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IIe dimanche de Carême (A)

Ainsi la Loi et les Prophètes témoignaient…



La Transfiguration

D’après le premier manuscrit d’Ulrich de Lilienfeld, vers 1355,

« Concordantiae caritatis »,

Extrait du manuscrit copié et réalisé à Vienne en 1471, folio 24 verso, NAL 2129,

Bibliothèque nationale de France, Paris (France)


Lecture du livre de la Genèse (Gn 12, 1-4a)

En ces jours-là, le Seigneur dit à Abram : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai grand ton nom, et tu deviendras une bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront ; celui qui te maudira, je le réprouverai. En toi seront bénies toutes les familles de la terre. » Abram s’en alla, comme le Seigneur le lui avait dit, et Loth s’en alla avec lui.


Psaume 32 (33), 4-5, 18-19, 20.22

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour.


Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine.


Nous attendons notre vie du Seigneur : il est pour nous un appui, un bouclier. Que ton amour, Seigneur, soit sur nous comme notre espoir est en toi !


Lecture de la deuxième lettre de saint Paul apôtre à Timothée (2 Tm 1, 8b-10)

Fils bien-aimé, avec la force de Dieu, prends ta part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile. Car Dieu nous a sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce. Cette grâce nous avait été donnée dans le Christ Jésus avant tous les siècles, et maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté : il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile.


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 17, 1-9)

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus : « Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre, et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »


Préface du jour

Vraiment, il est juste et bon, pour ta gloire entoure salut, de t'offrir notre action de grâce, toujours et en tout lieu, Seigneur, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant, par le Christ notre Seigneur.

Après avoir prédit sa mort à ses disciples, il leur a manifesté sa splendeur sur la montagne sainte en présence de Moïse et d’Elie.

Ainsi la Loi et les Prophètes témoignaient qu’il parviendrait par la passion jusqu’à la gloire de la résurrection.

C’est pourquoi, avec les puissances des cieux, nous pouvons te bénir sur la terre et t’adorer sans fin en proclamant…


Le manuscrit

Je ne vais pas revenir sur l’histoire de ce manuscrit dont vous pourrez retrouver le détail au dimanche de l’Épiphanie.


Les lectures qui précèdent l’évangile ne sont pas, en cette année A, très passionnantes à commenter. Je vais donc plus m’orienter vers une vision « typologique » du texte.


Ce que je vois


Les textes inscrits :


Lorsque Moïse descend du mont Sinaï, son visage est cornu par les rayons de lumière de sa conversation avec le Seigneur (Exode 34, 29).



Isaïe voit le Seigneur assis sur un trône haut et élevé . (Isaïe 6, 1).



Le lion épargne l'homme qui se couche sur le sol.



Celui qui boit de l'eau du lac italien appelé Cycircio n'aimera pas le vin.

Les citations des quatre prophètes :


  • En haut, à gauche : David montrant le psaume 137, 7 : « Ta droite me rend vainqueur ».

  • En bas, à gauche : Daniel, chapitre 2, 21 : « Lui qui fait changer les âges et les temps ».

  • En haut à droite : Ézékiel 1, 7 : « étincelaient comme scintille le bronze poli. »

  • En bas, à droite : Le livre de la Sagesse, chapitre 10, 14 : « et lui a donné une gloire éternelle ».

La scène évangélique



La scène se déroule sur une montagne symbolisée par ce petit monticule terreux. Au pied, les trois apôtres, Pierre, Jacques et Jean se masquent les yeux devant la lumière de la transfiguration. Notons que deux des apôtres portent une tunique de la même couleur que les deux prophètes autour de Jésus.



Jésus est représenté comme un enfant, assez semblable à celui que l’on voit dans la page illustrant l’évangile de Jésus devant les docteurs au Temple (folio 12 verso). Vêtu d’une longue tunique rose, la tête couronnée d’un nimbe crucifère, il est entouré de rayons ardents rappelant la description du texte évangélique : « son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. » Sa main gauche accueille Élie à sa droite, alors que la droite bénit Moïse.


Moïse, évidemment, est cornu, rappel d’une erreur de transcription du texte massorétique (les rayons qui émanaient de son visage se sont transformés en cornes !). De l’autre côté, Élie est mains jointes.


