider à la lectio divina, on pourra recourir à une icône, à une bougie allumée, à une natte sur laquelle on s’agenouillera pour prier. Peut-être voudra-t-on aménager dans sa maison un angle dont le cadre pourra soutenir la prière. Il est certainement essentiel d’impliquer le corps dans la rencontre avec le Seigneur à laquelle on se prédispose : la lectio divina n’est pas purement intellectuelle, elle doit concerner toute notre personne, tout notre corps.

Il est bon par ailleurs de consacrer à la lectio divina un moment fixe dans la journée, un temps auquel on restera fidèle, et non des moments perdus, grappillés entre les nombreuses activités. Au-delà de l’indication d’une durée de temps déterminée, qui dépendra toujours de la situation du moment et des activités, c’est bien davantage la persévérance, l’assiduité quotidienne qui donnera à la lectio divina de produire des fruits.

La lectio divina nécessite de notre part une intériorisation, pour que la semence de la Parole puisse tomber en terre et prendre racine ; elle exige la persévérance, parce qu’une écoute enthousiaste mais incapable de durer dans le temps reste stérile ; elle requiert la lutte spirituelle, pour retenir la Parole et ne pas la laisser se faire suffoquer par les ronces des désirs mondains (voir Mc 4,13-20). Très concrètement, la lectio divina permettra à la Parole de Dieu d’exercer une seigneurie réelle sur notre vie de croyant. Elle pourra ainsi produire un fruit spirituel, véritable et profond.


Invoquer l’Esprit Une fois établis le cadre et le moment de la lectio, il faut prendre la Bible et la mettre devant soi. On se préparera à la lectio divina par un temps de silence – pour faire taire toutes les voix qui résonnent en nous et s’ouvrir à la voix de celui dont la Parole veut nous atteindre –, mais aussi par la prière. Et avant tout par l’invocation du Saint-Esprit qui peut nous illuminer et nous donner l’intelligence de la Parole. Avant de commencer la lecture d’un passage de la Bible, il s’agit donc de prier le Saint-Esprit, pour qu’il descende sur nous, qu’il ouvre les oreilles et les yeux de notre cœur (les seuls avec lesquels on écoute et on voit vraiment bien…) et pour qu’il nous révèle le visage de Dieu dans la foi. Invoquons alors l’Esprit saint avec la certitude d’être exaucé, parce que Dieu ne refuse jamais son Esprit à ceux qui le supplient avec humilité et docilité (voir Lc 11,13).

On peut prier comme on en est capable ; comme le Seigneur l’accorde. Ou, si l’on veut, on peut prier avec ces mots : « Notre Dieu, Père de la lumière, tu as envoyé dans le monde ton Fils, ta Parole faite chair, pour te manifester à nous, les hommes. Envoie maintenant ton Saint-Esprit sur moi, afin que je puisse entendre ta Parole dans ce passage de l’Écriture et rencontrer Jésus Christ dans cette Parole qui vient de toi. Accorde-moi de le connaître plus intensément ; et qu’en le connaissant mieux je l’aime davantage, parvenant ainsi, à sa suite, à la béatitude de ton Royaume, béni pour les siècles des siècles. Amen. »


Ouvrir la Bible et lire La Bible est devant nous : ce n’est pas un livre parmi tant d’autres, mais c’est celui qui contient la Parole de Dieu ! Oui, la Bible jouit de ce statut tout particulier dans l’Église qui la rend sacrement de la Parole de Dieu : à travers elle, Dieu aujourd’hui veut nous parler personnellement. Commençons alors à lire le texte biblique retenu ! Soyons obéissants au texte ; ne le choisissons pas selon l’humeur du moment : prenons le passage prévu par le lectionnaire pour la liturgie commune, ou bien un livre biblique en le suivant dans sa continuité, jour après jour, passage par passage, sans sauter ici ou là. On lira lentement, sans hâte, en cherchant à imprimer dans notre cœur ce que le texte dit. Il ne faut pas hésiter à relire le passage plusieurs fois, même quatre ou cinq fois. Car l’essentiel est de tenter de l’écouter de tout notre cœur, de toute notre intelligence, de tout notre être. Il s’agit de pénétrer le texte en profondeur !

