top of page

XIVe dimanche du temps ordinaire (A)

De l’exultation à l’extase -



Cause notre joie,

Pauline PEUGNIEZ (Amiens, 1890 -Paris, 1987),

Huile sur toile, 162 x 180,5 cm, 1920,

Musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye (France)


Lecture du livre du prophète Zacharie (Za 9, 9-10)

Ainsi parle le Seigneur : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »


Psaume 144 (145), 1-2, 8-9, 10-11, 13cd-14)

Je t’exalterai, mon Dieu, mon Roi ; je bénirai ton nom toujours et à jamais ! Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais.

Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d’amour. La bonté du Seigneur est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres.

Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent ! Ils diront la gloire de ton règne, ils parleront de tes exploits.

Le Seigneur est vrai en tout ce qu’il dit, fidèle en tout ce qu’il fait. Le Seigneur soutient tous ceux qui tombent, il redresse tous les accablés.


Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 8, 9.11-13)

Frères, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair, mais sous celle de l’Esprit, puisque l’Esprit de Dieu habite en vous. Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas. Mais si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous avons une dette, mais elle n’est pas envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car si vous vivez selon la chair, vous allez mourir ; mais si, par l’Esprit, vous tuez les agissements de l’homme pécheur, vous vivrez.


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 11, 25-30)

En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler. Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. »


L’artiste

Pauline Peugniez naît à Amiens (Somme) le 28 avril 1890 dans une famille bourgeoise. Jeune fille, elle découvre la préface et la traduction de La Bible d'Amiens de Ruskin par un auteur encore méconnu, Marcel Proust, dont elle restera une fidèle lectrice. Son père, chirurgien (directeur de l'Ecole de Médecine d'Amiens au début du XXe siècle), dessinateur et peintre à ses heures, souhaite l'orienter vers l'École de médecine mais accepte sa décision d'entrer aux Beaux-Arts. C'est au quai Malaquais, où elle est l'élève d'Henri Focillon, qu'elle rencontre son futur mari, Jean Hébert-Stevens (1888-1943). Ils se marient pendant la Grande Guerre et Pauline donne naissance en 1917 à sa fille aînée, Adeline, qui sera peintre elle aussi. Le couple rencontre alors George Desvallières et Maurice Denis ; Pauline et Jean, catholiques pratiquants l'un et l'autre, et amis de Marie-Alain Couturier, entrent aux Ateliers d'art sacré en 1919. En 1923, Jean Hébert-Stevens achète un immeuble au 12 rue de Bagneux (actuelle rue Jean Ferrandi), où il fonde un atelier de maître verrier. Pauline Peugniez (elle signe de son nom de jeune fille) crée de nombreux cartons de vitraux (à Paris, pour les églises Saint-Germain de Charonne et Saint-Julien-le-Pauvre, par exemple) mais aussi de tapisseries (Aubusson, les Gobelins — dont plusieurs sont au Mobilier National). Elle se livre également à l'illustration d'œuvres littéraires, toutes rédigées par des plumes féminines, textes des poétesses Marie Noël et Marceline Desbordes-Valmore, et Lettres d'amour de la Religieuse Portugaise de Mariana Alcoforado (1948). En 1931, elle crée des vitraux pour l'église Notre-Dame-des-Missions dans le cadre de l'exposition coloniale (les vitraux sont aujourd'hui visibles à l'église Notre-Dame-des-Missions d'Épinay-sur-Seine). L'année suivante, elle contribue à la décoration collective de l'église du Saint-Esprit (Paris 12e arrondissement) érigée d'après les plans de Paul Tournon : sa fresque se situe dans le bas-côté à gauche du chœur.


L'œuvre de Pauline Peugniez est également profane. Ses sujets favoris sont les paysages (toscans, notamment) et les scènes de la vie familiale. Très influencée par son maître Maurice Denis, elle fait essentiellement reposer sa technique de peintre sur les rapports de valeurs, inscrivant sur chaque partie de son croquis des numéros allant de 1 à 10, du plus clair au plus sombre. Sa peinture est présentée à la Société Nationale des Beaux-Arts, au salon des Tuileries et régulièrement au Salon d’Automne à partir de 1920. Une rétrospective de quelques-unes de ses œuvres eut lieu au Salon d'Automne en 1990.


