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IIIe dimanche de Pâques (B)

Écoute ma prière !



Psaume 4,

Anonyme,

Psautier d’Utrecht, MS Bibl. Rhenotraiectinae I Nr 32., IXe siècle,

folio 2 verso, 33 x 25 cm, 108 feuilles en vélin,

Bibliothèque de l’université, Utrecht (Pays-Bas)


Lecture du livre des Actes des Apôtres (Ac 3, 13-15.17-19)

En ces jours-là, devant le peuple, Pierre prit la parole : « Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. »


Psaume 4

Quand je crie, réponds-moi,

Dieu, ma justice !

Toi qui me libères dans la détresse,

pitié pour moi, écoute ma prière !


Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle,

le Seigneur entend quand je crie vers lui.

Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »

Sur nous, Seigneur, que s’illumine ton visage !


Dans la paix moi aussi,

je me couche et je dors,

car tu me donnes d’habiter, Seigneur,

seul, dans la confiance.


Lecture de la première lettre de saint Jean (I Jn 2, 1-5a)

Mes petits enfants, je vous écris cela pour que vous évitiez le péché. Mais si l’un de nous vient à pécher, nous avons un défenseur devant le Père : Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui, par son sacrifice, obtient le pardon de nos péchés, non seulement des nôtres, mais encore de ceux du monde entier. Voici comment nous savons que nous le connaissons : si nous gardons ses commandements. Celui qui dit : « Je le connais », et qui ne garde pas ses commandements, est un menteur : la vérité n’est pas en lui. Mais en celui qui garde sa parole, l’amour de Dieu atteint vraiment la perfection.


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 24, 35-48)

En ce temps-là, les disciples qui rentraient d’Emmaüs racontaient aux onze Apôtres et à leurs compagnons ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain. Comme ils en parlaient encore, lui-même fut présent au milieu d’eux, et leur dit : « La paix soit avec vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils croyaient voir un esprit. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds : c’est bien moi ! Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os comme vous constatez que j’en ai. » Après cette parole, il leur montra ses mains et ses pieds. Dans leur joie, ils n’osaient pas encore y croire, et restaient saisis d’étonnement. Jésus leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent une part de poisson grillé qu’il prit et mangea devant eux. Puis il leur déclara : « Voici les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : “Il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.” » Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Écritures. Il leur dit : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. À vous d’en être les témoins. »


Le psautier d’Utrecht

Le Psautier d’Utrecht est un manuscrit sur vélin réalisé vers 820. Il mesure 33 cm de haut par 25 cm de large et est conservé dans les collections de la bibliothèque universitaire d’Utrecht.


Formée d’une centaine de feuilles assemblées en cahiers de huit pages, il est écrit en majuscules rustiques et orné de croquis faits à la plume avec une encre bistre.


Dans cet ouvrage, chaque psaume débute par une scène où s’affairent de nombreux personnages. Les images sont facilement identifiables grâce cette façon de rendre le mouvement ou par la manière d’étayer les différents plans par des lignes de sols. L’influence de l’art romain (voir même du style byzantin) est visibles dans les représentations architecturales.


Les dessins n’illustrent pas forcément le psaume en entier mais peuvent décrire un verset en particulier ou ne pas se référer du tout au texte qu’il décorent.


Le Psautier d’Utrecht a sûrement été réalisé à Hautvilliers près de Reims (alors un grand centre de production de manuscrits) pour un commanditaire inconnu, même si de nombreux auteurs suggèrent une réalisation pour Louis le Pieux, fils de Charlemagne.


Les livres enluminés comme les peintures murales sont une source primordiale pour la connaissance des arts graphiques et le Psautier d’Utrecht est un bel exemple de dessin de la période carolingienne.


Ce que je vois

Le psalmiste est debout dans un sarcophage à gauche et s'adresse à deux hommes armés qui se détournent de lui (03 « Fils des hommes, jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ? »). Il lève la main gauche vers le ciel où l'on voit le buste du Christ-Logos imberbe tenant un rouleau (02 « Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! »), et désigne de la main droite le sarcophage suggéré par le dernier verset du psaume : « In pace ... requiescam » (09 « Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors »). Le reste de l'image illustre les versets 6, (06 « Offrez les offrandes justes et faites confiance au Seigneur ») et 8, (08 « Tu mets dans mon coeur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons ») dans lesquels sont mentionnés les « sacrifices de justice » et « leur blé et leur vin ». Un prêtre avec des assistants se tient derrière un autel enflammé devant un temple ou une église, et des groupes de personnes apportent au sanctuaire des offrandes de vin et de bêtes. Deux grands cratères et deux tonneaux sont les récipients du vin et du blé. Les deux jeunes gens revenant d'une chasse avec leurs deux chevaux, leurs chiens et un ours illustrent probablement le verset 3, (03 « Fils des hommes, jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ? »).


