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Mardi, 5e semaine de Carême

Un signe dressé dans le ciel -


Au fil de la Parole de Dieu


Lecture du livre des Nombres (Nb 21, 4-9)

En ces jours-là, les Hébreux quittèrent Hor-la-Montagne par la route de la mer des Roseaux en contournant le pays d’Édom. Mais en chemin, le peuple perdit courage. Il récrimina contre Dieu et contre Moïse : « Pourquoi nous avoir fait monter d’Égypte ? Était-ce pour nous faire mourir dans le désert, où il n’y a ni pain ni eau ? Nous sommes dégoûtés de cette nourriture misérable ! » Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple, et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! » Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie !



Le serpent d’airain,

Charles Le Brun (Paris, 1619 - Paris, 1690),

Huile sur toile, 95,2 x 133,3 cm, vers 1649,

Bristol City Museum and Art Gallery, Bristol (Royaume-Uni)


Le peintre

Peintre et théoricien de l’art français, Le Brun est certainement l’artiste dominant du règne de Louis XIV. Son père, le sculpteur Nicolas Le Brun l’Aîné, l’envoie très jeune étudier sous la direction de François Perrier, puis sous celle de Simon Vouet. Le Brun copia divers tableaux à Fontainebleau et, dès l’âge de 15 ans, peignit plusieurs compositions pour le cardinal Richelieu ; Poussin, alors à Paris, les trouva intéressantes. La production de Le Brun est prolifique. Lorsqu’il ne peint pas, il produit des gravures, des dessins basés sur des doctrines et des modèles de cire. Le chancelier Séguier, qui était son fidèle protecteur, lui paya un salaire pour qu’en 1642 il puisse aller en Italie et le confia à Poussin, qui retournait à Rome. En 1646, Le Brun retourne en France et s’installe à Lyon où il produit plusieurs œuvres puis rentre à Paris avec la réputation d’un artiste accompli. Dès lors, il est submergé de commandes. En 1647, il peint le Martyre de saint André pour les orfèvres, conçu pour Notre-Dame. Le ministre des Finances Nicolas Fouquet lui confie la décoration de son château de Vaux-le-Vicomte. C’est à Vaux que Le Brun rencontre le cardinal Mazarin, qui le présente à Louis XIV et à la reine mère. En 1660, le roi qui était à Fontainebleau, lui a demandé de peindre plusieurs sujets sur l’histoire d’Alexandre. L’incendie dans la galerie de peinture du Louvre, le 6 février 1661, donne à Le Brun l’occasion d’exprimer son talent de grand décorateur. Il a conçu le plan général de la galerie d’Apollon, produisant tous les dessins pour les peintures, les sculptures et les ornements, mais il n’a peint que quatre pièces. En 1663, il fut nommé directeur des Gobelins, puis directeur de l’Académie et alla même jusqu’à fonder l’École Française de Rome en 1666. En 1679, il entreprend la peinture et la décoration de la Galerie des Glaces à Versailles, une salle colossale de plus de 80 mètres sur 12. Le Brun y consacre quatre ans, peignant Louis XIV sous diverses formes en 21 tableaux et 6 bas-reliefs. Il a également décoré le Salon de la Paix à une extrémité et le Salon de la Guerre à l’autre extrémité de la galerie.


La mort de Colbert porta un terrible coup à la carrière de Le Brun. Louvois détestait tout ce que son prédécesseur avait nourri. Jusque-là, le peintre, qui régnait en maître, avait dicté toutes les règles artistiques ; pourtant, bien qu’il ait accordé une grandeur à la beauté formelle du règne de Louis XIV, il avait aussi interdit toute originalité s’écartant de l’orthodoxie définie par l’académie, et compromis l’évolution artistique nouvelle pour son époque. L’opposition silencieuse et les critiques de Louvois affectent la santé de Le Brun, probablement déjà épuisé par les efforts incessants que ces œuvres exigent. Il cessa d’aller à la Cour, malgré la faveur que le roi lui avait toujours témoignée, et ce déclin mit fin à sa vie.


