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Ier dimanche de Carême (A)

Éclaire aussi l'envers du cœur où le péché revêt d'un masque de laideur ta ressemblance…









Le pilier d’Adam et Ève,

Anonyme,

Colonne de pierre sculptée du côté nord (1526-1529),

Aître Saint-Maclou, Rouen (France)


Lecture du livre de la Genèse (Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a)

Le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux ; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Or le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ » Le serpent dit à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus.


Psaume 50 (51), 3-4, 5-6ab, 12-13, 14.17

Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.

Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint.

Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.


Lecture de la lettre de saint Paul Apôtre aux Romains (Rm 5, 12-19)

Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir. Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. Le don de Dieu et les conséquences du péché d’un seul n’ont pas la même mesure non plus : d’une part, en effet, pour la faute d’un seul, le jugement a conduit à la condamnation ; d’autre part, pour une multitude de fautes, le don gratuit de Dieu conduit à la justification. Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes. Bref, de même que la faute commise par un seul a conduit tous les hommes à la condamnation, de même l’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste.


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4, 1-11

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. » Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.


L’aître de Saint-Maclou


L'aître Saint-Maclou est un ancien aître (provient du mot atrium en latin : cour) charnier datant du XVIe siècle, situé 186, rue de Martainville à Rouen. Il constitue un des rares exemples d'ossuaire de ce type subsistant en Europe. L'aître Saint-Maclou fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques par la liste de 1862.


L'ossuaire se compose de quatre galeries encadrant une place centrale ; il est large de 32 mètres pour une longueur de 48 mètres. Les trois premières galeries sont réalisées en pans de bois au-dessus d'un soubassement en pierre, les fûts des colonnes sont sculptés de décors de la première Renaissance. La galerie du sud du XVIIe siècle est en revanche dépourvue de soubassement et de sculptures. Les galeries sont fermées par des cloisons en pans de bois maçonnés et des fenêtres lors de la construction d'un étage au XVIIIe siècle.


Le pilier d’Adam et Ève : ce que je vois



1- La création d’Ève

Dieu se tient debout à gauche et lève la main droite, tandis que, de la main gauche, il aide la jeune Ève à se redresser et à s'extraire du flanc droit d'Adam, dont elle naît. De celle-ci, au corps en grande partie brisée, nous voyons les mains jointes, les fesses, le ventre et les jambes : leurs formes laissent préjuger de la beauté du visage. Adam est allongé sur le côté gauche, jambes fléchies, et cache son sexe de la main droite.


À droite, derrière la tête d'Adam, une montagne est couronnée d'un édifice, vers lequel se dirige divers animaux : lion, renard ou gallinacé ; scène de création du monde et des animaux en laquelle Adam n’a pas trouvé « sa moitié »..


Dieu est vêtu d'une robe, serrée à la taille par un cordon noué, et à larges manches. Une ample cape est fermée par une fibule carrée. La tête (hormis un pan de la barbe), et les bras sont brisés. Les drapés sont particulièrement élégants.


2- La faute originelle




Le relevé d'Eustache-Hyacinthe Langlois en 1837


Cette représentation du serpent à la poitrine (et au visage, même s'il est ici brisé) féminine, mais à la queue qui s'enroule autour du tronc de l’arbre est fréquente. Le serpent-femme est quasiment toujours tourné vers Ève. On en retrouve la source dans des enluminures comme celle du Livre d'Heures dites d’Henri IV (BnF, Latin 1171, folio 20v). Ces enluminures sont peintes par le Maître des Triomphes de Pétrarque. Or ce livre provient de la bibliothèque du château de Gaillon, et ce peintre a laissé « une empreinte durable sur le milieu rouennais » (E. Adam).


C’est d’autant plus intéressant que c’est le cardinal Georges d'Amboise, commanditaire du château de Gaillon qui a introduit en Normandie le vocabulaire de la Première Renaissance Son neveu Georges II d'Amboise fut archevêque de Rouen en 1511 et prolongea l'œuvre de son oncle. Il fit reconstruire l'église Saint-Maclou (dédicace en 1521), ainsi qu’édifier l’aître.