Les liens typologiques



Moïse

Par contre, les scènes liées sont beaucoup plus surprenantes. Ainsi en est-il des deux scènes vétérotestamentaires. À gauche, comme le décrit le texte latin : « Lorsque Moïse descend du mont Sinaï, son visage est "cornu" par les rayons de lumière de sa conversation avec le Seigneur ». La description joue sur l’erreur de transcription, car ici, ce ne sont pas deux cornes qui sortent de son crâne, mais deux faisceaux lumineux. Ce qui importe de retenir est clair : voir Dieu nous faire rayonner. Mais d’où vient cette lumière ?


La grande question que se poseront les théologiens et exégètes, tant occidentaux qu’orientaux, concernera l’origine de cette lumière transfigurante. Et deux écoles vont s’opposer. Cette Gloire est-elle un rejaillissement sur le Corps du Christ ou l’illumination des yeux intérieurs des disciples ?


En quelques mots, résumons les positions.

  • Les orientaux expliqueront que c’est une grâce du Saint-Esprit, grâce continue, qui ouvrira les yeux des « fils de lumière » (ceux qui ont le coeur assez pur pour cela) à la lumière de la Gloire invisible qui ne cesse de se diffuser dans le Corps du Christ. Cette lumière de Jésus est continue mais ne sera visible que par ceux qui ont réussi à purifier leur regard. Pensons aux écailles qui tombent des yeux de Paul lorsqu’il reçoit l’imposition des mains d’Ananie (Ac 9, 17).

  • Les occidentaux, particulièrement saint Thomas d’Aquin, parleront d’un pouvoir que possède le Christ de manifester la Gloire de son âme à travers son corps. C’est une grâce temporaire qu’il fait aux hommes pour révéler quelque aspect de la foi en sa divinité. Une sorte de flash fugace.

Je dois reconnaître que je me retrouve mieux dans la perspective orientale… C’est à force de contempler Dieu que nous yeux s’ouvrent, que notre regard se purifie et que notre visage s’illumine de la lumière divine. Je me rappelle avoir participé à une messe privée avec le pape saint Jean-Paul II. Une chose m’a troublé : une lumière semblait sortir de son visage ! Oui, il rayonnait. Et ces rayons, ces « cornes » ne peuvent « pousser » en nous, voire sur notre tête, que si nous passons du temps à contempler la saint Face du Christ car (Jn 12, 44-46) : « Celui qui croit en moi, ce n’est pas en moi qu’il croit, mais en Celui qui m’a envoyé ; et celui qui me voit voit Celui qui m’a envoyé. Moi qui suis la lumière, je suis venu dans le monde pour que celui qui croit en moi ne demeure pas dans les ténèbres. »



Isaïe

« Isaïe voit le Seigneur assis sur un trône haut et élevé » nous explique le texte latin. C’est une reprise interprétative du chapitre 6 (verset 1) : « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur qui siégeait sur un trône très élevé ; les pans de son manteau remplissaient le Temple. » Deux aspects sont ici mis en valeur : Dieu siège. Et le nouveau trône où Dieu va se révéler, c’est la montagne, le mont Thabor. Cette dénomination de la montagne (qui n’est qu’une colline) a tellement marqué les esprits que l’on appela ainsi le support sur lequel on posait l’ostensoir pour les adorations eucharistiques. Rappelons que la fête du Corpus Christi, aussi appelée « Fête-Dieu » fut instituée en 1264 par le pape français Urbain V. Et cette vision du prophète Isaïe ressemble étrangement à cette adoration ! Le lien liturgique me semble évident. Et je me permets de vous remémorer le deuxième lien liturgique de la transfiguration. Amalaire de Metz (775-850), dans son Liber officialis introduisit une véritable interprétation allégorique de la liturgie chrétienne. C’est lui qui demande à ce que deux clercs portent les luminaires devant le prêtre qui lit l’évangile, rappel de la transfiguration, accomplissement de l’Écriture : un cierge représente Moïse (la Loi), un autre Élie (le prophète par excellence) alors que le prêtre qui lit l’Évangile représente la Sagesse (troisième partie de la Bible).