Son importance dans l’histoire de l’art français est double : sa contribution à la magnificence de la Grande Manière de Louis XIV et son influence sur les fondements de l’académisme. Plusieurs des grands artistes français de la génération suivante se sont formés dans son atelier.


Ce que je vois

Le ciel chargé paraît être celui d’un après orage. Au centre d’un paysage rocheux et tourmenté, Moïse a dressé un mât, arbre mort dont une branche conserve encore quelques feuilles. Faut-il y voir un double signe : d’un côté la mort avec cette branche décharnée, de l’autre la vie qui renaît avec ces quelques pousses ? Sur ce mât, le serpent d’airain. L’airain est en fait le nom vieilli du bronze, alliage de cuivre. Ce qui peut paraître étonnant est que le point de fusion est de 1000°. Ont-ils eu le moyen de faire un four qui atteint une telle température ? Ce serpent semble plus être un animal mort qu’une sculpture de bronze ; on dirait qu’il a simplement été posé, enroulé sur l’arbre mort. Tout autour, le peuple gémit, se débat, s’échappe ou implore… les serpents grouillent au sol et mordent le peuple comme celui qui vient de tuer un homme en bas à droite et qui menace maintenant l'adolescent tétanisé. Notez la beauté de son geste et le drapé bleu qui s’envole et qui n’est pas sans rappeler la célèbre statue du Bernin (réalisée en 1622 et exposée à la galerie Borghèse), le Rapt de Proserpine. Tous sont dans la détresse face à la mort qui les frappe. Mais ils viennent de comprendre que Dieu va les sauver des conséquences de leur révolte par l'intermédiaire de Moïse. Le prophète, drapé d’un manteau rouge sang, désigne de la main droite le serpent du salut, et de la main gauche le ciel d’où viendra la guérison. Car le risque était que le peuple tombe encore dans une croyance magique, comme lors de l’épisode du veau d’or. Moïse regarde cet homme agenouillé et vêtu de blanc, l’incitant à se confier à Dieu pour obtenir la guérison des morsures brûlantes. Prenons le temps de regarder tous les personnages et leurs attitudes devant le danger, ou devant la mort, comme cet enfant au premier plan qui semble chercher à ranimer sa mère morte, ou cet homme qui tente à droite de grimper au rocher pour échapper au serpent. Là encore, on peut retrouver l’influence d’une autre oeuvre célèbre : L’incendie du Borgo de Raphaël (entre 1514 et 1517) dans les chambres du Vatican. Enfin, au pied du serpent d’airain, dans des tons bruns, on peut distinguer un homme aux cheveux longs défaits tendre un doigt vers le mât. J’aurais tendance à y voir une allusion à la figure de Jean le Baptiste qui désigna le Christ : « Voici l’Agneau de Dieu ». Anachronisme historique bien sûr, mais peut-être une sorte de préfiguration.


Commentaire

Cette scène de la morsure des serpents n’est relatée que dans le livre des Nombres. Il est vrai que ce livre du Pentateuque est à lire comme un complément des événements de l’Exode, voire un type de relecture spirituelle. De fait, depuis le chapitre 11, le peuple commence à récriminer contre Dieu en adressant par l’intermédiaire de Moïse de continuelles plaintes sur leur situation : pas assez à manger, le manque de viande, l’écoeurement de la manne, l’absence d’eau. Mais le plus grave est qu’ils regrettent le temps de leur esclavage et font le reproche à Moïse, et donc à Dieu, de leur avoir fait quitter l’Égypte. Comment Dieu pourrait-il encore supporter un peuple de continuels insatisfaits ? Ils se plaignent de leur esclavage étouffant en Égypte et Dieu les libère. Ils se plaignent du manque d’eau dans le désert et Dieu fait jaillir l’eau du rocher. Ils se plaignent du manque de pain, et la manne apparaît au petit matin. ils se plaignent du manque de viande, et voilà que des nuées de cailles s’abattent sur le camp. Que leur faut-il de plus ? En fait, ils ne regardent que leur nombril ! Et leur ventre n’est et ne sera jamais satisfait. Leur horizon, c’est eux-mêmes et leur petit confort. Ne sommes-nous pas aussi comme eux, toujours à nous plaindre ? Nous plaindre de situations matérielles inconfortables, ou du gouvernement qui ne fait pas ce qu’il faut (c’est malgré tout possible !), ou du mauvais temps, sans parler de nos rhumatismes ! Bref, ça ne va jamais… Et si ça ne va pas c’est parce que, nous aussi, nous avons le regard rivé sur notre petite personne. À la limite, il s’élargit parfois sur nos proches, mais rarement plus loin. Je suis sûrement un peu dur, mais il doit quand même y avoir du vrai dans tout cela, non ? Rappelez-vous la chanson d’Alain Souchon :