La main droite d'Ève, qui est brisée, tenait jadis le fruit défendu. Dans certaines enluminures et sculptures, le serpent le tient, et le propose. Dans d'autres, le fruit est encore tenu par les deux mains. Mais ici, le serpent ne l'a plus, Ève l'a saisi. Les jeux sont faits. Il ne reste plus rien d'Adam, sauf une paire de pieds nus. Et à côté du pied droit, un pied de forte taille sort d'un drapé, laissant deviner un autre personnage : sûrement Dieu qui vient constater la faute.


3- L’expulsion





L'un des côtés de la colonne porte deux panneaux en bas-reliefs Renaissance. En haut, un couple nu entouré d'arbres stylisés (Adam et Ève hors de l'Eden ?) au dessus d'une vasque. La femme qui nous tourne le dos a des cheveux très longs. L'homme, barbu, tient un objet difficilement identifiable. En bas, un décor semblable à celui du château de Gaillon, avec une chimère au dessus de rinceaux. Entre les deux, un enfant habillé, tient un fruit, certainement, pour signifier le péché originel qui les condamna à l’expulsion du paradis.


Un récit fondateur

Je tiens tout de suite à vous rassurer : nous ne retrouverons pas les corps d’Adam et Ève ; ce sont des êtres mythologiques. Mais ce mot a aujourd’hui mauvaise presse. Pourtant, il a un sens bien précis. Le mythe est fondateur, il correspond à une histoire, une allégorie qui doit nous aider à comprendre une notion complexe ou difficile à expliquer. Sans nous en rendre compte, comme Monsieur Jourdain, nous racontons des mythes, ne serait-ce qu’en répondant à un enfant qui nous demande comment on fait les bébés… D’abord, les choux, ou les cigognes, avant de parler de la petite graine, voire d’être plus explicite quand ils grandissent. Avant que le mot « mythe » ne soit compris comme une fable, un récit fabuleux, il avait bien le sens d’un discours allégorique, d’une parole dont le sens importe. Et en cela, il était fondateur. Il nous permettait de saisir, de comprendre (cum-prendere) ce qui pouvait dépasser notre entendement. Et ce mythe se raconte de bouche à oreille : il en devient une « raconte », un conte. Puis on le met par écrit, et il se lit et devient ainsi une légende (ce qui est utile de lire).


Lisons donc ce récit de la Genèse dans cet esprit, non comme une histoire journalistique qui nous conterait les événements fait à fait, un procès-verbal, mais comme un récit qui doit nous faire comprendre plus que les réalités décrites : une vérité.


Et cette vérité est ici bien simple : celle du péché qui nous domine et notre propension à faire le mal, et même « malgré nous ». Saint Paul le traduit en une formule ramassée (Rm 7, 17-21) :

« Mais en fait, ce n’est plus moi qui agis, c’est le péché, lui qui habite en moi. Je sais que le bien n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans l’être de chair que je suis. En effet, ce qui est à ma portée, c’est de vouloir le bien, mais pas de l’accomplir. Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. Si je fais le mal que je ne voudrais pas, alors ce n’est plus moi qui agis ainsi, mais c’est le péché, lui qui habite en moi. Moi qui voudrais faire le bien, je constate donc, en moi, cette loi : ce qui est à ma portée, c’est le mal. »

Je l’ai déjà dit, le petit enfant en est un exemple probant. Lui qui n’a pas encore la raison raisonnante, expérimente la parole. Ces premiers mots sont révélateurs : papa, maman, et… NON ! Non avant le oui. Le premier mot que Dieu aurait voulu nous apprendre est AMOUR, mais nous avons choisi NON… Et cela, Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas, mérite d’être (si ce n’est compris, au moins) appréhendé par un mythe fondateur. C’est bien le cas des premiers chapitres du livre de la Genèse — nous pourrions en effet appliquer la même question au sujet de la création et de tant d’autres récits.