L’œuvre

Maurice Denis remarque ce tableau qu’expose Pauline Peugniez au concours Chenavard, lui écrivant son admiration pour ses « qualités de composition » et le « sentiment » qu’elle y exprime (lettre du 16 mars 1920). Comme celui dont elle va suivre l’enseignement aux Ateliers d’art sacré, elle introduit des éléments modernes et familiers dans ses œuvres religieuses qui représentent une part importante de son inspiration. Ses compositions d’une apparente naïveté sont empreintes de spiritualité et de poésie.


Ce que je vois

L’œuvre attire d’abord le regard par ce foisonnement de couleurs avant d’en distinguer le sujet. La lumière renvoyée par les diverses teintes respire une certaine joie, ou du moins un bonheur apaisé. Puis, c’est cette couronne de jeunes filles, d’enfants, qui retient l’œil. Un seul petit garçon, vêtu de son petit costume bleu sombre, partage la scène avec des jeunes filles habillées de robes des années 20. Il semble qu’elles viennent d’interrompre leurs activités et leurs jeux, preuve en est cette raquette de tennis gisant au sol, pour venir rencontrer la Mère de Dieu et son Enfant, comme une apparition devant cet arbre. L’une apporte un modeste bouquet de marguerites des champs, alors qu’une autre, encore revêtue de sa robe et son diadème fleuri de communiante s’approche, émerveillée. Elle arrive certainement de cette chapelle blanche que l’on distingue en haut à droite, d’où sortent d’autres jeunes filles. À gauche, ce sont de petits garçons qui passent joyeusement la barrière pour venir rejoindre le groupe. Tous abandonnent leurs jeux, leurs joies humaines, pour se tourner vers la Mère de Dieu présentant Jésus, qui les réunit en une farandole d’amour divin. Marie, assise sur un trône bleu céleste, tient sur ses genoux l’Enfant-Jésus, debout sur ses petites jambes. Leurs deux têtes sont nimbées d’une auréole orange, ajoutant une tonalité de gaieté à la scène. Tous les regards sont tournés vers eux, même le geai perché dans l’arbre. Marie penche délicatement sa tête sur Jésus, effleurant de sa joue la chevelure de son Fils. Cette « apparition », car comment pourrait-il en être autrement, est véritablement la « cause de notre joie », comme Pauline Peugniez intitule son tableau. Aux yeux admiratifs et aimants de ces enfants, Marie et Jésus réalisent la prophétie de Zacharie : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit d’une ânesse. Ce roi fera disparaître d’Éphraïm les chars de guerre, et de Jérusalem les chevaux de combat ; il brisera l’arc de guerre, et il proclamera la paix aux nations. Sa domination s’étendra d’une mer à l’autre, et de l’Euphrate à l’autre bout du pays. »


Bonheur ou joie ?

J’ai déjà fait cette distinction entre ces deux mots : joie et bonheur. Pour mémoire, je vous remets ici ce que j’écrivais le Vendredi de la 6e semaine de Pâques :


Que de confusions nous faisons ! Confusions entre la joie et le bonheur, entre la tristesse et le malheur. Car ils n’ont pas le même sens, et l’étymologie nous le confirme. Mais pas besoin d’être philologue... Le bonheur, c’est ce qui arrive lors d’une bonne heure. Le malheur, lors d’une mal-heure (une mauvaise heure). C’est donc un sentiment que nous ressentons, mais qui n’est que passager, pour ne pas dire fugace. La joie, c’est autre chose ! Le mot est issu du latin gaudia (pluriel de gaudium). Il signifie d’abord, un bien-être, une aise, un contentement. Un bien-être n’est pas passager. Malheureusement, à la différence de l’italien par exemple, le français ne connaît qu’un mot pour définir « être ». En italien existe essere et stare. Sono (essere) bene : je suis bien en ce moment précis. Sto (stare) bene : je vais bien (et ce n’est pas fugace). La joie est de l’ordre du stare, elle correspond à un véritable mouvement de fond, à une stabilité. C’est à cette joie-là, à ce bien-être, que Jésus nous appelle, trouver en nous la source profonde de la joie.