Elle me dit que je pleure tout le temps,
Que je suis comme un tout p'tit enfant
Qu'aime plus ses jeux, sa vie, sa maman.
Elle dit que je pleure tout le temps,
Que je suis carrément méchant, jamais content,
Carrément méchant, jamais content.

On peut quand même comprendre l’agacement de Dieu ! Peut-être que déjà à cette époque le peuple voulait avoir « tout, et tout de suite » ! Le beurre, l’argent du beurre et… la crémière ! Alors, Dieu « mord »… Il mord pour nous rappeler à l’essentiel. N’est-il pas vrai que lorsqu’on souffre on en revient à l’essentiel ? C’est peut-être ce que Dieu voulait pour son peuple : qu’il ouvre enfin les yeux sur l’essentiel. Et c’est bien ce qui se passe. Enfin, ils comprennent que Dieu ne peut pas satisfaire tous leurs petits désirs égoïstes, que Dieu veut les sauver, mais qu’Il ne le fera pas sans leur collaboration. Oh, Il ne leur demande pas grand-chose, simplement de tourner les yeux vers Lui ! Bref, Il nous recentre, pas sur nous-mêmes, mais sur Lui, l’essentiel, celui qui est, qui était et qui vient. Le regard fixé sur Dieu, en imploration, nous sommes sauvés. Et ce serpent qui fur celui de la chute d’Adam et Ève deviendra celui du relèvement de l’homme, de ses morsures humaines pour que son regard se tourne enfin vers son Sauveur. Ceux qui le regardent sont sauvés, ceux qui regarde le Christ en Croix seront sauvés. Car le Seigneur entend notre prière…


Psaume 101

Seigneur, entends ma prière :

que mon cri parvienne jusqu’à toi !

Ne me cache pas ton visage

le jour où je suis en détresse !

Le jour où j’appelle, écoute-moi ;

viens vite, réponds-moi !


Les nations craindront le nom du Seigneur,

et tous les rois de la terre, sa gloire :

quand le Seigneur rebâtira Sion,

quand il apparaîtra dans sa gloire,

il se tournera vers la prière du spolié,

il n’aura pas méprisé sa prière.


Que cela soit écrit pour l’âge à venir,

et le peuple à nouveau créé chantera son Dieu :

« Des hauteurs, son sanctuaire,

le Seigneur s’est penché ;

du ciel, il regarde la terre

pour entendre la plainte des captifs

et libérer ceux qui devaient mourir. »



Homme à genoux en prière

Jacopo da Empoli (Florence, 1551 - Florence, 1640)

Craies noires et blanches sur lavis de papier brun, 32,7 x 18,5 cm, date inconnue

California Palace of Legion of Honor, San Francisco (U.S.A.)


L’artiste

Peintre et dessinateur italien, de son vrai nom Jacopo Chimenti. Il a vécu et travaillé à Florence toute sa vie, et il a suivi Giovanni Santi di Tito dans la production de peintures où domine le retour à la clarté de la Renaissance florentine. En intégrant dans sa production les idées de ses contemporains plus novateurs, il est devenu l’un des peintres les plus populaires de retables pour les églises de Florence et de la Toscane. Notons aussi ses peintures de natures mortes qui lui ont valu de nombreuses commandes privées, parmi lesquels les Médicis. La peinture de Jacopo da Empoli se distingue par des formes simples et lucides, des couleurs fortes et une interprétation directe et claire du sujet.