Le psaume 4

02 Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière !

03 Fils des hommes, jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ?

04 Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle, le Seigneur entend quand je crie vers lui.

05 Mais vous, tremblez, ne péchez pas ; réfléchissez dans le secret, faites silence.

06 Offrez les offrandes justes et faites confiance au Seigneur.

07 Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? » Sur nous, Seigneur, que s'illumine ton visage !

08 Tu mets dans mon coeur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons.

09 Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d'habiter, Seigneur, seul, dans la confiance.


Un cœur humain

Depuis le début de cette nouvelle année liturgique, je m’intéresse avec vous à cette partie de la liturgie de la Parole de Dieu à laquelle nous sommes si peu attentifs, les psaumes, d’autant plus que dans beaucoup de paroisses, on préfère le remplacer par un chant plus ou moins adapté…


Pourtant, comment oublier que ces cent cinquante psaumes constituent la prière du peuple juif depuis plus de trois mille ans, que Jésus lui-même a prié avec eux, que les moines les chantent toute l’année en deux semaines, et les prêtres séculiers en quatre semaines ? Une nouvelle fois, je me répète, ils sont le cri le plus humain qui soit : cri de joie, d’allégresse, de tristesse, d’abandon, de colère, de regret, d’imploration, etc. Tout ce qui constitue nos sentiments intérieurs, pour ne pas dire les plus cachés, honteux ou inexprimables, trouvent là les mots souvent indicibles pour nous. Les psaumes sont comme une peinture de l’intériorité du cœur de l’homme. Un cœur de lumière, mais aussi de ténèbres. Bref, un cœur profondément humain ! Un cœur qui accepte d’échapper à la perfection, car il ne s’agit pas de chercher la perfection avec nos pauvres moyens, mais plutôt de trouver celle que Dieu a mis en moi.


Et je dois reconnaître ma tristesse quand je lis, dans notre bréviaire, des versets de psaume mis entre parenthèses car ne correspondant peut-être pas au monde de bisounours dont nous rêverions… Plus question de vengeance, de tuer les ennemis ou d’infliger telle ou telle sanction à nos adversaires. Mais ce serait croire que ces sentiments n’existent pas dans nos cœurs ! Qui d’entre-nous n’a pas eu envie de se venger d’un affront ? Qui n’a pas rêvé d’une justice implacable envers nos ennemis ? Qui, même, n’a pas eu des idées de meurtre ? Reconnaissons-le, nous sommes des êtres de lumière, certainement, mais en lesquels on trouve aussi quelques résidus de ténèbres ! Le nier revient à nier le besoin de salut car, Jésus l’a dit (Mt 9, 12-13) : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades. Allez apprendre ce que signifie : Je veux la miséricorde, non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs. »


Des attitudes diverses

Se reconnaître pécheur, imparfait, peut nous conduire à plusieurs attitudes. Certains s’en moqueront, se réfugiant derrière un axiome qui fait actuellement florès : « Je suis comme ça, et c’est tout. Il suffit de m’accepter ainsi. » Les plus chrétiens ajouteront que ce n’est pas de leur faute, mais celle de Dieu qui les a créés ainsi… Façon aisée de se dédouaner de tout effort.


D’autres tomberont dans une sorte de dépression ne supportant pas d’être ce qu’ils sont et qui ne correspond pas à leurs attentes. Cette attitude correspond aussi assez bien à notre siècle qui n’a jamais autant consommé d’antidépresseurs, et qui est incapable de se contenter de ce qu’il a (et de ce qu’il est), voulant, comme le titrait François de Closets, « Toujours plus » !


Une troisième catégorie fera un choix plus simple : ignorer. Attention, non pas accepter nos imperfections, faire avec. Non ! Plus simplement ne pas s’en occuper. On ne regarde ni le chemin parcouru, ni celui à venir ; on vit au jour le jour tout simplement. Les africains nous rappelleraient alors ce proverbe de leur pays : « Seul le poisson mort nage avec le courant » ! Ou Monseigneur Freppel (1827-1891) : « Quand la prudence est partout, le courage n’est nulle part ! » Et il ajoutait : « Dieu ne nous a pas demandé de vaincre mais de combattre ». Alors, quand on a décidé de ne plus combattre sa nature, comment pourrions-nous vaincre quoi que ce soit ?