J’ai déjà plusieurs fois pris cet exemple : la carte maritime. La carte comporte plusieurs couleurs qui, bien sûr, ne correspondent pas à l’état de la mer en surface, mais aux courants de fond. L’état de la mer en surface, toujours passager, c’est notre bonheur ou notre malheur. Le courant de fond, c’est la joie. Nous sommes invités à descendre au plus profond de nous-mêmes pour la trouver, là où réside le Christ, comme le dira saint Augustin :

« Tu autem eras interior intimo meo et superior sumno meo (Mais Toi, tu étais plus profond que le tréfonds de moi-même et plus haut que le très-haut de moi-même) »

Ou encore (Les confessions, Livre X) :

« J’ai tardé à t'aimer, Beauté si ancienne et si nouvelle, j'ai tardé à t'aimer ! Alors que tu étais au dedans de moi, et moi au dehors, je te cherchais au dehors où je me ruais sur les belles choses d'ici-bas, tes ouvrages. Tu étais avec moi, et je n’étais pas avec toi ; Elles me retenaient loin de toi ces choses qui pourtant si elles n’existaient pas en toi, n’existeraient pas. Tu as appelé, crié, et tu as rompu ma surdité. Tu as brillé par éclairs et par vives lueurs et tu as balayé ma cécité. Tu as exhalé ta bonne odeur, je l'ai respirée, et j’aspire à toi. Je t'ai goûté et j'ai faim et j’ai soif. Tu m'as touché, j'ai pris feu pour la paix que tu donnes. Une fois soudé à toi de tout mon être, il n'y aura plus pour moi douleur et labeur et ma vie sera, toute pleine de toi, la vie. »

Ainsi, tant le sujet de notre tableau que le texte de Zacharie ne parlent pas d’un bonheur fugace mais de joie : Exulte de joie !


Exultation

Voici un mot dont l’usage est quelque peu tombé en désuétude, ou réservé à un vocabulaire « érotique ». Cependant, le Dictionnaire nous précise que le mot est emprunté au latin classique ex(s)ultatio (de ex(s)ultare, verbe exulter) « saut, action de bondir », d'où « manifestation de joie, transport ». Bondir, sauter de joie ! Mais quel adulte oserait encore bondir de joie, hormis lors des manifestations sportives où la raison a peu de place ? Le reste du temps, notre raison, notre bienséance, nos manières et notre éducation (pourtant devenue rare) nous empêche toute manifestation trop visible qui paraîtrait déplacée aux yeux de notre entourage. On préfère réserver (et tolérer) ce genre de débordement à l’enfant qui reçoit le cadeau tant espéré, ou à l’adolescent qui vient d’obtenir son examen. Mais quand on devient un homme ou une femme « établi(e) » (j’évite de pratiquer l’écriture inclusive !) ces démonstrations sont intolérables. On préfère un léger rictus à la commissure des lèvres, ou un rire mesuré, voire pour les plus audacieux, un petit « ouais » enjoué. Mais rien de plus, ce serait indécent, pour ne pas dire malséant.


Remarquez, n’en est-il pas de même dans notre vie chrétienne ? Ne sommes-nous pas gênés devant des groupes charismatiques qui pratiquent la glossolalie (cette langue inintelligible, spirituelle, que parlent les mystiques en début d'extase), ou d’autres qui se mettent intempestivement à genoux lors de l’office, ou des jeunes qui aimeraient danser lors de la messe, sans parler de ceux qui se prosternent jusqu’au sol (les orthodoxes pratiquent beaucoup cette proskynèse). Je me rappelle cette lettre incendiaire reçue d’une paroissienne, me taxant d’intégriste et de réactionnaire, lorsque j’ai proposé à ceux qui le voulaient (et le pouvaient) de se mettre à genoux au moment de la mort du Christ le Vendredi saint. Que n’avais-je pas fait !


Une image…



Corset non doublé en coutil beige écru. Goussets de poitrine et hanches agrémentés d’abeilles réalisées au fil beige. Busc droit quatre points. Circa 1865, collection Musées départementaux de la Haute-Saône.