Le deuxième aspect est bien sûr celui de la vision. Une vision que l’on qualifiera d’apocalyptique, c’est-à-dire, en reprenant le sens étymologique du mot, une vision qui révèle qui est ce Dieu qui attend notre louange. Un Dieu qui se révèle aussi par sa tenue. Le texte précise que les « les pans de son manteau remplissaient le Temple ». Comment ne pas penser au voile du Temple qui masquait le Saint des Saints. Mais aussi la mort du Christ lorsque le voile se déchira : la mort du Christ nous ouvre sur une nouvelle perspective : la résurrection. C’est bien ce que nous précise la préface : « Après avoir prédit sa mort à ses disciples, il leur a manifesté sa splendeur sur la montagne sainte en présence de Moïse et d’Elie. Ainsi la Loi et les Prophètes témoignaient qu’il parviendrait par la passion jusqu’à la gloire de la résurrection. »



Le lion

Voilà une bien curieuse image tirée de l’histoire naturelle : « Le lion épargne l'homme qui se couche sur le sol. » Comment la comprendre ? Tout simplement en premier lieu dans sa dimension biblique : « Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Les disciples se couchent devant la majesté divine. Et Dieu, vient les toucher, comme ce lion, et les relever. N’ayons pas peur de notre Dieu si nous acceptons de plier le genoux devant lui !


Et c’est peut-être le deuxième aspect : la dimension liturgique. Feu le pape Benoît XVI, maître de la liturgie, donne quelques explications (L’Esprit de la liturgie, Artège éditions, 2019) sur ce geste dont nous avons perdu la signification, estimant stupidement qu’il ne correspondrait plus à notre maturité spirituelle ! Pauvres de nous…


On voudrait aujourd'hui nous détourner de l'agenouillement. Ce geste ne serait plus adapté, paraît-il, à notre culture, il ne conviendrait pas au chrétien adulte qui doit faire face à Dieu, debout; ou encore il ne s'accorderait pas avec le statut de l'homme sauvé, car l'homme libéré par le Christ n'aurait plus à s’agenouiller. (…) Le geste de se jeter aux pieds du Christ est désigné par le mot gonypetein (quatre occurrences dans les Evangiles : Mc 1,40 ; 10, 17 ; Mt 17, 14 ; 27, 29). (…) Sans être un acte d'adoration à proprement parler, c'est une supplication exprimée corporellement, qui manifeste la confiance en une puissance qui dépasse l'homme. Le terme classique pour désigner l'adoration à genoux, proskynein, correspond à une réalité différente et peut poser un problème au traducteur. (…)Les disciples dans la barque se prosternèrent devant Jésus, disant : « Vraiment tu es Fils de Dieu » (Mt 14, 33). D'après des traductions antérieures, les disciples dans la barque adorèrent Jésus. Que le geste de reconnaître Jésus comme le Fils de Dieu soit un acte d'adoration ressort clairement du contexte. Les traductions sont toutes correctes, chacune soulignant un aspect de l'événement : la plus récente l'expression corporelle, les anciennes l'événement intérieur.


Je reprends ces derniers mots : « Les traductions sont toutes correctes, chacune soulignant un aspect de l'événement : la plus récente l'expression corporelle, les anciennes l'événement intérieur. » Ne peut donc voir ici un appel à oser vivre nos gestes liturgiques : se mettre à genoux, et même se prosterner devant le Seigneur, signifiant ainsi notre respect le plus profond et, surtout notre attitude intérieure : Dieu seul est grand, mes frères !



La source

« Celui qui boit de l'eau du lac italien appelé Cycircio n'aimera pas le vin. » nous dit le texte latin. Ce lac est en fait celui qui se trouve dans le parc de Circeo, dans le Latium italien, au pied du mont Circé (542 mètres). D'après la légende grecque, Circé était une célèbre magicienne, fille d'Hélios, le dieu Soleil, et de l'océanide Perséis. Elle avait le dangereux pouvoir de transformer, par ses philtres et incantations, les êtres humains en chiens, en lions et en pourceaux. C'est ainsi qu'elle métamorphosa les compagnons d'Ulysse échoués sur son île. Mais Ulysse, protégé par le « moly », herbe qu'il avait reçue d'Hermès, contraignit Circé à rendre leur forme originale aux marins. La tradition gréco-latine situe son île au large de l'Italie, ou bien à l'emplacement du promontoire du mont Circé qui domine la côte des marais Pontins.


J’avoue avoir du mal à comprendre cette image ! Faut-il comprendre que celui qui boit les philtres de la magicienne, ne voyant ainsi dans la Transfiguration qu’une métamorphose magique, n’aura pas accès au vin de l’eucharistie ? Cela me semble la meilleure interprétation, à moins que un lecteur me donne une autre explication !