Lorsqu’on se trouvera devant un récit que l’on connaît déjà, le risque sera grand de le lire de façon superficielle, de ne pas s’arrêter sur le texte, et d’en perdre ainsi la richesse insondable. Il pourra alors être utile d’écrire le texte en le recopiant ou en le reproduisant de mémoire. Cela obligera à faire un effort de concentration capable souvent de faire émerger des aspects du texte dont on ne s’était encore jamais aperçu : bien des choses nous échappent en effet lors d’une première lecture et nous apparaissent nouvelles quand nous essayons, par exemple, de redire par cœur les versets que nous venons de lire… Par ailleurs, ceux qui connaissent les langues bibliques – l’hébreu et le grec – peuvent lire la Bible dans le texte original, en puisant dans cette immense richesse que toute traduction, inévitablement, estompe ou masque. Mais quoi qu’il en soit, une bonne traduction, voire plusieurs traductions confrontées entre elles, satisfera sans problème la nécessité de partir d’une base textuelle solide. Toutefois, il convient de le reconnaître, cet acte de lecture, qui est l’acte initial de la lectio divina, n’est pas aisé aujourd’hui, et on devra probablement s’exercer pour l’affiner. En un temps où on lit peu, où on lit surtout vite, pour emmagasiner le plus grand nombre d’informations possibles dans un minimum de temps, il nous faut apprendre ou réapprendre à lire, à nous mettre dans un rapport dialectique avec un livre. Et ceci vaut en particulier pour ce texte si exigeant qu’est la Bible. Or en s’y exposant, on découvrira peu à peu que lire, c’est apprendre à se connaître soi-même comme personne humaine. Comme l’écrivait Paul Ricœur, « nous ne nous comprenons que par le grand détour des signes d’humanité déposés dans les œuvres de culture ». Oui, cette réflexion s’applique tout particulièrement à ce monument de culture qu’est la Bible !

Enfin une dernière recommandation en ce qui concerne la lecture : même si on fait la lectio divina dans sa chambre, dans la plus parfaite solitude, il peut être bon de lire le texte à haute voix, de manière à écouter physiquement ce qu’on lit. Ce sont les Pères de l’Église du Moyen Âge qui insistaient sur l’importance qu’il y a à écouter la « voix » qui émane des pages bibliques : car l’écoute est déjà prière, elle est déjà accueil en soi de la Parole et donc de la présence de Celui qui parle.


Chercher en méditant L’étape suivante peut être formulée ainsi : il s’agit de « ruminer », de remâcher les mots dans son cœur et d’appliquer à soi-même, à sa propre situation, à ses préoccupations, le message que ce passage de l’Écriture propose. Il faut réfléchir sur le texte avec son intelligence, illuminée par la lumière de Dieu. Il ne s’agit pas de faire du psychologisme ou de s’abîmer dans je ne sais quelle analyse des profondeurs : laissons-nous simplement étonner, attirer par la Parole. C’est Dieu lui-même qui nous parle !

La méditation n’a rien à voir avec une introspection ou une auto-analyse psychologisante. Elle est par contre un approfondissement du sens du texte lu. Dans cette opération peuvent intervenir des instruments de consultation : une concordance, un dictionnaire biblique, un commentaire patristique, spirituel ou exégétique. Assurément, la lectio divina ne doit pas être confondue avec l’étude d’un texte biblique ; cela dit, celle-ci peut y trouver sa place. Il s’agit en effet de combler l’écart qui nous éloigne de ces pages écrites il y a longtemps dans des langues et des contextes culturels extrêmement différents des nôtres. Prenons au sérieux cette altérité du texte pour ne pas risquer de tomber dans le subjectivisme et pour éviter de faire dire au texte ce que celui-ci n’a jamais voulu signifier. Oui, l’effort laborieux qu’il faudra pour pénétrer le monde et le langage dont le texte est tissé nous fera parfois mesurer la distance culturelle qui nous sépare de l’univers biblique. Mais il n’y a pas à s’effrayer : souvenons-nous qu’au-delà des différences apparentes, la Bible « parle un langage humain, simplement humain, radicalement humain », comme l’a écrit un grand bibliste du siècle dernier ! Il s’agira donc de lire le passage du jour avec humanité, pour saisir la dimension profondément humaine et existentielle présente dans le langage si humain des Écritures. On découvrira alors que le texte biblique que l’on lit nous appelle à devenir toujours davantage hommes, comme l’était celui qui a rédigé la page que nous méditons…