Ce que je vois

Nous avons ici affaire à un dessin à la craie sur un papier au lavis brun, certainement une oeuvre préparatoire à un tableau. Cet homme chapeauté et couvert d’un sarrau de toile grossière doit être un pauvre paysan. Il est pieds nus et, agenouillé, a joint ses deux mains pour prier le Seigneur. Les yeux clos, il s’adresse à son Dieu avec toute la ferveur possible de son âme. Je soulignerai simplement qu’aujourd’hui nous renâclons à tout geste de prière qui pourrait paraître trop dévot. On ne voit plus les fidèles se mettre à genoux, ni s’incliner. Tout cela sent trop le passéisme aux yeux de beaucoup de chrétiens… et de prêtres ! Pourtant, notre corps est partie prenante de notre prière. J'y reviendrai plus bas.


Commentaire

Je n’ai jamais pris le temps de compter, mais j’ai bien l’impression que plus de la moitié des psaumes sont un cri vers Dieu, le signe de la détresse de l’homme qui appelle Dieu face à son désespoir. Bien sûr, cela pourrait paraitre comme le dernier recours après avoir tout essayé pour s’en sortir. N’est-ce pas là où nous nous trompons ? Dieu ne devrait-il pas être plutôt le premier recours ? Se confier d'abord à Dieu pour qu’il nous donne la sérénité nécessaire afin d’affronter calmement les tempêtes… Le Père Sevin disait que « toute activité se prépare d’abord dans la prière ». Toute détresse aussi. c’est ce que font notre psalmiste et notre paysan sur le dessin : ils se confient, voire s’offrent à la miséricorde de Dieu. Cette prière change leur coeur et leur regard. Dès la deuxième strophe, le ton se modifie, la confiance prend le dessus. D’une peur raisonnée devant la détresse, le cri vers Dieu transforme l’homme qui sait, maintenant, au fond de son coeur (et non plus de l’intelligence) que le Seigneur ne l’abandonnera pas, et que le soleil commence déjà à poindre derrière les nuages. Avant toute chose, avant tout affolement, commençons déjà par prier !


Évangile de Jésus Christ selon saint Jean (Jn 8, 21-30)

En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Je m’en vais ; vous me chercherez, et vous mourrez dans votre péché. Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller. » Les Juifs disaient : « Veut-il donc se donner la mort, puisqu’il dit : “Là où moi je vais, vous ne pouvez pas aller” ? » Il leur répondit : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. En effet, si vous ne croyez pas que moi, Je suis, vous mourrez dans vos péchés. » Alors, ils lui demandaient : « Toi, qui es-tu ? » Jésus leur répondit : « Je n’ai pas cessé de vous le dire. À votre sujet, j’ai beaucoup à dire et à juger. D’ailleurs Celui qui m’a envoyé dit la vérité, et ce que j’ai entendu de lui, je le dis pour le monde. » Ils ne comprirent pas qu’il leur parlait du Père. Jésus leur déclara : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, Je suis, et que je ne fais rien de moi-même ; ce que je dis là, je le dis comme le Père me l’a enseigné. Celui qui m’a envoyé est avec moi ; il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable. » Sur ces paroles de Jésus, beaucoup crurent en lui.



Croix au soleil couchant

Thomas Cole (Bolton le Moors, 1801 - New-York, 1848)

Huile sur toile, 91,1 x 121,9 cm, 1848

Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (Espagne)


L’artiste

Peintre paysagiste romantique américain, un des fondateurs de l’Hudson River School. Sa famille émigra d’Angleterre en Amérique en 1819 et il se consacra avec passion aux paysages naturels de son nouveau pays. Il passa deux ans à l’Académie des beaux-arts de Pennsylvanie et y gagna sa vie comme portraitiste et graveur, puis à New York, jusqu’à ce que certains de ses paysages attirent l’attention de Dunlap, Durand et Trumbull, en 1825, assurant son succès. L’année suivante, il s’installe à Catskill, sur l’Hudson River, se rendant dans les montagnes, souvent à pied, pour faire des croquis de paysage et travailler ses études dans des peintures terminées en atelier.