Je souligne une autre catégorie (mais vous pourriez en trouver encore d’autres) : les pugnaces. Certains les qualifieront d’athlètes, voire en certains cas, d’ascètes. Ce sont ceux qui, à la force de leur poignet, s’aidant parfois de méthodes plus ou moins orthodoxes, croient pouvoir se changer du tout au tout. Parfois, ça marche, un moment. Mais il y a une sorte de « mémoire de forme » de la nature humaine, comme le dit le proverbe : « Chassez le naturel et il revient au galop ». Bref, ça ne dure pas et ils tombent souvent plus bas qu’ils ne l’étaient auparavant.


La naissance de la tragédie

En fait, quelle que soit l’attitude que nous choisissons, et ce plus ou moins consciemment, nous en revenons toujours à l’éternel combat résumé dans un petit livre de Nietzsche, publié en 1872, qu’il faut avoir lu : La naissance de la tragédie. Voici ce qu’en disent l’oncle Wiki et la tante Pédia :

L'ouvrage développe la thèse selon laquelle deux grandes forces opposées gouvernent l'art : le dionysiaque et l'apollinien. Ces deux forces, unies un temps dans la tragédie grecque, auraient été à nouveau séparées par le triomphe de la rationalité avec Euripide et Socrate.

Pour le dire autrement, l’auteur voit dans les tragédies grecques deux figures emblématiques s’affronter : Dionysos incarnant la liberté du plaisir, et Apollon représentant la rigueur de la règle. Toute l’œuvre nietzschéenne promeut la victoire de Dionysos qui deviendra ainsi le surhomme tant espéré. En fait, c’est un combat entre deux natures humaines qui semblent inconciliables : l’esprit de liberté insoumise contre la rigueur classique. Je ne peux que vous inviter à lire un autre ouvrage assez éclairant de Pierre de Lagarde : Le grand duel, esprit nomade et culture sédentaire (1997). Là encore, chaussez ces lunettes pour regarder notre monde actuel, et vous comprendrez mieux certaines de ses dérives, tel le wokisme.


Le grand absent

Mais vous devez vous demander où je vous entraîne avec cette diatribe ? Et en plus si loin du psaume ! Eh bien tout simplement pour vous montrer que dans ce combat, dans les choix d’attitude que j’ai exposés, il y a un grand absent… Dieu ! Car dans tout ce que je viens d’évoquer, l’homme est uniquement confronté à lui-même, à ses forces et faiblesses, à ses rigueurs ou dérives, à ces tendances qu’elles soient bonnes ou mauvaises. En fait, au point de se définir comme la référence de qu’il estimera bon ou mauvais. On en revient au mythe initial de la Genèse : l’homme qui veut se faire Dieu à la place de Dieu, qui veut définir lui-même ce qui est de l’ordre du bien ou du mal, l’homme qui veut se façonner plutôt que de se laisser modeler entre les mains du sculpteur.. Il suffit d’allumer la télévision sur une chaîne d’information pour le comprendre. Je me rappelle cette phrase que j’ai citée lors de mon ordination : « Ce qui est beau chez l’homme qui devient prêtre, ce n’est pas le bois dont il est fait — surtout quand c’est de l’olivier, bois noueux, torturé et difficile à travailler — mais la trace du Sculpteur. »


Et donc, dans tout ce que je viens d’évoquer, nulle trace de Dieu. Rien de plus grand que l’homme : ni Dieu, ni maître. Ni transcendance, ni être suprême. Parfois, simplement des « valeurs républicaines » que nul n’est capable de me définir précisément. Hormis de comprendre qu’aider à mourir ou empêcher un enfant de naître en font partie… Comprenne qui pourra ! Napoléon ne disait-il pas (alors qu’on ne peut le ranger dans la catégories des cathos intransigeants…) : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole » ? Et c’est là où le psalmiste prend toute sa place…


Le psalmiste

Car lui sait qu’il est imparfait, et qu’il ne peut réussir à se corriger pleinement de lui-même. La détresse occupe son cœur : Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! Et quand il parle des ennemis, peut-être sont-ils physiques, mais peut-être aussi psychiques. Le péché et la faiblesse humaine ne sont-ils pas des ennemis ? À sa détresse se mêle le désespoir devant une société qui se délite, où l’homme semble plus préoccupé de ses plaisirs que de son salut : jusqu'où irez-vous dans l'insulte à ma gloire, l'amour du néant et la course au mensonge ? Et il voit bien le malheur, pour ne pas dire la dépression, qui envahit le cœur de ses contemporains : Beaucoup demandent : « Qui nous fera voir le bonheur ? »