Les textes de la messe

Normalement, depuis le Concile Vatican II, les textes qui précèdent l’évangile ont valeur typologique, particulièrement la première lecture et le psaume. Alors, que nous disent-ils ?


La première lecture nous apprend que pour être bénis du Seigneur, nous devons accepter de quitter notre demeure, notre confort pour partir à l’aventure. Ce fut bien le cas de nos trois disciples : « En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. ». Une leçon simple : si nous n’allons pas sur la montagne pour voir le Seigneur, nous ne serons pas nous-mêmes transfigurés, et rayonnerons encore moins de sa présence.


La psaume, lui, insiste sur la protection que le Seigneur nous accorde. Pensons à l’image du lion qui ne fait pas qu’attaquer l’homme au sol, mais le protège aussi. Leçon simple, une nouvelle fois : « Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine. »

Quant à la lettre à Timothée, j’en retiendrai trois aspects :

  • Dieu « nous a appelés à une vocation sainte », et cette vocation de de l’écouter, et de nous prosterner devant sa grandeur et sa munificence.

  • Cette grâce de son appel, de notre vocation est « maintenant elle est devenue visible, car notre Sauveur, le Christ Jésus, s’est manifesté ».

  • Paul nous donne le sens profond de la transfiguration, elle que l’a reprise la Préface : « il a détruit la mort, et il a fait resplendir la vie et l’immortalité par l’annonce de l’Évangile ».

À retenir pour notre semaine

N’ayons pas peur… Pas peur…

  • De nous prosterner devant la majesté de Dieu,

  • D’écouter sa Parole,

  • De croire qu’il veille sur nous et nous délivre de la mort.

  • Et de demander à son Esprit de fondre sur nous pour que nous-mêmes puissions, à l’image de Moïse, rayonner sa grâce sur nos frères.

Il ne nous reste plus qu’à rejoindre le Christ au Thabor… N’est-ce pas le sens du Carême ?



Rayonne à travers moi : prière du Cardinal Henry Newman


Seigneur Jésus,

inonde-moi de ton Esprit et de ta vie.

Prends possession de tout mon être

pour que ma vie ne soit qu’un reflet de la tienne.

Rayonne à travers moi, habite en moi,

et tous ceux que je rencontrerai

pourront sentir ta présence auprès de moi.


En me regardant, ils ne verront que toi seul, Seigneur !

Demeure en moi

et alors je pourrai, comme toi, rayonner,

au point d’être à mon tour

une lumière pour les autres,

lumière, Seigneur, qui émanera complètement de toi.


C’est toi qui, à travers moi, illumineras les autres.

Ainsi ma vie deviendra une louange à ta gloire,

la louange que tu préfères,

en te faisant rayonner sur tous ceux qui nous entourent.

Par la plénitude éclatante de l’amour que te porte mon cœur.

Amen.



Sermon 51,3-4,8 de saint Léon le Grand (vers 395-461) pour le 2e dimanche de Carême,


« Le Seigneur découvre sa gloire devant les témoins qu'il a choisis, et il éclaire d'une telle splendeur cette forme corporelle qu'il a en commun avec les autres hommes que son visage a l'éclat du soleil et que ses vêtements sont aussi blancs que la neige.


Par cette transfiguration il voulait avant tout prémunir ses disciples contre le scandale de la croix et, en leur révélant toute la grandeur de sa dignité cachée, empêcher que les abaissements de sa Passion volontaire ne bouleversent leur foi.


Mais il ne prévoyait pas moins de fonder l'espérance de l'Église, en faisant découvrir à tout le corps du Christ quelle transformation lui serait accordée ; ses membres se promettraient de partager l'honneur qui avait resplendi dans leur chef.


Le Seigneur lui-même avait déclaré à ce sujet, lorsqu'il parlait de la majesté de son avènement : Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Et l'Apôtre saint Paul atteste lui aussi : J'estime qu'il n'y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire que le Seigneur va bientôt répéter en nous. Et encore : Vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ qui est votre vie, alors, vous aussi, vous paraîtrez avec lui en. pleine gloire. Cependant, pour confirmer les Apôtres et les introduire dans une complète connaissance, un autre enseignement s'est ajouté à ce miracle.


En effet, Moïse et Élie, c'est-à-dire la Loi et les Prophètes, apparurent en train de s'entretenir avec le Seigneur. Ainsi, par la réunion de ces cinq hommes s'accomplirait de façon certaine la prescription : Toute parole est garantie par la présence de deux ou trois témoins.