Une âme qui choisit

Reprenons notre texte, et notons d’abord que ce qui fait de nous des hommes, c’est ce souffle créateur que Dieu exhale dans nos narines. Le texte parle d’un souffle de vie, un souffle qui vient nous animer, donner vie à notre âme. Dieu nous a modelé un corps, il nous a donné une raison (même si nous en faisons un usage discutable), et il ne nous manquait que la vie, notre âme. Dois-je vous rappeler que le mot « âme » en latin se dit « anima », ce qui est animé, ce qui a un mouvement et est capable de s’écarter du danger ? Et il nous donne une âme « accordée », reliée à notre raison. Une âme, un être total, capable de faire des choix, de choisir entre le bien et le mal, la mort et la vie. Dieu le rappelle à l’homme, à tous les hommes (Dt 30, 19-20) :

« Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie, une longue vie sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob. »

L’homme devient capable de choix, car, comme le dira saint Augustin, il est « capax Dei », capable de connaître Dieu et même de le recevoir (vous pouvez aller lire en en annexe un extrait des Confessions de saint Augustin). Et ce parce que Dieu a créé l’humain à son image, et que ce Dieu se fera homme.


Un jardin

Et voilà que Dieu place l’homme dans un jardin luxuriant. Un peu d’étymologie… En hébreu : גַּן עֵדֶן, gan 'eden, jardin des délices est le nom donné à ce lieu. L’autre nom qu’on lui donne, Paradis,(hébreu : פַּרְדֵּס, PaRDeS) est utilisé comme synonyme de Gan Eden, terme qui possède des connotations similaires en vieux persan (référence à un « verger clôturé » ou « un terrain de chasse délimité »). Ce jardin est le lieu de Dieu. Et il est bien normal qu’il y plante ce qu’il veut, et même les arbres qui lui appartiennent. Ces arbres sont au nombre de deux. Un premier, accessible à tous et au centre du jardin : l’arbre de la vie. C’est le fruit de cet arbre qui permet à l’homme d’obtenir la vie éternelle, lui qui a été créé comme un être fini (qui a une finitude). Le second arbre, lui aussi au milieu, est celui de la « connaissance du bien et du mal ». Mais il me semble plus juste de l’appeler l’arbre de la « définition du bien et du mal », car Dieu n’interdit pas à l’homme de distinguer le bien du mal, mais plutôt de se croire juge capable de définir de lui-même ce qu’il estime bien ou mal. En aparté, depuis près de deux siècles, nous dévorons les fruits de cet arbre…


Ish et Isha

Le texte que nous donne la liturgie fait ici un raccourci. En effet, lorsque Dieu crée l’homme, il le crée avec sa différence sexuée (Gn 1, 27) : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » N’est-il pas vrai qu’en chacun de nous existe tant une part de féminité que de masculinité ? Mais il ne les crée pas encore en tant qu’êtres différenciés, séparés (le mit sexe vient du verbe latin secare : couper, séparer). Ce ne sera le cas que plus tard car, au chapitre 2 (Gn 2, 8), il nous est dit : « Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. » L’homme en tant qu’humain, pas simplement en tant qu’être personnel et masculin. Il sera donc seul à entendre la consigne divine (Gn 2, 16-17) : « Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre : « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras. » Ève, la femme, n’existe pas encore puisqu’elle ne sera extraite du côté d’Adam que quelques versets plus loin (Gn 2, 21-23) : « Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » Ce qui, entre nous, dédouane la femme !


Tentation

En effet, quand le serpent dit à Ève : « Alors, Dieu vous a vraiment dit : ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin’ ? » La femme répondit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez.’ », elle ne l’a jamais entendu dire de Dieu. Peut-être seulement d’Adam qui lui a transmis la consigne, une sorte d’ouï-dire. Et en même temps (comme dirait Macron), se trompe-t-elle ? Elle dit bien qu’il leur est interdit de manger de l’arbre au centre du jardin. Mais il y a là confusion (Babel : la racine hébraïque BLBL, signifie « bredouiller », « confondre »). En effet, au centre du jardin, il n’y a pas qu’un arbre, mais deux ! Gn 2, 9b : « il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. » Un qui leur est interdit, et un pour lequel Dieu n’a donné aucune consigne. Et le serpent ne manque pas de jouer avec cette confusion.