Ceux qui refusent l’étude, l’effort de l’apprentissage, préparent, par leur attitude même, la voie à l’appauvrissement, voire à la décadence de la personne ou de la communauté. C’est une question d’obéissance à la Parole, de non-manipulation de la Parole. Mais quels que soient les instruments que l’on mettra en œuvre pour mieux comprendre le texte biblique, ce seront toujours nos efforts personnels qui se révéleront les plus féconds. Laissons dès lors nos facultés intellectuelles se plier devant la volonté de Dieu, devant son message.

N’oublions pas que la Bible est un livre unique et qu’il nous appartient donc d’interpréter l’Écriture par l’Écriture : cherchons les références ou les résonances que le passage que nous méditons appellent ailleurs dans la Bible. Cherchons toujours le Christ mort et ressuscité, qui est au centre de chaque page et de toute la Bible. La loi, les prophètes, les apôtres parlent toujours de lui. Nous aussi, regardons le Christ, reflétons le Christ en nous ; ne nous attardons pas trop à nous-mêmes : car c’est Lui qui nous transfigure !

En un mot, dans la méditation, on tendra de faire émerger la « pointe » du texte, son message central, ou à tout le moins son aspect marquant. Lorsque cela se produira, alors pourra se réaliser cette rencontre qu’a décrite avec finesse l’exégète luthérien Bengel, au XVIIIe siècle : « Applique-toi tout entier au texte, et applique tout le contenu à toi-même ». Ainsi commence le dialogue entre la personne et le texte, l’interaction entre la vie du lecteur et le message du texte.


Prier le Seigneur qui nous a parlé À ce stade, essayons de parler à notre tour à Dieu, répondons aux appels, aux inspirations, aux suggestions qui nous sont parvenus à travers ce texte. Prions avec franchise, avec confiance, sans crainte mais sans céder à la tentation du bavardage spirituel. C’est le moment de la louange, de la reconnaissance, de l’intercession ou de la repentance… Détachons notre regard de nous-mêmes, et tentons de placer nos pas dans les traces de ceux de Jésus : suivre le Christ, ce n’est rien d’autre que cela ! Nous sommes appelés à maintenir libres nos capacités créatives, notre sensibilité, et même notre émotivité : laissons-les se mettre au service de la Parole, dans une obéissance amoureuse.

Le mouvement de dialogue qui s’instaure entre le texte et nous devient un échange priant où le croyant que nous sommes s’adresse à Dieu en lui disant « tu ». C’est évident : pour cette étape, je n’ai pas d’indication précise à donner, si ce n’est l’exhortation à se rendre docile à l’Esprit et à la Parole écoutée. C’est cette Parole en effet qui façonne la prière en l’orientant vers l’intercession, vers l’action de grâce, vers la supplication ou l’invocation… Il peut arriver que la prière s’exprime simplement par un silence d’adoration, ou qu’elle se manifeste comme le don joyeux des larmes de componction. Mais il m’est nécessaire de faire aussi l’avertissement que la lectio divina reste parfois dans l’aridité du désert : il se peut que le texte résiste à nos efforts de compréhension, que la Parole reste muette ; alors notre prière ne jaillit pas davantage. Dans toute relation authentique, ces moments existent ; et la relation avec le Seigneur n’en est pas exempte. Le Seigneur nous appelle à sortir dans la solitude du désert pour le rencontrer, et parfois le désert, loin d’être lieu de rencontre, devient espace aride et épuisant. Pourtant, même alors, il faut persévérer, tenir, offrir son corps sans voix dans une prière muette. Le Seigneur discerne même le désir de la prière, qui, comme tel, est déjà une prière. Résistons donc : c’est à ce prix qu’il nous sera donné de rencontrer Dieu dans la prière personnelle !