Ne sommes-nous pas corsetés ? Il est curieux de lire que le corset eut ses heures de gloire entre 1860 et 1920. La morale victorienne britannique avait envahi tous les espaces européens. N’est-ce pas la reine Victoria qui donnait comme règle à la famille royale : « Never explain, never complain » (Ne jamais se justifier, ne jamais se plaindre) ? Elle « corsetait » ainsi les mentalités, les pensées et les attitudes pour que chaque visage devienne marmoréen (de marbre) et immarcescible (qui ne fane pas). En plus de se corseter, le monde se figeait. C’est d’autant plus amusant que le mot « corset » provient de la cotte de mailles du Moyen-âge, cet habit de fer qui protégeait le soldat des coups d’estoc et de taille.


Dans ce contexte, nulle question de sauter et de bondir de joie ! Tout « transport » s’avérait inconvenant, et même licencieux. Faut-il y voir les prémices du « pas de vagues » actuel ? On préfère une mer étale à la houle…


Petit aparté

Je rencontrais un jour aux Émirats Arabes Unis un français qui avait fait fortune en lançant une gamme d’arbres décoratifs. Les émiratis aiment les réceptions pompeuses (ce qui leur donne l’illusion d’une histoire ancestrale comme celle de nos rois de France) précédées d’un immense tapis rouge bordé de petits arbres fruitiers, de charmilles taillées ou d’autres plantes en pot. Malheureusement, le climat n’est pas favorable à ce genre de plantations, et encore moins à leurs continuels déplacements. Mais il a trouvé une technique révolutionnaire que je serais bien incapable de vous décrire. Approximativement, il aspire la sève de la plante pour la remplacer par une sorte de résine de synthèse qui fige l’arbuste, comme s’il était cryogénisé. De loin, çà paraît vivant. Mais vous en doutez, quand vous en approchez, et pourtant, au contact des feuilles, vous êtes convaincus que c’est une plante vivante. On croit que ça vit, et en fait c’est mort, comme figé instantanément.


Et c’est ici que vient ma question… Ne sommes-nous comme ces arbustes, figés ? Quand on nous regarde de loin comme chrétiens, on croit que ça vit, mais si on s’approche, et que l’on touche un peu, on se rend compte que c’est figé, sans véritable vie. À force de corseter, de serrer au plus fort la taille, ou de retirer la sève, on ne respire plus, on ne vit plus. Exulter ? Pensez donc, impossible !


Et pourtant…

Et pourtant, à quoi Dieu nous invite-t-il par la voix de Zacharie ? « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici ton roi qui vient à toi… » Comment pousser des cris de joie lorsque l’on n’arrive plus à respirer ? Comment exulter quand on est engoncé dans ce corset ? Peut-être serait-il bon de revenir à l’étymologie, une fois de plus. Exulter : bondir, sauter de joie. Plus haut, j’ai glissé un autre mot de la mystique chrétienne : extase. Extase, c’est-à-dire « sortir de soi » (emprunté au latin chrétien ecstasis, extasis : fait d'être hors de soi ; et celui-ci au grec έξτασις — son antonyme est l’entase : se re(n)fermer sur soi…, bref : se figer, s’isoler, se faner, s’étioler). Il me semble que si nous nous libérions de notre carcan psycho-rigide, si nous osions exulter de joie en Dieu, être enthousiaste, nous aurions accès à l’extase. Faire preuve d’enthousiasme ? N’est-ce pas utile devant une société qui se racornit ? Il n’y a pas plus chrétien que l’enthousiasme, cet état de ferveur, d'émotion religieuse intense qui nous donne l'intuition de vérités religieuses, cette force mystique qui pousse à créer ou à agir avec ardeur et dans la joie. Car nous pourrions traduire plus simplement le mot « enthousiasme » par ce choix d’être habité par Dieu. Le mot vient du grec ενθουσιασμος qui signifie être possédé par Dieu, inspiré par Dieu. Bref, habité de son Esprit.


Alors

Si j’en reviens à mon tableau, ce qui transparaît de toute part, c’est la lumière, et une lumière de joie profonde, une force enthousiaste. C’est cette force qui émane de la Vierge et de son Fils, cette force qui innerve ces enfants et leur donne cette joie qui est bien plus qu’un simple bonheur fugace, cette joie qui est notre vie, cette joie promise par le Christ (Jn 15, 11) : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » Cette joie, qui malgré nos difficultés terrestres, doit venir combler nos cœurs (Jn 16, 24) : « Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous recevrez : ainsi votre joie sera parfaite ».