Le fruit de l’arbre

Mais qu’est-ce qui fera chuter Ève ? Quelle sera la cause de sa désobéissance ? Relisons le texte : « La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. » D’abord, que le fuit est « savoureux », qu’il semble avoir du goût. Mais le mot « saveur » a la même racine que le mot « savoir » (sapere en latin, ce qui donna par exemple insipide : qui n’a pas de goût). Ce fruit est celui du savoir. Mais aussi qu’il est « agréable à regarder ». J’ai toujours été très surpris de cette précision. Les choses agréables à regarder ont-elles comme destinée d’être dévorées, de disparaître dans une gueule avide ? Ça peut paraître ridicule. Et pourtant notre cortex animal prend le dessus ! Ne dit-on pas quand on voit un bel enfançon qu’il est « à croquer » ? Ne dit-on pas qu’on a dévoré un roman ? Je pourrais multiplier les exemples, mais ce qui semble essentiel à comprendre est que nous voulons dévorer la beauté pour la faire nôtre. En fait, nous voulons l’absorber pour nous transformer, parce que nous ne nous trouvons pas vraiment aimable, désirable. Notre cortex animal jette un regard négatif sur le « plus beau » que nous : il devient une menace pour notre survie, ne serait-ce que la survie à nos propres yeux. Ça peut vous paraître quelque peu psychologisant, mais est-ce si ridicule que ça ?


Imago

La vraie question n’est-elle pas celle de l’image, de notre image ? Il nous importe plus d’avoir une bonne image aux yeux des autres que de nous rappeler que nous sommes faits à « l’image et à la ressemblance » de Dieu. Comment ne pas penser à l’importance de cette image, première inquiétude de nos gouvernants et responsables… Le serpent ne s’y trompa pas : sur notre pilier, comme dans tant d’autres oeuvres d’art, il prendra le visage d’Ève. Il est son miroir, non un miroir qui réfléchirait sa création divine, mais son image humaine, son orgueil. « Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle… » dira la méchante Reine… Et même si l’on n’est pas responsable de la tête que l’on a mais de la tête que l’on fait, il n’en reste pas moins que nous sommes responsables de l’image de Dieu qui est en nous ! Et peut-être que si ce fruit est beau et désirable, Ève s’y voit en figure, en miroir, espérant devenir ainsi elle-même belle et désirable. Et même devenir un être savoureux, quelqu’un qui a du goût, qui serait moins insipide ?


N’est-ce pas là notre premier péché : vouloir être ce que nous ne sommes pas ? N’est-ce pas la notre première difficulté : accepter de ne pas être ce que nous rêverions d’être ? N’est-ce pas là notre première désobéissance : ne pas écouter Dieu qui nous dit que nous avons du prix à ses yeux (Is 43, 4) et qu’il tient tellement à nous qu’Il a gravé notre nom (c’est-à-dire tout ce qui nous définit) dans la paume de sa main (is 49, 16) ? N’est-ce pas ce que Didier Rimaud chantait dans une de ses hymnes : « Éclaire aussi l'envers du cœur où le péché revêt d'un masque de laideur ta ressemblance » ?


Désobéir, c’est, étymologiquement, ne pas écouter. Ève n’a pas écouté Dieu, elle n’a pas compris qu’elle était aussi (et même d’abord) faite à l’image et à la ressemblance de Dieu. Elle a préféré obéir (écouter) au tentateur qui lui a fait croire qu’elle était plus belle, plus désirable, plus savoureuse que Dieu, qu’elle pouvait être plus que ce que Dieu avait fait d’elle. Dommage qu’elle ne connaisse pas le principe de Peter (selon le principe de Peter, tout salarié gravit les échelons jusqu’à atteindre un niveau hiérarchique où il sera incompétent) ! Elle aurait (nous aurions) compris, quelle était sa (notre) place dans le plan de Dieu…


Intelligence

Mais sa conclusion réflexive est encore plus surprenante : « puisqu’il donnait l’intelligence ». Dieu voudrait-il que l’homme soit stupide ? Seul ce fruit nous donnerait l’intelligence ? À moins que, là encore, nous soyons sous le coup d’une confusion. Et je rouvre le dictionnaire étymologique (Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, le Robert, 2000) au mot « intelligence » :

Le mot est dérivé de intellegere ou intelligere, proprement « choisir entre (par l’esprit) », d’où « comprendre » et « apprécier », verbe formé de inter (entre) et de legere (cueillir, rassembler).