Contempler Dieu ! Au terme de ce moment quotidien de prière personnelle à travers la lectio divina, il faut s’efforcer de conserver dans son cœur le message reçu, comme un amoureux n’oublie pas les mots que lui a adressés la personne qu’il aime ! Si l’on veut, on peut retenir quelques paroles significatives, une phrase du texte du jour, pour se les redire tout au long de la journée.

Souvenons-nous que « contempler » ne veut pas dire avoir d’étranges visions d’anges, mais regarder le monde, chaque personne et toute chose, avec les yeux mêmes de Dieu, avec ce regard d’amour qui donne et renouvelle constamment la vie à chaque créature. La contemplation, dernier « degré » de cette échelle idéale que constitue la lectio divina, nous fera nous sentir visités par la Présence de Dieu et nous donnera de connaître la « joie indicible » (1P 1,8) de cette inhabitation. Le Seigneur met dans notre cœur une certaine incapacité à continuer à réfléchir et à méditer sur la Parole de manière discursive, mais il nous accorde de participer au feu de sa communion et de son amour, au-delà des mots et du silence même… Il nous donne un esprit de reconnaissance et de compassion, de discernement et de bienveillance, de patience et de paix. On pourra alors retourner à ses activités, à son travail, aux tâches quotidiennes, en cherchant à vivre en conformité avec la vie même de Jésus. Rien de ce que l’on fera ne sera étranger au rapport d’amour qui nous unit à notre Seigneur. Si l’on parvient peu à peu à vivre cela, la prière ne sera plus un moment de rupture, difficilement conquis et toujours distrait par les mille préoccupations de la journée, mais notre vie elle-même sera entièrement irriguée par la prière de la Parole. Oui, désormais la prière sera pleinement intégrée à notre vie et la Parole méditée animera nos propres paroles et nos actions.

Encore un mot. N’oublions pas que la lectio divina tend à l’eucharistie : c’est dans la communauté réunie pour le partage de la Parole et du Corps du Seigneur que l’on fera l’expérience la plus haute de ce que je viens de décrire. Ainsi la prière personnelle, au long de la semaine, animera notre attente du jour du Seigneur ; de même que l’assemblée dominicale alimentera notre fidélité dans la prière personnelle au long des jours. Car ce n’est jamais qu’avec nos frères et nos sœurs que nous pourrons devenir nous-mêmes « enfants de Dieu » (Jn 1,12).


Conclusion Pour être féconde, l’approche de l’Écriture dans la lectio divina doit se faire dans un climat d’écoute, et cela exige donc un « cœur qui écoute » (lev shomea’: 1 R 3,9) de la part de l’auditeur-lecteur. En effet, ce n’est que dans l’écoute que peut se produire la rencontre et le dialogue avec le Dieu vivant.

Mais on n’écoute pas la Parole contenue dans l’Écriture seulement comme un témoignage venu de temps anciens : il faut une écoute dans l’aujourd’hui, une écoute où le texte est entendu comme étant adressé directement au lecteur dans la situation où il se trouve. Il faut certainement savoir remonter de la lettre à l’esprit du texte à travers la nécessaire interprétation, mais il est essentiel aussi d’avoir cette attitude de foi par laquelle chacun, à chaque moment historique, doit se sentir personnellement interpellé par l’Écriture, jugé, soumis à son primat de façon à se laisser purifier et à recevoir d’elle le discernement des « signes des temps ».

Chaque jour donc, Dieu veut instaurer avec nous l’alliance par sa parole qu’il nous appelle à écouter ; par conséquent il nous faut chaque jour renouveler notre écoute, comme nous y exhorte le Psalmiste : « Aujourd’hui, puissiez-vous écouter sa voix ! » (Ps 95,7).


fr. Enzo Bianchi, prieur de Bose

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