Alors, demandons à Dieu cette joie, cet enthousiasme, et peut-être de redevenir des enfants comme nous y invite le Christ dans l’évangile (Mt 18, 2-4 :  »Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. »), ou Thérèse de Lisieux. Osons exulter de joie pour pouvoir vivre dans l’extase de sa vision, cause de notre joie. Libérons-nous de nos carcans, de nos peurs, de notre bienséance victorienne. Arrachons notre corset moralisateur, pour respirer, inspirer l’Esprit et souffler sur nos frères (sur notre Église parfois trop étale, sans houle) une joie créatrice. N’ayons pas peur de la houle, de faire des vagues. Notre monde en a besoin. Et faisons confiance à ces enfants du tableau pour qu’ils nous transmettent la vie divine, qu’ils nous aident à contempler la cause de notre joie. Car, comme le disait Georges Bernanos : « Hélas ! c'est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » (Les Grands Cimetières sous la lune, 1938)


« L’homme est né pour la joie. » - Blaise Pascal, Discours sur les passions de l’amour, 1652

« Et vous chrétiens, je croirai en la résurrection le jour où vous aurez des gueules de ressuscités ! » Friedrich Nietzsche



La joie chez Bernanos - Une introduction personnelle à l’oeuvre de Georges BERNANOS - Texte écrit par Jean-Louis Beylard-Ozeroff

« J’ai compris que la jeunesse est bénie – qu’elle est un risque à courir – mais ce risque même est béni (1). »


Sur « la joie » de Bernanos, il y aurait beaucoup à dire. Voilà un concept qui touche au cœur même de sa foi et de son œuvre (n’a-t-il pas donné ce titre à l’un de ses textes majeurs ?) Bernanos était un être sanguin, très physique, une force de la nature. Une sorte de colosse dont le seul point faible était le cœur (2) (tout un symbole, d’ailleurs). Chez lui, le physique, le corporel, le somatique (voire le « hylique » des Grecs et des gnostiques) est indissociable du spirituel. Le visible et l’invisible sont les deux faces d’une même réalité qui est celle du seul monde aimé de Dieu, Sa création, pour lequel dans Sa fidélité absolue il a donné son Fils Unique, Son Bien­ Aimé. La joie est sainte, comme est sainte l’innocence du pur : la joie est du corps autant que de l’esprit qui tressaille d’allégresse, comme l’indique le chant de la Vierge « Magnificat anima mea Dominum et exsultavit spiritus meus in Deo salutari meo ». La joie est LE signe de la sainteté. Elle est le symbole du monde nouveau, prémices des Temps à venir. Elle anticipe sur la splendeur du corps de gloire, de la chair baptisée et donc déjà rachetée : elle est annonce et présence en nous, jusque dans ce misérable corps promis à la mort et à la putréfaction, de la Résurrection à l’œuvre en nous, déjà. Elle est le sourire de la chair et de l’âme qui rayonnent le message de salut : Il est ressuscité, Il est vivant, Il nous précède en Galilée, premier né d’entre les morts. La joie est indissociable du Mystère pascal, sinon ce n’est pas la joie. La joie est, à l’instar de l’amour chez Saint Augustin, « spirituelle jusque dans la chair, charnelle jusque dans l’esprit ». Dans la joie, par la joie, nous sommes transportés (« être transporté de joie » dit le français) hors de nous-mêmes, dans le Royaume. La joie est communicative; elle est pain partagé. Nourriture pour le banquet fraternel, elle ne saurait se savourer en solitaire : elle est excès, trop plein, débordement (« joie débordante » dit justement le français). La joie est communion mais elle est aussi jeunesse : elle est printemps de l’âme et de la vie. Intemporelle jeunesse, déjà là, déjà donnée ou rendue. Car la joie efface toute larme et toute tristesse : elle est renaissance, oubli, nouveau départ. Elle ne se recourbe pas sur elle-même, mais largue les amarres et cingle vers le large, tout entière tournée vers un avenir sans passé: Autre. En cela la joie est prophétique : elle est espérance incarnée (3), c’est-à­ dire cette tension même de l’avenir au sein du présent, comme la chair tressaille dans l’imminence de l’enfantement. La joie en son essence est Annonciation.