L’homme intelligent est donc celui qui sait recueillir à bon escient ! Mais Ève cueille-t-elle vraiment le fruit ? Se recueille-t-elle avant de le cueillir ? Fait-elle preuve d’un choix mesuré et délibéré ? S’est-elle rassemblée en elle-même avant son acte ? Non ! Elle n’a pas cueilli le fruit, elle s’en est emparé. Elle ne s’est pas recueillie, elle s’est laissée cueillir, séduire, corrompre (rompre avec elle-même). Elle ne s’est pas rassemblée, elle s’est projetée, pour ne pas dire « éclatée ». Elle pensait obtenir l’intelligence, la science des choses et des êtres, elle n’en a obtenu que son dépouillement, un regard désenchanté sur elle, son mari et ce qui les entourait : « Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. » Au point qu’ils doivent couvrir leur dénuement de feuilles de figuier, de feuilles de loi !


Quelle leçon ?

Alors, quelle(s) leçon(s) en tirer pour nous aujourd’hui ? La réponse nous est donnée dans les autres textes de cette liturgie. Mais avant, quelques indices tirés de notre livre de la Genèse :

  • D’abord, de se rappeler que nous avons été créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu » : ce n’est pas rien, et ça devrait nous revenir à l’esprit à chaque fois que nous sommes devant un miroir !

  • Puis de prendre conscience que nous ne sommes pas que corps et raison, mais aussi et en premier lieu : âme ! Rappelez-vous ce que nous avons découvert sur la citation de Pascal : « Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point ».

  • Mais aussi de combattre notre « animalité » : nous sommes des hommes après tout ! Même si, aujourd’hui on est en droit de se poser quelques questions au vu de l’actualité…

  • Et enfin que ce qui importe n’est pas notre image aux yeux des autres, ou des nôtres, mais surtout aux yeux de Dieu. Seules les Écritures et la prière peuvent nous la révéler. Seuls la liturgie et les sacrements peuvent nous revêtir de grâces devant notre nudité.


Quant aux textes

Je n’en extrais que quelques citations lumineuses, comme des balises pour la semaine à venir :

  • Lundi : « Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense. »

  • Mardi : « Oui, je connais mon péché, ma faute est toujours devant moi. Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait. »

  • Mercredi : « Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit. Ne me chasse pas loin de ta face, ne me reprends pas ton esprit saint. »

  • Jeudi : « Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. »

  • Vendredi : « En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ. »

  • Samedi : « Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes. »

  • Et pour dimanche… il vous reste à aller l’autre homélie !


Capax Dei — Saint Augustin (354-430), Confessions, 10, 5

Ce que je sais, de toute la certitude de la conscience, Seigneur, c’est que je t’aime. Tu as touché mon cœur de ta parole, et à l’instant je t’aimai. Le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent ne me disent-ils pas aussi de toutes parts qu’il faut que je t’aime ? Et ils ne cessent de le dire aux humains. Qu’aimé-je donc en t’aimant ? Ce n’est pas la beauté selon la dimension, ni la gloire selon le temps, ni l’éclat de cette lumière amie à nos yeux, ni les douces mélodies du chant, ni la suave odeur des fleurs et des parfums, ni la manne, ni le miel, ni les délices de la volupté. Ce n’est pas là ce que j’aime en aimant mon Dieu, et pourtant j’aime une lumière, une mélodie, une odeur, un aliment, une volupté, en aimant mon Dieu ; cette lumière, cette mélodie, cette odeur, cet aliment, cette volupté, suivant mon être intérieur ; lumière, harmonie, senteur, saveur, amour de l’âme, qui défient les limites de l’étendue, et les mesures du temps, et le souffle des vents, et la dent de la faim, et le dégoût de la jouissance. Voilà ce que j’aime en aimant mon Dieu. J’ai si longtemps erré comme une brebis égarée… Je t’ai cherché dans les merveilles que tu as créées : J’ai demandé à la terre si elle était mon Dieu, elle m’a répondu que non. Je l’ai demandé à la mer, à ses abîmes : tous les êtres qu’ils contiennent m’ont répondu : cherchez-le au-dessus de nous. J’ai interrogé le ciel, la lune, le soleil, les étoiles, toutes m’ont répondu : nous ne sommes pas ton Dieu. Et je dis enfin à tous les objets qui se pressent aux portes de mes sens : « Parlez-moi de mon Dieu, puisque vous ne l’êtes pas ; dites-moi de lui quelque chose. » Et ils me crient d’une voix éclatante : « C’est lui qui nous a faits (Psaume 100:3). » Maudit soit l’aveuglement qui m’empêchait de te voir. Maudite soit la surdité qui ne me permettait pas d’entendre ta voix ! Sourd et aveugle que j’étais, je ne m’attachais qu’aux merveilles de ta création. Je me suis fatigué à te chercher hors de moi, Toi qui habites en moi. J’ai parcouru les bourgs et les places publiques, et je ne t’ai pas trouvé, parce que je cherchais en vain ce qui était en moi. Mais tu m’as éclairé de ta lumière, alors je t’ai vu et je t’ai aimé, car on ne peut t’aimer sans te voir, ni te voir sans t’aimer. Ô temps malheureux où je ne t’ai pas aimé !