Mais lui ne choisit pas le même chemin que ses coreligionnaires qui préfèrent, devant le drame de l’homme, l'insulte à la gloire, l'amour du néant et la course au mensonge. Il sait que sans Dieu, il ne peut rien, il est incapable. Pour reprendre la superbe citation de saint Augustin, l’homme est « capax Dei », capable de trouver Dieu, capable d’être transformé par Dieu. Car Dieu, Lui, est « capax hominis », capable pour les hommes qui le cherchent, capable de les transfigurer. Victor Sion disait que c’était une chance d’être pécheur, car seul l’homme qui reconnaissait son impuissance était capable d’obtenir le pardon et le salut de Dieu. Et ce, d’autant plus, que comme le rappelle Isaïe (Is 43, 4) : « Parce que tu as du prix à mes yeux, que tu as de la valeur et que je t’aime ». Le psalmiste, avec ses mots, ne dit-il pas la même chose : « Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle, le Seigneur entend quand je crie vers lui » ? Mais pour cela, il faut accepter de s’engager sur un chemin, gravir une échelle céleste…


Trois échelons

Dieu ne fait rien sans l’homme. Car, comme pour parachever le combat décrit par Nietzsche, Dieu nous propose une synthèse de Dionysos et d’Apollon ! Dionysos veut la liberté ? Dieu aussi : Toi qui me libères dans la détresse. Dionysos veut le plaisir ? Dieu aussi, ou plutôt la joie : Tu mets dans mon coeur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons. Apollon veut la maîtrise de la règle et des pensées humaines ? Dieu aussi : Mais vous, tremblez, ne péchez pas ; réfléchissez dans le secret, faites silence.


Mais pour cela, il faut engager les premiers pas sur le chemin, pour ne pas dire grimper les premiers barreaux de l’échelle sainte.


Le premier barreau s’appelle « confiance » (Quiesce), mais pas n’importe laquelle des confiances, pas la confiance en soi, ni dans les institutions, ni en un gourou. Mais confiance en Dieu : Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d'habiter, Seigneur, seul, dans la confiance. Une confiance qui libère des angoisses, une confiance qui donne le repos, un certain quiétisme. Comment ne pas rappeler la voie royale du quiétisme, de l’hésychasme, des Pères du désert (Abba Arsène) : « Fuge, tace, quiesce », viens à l'écart, habite le silence, reçois la paix du coeur.


Le second barreau se nomme « méditation silencieuse » (Tace) : Mais vous, tremblez, ne péchez pas ; réfléchissez dans le secret, faites silence, dit le psalmiste. Je ne peux que vous rappeler cette petite histoire raconté par Dom André Louf, ancien Père Abbé de l’Abbaye du Mont-des-Cats :

Faire silence pour entendre le murmure d’une brise légère : ce sont les paroles de l’Esprit. Faire silence pour calmer la tempête en nous... « Selon la remarque d’un ancien, celui qui vit dans l’agitation, celui qui vit dans l’agitation et les soucis, dans le bruit intérieur ou extérieur, ressemble à une bouteille d’eau trouble qu’on a secouée. « Quand la bouteille est restée quelque temps immobile, la saleté se dépose et l’eau redevient claire et limpide. Ainsi, notre cœur quand il trouve la quiétude et un profond silence, reflète Dieu. » (André Louf, Seigneur, apprends-nous à prier, Bruxelles, 1974)

Le troisième barreau se qualifie « prière » (Fuge) : Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière ! Nous ne prions pas assez ! Je vous rappelle donc les mots essentiels de la prière :

  • Je suis là, Seigneur…

  • Je te rends grâce, ô Dieu…

  • Je te demande pardon, mon Dieu…

  • Aide-moi, Seigneur…


Et plutôt que d’inventer des jolies phrases, ou de se gaver de formules toutes faites, parlez d’abord à Dieu avec vos mots . Il sait ce que vous avez au fond du cœur (Ac 1, 24) : « Toi, Seigneur, qui connais tous les cœurs… » Et si vous êtes secs, rappelez-vous cette citation d’un père Chartreux (Dom Augustin Guillerand, Silence cartusien, 2018) :

Vous attendiez une parole de lumière qui n'est pas venue. Ou si elle est venue, vous ne l'avez pas trouvée. Et moi qui suis obligé de vous répondre : ce n'est pas dans la lumière d'une parole qu'il faut chercher la lumière. La lumière d'une parole c'est encore du créé, de l'éphémère, du néant. Si nous nous y attachons, nous restons en route, nous n'atteindrons jamais le terme. Voilà pourquoi Dieu fait aux âmes qu'il aime la grâce de la leur refuser. Il les laisse dans la nuit. Et c'est la nuit qui devient la lumière : Et nox illuminatio mea in delicis meiis (Ps 138, 11).

