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Mardi, 33e semaine du T.O. — année impaire

Une telle comédie est indigne de mon âge -



Éléazar et Matan,

Michelangelo di Lodovico Buonarroti dit Michel-Ange (Caprese, 1475 - Rome, 1564),

Fresque, 215 x 430 cm, vers 1511,

Chapelle Sixtine, Vatican (Italie)


Lecture du deuxième livre des Martyrs d’Israël (2 M 6, 18-31)

En ces jours-là, Éléazar était l’un des scribes les plus éminents. C’était un homme très âgé, et de très belle allure. On voulut l’obliger à manger du porc en lui ouvrant la bouche de force. Préférant avoir une mort prestigieuse plutôt qu’une vie abjecte, il marchait de son plein gré vers l’instrument du supplice, après avoir recraché cette viande, comme on doit le faire quand on a le courage de rejeter ce qu’il n’est pas permis de manger, même par amour de la vie. Ceux qui étaient chargés de ce repas sacrilège le connaissaient de longue date. Ils le prirent à part et lui conseillèrent de faire apporter des viandes dont l’usage était permis, et qu’il aurait préparées lui-même. Il n’aurait qu’à faire semblant de manger les chairs de la victime pour obéir au roi ; en agissant ainsi, il échapperait à la mort et serait traité avec humanité grâce à la vieille amitié qu’il avait pour eux. Mais il fit un beau raisonnement, bien digne de son âge, du rang que lui donnait sa vieillesse, du respect que lui valaient ses cheveux blancs, de sa conduite irréprochable depuis l’enfance, et surtout digne de la législation sainte établie par Dieu. Il s’exprima en conséquence, demandant qu’on l’envoyât sans tarder au séjour des morts : « Une telle comédie est indigne de mon âge. Car beaucoup de jeunes gens croiraient qu’Éléazar, à 90 ans, adopte la manière de vivre des étrangers. À cause de cette comédie, par ma faute, ils se laisseraient égarer eux aussi ; et moi, pour un misérable reste de vie, j’attirerais sur ma vieillesse la honte et le déshonneur. Même si j’évite, pour le moment, le châtiment qui vient des hommes, je n’échapperai pas, vivant ou mort, aux mains du Tout-Puissant. C’est pourquoi, en quittant aujourd’hui la vie avec courage, je me montrerai digne de ma vieillesse et, en choisissant de mourir avec détermination et noblesse pour nos vénérables et saintes lois, j’aurai laissé aux jeunes gens le noble exemple d’une belle mort. » Sur ces mots, il alla tout droit au supplice. Pour ceux qui le conduisaient, ces propos étaient de la folie ; c’est pourquoi ils passèrent subitement de la bienveillance à l’hostilité. Quant à lui, au moment de mourir sous les coups, il dit en gémissant : « Le Seigneur, dans sa science sainte, le voit bien : alors que je pouvais échapper à la mort, j’endure sous le fouet des douleurs qui font souffrir mon corps ; mais dans mon âme je les supporte avec joie, parce que je crains Dieu. » Telle fut la mort de cet homme. Il laissa ainsi, non seulement à la jeunesse mais à l’ensemble de son peuple, un exemple de noblesse et un mémorial de vertu.


Méditation

J’aime beaucoup cette réponse d’Éléazar : « cette comédie est indigne de mon âge ». Elle me rappelle que notre monde est parfois une curieuse comédie ! Voire une tragi-comédie… Une sorte de théâtre où chacun est invité à jouer sa partition et son rôle, sans en changer une virgule et en obéissant au doigt et à l’œil au metteur en scène. Pas un pas de côté, pas un changement de texte, pas un mot plus haut que l’autre, pas une vague. Tout doit être lissé, bien lisse, sans aspérité. Bien sûr, je force le trait. Pourtant, à chaque fois, dans notre histoire, qu’on a voulu tenir en laisse les hommes (que ce soient des laisses morales ou politiques, voire religieuses), l’effet, au bout d’un moment en fut contraire. Regardez de plus près l’effet de la morale victorienne en Angleterre, une fois la reine décédée. Regardez les effets d’une Troisième République tout entière de compromissions… Regardez les effets du jansénisme dans l’Église de France. Bref, quand l’homme se sent pris dans un carcan, il y en a toujours un ou deux pour faire la révolution ! En tout, l’excès est un vice, disait Sénèque. Eh bien, Éléazar refuse ces excès. Pas question de jouer cette comédie de manger des viandes sacrifiées, de faire comme tout le monde. Peut-être l’eut-il fait à 20 ans, mais pas à 90 !


À quelques semaines de l’Avent, j’ai l’impression que l’Église me donne à réfléchir sur cette comédie humaine (comme dans les 90 livres de Balzac…) Le temps de l’avent est ce temps où l’on se prépare à ce qui va advenir. Et ce qui va advenir ne sera certainement pas une comédie, ni même une tragi-comédie, mais une vérité, LA vérité. Et lorsqu’adviendra le Royaume, nous ne pourrons y entrer si nous avons été un des acteurs de cette comédie, car nous n’aurons pas joué notre vie en vérité.


Et si je reprends l’idée du « théâtre de la vie » (on parle bien aujourd’hui de théâtre vivant, comme s’il y avait un théâtre mort !), c’est parce que c’est un spectacle : quelque chose qui se donne à voir. Mais la vie en Dieu n’est pas un spectacle réalisé pour nous faire rire, nous distraire ou nous tirer des larmes. Le théâtre dans lequel Dieu nous a placé est celui qui donne à voir sa présence, son action et son amour. Et si moi qui en suis un acteur, je ne joue pas la bonne pièce, si je me laisse prendre aux conseils de faux metteurs en scène, je ne jouerai pas la partition divine, mais celle de Balzac. Je n’ai pas encore 90 ans, mais déjà je me refuse à cette comédie !


Rassurez-vous, je ne vous invite pas à la révolte. Rappelez-vous cette célèbre réponse que fit le Duc de la Rochefoucauld-Liancourt à la question de Louis XVI devant les événements : « C'est une révolte ? - Non, Sire, c'est une révolution. » Une révolte ne serait qu’une nouvelle comédie. Une révolution, comme son nom l’indique est un retournement complet, un retour à la base, aux fondamentaux. Changeons de partition. Ne jouons plus le rôle tragi-comique qu’on nous impose insidieusement. Jouons plutôt la partition de l’évangile !

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