Qu'y a-t-il donc de mieux établi, de plus solide que cette parole ? La trompette de l'Ancien Testament et celle du Nouveau s'accordent à la proclamer ; et tout ce qui en a témoigné jadis s'accorde avec l'enseignement de l'Évangile.


Les écrits de l'une et l'autre Alliance, en effet, se garantissent mutuellement ; celui que les signes préfiguratifs avaient promis sous le voile des mystères, est montré comme manifeste et évident par la splendeur de sa gloire présente. Comme l'a dit saint Jean, en effet : Après la Loi communiquée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ. Eu lui s'est accomplie la promesse des figures prophétiques comme la valeur des préceptes de la Loi, puisque sa présence enseigne la vérité de la prophétie, et que sa grâce rend praticables les commandements.


Que la foi de tous s'affermisse avec la prédication de l'Évangile, et que personne n'ait honte de la croix du Christ, par laquelle le monde a été racheté.


Que personne donc ne craigne de souffrir pour la justice, ni ne mette en doute la récompense promise car c'est par le labeur qu'on parvient au repos, par la mort qu'on parvient à la vie. Puisque le Christ a accepté toute la faiblesse de notre pauvreté, si nous persévérons à le confesser et à l'aimer, nous sommes vainqueurs de ce qu'il a vaincu et nous recevons ce qu'il a promis. Qu'il s'agisse de pratiquer les commandements ou de supporter l'adversité, la voix du Père que nous avons entendue tout à l'heure doit retentir sans cesse à nos oreilles: Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis tout mon amour; écoutez-le ! »



François Varillon, jésuite (1905-1978), extrait de "La parole est mon royaume", Le Centurion pp. 87-94


Ce n'est pas sans raison que l'Église nous propose chaque année, pendant ce temps du Carême où les chrétiens montent lentement vers la fête de Pâques, la lecture du récit de la Transfiguration. Les autres pages d'Évangile pour le dimanche ne sont lues qu'une année sur trois ; maïs le récit de la Transfiguration, tous les ans. C'est exceptionnel, cela veut dire, sans aucun doute, que l'Église y tient.


Cet épisode assez extraordinaire nous invite, c'est évident, à contempler dans l'humilité de l'homme Jésus, toute la gloire de Dieu qui y est présente et ordinairement cachée. Ce qui est moins évident et qu'un lecteur superficiel risque de ne pas comprendre, c'est que cet épisode nous révèle aussi que l'humilité de l'homme Jésus est le cœur de la gloire de Dieu. Quand sur la montagne de Galilée le voile se déchire, il devient manifeste non seulement que c'est bien Dieu lui-même qui a pris temporellement en Jésus la forme du serviteur, mais aussi que cette forme de serviteur est la forme éternelle de Dieu. D'une part l'homme Jésus est vraiment Dieu. Mais d'autre part Dieu, comme l'homme Jésus, est, pauvre, dépendant, humble, sensible et vulnérable.


Contexte


Tout est centré sur la Passion qui est proche. Avant, pendant et après.


Avant ? Quelques jours plus tôt, Jésus a annoncé pour la première fois en termes très nets qu'il devait souffrir et mourir. Pierre a eu un sursaut scandalisé; mais Jésus l'a sévèrement réprimandé, et il a ajouté que personne ne pouvait être son disciple à moins de renoncer à soi et de porter Sa croix.


Pendant ? C'est saint Luc qui note que Moïse et Elie s'entretiennent du prochain départ de Jésus pour Jérusalem. Il n'est donc question que de la Passion.


Or, tous les détails du récit évoquent les manifestations de Dieu dans l'Ancien Testament. La montagne est haute comme étaient hauts le Sinaï et l'Horeb. L'homme du Sinaï est là, c'est Moïse. L'homme de l'Horeb aussi est là, c'est Élie. Les vêtements de Jésus sont éblouissants de blancheur ; son visage resplendit comme le soleil ; une voix parle du sein de la nuée. Cette nuée est celle de l'Exode qui guidait les Hébreux dans le désert. Tout nous dit c'est Dieu. C'est donc Dieu qui va souffrir et mourir. Personne ne pourra se tromper sur ce qu'est sa Gloire. Dans un autre contexte, la Transfiguration serait une manifestation de puissance et d'éclat. Dans le contexte de la Passion, c'est tout autre chose : les témoins de la Faiblesse au Jardin des Oliviers. Celui dont le visage est resplendissant comme le soleil sera un pauvre homme qui sue le sang. Entre cette Gloire et cette Faiblesse, il n'y a pas opposition, mais indéchirable unité.