Et surtout, tournez-vous vers les psaumes ! Je suis heureux de vous offrir ce psautier pour que vous l’ouvriez souvent, et pour que les mots du psalmiste deviennent vos mots, votre prière : Quand je crie, réponds-moi, Dieu, ma justice ! Toi qui me libères dans la détresse, pitié pour moi, écoute ma prière !… Sachez que le Seigneur a mis à part son fidèle, le Seigneur entend quand je crie vers lui.


Derniers barreaux

Vous vous demandez ce que sont les barreaux suivants ? Je ne vous en donne qu’un avant-goût : Tu mets dans mon coeur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons. Dans la paix moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d'habiter, Seigneur, seul, dans la confiance.




Commentaire sur le psaume 4

Paru dans Préludes, revue de l'ANFOL (Association Nationale de Formation des Organistes Liturgiques)


Il y a de tout dans ce petit psaume... Peut-on imaginer l'itinéraire du priant qui a laissé échapper ce cri (v.2), qui a en même temps quelque chose de pathétique et d'apaisé.


Il y a au départ de l'inquiétude. Le début est tourmenté. C'est un appel au secours. Le psalmiste ne prie pas, il crie. Il est ou a été dans la détresse. Il a confiance en Dieu, « sa justice » (c'est-à-dire « Dieu qui est bon pour moi » : il ne s'agit pas forcément de « faire justice »), qui le libère. Les verbes sont au présent : ce n'est pas une simple espérance, ce n'est pas non plus le souvenir d'une situation passée. Dans un sermon, Jean Chrysostome remarque que Dieu exauce dans le même temps qu'on le prie.

Le psalmiste semble toutefois bien troublé : on se serait attendu à trouver d'abord « écoute » et ensuite « réponds-moi ». Ici c'est le contraire. Mais c'est peut-être aussi pour dire que pour Dieu, ces deux réalités sont les mêmes : écouter, c'est déjà répondre. Dieu n'est pas aux abonnés absents.


Pas de contresens sur ce classique « Pitié pour moi » qui signifie « montre-moi ta tendresse »(Chouraqui traduit « matricie-moi », c'est-à-dire « aime-moi comme une mère »). Si nous sommes dans une situation de détresse, elle est déjà pleine d'espérance et de confiance. Mais sur son origine, pas grand-chose de précis !


Encore que... Après l'appel à Dieu « juste », le psalmiste se tourne vers le monde et devient un peu moralisateur. Il n'a rien contre personne en particulier, il n'est peut-être pas affronté à une menace précise, mais il a « mal à l'homme », comme ça peut nous arriver en voyant les dérèglements du monde et de l'humanité que montre souvent l'actualité. Fils des hommes, vous êtes fous ? Le psalmiste parle maintenant comme s'il avait une mission divine : il parle au nom de Dieu lui-même « d'insulte à ma gloire » (v.3). Soit le psalmiste regarde très largement autour de lui et observe un peu partout « l'amour du néant et la course au mensonge », soit c'est ainsi qu'il qualifie les menaces dont il est personnellement l'objet.


Il y a peut-être de ça, car il se défend face à ces « fils des hommes » en les mettant en garde : s'attaquer à lui, c'est s'attaquer à Dieu : je suis fidèle, le Seigneur m'entend et me protège, gare à vous ! Alors il propose quelques lignes de conduite en forme de maximes de sagesse (v.5-6), qui terminent avec le maître-mot « confiance ». Convertissez-vous, suivez mon exemple. Echangez le néant pour le secret et le silence, le mensonge pour la confiance.


Retour à la prière après cette méditation en forme d'exhortation avec la question qui taraude l'humanité depuis qu'elle se sait engagée dans le péché : « qui nous fera voir le bonheur ? » (v.7), avec une prière où le "je" a fait place au "nous". Le psalmiste a découvert dans sa détresse la solidarité avec ces « fils des hommes » égarés. Ce n'est ni sur "moi" ni sur "eux" mais sur "nous" que le psalmiste appelle encore la lumière et le sourire de Dieu. Avec la réponse à la question : le bonheur, la joie, ils sont en Dieu, pas dans les pauvres fêtes humaines, ni dans la société de consommation, ni dans les avantages sociaux, ni dans la possession ni dans le pouvoir : ils sont en Dieu seul.


La prière a apaisé le psalmiste, comme la caresse à l'enfant qui a fait un cauchemar. La prière s'achève comme un point d'orgue : le psalmiste peut totalement s'abandonner, sans peur, à la confiance.


Alain Bonnet

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