Tu as raison de t’interroger sur cette joie, sur cette fulguration d’une joie inconnue, infiniment humaine et charnelle qui traverse la vie du curé d’ Ambricourt à la veille même de sa mort. Ultime regret, instinctif attachement à la vie d’une chair qui ne veut pas mourir, instant de plénitude, brèche dans la monotonie des jours sans grâce, éclaircie dans ce paysage glauque, noyé de pluie et ployant sous l’accablant fardeau du péché. Certes, le sacrifice n’eût pas été complet sans cette protestation de la chair (« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » (Mat., 27, 46) ), mais – et c’est là toute la profondeur, toute la justesse de la vision bernanosienne qui prend en compte l’irréductible ambivalence humaine – dans l’instant même où se libèrent les forces vives d’un homme qui connaît enfin jusqu’au tréfonds de son corps la griserie d’être jeune (4), c’est à l’éternité d’une tout autre jeunesse que son âme aspire (5), fidèle à l’esprit d’enfance, s’ouvrant dans la mort (« la mort dans l’âme » ?) à la vérité du désir qui est désir de l’Autre (6).

Aussi n’est-il pas surprenant de relever dans le texte de Bernanos la présence de symboles qui tous concourent à nous enseigner la joie : elle naît du don et du partage (7) elle est gratuité, consentement, acceptation de la rencontre (8). C’est l’offre accordée et saisie de cette promenade à moto au hasard d’un cheminement et d’une amitié inespérée. C’est la route et son vertige, l’inconnu de sa fin qui n’a pas d’importance du moment qu’on s’abandonne et fait confiance (9) C’est le corps qui parle, au-delà des mots ou en deçà, dans le silence de la jouissance. Dans la plénitude de l’être, dans cette scansion d’un temps miraculeusement suspendu.


***

(1) « Journal d’un curé de campagne », Pléiade, p. 1211. (2) Ibid., p. 1210 : «… j’ai cru sentir mon cœur se décrocher dans ma poitrine (3) Ibid., p. 1212 : « Le bonheur ! Une sorte de fierté, d’allégresse, une espérance absurde, purement charnelle, la forme charnelle de l’espérance, je crois que c’est ce qu’ils appellent le bonheur. »(4) (4) Ibid., p. 1211 : « Je n’avais jamais été jeune, parce que je n’avais pas osé. » (5) Loc. cit. : « Par quel miracle me suis-je senti à ce moment-là jeune, si jeune – ah ! oui, si jeune – aussi jeune que ce triomphal matin ? » (6) Loc. cit. : « Mon Dieu, je vous donne tout, de bon cœur. Seulement je ne sais pas donner, je donne ainsi qu’on laisse prendre. » (7) Loc. cit. : « Mon Dieu, cela me paraît si simple maintenant ! Je n’ai jamais été jeune parce que personne n’a voulu l’être avec moi. » (8) Journal., p. 1212 : « Parler ainsi d’une rencontre aussi banale, cela doit paraître bien sot, je le sens. » Voir aussi : VASSE, Denis, L’Autre du désir et le Dieu de la foi, Paris, Seuil, 1991, p. 10 : « … seules la rencontre et la confiance permettent de sortir de l’aliénation où nous enferment notre image et notre histoire. » (9) Ibid., p. 1211 : « Il eût fallu que je leur ouvrisse mon cœur, et ce que j’aurais souhaité dire était cela justement que je voulais à tout prix tenir caché... »



Prière pour obtenir la joie parfaite

Seigneur Dieu,

Je vous demande de m’aider, de tous nous aider à toujours avoir passionnément l’autre à cœur, de toujours avoir l’autre en tête, et de toujours chercher son bien le meilleur.

Si survient un différend, que je puisse être le premier à vouloir renouer, que je sois le premier à vouloir réparer.

Que cette mentalité puisse animer tous et chacun en me voyant le vivre au quotidien avec mes frères et mes sœurs.

Que cette mentalité, inspirée par Votre Esprit, puisse prévaloir dans mon cœur et dans le cœur de ceux qui nous mènent.