Il fit deux séjours en Europe, de 1829 à 1832 et de 1841 à 1842, et vécut principalement à Florence avec Greenough. Ces visites européennes, au cours desquelles il fut sous l’influence de Turner et de John Martin, le détournèrent de plus en plus de la représentation de paysages naturels vers des thèmes historiques et allégoriques grandioses, notamment les deux grandes séries Le Cours de l’Empire (New-York Historical Society, 1836) et The Voyage of Life (Munson-Williams-Proctor Institute, Utica, 1840).


Ce que je vois

Voici une peinture que l’on peut qualifier sans erreur de « romantique ». La scène a certainement été peinte près de l’Hudson River, comme sur cette photo :



Une rivière qui serpente calmement au milieu des collines herbeuses, des montagnes en arrière-plan, et une petite chapelle dont le clocher se découpe sur les frondaisons rousses d’automne. Au loin, derrière les sommets, le soleil se couche et darde ses derniers rayons jaunâtres sur un ciel s’enténébrant. Et au premier plan, une croix de pierre. Elle est massive, plantée solidement en terre et semble dominer tout le paysage, comme le contemplant. Mais ce qui est surprenant est qu’elle paraît être ensoleillée. Est-ce le reflet des rayons de soleil sur un Christ de métal qui donne ce halo blanc ? Est-ce un « second » soleil qui brille derrière la Croix ? Ou est-ce elle-même qui est lumineuse, solaire ? Somme toute, le Fils de l'Homme est élevé sur cette Croix, il domine le monde, le contemple et devient le nouveau soleil des hommes alors que l’antique lumière se voit contrainte au coucher…


Commentaire

Deux lumières qui s’affrontent, ou du moins se confrontent : celle du Premier Testament, celle du Nouveau Testament. Une lumière qui part vers le bas, celle des pharisiens qui mourront dans leur péché comme le dit Jésus. Une autre qui vient d’en-haut, qui ne semble pas être de ce monde, celle de Jésus. La lumière du ego eimi (ἐγώ εἰμι) : JE SUIS. Ce « Je suis » qui est le Nom de Dieu. Ce « Je suis » qui fera tomber d’horreur les soldats du Grand-prêtre lors de l’arrestation de Jésus au Mont des oliviers, car personne ne peut prononcer le Nom de Dieu (hormis une fois par an le Grand-prêtre au sein du Temple lors de la fête de Yom Kippour).


À sept reprises, Jésus dans l’évangile johannique se qualifiera en utilisant ce « Je suis » :

1- Je suis le Pain de Vie (Jn 6, 35.48.51)

2- Je suis la Lumière du monde (Jn 8, 12)

3- Je suis la porte des brebis (Jn 10, 7.9)

4- Je suis le bon berger (Jn 10, 11.14)

5- Je suis la résurrection et la vie (Jn 11, 25)

6- Je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14, 6)

7- Je suis le vrai cep (Jn 15, 1.5)


À sept autres reprises, il utilisera, sans qualificatif, ce même ego eimi (ἐγώ εἰμι) : JE SUIS.

1- « Je suis, moi qui te parle » (Jn 4, 26)

2- « Je suis, soyez sans crainte » (Jn 6, 20)

3- « Si vous ne croyez pas que je suis » (Jn 8, 24)

4- « Lorsque vous aurez élevé le Fils de l’Homme, vous connaîtrez que je suis » (Jn 8, 28)

5- « Avant qu’Abraham fût, moi je suis » (Jn 8, 58)

6- « … vous croyez que je suis » (Jn 13, 19)

7- « Je suis (c’est moi) » (Jn 18, 5.6.8)


Nous le savons, sept est le chiffre de la création (Dieu créé le monde en six jours et se repose le septième). Et ce septième jour n’est jamais clos : à la fin il n’est pas dit : il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le septième jour. Non, Ce jour est toujours ouvert, il nous laisse dans l’attente de la venue du Sauveur. Mais Jésus va être le huitième jour, celui qui vient clore, parachever, mener à son terme la création. Il sera le huitième « Je suis ». Comment ? Par sa croix. C’est elle qui vient se dresser sur le monde. C’est sur cette croix que la lumière naîtra (comme sur notre peinture) et qu'elle viendra ouvrir les cieux à la nouvelle Jérusalem. C'est cela qu'il veut faire comprendre aux Juifs : si vous ne passez pas par cette croix, vous resterez dans le monde d’en-bas, celui du péché et de la mort. Si vous passez par cette croix, par moi « Je suis », alors vous connaîtrez la lumière d’en-haut, la vie éternelle. Il le dit aux Juifs mais aussi à chacun d'entre nous…