L'instant de la vision splendide fur sans doute extrêmement bref, mais tellement merveilleux que Pierre avait proposé de le prolonger et même de l'éterniser. Il avait rêvé tout haut que le bonheur serait de s'installer dans cet instant devenu éternel, afin de posséder Dieu sur l'heure, face à face et pour toujours. Mais avant même qu'il eût achevé sa phrase, un brouillard les avait tous enveloppés, cependant qu'une Voix s'en échappait : "celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le".


Dieu avait donc coupé court à tout projet d'installation. On ne s'installe pas, on continue ! On redescend dans la plaine ; et là, dans la plaine où vivent les hommes, une seule chose importe : écouter Jésus pour faire ce qu'il dit. Non pas voir, être ébloui et ne rien faire, mais écouter et faire (écouter veut dire obéir).


Nous pouvons avoir une fois, deux fois dans notre vie le sentiment fugitif que Dieu est évident. Ce sont des instants merveilleux que l'on voudrait éterniser. A ces moments là, rien ne fait problème. La foi va de soi. Les contestations de l'athéisme semblent enfantines. On baigne dans la lumière ; on va jusqu'à dire qu'on "sent" Dieu, qu'on le touche, qu'on le respire presque physiquement.


On ose parler d'expérience de Dieu. Ce que dit l'Église s'impose comme un donné tout fait, un système sans fissure devant lequel on ne voit pas comment la raison pourrait ne pas s'incliner. A moins qu'on ne laisse tranquillement la raison de côté, en estimant qu'elle n'a rien à voir avec la foi... Et tout à coup plus rien. La nuit vient sur les yeux, la brume envahit l'intelligence, le coeur et la volonté. Plus rien n'est sûr. Ce n'est plus la colline dans le soleil mais la plaine morne et grise où vivent les hommes, avec la famille, le métier, les relations, les maladies, les déceptions et les échecs. Alors l'objection enfonce des coins dans le système ; des fissures apparaissent par où s'infiltre le doute "Tout cela est-il bien vrai ? Et d'abord Dieu existe-t-il ? Et si Dieu existe, Jésus Christ est-il vrai Dieu et vrai homme ? Et l'Église ? Sa parole est-elle bien la parole de Jésus Christ ? Et puis est-il tellement nécessaire que Dieu soit, pour que nous ayons le courage de relever nos manches jusqu'aux coudes et de lutter contre l'injustice et le mensonge pour la construction d'un monde plus habitable et. plus fraternel ?"


Tout était hier évident. Plus rien n'est évident. De tous les sens, seule l'oreille demeure ouverte, plus exactement peut demeurer ouverte, car il arrive que la déception soit si forte qu'on s'applique délibérément à ne pas entendre la voix intérieure qui impose la loyauté de la recherche.


Quoi qu'il en soit du passé, que vous ayez ou non le souvenir d'une adolescence ou d'une jeunesse croyante, que vous ayez ou non connu par la suite les grandes déceptions qui conduisent au doute, je puis de toute façon vous poser cette question : "Avez-vous présentement l'oreille ouverte à ce que dit le Christ ?". Si je vous demandais : "Avez-vous la foi ?", ce serait de ma part une imprudence car vous seriez tentés de répondre oui ou non.


Or, cela il ne le faut pas car, d'aucun homme, nous ne pouvons savoir comment Dieu juge sa foi, ni par conséquent ce quelle vaut, ni même ce qu'elle est. Jamais nous ne pouvons nous arroger le droit de dire : Ma foi. Ce serait. faire acte de possédant, ou de propriétaire.


Or, précisément, il n'est rien au monde qui soit plus contraire à la propriété que la foi. Elle est par essence dépossession, pauvreté. Le riche n'écoute pas ou, ce qui revient au même, n'écoute que soi. L'autre n'existe pas pour le riche, puisque la définition même de la richesse, au sens spirituel et non pas directement économique du mot, c'est l'inaptitude à reconnaître l'autre et à s'ouvrir à lui dans un geste d'accueil. Être propriétaire de la foi, posséder la foi comme une richesse, c'est une contradiction dans les termes et, lorsque cette contradiction est vécue, elle s'appelle mensonge, et c'est la racine du péché.