Puissiez-vous m’allumer et nous allumer tous à vouloir avec passion répandre ces attitudes autour de nous par notre exemple.

Puisse la Paix du Cœur ainsi devenir contagieuse et amener les pires impasses à résolution.

Puissiez-vous me donner à croire passionnément et de toutes mes forces que cela adviendra véritablement puisque nous vous le demandons, tout en reconnaissant bien qu’il en sera fait selon Votre Volonté et Votre infinie Sagesse.

Amen



Prière pour expérimenter la joie de Dieu

Seigneur Dieu, je dépose à la croix toutes mes tristesses, je me débarrasse de toutes mes peines, je me libère de tous mes fardeaux. Je Te demande de me remplir de Ta joie, qu’elle demeure toujours en moi. Je veux prendre plaisir à la vie dans chaque moment que Tu m’offres. Je ne souhaite pas laisser mes émotions me diriger et que les aléas du quotidien puissent avoir une influence négative sur moi. À partir d’aujourd’hui je fais le choix de vivre dans la joie chaque jour, et cette joie qui est la Tienne sera ma force. Je prends la décision de faire l’effort de surmonter les épreuves. Je Te remercie Seigneur car je vais expérimenter Ta joie et elle deviendra réelle en moi. Par Ta grâce je vais être une personne qui témoigne de la joie de l’Evangile afin que chaque homme puisse voir Ta gloire et la manifestation de Ta puissance dans ma vie.

Amen



Aelred de Rievaulx (abbé du XIIe siècle : 1110-1167) - Sermon (II) sur la naissance du Sauveur

Avant la naissance du Christ, il n’était pas pour l’homme de joie certaine, sinon dans la connaissance et l’espérance de ce jour. Aujourd’hui, il vous est dit : ne craignez pas, aimez ; ne soyez pas dans la tristesse : réjouissez-vous. Un ange descend du ciel et il vous annonce une grande joie. Réjouissez-vous pour vous, réjouissez-vous aussi pour les autres, car cette joie n’est pas pour vous seuls, elle est de tout le peuple.

Quelle joie : grande, remplissant le cœur de douceur ! quelle joie désirable ! Jusqu’ici vous étiez dans la tristesse parce que vous étiez morts ; maintenant, vous êtes dans la joie, car la vie est venue jusqu’à vous pour que vous viviez. Vous étiez dans la tristesse à cause des ténèbres de votre cécité ; réjouissez-vous, car aujourd’hui la lumière s’est levée dans les ténèbres pour les hommes au cœur droit. Vous étiez dans la tristesse, à cause de votre misère ; mais il vous est né, le Miséricordieux, le Compatissant, pour que vous ayez accès à la béatitude. Vous étiez dans la tristesse, car la montagne de vos péchés pesait sur vous, réjouissez-vous maintenant, car il vous est né un Sauveur qui sauvera son peuple de ses péchés. Voilà la joie que nous annonce l’Ange : il nous est né aujourd’hui un Sauveur.



Guerric d’Igny (1080-1157) - Sermon II, 1 pour l’Avent

Nous attendons le Sauveur. Vraiment, elle est joyeuse l’attente des justes, de ceux qui attendent la bienheureuse espérance et la venue de notre grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ ! « Quelle est mon espérance, dit le juste, n’est-ce pas le Seigneur ? » Puis, il se tourne vers lui et il s’écrie : « Je le sais : tu ne décevras pas mon attente » Ô Christ, attente des nations, tous ceux qui t’espèrent ne seront pas déçus ! Nos Pères t’ont espéré, tous les justes, depuis la création du monde, ont espéré en toi et ils n’ont pas été déçus. Aussi, lorsque nous avons reçu ton amour au milieu de ton temple, le chœur des hommes s’est exclamé dans un transport de joie et de louange : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » J’espérais le Seigneur d’un grand espoir, il s’est penché vers moi. Ils ont reconnu dans la faiblesse de la chair la splendeur de la divinité et ils ont dit : « Voici notre Seigneur ; nous l’avons attendu et il nous sauvera. C’est lui notre Sauveur, nous l’avons espéré, nous exulterons et nous bondirons de joie en son salut. Heureux l’homme dont l’espérance est le nom du Seigneur... »

10 vues

Posts récents

Voir tout
bottom of page