Au fil de mes pensées


Il est surprenant de voir que le symbole puissant de la croix a tendance à disparaître de nos églises… Coluche disait qu’heureusement que Jésus n’était pas mort noyé sinon nous aurions un aquarium au-dessus de la porte ! Mais à défaut d’aquarium, y a-t-il encore une croix ? Il faut dire qu’elle fait peur à nos contemporains. Elle leur paraît un instrument de mort, ce qu'elle est effectivement. Crassus, pour mâter la révolte de Spartacus, n’a-t-il pas fait crucifier plus de 6000 prisonniers, hommes, femmes ou enfants, sur la Voie Appienne entre Capoue et Rome en 71 après J.C. ? Instrument de torture, instrument de mort, mais aussi emblème de notre salut. Car c’est en mourant sur la croix que Jésus nous a ouvert les portes du Paradis. C'est en s’immolant, tel l’Agneau immaculé, qu’il nous a racheté de notre péché et qu’il nous permet de devenir fils de Dieu.


Alors pourquoi cacher ou dénaturer l’instrument de notre salut ? Pourquoi vider la croix du crucifié pour n’en faire qu’un simple signe de ralliement ? En ce cas, autant prendre le poisson (Ichtus). Ou alors, pourquoi en faire une « pancarte politique » comme ce fut le cas dans beaucoup de pays de l’Amérique Latine dans les dernières décennies ? Ou pourquoi vouloir en faire une prouesse esthétique qui ne dit plus rien du message originel ? Je pense par exemple à celui que j’appelle trivialement « le Christ à la piscine » de Fatima (on dirait qu’il se détache de la croix pour plonger) :



Voire, encore plus choquant, remplacer le vendredi saint le Christ en croix (à Gap) par une statue contemporaine sujette à bien des remarques :



Bref, nier la croix, nier ce qu’elle représente, nier qu’elle est notre salut, c’est entendre le Christ nous dire : « Vous, vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut. Vous, vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. C’est pourquoi je vous ai dit que vous mourrez dans vos péchés. En effet, si vous ne croyez pas que moi, Je suis, vous mourrez dans vos péchés. »


Au fil de la liturgie


Comme j’y faisais allusion dans mon commentaire du psaume, notre prière est devenue de plus en plus figée corporellement. Je ne parle pas ici de la prière personnelle, mais de celle que nous vivons communautairement lors des liturgies. Les processions, telles les rogations, ont souvent disparues et se limitent à quelques processions traditionnelles, voire folkloriques. Il est vrai que les autorités mettent pas mal de bâtons dans les roues pour organiser ce genre de manifestations. Il est plus simple d’organiser une bonne grève ! Lors de la liturgie de la messe, la procession se limite à celle de la communion, et elle ne concerne pas tout le monde. Ainsi, en regardant la messe à la télévision, je fus surpris de la fixité de l’image. Il faut que la caméra change d'angle pour donner un peu de mouvement. Et même, à nos places, hormis pour le clergé, le mouvement se limite à debout et assis. Plus question de se mettre à genoux, soit parce qu’on en a plus les moyens (les prie-dieu ont disparu), soit parce que ce n’est pas très bien vu du clergé (ce n’est pas assez moderne !)


Prenez le cas des baptêmes. La plupart du temps on observe aujourd’hui que le baptistère a été remplacé par une « jolie » bassine en cuivre pour les confitures et qu’elle trône bien sagement dans le choeur sur un napperon brodé par Mademoiselle Michut ! On attend que la famille s'installe sur les premiers rangs de la nef et on y va. Seuls mouvements : l’un ou l’autre va à l’ambon ânonner une lecture, puis la famille s’avance vers la bassine reluisante pour le geste de l’eau. Et enfin, un petit mouvement pour les signatures, et basta.