L'Évangile est là-dessus à la fois paradoxal et éclairant. A tous ceux qui viennent à Lui, Jésus demande la foi. On sent bien qu'il y tient plus qu'à tout, comme si avec la foi tout était possible, et sans elle rien. Or, il apparaît que, dans l'entourage du Christ, la foi est extrêmement rare, et cependant très commune.


Une foi rare et pourtant commune


De quel ton sévère et triste il dit aux pharisiens : "Race perverse et incrédule !" et aux apôtres : "Hommes de peu de foi !".


Et pourtant : elle jaillit partout où Jésus passe ; et il déclare lui-même aux païens, aux samaritains, aux filles publiques, aux publicains, que leur foi est grande. On imagine la stupeur scandalisée des Juifs, quand ils entendaient Jésus dire au centurion romain "Je n'ai pas trouvé de foi pareille en tout Israël". Ou à l'hémorroïse : "Femme, ta foi t'a sauvée". Ou à la Syro-phénicienne : "Ta foi est grande". Ou à Zachée, chef des publicains. "Tu es un authentique fils d'Abraham." Or, la Syro-phénicienne ne savait certainement pas un mot de la loi juive. Le centurion et Zachée, peut-être quelques articles. Jésus leur dit qu'ils ont la foi. Tandis qu'aux pharisiens, qui sont des théologiens patentés, il affirme avec force qu'ils ne l'ont pas. Et à ses disciples, il dit qu'ils l'ont peu. L'incrédulité se trouve donc du côté des professionnels de la foi, des possédants de la foi.


Le Christ ne juge donc pas comme nous jugeons. Il y a les vraies et les fausses professions de foi, selon qu'on récite des formules ou qu'on engage sérieusement sa liberté. La vraie foi est une réponse à l'initiative de Dieu. Et l'initiative de Dieu ne saurait être l'imposition d'une vérité toute faite à une intelligence qui n'aurait qu'à la subir sans l'engagement sérieux de la liberté. Un Dieu qui imposerait sa vérité comme un spectacle offert à une raison spectatrice ne serait évidemment qu'une idole. Une Révélation qui serait un système tout fait, susceptible d'être possédé comme une chose inerte que l'on range soigneusement dans les casiers du cerveau, ou comme un paquet bien ficelé que l'on met à l'abri des importuns, une telle Révélation serait évidemment un fléau pour l'esprit. Quand les chrétiens mal éduqués en viennent à accréditer une telle idée de la Révélation, alors l'athéisme surgit comme une protestation au nom de la grandeur de l'homme et de sa dignité. Il ne faut pas se presser de donner tort aux athées avant d'avoir fait sérieusement son propre examen de conscience. D'ailleurs les athées en viennent eux aussi, bien souvent, à posséder leur athéisme comme une vérité qui n'engage pas, comme un système détaché de la vie, en quoi ils sont alors aussi cléricaux que les plus cléricaux, aussi pharisiens que les plus pharisiens.


En bref, si nous osons parfois - timidement toujours, prudemment et comme sur la pointe des pieds - porter un jugement, une ébauche de jugement, sur la foi des hommes (qu'ils se disent chrétiens ou qu'ils se disent athées), si nous nous permettons de reconnaître dans tel geste ou dans tel mot une réaction de foi, s'il nous paraît quelquefois possible de dire qu'un catéchumène est en train d'accéder à la loi ou qu'un incroyant est un croyant qui s'ignore, ce n'est pas parce qu'il répète une leçon, c'est parce que nous retrouvons dans une réflexion nouvelle chez lui ou dans une attitude habituelle en lui, l'écho de ces réflexions ou de ces attitudes ou de ces comportements où Jésus reconnaissait et louait la foi authentique de ses contemporains. C'est-à-dire à la fois l'oreille ouverte et la volonté tendue. La volonté prête aux décisions qui changent la vie et aux responsabilités coûteuses.


La Transfiguration,érience qui découvre le vrai à force de labeur tâtonnant et onéreux. La parole de jésus Christ n'est pas extérieure à ce. labeur; mais elle l'anime et l'éclaire du dedans. Telle est la condition des hommes qui vivent dans la plaine, quoi qu'il en soit des instants privilégiés où l'on voudrait dresser des tentes sur le Thabor.,

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