Prière contre les tentations

Sauve-moi, ô mon Sauveur, Toi qui as sauvé mon âme, Sauve ma chair de la flamme Qui me gâche ta Saveur !


Sauve-moi des tentations ; Chasse de moi les pensées Perverses et insensées, D’un souffle de ta Passion !


Lave-moi de ton saint Sang Qui féconde le calvaire, Et viens revêtir ma terre De tes Lambeaux si décents !


Que ta Chair au goût du Pain Engloutisse mon écharde Qui me saigne et qui s’attarde ; Que de ton seul Pain j’aie faim !


Que j’aie soif de ton seul Vin ! Que je boive à ton calice L’élixir du sacrifice Qui m’associe au Divin !


Détourne l’esprit malsain Et les tendances malignes, Et fais-moi suivre les lignes Tracées par ton Esprit saint.


Bénis, Seigneur, mon action, Rassure-moi dans ma tâche, Qu’aucune épreuve n’entache Mon office ou ma mission.


Aide donc ton serviteur Qui s’est mis à ton service, À s’armer contre les vices, À refléter son Auteur !


Ȏ Toi dont le lourd tribut A changé ma destinée, Rends mon âme raffinée, Jette ses maux au rebut !


Préserve-moi des abus ! Sauf l’abus de ta Parole, De ton art, tes paraboles ; Que de Toi je sois imbu !


Ȏ Jésus, protège-moi Des appâts, des convoitises, Et des fiévreuses hantises Qui paralysent ma foi.


Au bruit des mondanités Substitue un monde austère Où s’exerce un ministère Fait de dons, de charité !


Mets-moi au goût de ton Jour, Au parfum de l’Évangile Où ma nature fragile S’affermit par ton Amour !


Garde-moi du tentateur, De son insidieuse science Qui assoupit ma conscience Et le sens de mes valeurs !


Sois mon guide, ô mon Berger ! Emmène-moi loin des chutes, Joins ton bâton à mes luttes ; Tends les bras pour m’héberger !


Sauve-moi, ô mon Sauveur ! Et préserve mon Église Des secousses et des crises Provenant de mes erreurs !


Et voici qu’ils se sont tus Mes démons, par mes prières, Par ta grâce, ô Notre Père, Et je vis dans Ta Vertu !


Prière à Notre-Dame du Perpétuel Secours

O sainte Vierge Marie, qui, pour nous inspirer une confiance sans bornes, avez voulu prendre le nom si doux de Mère du Perpétuel-Secours, je vous supplie de me secourir en tout temps et en tout lieu: dans mes tentations, après mes chutes, dans mes difficultés, dans toutes les misères de la vie et surtout au moment de ma mort. Donnez-moi, ô charitable Mère, la pensée et l'habitude de recourir toujours à vous; car je suis sûr que, si je vous invoque fidèlement, vous serez fidèle à me secourir. Procurez-moi donc cette grâce des grâces, la grâce de vous prier sans cesse et avec la confiance d'un enfant, afin que, par la vertu de cette prière fidèle, j'obtienne votre Perpétuel Secours et la persévérance finale. Bénissez-moi, ô tendre et secourable mère, et priez pour moi, maintenant et à l'heure de ma mort. Ainsi soit-il.

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