Au Moyen-âge, la foi se vivait avec tout le corps, entre autres par les pieds ! Que de pèlerinages, ô combien plus difficiles et dangereux qu’aujourd’hui, que de sueur, de souffrances, de faim et de soif pour aller rendre hommage à la Vierge, à un saint ou aux lieux où vécu Jésus. Que de familles, d’humbles paysans à genoux lorsque sonnait l’angelus ou que passait un prêtre avec les derniers sacrements. que d'enfants aux mains jointes agenouillés devant leur crucifix. Et que de parcours dans les églises, de circuits dans les cryptes pour faire ses dévotions.


Bien sûr, il ne s’agit pas de faire un retour en arrière et de singer une époque qui n’est plus la nôtre. Mais peut-être avons-nous jeté le bébé avec l’eau du bain ? Peut-être qu’à vouloir dépoussiérer nos liturgies nous avons fini par en bannir l’essentiel ? Et peut-être aussi que cette période de confinement où nous risquons de faire une nouvelle fois le chemin de croix derrière un écran n’arrange rien !


Découvrant la liturgie byzantine, je fus assez surpris de voir les nombreuses interactions qui existent entre la célébration du sacrement, la place du corps et des sens et la respiration spirituelle des arts présents. Ainsi, les mouvements sont nombreux, ne seraient-ce que les signes de croix, les baisers aux icônes et les métanies (inclination du corps). Et peu de sièges dans les églises orthodoxes. Alors on reste debout, on bouge et… on ne s’endort pas ! Même les cinq sens sont exaltés dans la liturgie : on sent l’encens (parfois trop…), on embrasse les icônes (attention Covid…), on regarde les prêtres et leurs vêtements somptueux, l’iconostase ou les fresques, on entend les chants a capella, et on goûte le corps et le sang du Christ mêlés lors de la communion. Peut-être devrions-nous en tirer quelque leçon…


Une des grandes peurs du clergé est de laisser penser que la liturgie est un théâtre. Alors, on va rendre la liturgie la plus plate possible. Bien sûr que nous ne faisons pas une représentation théâtrale. Mais n’y a-t-il pas un certain nombre de similitudes ? Boileau écrivait dans l’Art Poétique : « Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli, Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. » La règle des trois unités ne s’applique-t-elle pas à la liturgie ? En un lieu : l’église. En un jour, celui du Seigneur, un seul fait accompli : le salut. De même, pour qu’une pièce soit réussie il est important que les acteurs aient des costumes (nos vêtements liturgiques), un décor (celui de l'église qui n’est pas décoration sans vie, mais décor, parement qui respire la présence divine), des dialogues (ô combien sont-ils essentiels dans la liturgie), des didascalies (ça s'appelle des rubriques dans nos missels : ce qui est écrit en rouge - rubere), des actes (liturgies de l’accueil, de la Parole, de l’eucharistie, de l’envoi), etc.


En fait, la liturgie est un spectacle dans le sens étymologique du terme : ce qui se donne à voir. Imaginez aller à une pièce de théâtre où il n’y a plus de décor (c’est très à la mode à Avignon !), plus de costumes, des dialogues donnés sans grande conviction, aucun mouvement des acteurs, etc. Je ne suis pas sûr que vous restiez jusque’à la fin ! Alors imaginez une liturgie qui ne donne plus rien à voir : plus de mouvement, plus de costumes (ou réduits à leur plus simple expression), des dialogues insipides, plus de décor (c’est très à la mode actuellement de retirer statues, peintures, objets de dévotion et de tout repeindre en blanc. Une période de de l’art sacré en a fait son leitmotiv, même s‘il y a encore aujourd’hui quelques réminiscences…) Eh bien là aussi, vous risquez de ne pas aller jusqu’au bout !


