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Mardi, 27e semaine du T.O. — année impaire

La meilleure part



Marthe et Marie

Maurice Denis (Granville, 1870 - Paris, 1943)

Huile sur toile, 77 x 116 cm, 1896

Musée de l’Hermitage, Moscou (Russie)


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (Lc 10, 38-42)

En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »


Méditation

J’ai déjà, à plusieurs reprises, écrit sur cette page d’évangile abordant le problème souvent débattu par les femmes au foyer : action ou contemplation ! Je lisais dernièrement dans Je veux voir Dieu, le livre du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus ce passage (page 399) :

« Ici surgit le conflit quasi-éternel entre les tendances différentes : le tempérament contemplatif, qui a peur de perdre sa contemplation, le tempérament actif qui ne trouve joie et saveur que dans l’action. L’une et l’autre de ces deux tendances outrancières doivent échouer : la première dans un égoïsme spirituel qui ignore le don de soi ; la deuxième dans la dissipation qui détruit la contemplation. »

Voilà donc notre ultime combat : entre action et contemplation… Comme s’il fallait choisir l’un des deux. Être missionnaire ou être ermite. Être un homme engagé dans de multiples associations, ou un sage qui médite chez soi. Être un chrétien de foi ou être un chrétien d’action. Et ce d’autant plus que l’on peut être troublé par les paroles de saint Jacques (Jn 2, 14-24) :

Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? Sa foi peut-elle le sauver ? Supposons qu’un frère ou une sœur n’ait pas de quoi s’habiller, ni de quoi manger tous les jours ; si l’un de vous leur dit : « Allez en paix ! Mettez-vous au chaud, et mangez à votre faim ! » sans leur donner le nécessaire pour vivre, à quoi cela sert-il ? Ainsi donc, la foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte. En revanche, on va dire : « Toi, tu as la foi ; moi, j’ai les œuvres. Montre-moi donc ta foi sans les œuvres ; moi, c’est par mes œuvres que je te montrerai la foi. Toi, tu crois qu’il y a un seul Dieu. Fort bien ! Mais les démons, eux aussi, le croient et ils tremblent. Homme superficiel, veux-tu reconnaître que la foi sans les œuvres ne sert à rien ? N’est-ce pas par ses œuvres qu’Abraham notre père est devenu juste, lorsqu’il a présenté son fils Isaac sur l’autel du sacrifice ? Tu vois bien que la foi agissait avec ses œuvres et, par les œuvres, la foi devint parfaite. Ainsi fut accomplie la parole de l’Écriture : Abraham eut foi en Dieu ; aussi, il lui fut accordé d’être juste, et il reçut le nom d’ami de Dieu. » Vous voyez bien : l’homme devient juste par les œuvres, et non seulement par la foi.

La foi ou les œuvres ? L’une et l’autre… Mais dans le bon sens ! Comment pourrions-nous faire des œuvres justes et vraies si nous n’avons pas la foi ? Bien sûr, ce serait solidarité avec nos frères, et ce n’est déjà pas mal ! Mais ce ne serait pas charité. La charité, ce sont les œuvres menées vers nos frères et sœurs sous l’impulsion de l’Esprit et au Nom du Christ. Comme il est navrant de lire ce mot solidarité à la place de charité dans tant d’écrits chrétiens… Nous n’avons pas le monopole de la solidarité, non ! Bien des membres du PCF ou de la CGT sont plus solidaires que nous. Par contre, nous avons le monopole de la charité, au nom de notre foi.


Ainsi, c’est la foi qui nous pousse à agir. C’est la prière qui nous éclaire sur les œuvres que nous devons faire. C’est l’Esprit qui guide nos actes. Pas d’œuvres sans la foi. Mais surtout, pas d’œuvres vraies, justes, charitables et évangéliques si elles ne sont pas d’abord puisées dans la prière. « Toute activité quelconque se prépare d’abord dans la prière » disait le Père Sevin. Avant d’être Marthe, il faut être Marie. Et alors, la Marthe en nous devient évangélique.


Mais il est un autre point à éclaircir. Nous considérons souvent les œuvres comme étant des actes efficients, que l’on peut mesurer, dont on voit le résultat. Ainsi, quand on participe à des groupes comme les Conférences Saint-Vincent-de-Paul, on voit effectivement le sourire sur le visage des anciens que l’on visite. Nous voyons le résultat de nos efforts. L’inconvénient est que nous jugeons tout acte à cette vérification. Et si on ne peut démontrer, voire prouver l’efficacité de notre acte, il semble que ce soit un échec. C’est ainsi que beaucoup de chrétiens ne comprennent pas ce que font des moines enfermés dans des monastères alors que nous manquons de prêtres dans les paroisses. Tout ça parce qu’ils ne peuvent juger de leur « efficacité » ! À ce rythme, on pourrait envisager aussi de supprimer toute personne qui ne soit pas efficace dans notre société, ou tout enfant malade… Ne levez pas les bras au ciel, et regardez d’un peu plus près notre monde… Nous en prenons le chemin. Tout ne tient pas à l’efficacité et au rendement. L’amour est-il efficace ? La beauté est-elle efficace ? Et même le bien gratuit l’est-il toujours ? Ne faisons-nous pas parfois le bien sans en récolter les fruits. Comme ce vieux cardinal de Paris qui donnait une pièce à chaque clochard à la sortie de la cathédrale, ce qui offusquait son jeune et zélé secrétaire. « Mais, mon ami, lui répondait-il, je préfère me faire rouler dix fois que de manquer une seule fois à la charité »…


Oui, évidemment, et sur le plan pratique, les moines en paroisse résoudraient quelque peu le problème de la crise des prêtres (et encore, est-ce si sûr ?). Mais ce n’est pas leur vocation. Discutez un jour avec des moins, et vous verrez qu’ils sont parfois plus au courant de l’actualité que vous. Et en plus, qu’ils ont de recul sur les événements et ne se laissent pas prendre dans la folie médiatique qui nous guette tous. Mais, eux, ils réfléchissent, comprennent, et surtout, prient ! Et là est la question de foi : croire que leur prière est tout autant efficace, si ce n’est plus, que les actes. Ou du moins que les actes ne pourraient se faire saintement si ils n’étaient pas soutenus par leur prière. Jésus a-t-il commencé son ministère avant l’heure ? Non, il a commencé par travailler et prier dans le secret de son atelier de Nazareth. Et quand il a initié son parcours triennal vers Jérusalem, ne s’arrêtait-il pas pour prier, seul, à l’écart ? peut-être est-ce simplement ce qu’il a voulu faire comprendre à Marthe : arrête-toi un instant, reste avec le Maître, écoute-moi et prie. Et après tu serais encore plus efficace, avec ta sœur, dans le service. La meilleure part n’est pas de ne rien faire, mais plutôt de faire les choses dans le bon ordre ! Et sans en mesurer l’efficacité. Car la seul mesure qui nous est donnée est celle de l’amour. Et l’amour ne se mesure pas, il se donne. Comme le rappelle Saint-Paul (1 Cor 12, 4-11) :

Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier.

Et pour terminer, un petit trait d’humour lu dans le Journal de Julien Green : « Les spirituels choisissent Marie. Encore sont-ils heureux que Marthe leur fasse la cuisine » !

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