En fait, il ne s’agit pas de créer de nouvelles liturgies, des gestes à la mode ou je ne sais quoi encore. Mais simplement de puiser dans notre patrimoine, dans nos rituels, de leur rendre sens et vie. Nos anciens depuis les Pères de l’Église n’étaient pas si sots que cela. Reprenons le cas du baptême. Sans aller dans le détail et en ne regardant qu’un simple aspect (ce pourrait être l'occasion d'un autre texte), les mouvements y sont nombreux et ont du sens. La famille est accueillie dehors, car l’enfant n’est pas encore membre de la communauté. Puis, après l’avoir marqué du signe de la croix, on rentre en procession en chantant la joie d'être accueillis (là aussi il y aurait beaucoup à dire sur la qualité des paroles de ces chants, sans parler des lignes mélodiques). Puis, après les lectures, on se déplace au baptistère qui devrait se trouver dans la partie nord de la nef près de l’entrée : côté des ténèbres du péché. Puis après le baptême, on passe vers l’autel, vers la grâce pour recevoir les autres gestes comme l’onction. Tout y est mouvement, tout a du sens.


J'en arrête là, mais ne serait-il pas bon que nous nous penchions avec un peu plus d'attention sur ces aspects essentiels de la liturgie ? Ce qui se montre, c’est ce qui est…


Au fil de la prière


Guillaume de Saint Thierry : Méditations sur la Passion et la Résurrection du Seigneur. (Extraits)


« Ne crains pas, fille de Sion, voici venir ton roi monté sur le petit d’une ânesse (Jn 12,14).»


Apprends donc à contempler. « Ne crains point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de ton œil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière. De même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. « Mais ne crains pas fille de Sion, voici que ton roi arrive. » Le soleil se lève sur toi, il te protégera, il t’éclairera et te conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière…


Stimule-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec toi. Qui est-ce qui veille une heure avec toi ? Tu t’es éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et tu es plongé dans une agonie cruelle, de sorte que ton sang coule jusqu'à terre…


Éveille-toi enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui te réveille. Pense au tourment que tu subiras à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle t’attend. Chaque jour, tu t’approches d'elle, et tu n'y fais pas attention…


« Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Lc 22,32). » Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait ? Assurément, mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous, bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! « Et sortit » Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit. Quand il alla dehors, d'où sortait-il ? De la maison du Christ, de la maison des fidèles, mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église, et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent, mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu…


« Qui nous écartera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre ? (Mc 16,3). » L'ouverture de mon esprit est fermée, Seigneur, la pierre de cette vie mortelle pèse lourdement sur mon intelligence, je suis surchargé du poids de mes iniquités, les forces humaines ne peuvent en aucune manière l'écarter, si ta parole toute-puissante et l'ange du conseil ne viennent détruire cette muraille d'iniquité, et nous en ouvrir le sens, afin que nous comprenions les Écritures et que nous voyons, placés devant nous, les linges, témoignages de ta résurrection et du corps humain que tu as pris…


« Mais ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. (1 Cor. I. 25). » Parce qu'en te sacrifiant aux yeux de ton Père, et en mourant par un effet de ta puissance, tu as ébranlé les princes des ténèbres et brisé leur pouvoir, et ta croix est devenue un scandale pour les Juifs, une folie pour les gentils, mais, pour ceux qui croient, la force et la sagesse de Dieu…


Toute puissance t’a été donnée, Seigneur Jésus, au ciel et sur la terre, grand roi, roi des vertus, parce que tu as été obéissant à la volonté de ton Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Voici que ta majesté a été élevée au dessus des cieux, et que tout a été mis sous tes pieds.


Au fil de mes lectures


Aujourd’hui, non pas une lecture, mais une vidéo. Si vous désirez vous cultiver en ce temps de confinement, je vous invite à regarder cinq conférences d’un haut niveau, tout en restant accessibles. Ce sont celles qu’a donné François Boespflug en 2010 à la « Chaire du Louvre » sur le thème « Le Dieu des peintres et des sculpteurs » : https://www.louvre.fr/le-dieu-des-peintres-et-des-sculpteurs-par-francois-boespflug

Un livre reprenant la conférence fut ensuite publié aux éditions du Musée du Louvre, avec le même titre (ISBN : 978-2-35031-273-6). Je ne peux que vous le conseiller !

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